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17/03/2023 | FRANCE | N°21/02191

France | France, Cour d'appel de Besançon, Chambre sociale, 17 mars 2023, 21/02191


ARRET N° 23/

BUL/XD



COUR D'APPEL DE BESANCON



ARRET DU 17 MARS 2023



CHAMBRE SOCIALE







Audience publique

du 03 Février 2023

N° de rôle : N° RG 21/02191 - N° Portalis DBVG-V-B7F-EORC



S/appel d'une décision

du CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE LURE

en date du 30 novembre 2021

code affaire : 80A

Demande d'indemnités liées à la rupture du contrat de travail CDI ou CDD, son exécution ou inexécution



APPELANTE



M

adame [C] [W], demeurant [Adresse 3]



représentée par Me Jean-louis LANFUMEZ, avocat au barreau de BELFORT





INTIMEE



S.A.S. BRÛLERIE [J] représentée par son représentant légal en exercice, ...

ARRET N° 23/

BUL/XD

COUR D'APPEL DE BESANCON

ARRET DU 17 MARS 2023

CHAMBRE SOCIALE

Audience publique

du 03 Février 2023

N° de rôle : N° RG 21/02191 - N° Portalis DBVG-V-B7F-EORC

S/appel d'une décision

du CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE LURE

en date du 30 novembre 2021

code affaire : 80A

Demande d'indemnités liées à la rupture du contrat de travail CDI ou CDD, son exécution ou inexécution

APPELANTE

Madame [C] [W], demeurant [Adresse 3]

représentée par Me Jean-louis LANFUMEZ, avocat au barreau de BELFORT

INTIMEE

S.A.S. BRÛLERIE [J] représentée par son représentant légal en exercice, domicilié de droit audit siège, sise [Adresse 2]

représenté par Me Vincent BESANCON, avocat au barreau de BELFORT

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile l'affaire a été débattue le 03 Février 2023, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame UGUEN-LAITHIER Bénédicte, Conseiller, entendu en son rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Christophe ESTEVE, Président de Chambre

Madame Bénédicte UGUEN-LAITHIER, Conseiller

Mme Florence DOMENEGO, Conseiller

qui en ont délibéré,

Madame Catherine RIDE-GAULTIER, Greffier lors des débats

Monsieur Xavier DEVAUX, directeur de greffe, lors de la mise à disposition

Les parties ont été avisées de ce que l'arrêt sera rendu le 17 Mars 2023 par mise à disposition au greffe.

**************

FAITS ET PROCEDURE

Suivant contrat à durée indéterminée du 20 octobre 2020, Mme [C] [W] a été employée par la Société Brûlerie [J] en qualité de «responsable de magasin, vendeur et barista', niveau 3, échelon1, et plus précisément affectée au magasin situé à [Localité 5].

Ledit contrat prévoyait une période d'essai de deux mois.

Selon lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 25 novembre 2020, la Société Brûlerie [J] a rompu la période d'essai au motif que « celle-ci n 'a pas été concluante. . . '', et précisé que la rupture interviendrait à la date du 28 novembre suivant.

Par pli recommandé du 15 décembre 2020, Mme [C] [W] a contesté la rupture de la période d'essai aux motifs qu'aucune période d'essai ne pouvait être prévue dans son contrat puisqu'elle avait occupé la même fonction dans le même magasin depuis juillet 2020 et que le motif invoqué dans la lettre de rupture était faux.

Suivant requête du 5 mars 2021, Mme [C] [W] a saisi le conseil de prud'hommes de Lure afin de voir juger que la rupture de sa période d'essai était abusive et obtenir l'indemnisation de son préjudice.

Par jugement du 30 novembre 2021, ce conseil a :

- débouté Mme [C] [W] de sa demande de dommages-intérêts

- rejeté la demande de Mme [C] [W] au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- dit que les dépens seront supportés par chacune des parties

Par déclaration du 14 décembre 2021, Mme [C] [W] a relevé appel de cette décision et aux termes de ses dernières écritures du 3 juin 2022 demande à la cour de :

- infirmer le jugement déféré en l'ensemble de ses dispositions

- dire que le recours par la Société Brûlerie [J] à une période d'essai a, en lui-

même, un caractère abusif

- dire que la rupture de la période d'essai a un caractère abusif

- condamner la Société Brûlerie [J] à lui payer la somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts

- condamner la Société Brûlerie [J] à lui payer la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile

- débouter la Société Brûlerie [J] de toutes demandes

- condamner la Société Brûlerie [J] aux entiers dépens de première instance et

d'appel

Par conclusions du 25 mars 2022, la société Brûlerie [J] demande à la cour de :

- à titre principal, confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions

- débouter Mme [C] [W] de l'intégralité de ses demandes

- subsidiairement, réduire les demandes de Mme [C] [W] à de plus justes proportions,

- condamner Mme [C] [W] à lui payer une indemnité de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens

Pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux dernières conclusions précédemment visées en application de l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 12 janvier 2023.

MOTIFS DE LA DECISION

I - Sur la stipulation abusive d'une période d'essai

Il ressort des pièces communiquées que Mme [C] [W] a été engagée par la SAS Brûlerie [J] en vertu d'un contrat à durée indéterminée du 20 octobre 2020 prenant effet le jour même, en qualité de responsable de magasin, vendeur et barista, lequel stipulait une période d'essai de deux mois.

L'appelante prétend tout d'abord que le recours à une période d'essai est abusif au motif qu'elle aurait occupé précédemment le même poste dans le même magasin depuis le 3 juillet 2020 dans le cadre d'un contrat de professionnalisation pour le compte de la SARL Rachalex, dont le gérant est également M. [O] [J].

La société Brûlerie [J] lui objecte que les précédentes fonctions invoquées ont été exercées pour le compte d'un employeur distinct, la SARL Rachalex, de sorte qu'une période d'essai pouvait valablement être stipulée dans le contrat de Mme [C] [W].

Ayant pour finalité de permettre aux parties d'évaluer si la relation de travail naissante leur convient, la période d' essai doit se situer au commencement de la relation de travail.

Aussi, cette finalité disparaît-elle si les parties se connaissent déjà et, à plus forte raison, si une relation de travail existe au moment de stipuler un essai, de sorte qu'une telle clause ne peut être valablement insérée dans un contrat en cours de relations de travail ou à l'occasion d'un changement de fonctions en cours de contrat auprès du même employeur.

Or, si Mme [C] [W] a effectivement bénéficié d'un contrat de professionnalisation signé le 26 juin 2020 pour la période du 3 juillet au 18 octobre 2020 en vue d'une qualification de 'vendeuse, barista et responsable magasin', ce contrat a été signée avec la SARL Rachalex, dont le n° de siret est 50439137600028, le siège et lieu d'exécution du contrat [Adresse 2] à [Localité 4] et la gérante et tutrice de la salariée, Mme [F] [J], alors que la SAS Brûlerie [J], dont le n° de siret est 880076096 et le siège est [Adresse 2] à [Localité 4] mais l'activité et l'établissement principal [Adresse 1] à [Localité 5], a pour gérant M. [O] [J].

En dépit de la proximité familiale des deux sociétés, il s'agit néanmoins de deux personnes morales distinctes étant observé qu'au surplus la gérante et maître d'apprentissage de Mme [C] [W] a été Mme [F] [J] et non M. [O] [J], gérant de l'intimée, de sorte que dans le contrat à durée indéterminée signé avec Mme [C] [W] ce dernier était légitime à stipuler une période d'essai (Soc 20 octobre 2010, 08-40.822).

Il suit de là que l'appelante ne peut valablement soutenir que ce recours à une telle période est abusif et doit être sanctionné par l'allocation de dommages-intérêts.

II- Sur l'objet mensonger et le caractère abusif de la rupture

Si l'article L.1231-1 du code du travail dispose que le contrat de travail à durée indéterminée peut être rompu à l'initiative de l'employeur ou du salarié, ou d'un commun accord, dans les conditions prévues par les articles L.1231-2 à L.1231-8, il précise que ces dispositions ne sont pas applicables pendant la période d'essai.

La rupture avant le terme de la période d'essai peut donc intervenir sans que les parties n'aient à motiver leur décision et sans être tenues de mettre en place une procédure de licenciement, la seule exigence de la part de l'employeur étant d'adresser au salarié sa décision de rompre le contrat avant la date d'expiration de la période d'essai et sous réserve d'observer le délai de prévenance prévu au contrat.

Si Mme [C] [W] s'abstient de se prévaloir du délai de prévenance consenti par l'employeur elle lui fait en revanche le grief d'avoir rompu abusivement sa période d'essai et d'en avoir donné un motif mensonger.

A ce titre, elle prétend en effet d'une part que la société Brûlerie [J] a rompu la période d'essai pour des considérations économiques et non inhérentes à sa personne, tels qu'ils ressortent d'un SMS adressé peu avant la notification de cette rupture par pli recommandé, et d'autre part que cette rupture est abusive en ce qu'elle est intervenue de façon précipitée alors qu'elle n'avait travaillé que quelques jours seulement pour le compte de l'employeur, pour avoir été placée en chômage technique à compter du 30 octobre 2020.

L'intimée fait au contraire valoir que la rupture est intervenue en raison du fait que cette période ne s'est pas avérée concluante pour des motifs inhérents à la façon de travailler de la salariée, et non pas pour des considérations économiques, l'évocation d'un SMS n'étant pas opérante dès lors que seul le motif mentionné dans la lettre de rupture est opposable.

Si l'employeur n'a pas l'obligation de motiver son choix de mettre fin à la période d'essai, il est admis que la rupture est néanmoins abusive si le véritable motif n'est pas inhérent à la personne du salarié (Soc 10 avril 2013, n°11-24794) et notamment si elle est en réalité motivée par des difficultés économiques (Soc 20 novembre 2007, n°06-41212), sous réserve toutefois que le salarié démontre la véritable motivation qu'il prête ainsi à l'employeur.

Il en va de même si l'employeur rompt le contrat sans avoir laissé le temps nécessaire au salarié de faire ses preuves (Soc 11 janvier 2012, n°10-14868).

Au cas particulier, la lettre recommandée notifiant la rupture de la période d'essai est ainsi libellée : 'le contrat à durée indéterminée qui nous lie depuis le 20 octobre 2020 comporte une période d'essai de 60 jours calendaires. Celle-ci n'ayant pas été concluante, nous vous informons que nous avons décidé d'y mettre fin. Vous cesserez de faire partie des effectifs de l'entreprise à la fin de votre journée du 28 novembre...'.

Or, Mme [C] [W] justifie par la production d'un procès-verbal de constat dressé le 5 janvier 2021 que :

- à la date du 19 novembre 2020, Mme [F] [J] lui adresse par SMS l'information suivante alors qu'elle se trouve en chômage partiel : 'Nous faisons tout notre possible pour pouvoir sauvegarder nos boutiques et trouver des solutions pour s'en sortir sans trop de dégâts et de pertes, dès que j'ai plus d'infos je te redis'

- le 25 novembre 2020 elle adresse un SMS à l'appelante en ces termes : 'Nous avons beaucoup réfléchi pendant le confinement et la conjoncture actuelle nous oblige à ne pas poursuivre ton contrat CDI qui nous liait depuis le 20 octobre 2020, nous mettons donc fin à ta période d'essai au 28 novembre. S'en suivra une lettre recommandée'

A l'évidence le motif ayant présidé à la rupture de la période d'essai est bien de nature économique dans un contexte lié à la crise sanitaire, et non propre à des considérations en lien avec la capacité de la salariée à exercer de façon satisfaisante les fonctions qui lui étaient confiées. L'attestation de l'ancienne collègue de l'intéressée apparaît à cet égard peu convaincante en raison des incohérences figurant dans son témoignage mais surtout au regard des contrats de travail à durée déterminée dont a bénéficié l'appelante au sein de la société Rachalex, qui induisaient nécessairement la satisfaction exprimée par cette société, dont M. [O] [J] était co-gérant, du travail accompli par son employée.

En outre, la salariée qui justifie avoir été placée en chômage partiel, donc absente du magasin, à compter du 30 octobre 2020 jusqu'à la lettre de rupture litigieuse, est bien fondée à soutenir qu'ayant travaillé quelques jours seulement dans ses nouvelles fonctions au sein de l'établissement de [Localité 5], son employeur ne lui a pas laissé le temps nécessaire pour faire utilement ses preuves, de sorte que l'empressement à rompre la période d'essai fixée à deux mois, est incontestablement abusif.

Mme [C] [W] justifie s'être inscrite à Pôle Emploi le 7 décembre 2020. Elle ne disconvient pas avoir retrouvé un emploi au sein du golf de [Localité 4] en début d'année 2021.

Il y a lieu d'indemniser le préjudice subi par l'appelante du fait de cette rupture abusive de sa période d'essai en lui allouant la somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts.

Le jugement déféré sera par conséquent infirmé en ce qu'il l'a déboutée de toute demande indemnitaire.

II - Sur les demandes accessoires

Le jugement entrepris sera infirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.

La société Brûlerie [J] sera condamnée à verser une indemnité de procédure de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles et supportera les dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, chambre sociale, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,

INFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions.

Statuant à nouveau et y ajoutant,

CONDAMNE la SAS Brûlerie [J] à payer à Mme [C] [W] la somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice né de la rupture abusive de sa période d'essai.

CONDAMNE la SAS Brûlerie [J] à payer à Mme [C] [W] la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles.

CONDAMNE la SAS Brûlerie aux dépens de première instance et d'appel.

Ledit arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe le dix sept mars deux mille vingt trois et signé par Christophe ESTEVE, président de chambre, et Xavier DEVAUX, directeur de greffe.

LE GREFFIER, LE PRESIDENT DE CHAMBRE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Besançon
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 21/02191
Date de la décision : 17/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-17;21.02191 ?
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