ARRÊT N°
FD/FA
COUR D'APPEL DE BESANÇON
- 172 501 116 00013 -
ARRÊT DU 14 FEVRIER 2023
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE
Contradictoire
Audience publique du 13 décembre 2022
N° de rôle : N° RG 21/01051 - N° Portalis DBVG-V-B7F-EMJS
S/appel d'une décision du TRIBUNAL DE COMMERCE DE BESANCON en date du 12 mai 2021 [RG N° 2020001241]
Code affaire : 53I Cautionnement - Demande en paiement formée contre la caution seule
CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE FRANCHE-COMTE C/ [F] [R]
PARTIES EN CAUSE :
CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE FRANCHE-COMTE agissant poursuites et diligences de son représentant légal, son Président, domicilié en cette qualité audit siège, immatriculé au RCS de Besançon sous le numéro 384 899 399
Sis [Adresse 1]
Représentée par Me Anne-Sophie DE BUCY de la SELARL TERRYN - AITALI GROS-CARPI-LE DENMAT, avocat au barreau de BESANCON
APPELANT
ET :
Madame [F] [R]
née le [Date naissance 2] 1976 à [Localité 4], de nationalité française,
demeurant [Adresse 3]
Représentée par Me Ludovic PAUTHIER de la SCP DUMONT - PAUTHIER, avocat au barreau de BESANCON, avocat postulant,
Représentée par Me Jean-Eudes CORDELIER de la SELAS LEGI CONSEILS BOURGOGNE, avocat au barreau de DIJON, avocat plaidant
INTIMÉE
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors des débats :
PRÉSIDENT : Monsieur Michel WACHTER, Président de chambre.
ASSESSEURS : Mesdames Bénédicte MANTEAUX et Florence DOMENEGO, Conseillers.
GREFFIER : Madame Fabienne ARNOUX, Greffier.
Lors du délibéré :
PRÉSIDENT : Monsieur Michel WACHTER, Président de chambre,
ASSESSEURS : Mesdames Bénédicte MANTEAUX conseiller et Florence DOMENEGO, magistrat rédacteur.
L'affaire, plaidée à l'audience du 13 décembre 2022 a été mise en délibéré au 14 février 2023. Les parties ont été avisées qu'à cette date l'arrêt serait rendu par mise à disposition au greffe.
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Faits et prétentions des parties :
Selon acte sous seing privé en date du 24 août 2016, la société coopérative de crédit à capital variable Crédit agricole mutuel de Franche-Comté (ci-après dénommée la banque) a consenti à la Sarl Julant un prêt d'un montant de 150 000 euros et un second prêt de 166 200 euros, tous deux remboursables en 85 échéances mensuelles et assortis d'un taux d'intérêt annuel de 1,10 %, majoré de deux points pour les intérêts de retard.
Mme [F] [R], gérante de la Sarl Julant, s'est portée caution personnelle et solidaire des engagements de la société à hauteur de 30 000 euros pour le premier prêt et de 33 240 euros pour le second prêt.
Par jugement du tribunal de commerce de Besançon en date du 6 décembre 2017, la Sarl Julant a été placée en redressement judiciaire. Le 12 janvier 2018, le Crédit agricole mutuel de Franche-Comté a déclaré sa créance au passif de la procédure au titre des deux prêts et informé dans un courrier du même jour la caution de ses créances et des obligations de cette dernière.
Un plan de redressement a été adopté le 13 janvier 2019 par le tribunal de commerce, lequel, par jugement en date du 10 juillet 2019, a ensuite prononcé la résolution de ce plan et ordonné la liquidation judiciaire de la Sarl Julant.
Le 18 juillet 2019, la banque a adressé au liquidateur son décompte actualisé des créances admises au passif à hauteur de 309 578,95 euros et a mis en demeure Mme [R], en sa qualité de caution solidaire, d'effectuer le versement total de la somme de 63 240 euros correspondant à ses engagements de caution.
Aucun règlement n'étant intervenu, le Crédit agricole mutuel de Franche-Comté a saisi le 16 mars 2020 le tribunal de commerce de Besançon, lequel a, dans son jugement du 12 mai 2021 ;
-jugé que l'engagement de caution souscrit le 24 août 2016 par Mme [R] était manifestement disproportionné à ses biens et revenus, interdisant à la banque de s'en prévaloir ;
- débouté la banque de l'ensemble de ses demandes ;
- condamné la banque à payer à Mme [R] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la banque aux dépens.
Pour statuer ainsi, les premiers juges ont retenu que l'engagement de caution de 63 240 euros était manifestement disproportionné au jour de sa conclusion, et qu'il n'était pas démontré que le patrimoine de Mme [R], au jour où elle a été appelée par la banque, lui permettait de faire face à son obligation.
Par déclaration en date du 14 juin 2021, le Crédit agricole mutuel de Franche-Comté a relevé appel de cette décision et, aux termes de ses dernières conclusions transmises le 28 février 2022 , il demande à la cour de :
- infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 12 mai 2021 ;
- condamner Mme [F] [R] à lui payer le montant des sommes qui lui sont dues au titre de ses engagements de caution, à savoir la somme de 30 000 euros correspondant à son plafond d'engagement en tant que caution sur ce prêt, outre intérêts au taux légal à compter du 10 juillet 2019, au titre du prêt n° 00000469323 , et la somme de 33 240 euros correspondant à son plafond d'engagement en tant que caution sur ce prêt, outre intérêts au taux légal à compter du 10 juillet 2019, au titre du prêt n° 00000469324 ;
- ordonner la capitalisation annuelle des intérêts ;
- débouter Mme [R] de l'intégralité de ses demandes ;
- condamner Mme [R] à lui payer la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure de première instance ;
- condamner Mme [R] à lui payer la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la présente procédure d'appel ;
- condamner Mme [R] aux dépens de première instance et d'appel.
A l'appui de ses demandes, la banque fait principalement valoir que la fiche de renseignementsremplie par Mme [R] ne met en évidence aucune disproportion manifeste de l' engagement de cette caution lors de la souscription ; que cette dernière pouvait au surplus parfaitement y faire face lors de son appel en garantie en mars 2020 ; et qu'elle était donc en conséquence recevable à se prévaloir de ce cautionnement. Subsidiairement, elle soutient que Mme [R] était, en sa qualité de gérante, une caution avertie ; que si cependant elle devait être reconnue comme caution profane, aucun risque d'endettement provenant de l'octroi des deux prêts n'est néanmoins démontré ; qu'elle avait dès lors parfaitement rempli son devoir de mise en garde et qu'aucune perte de chance ne devait donc être indemnisée.
Dans ses dernières conclusions transmises le 15 novembre 2022, Mme [F] [R] demande à la cour de :
- à titre principal, confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 12 mai 2021 par le tribunal de commerce de Besançon ;
- débouter en conséquence le Crédit agricole mutuel de Franche-Comté de l'ensemble de ses demandes ;
- à titre subsidiaire, juger que la banque a manqué à son devoir de mise en garde à l'égard de la caution profane ;
- condamner la banque à réparer sa perte de chance subie à hauteur de 56 916 euros ;
- ordonner la compensation de sa créance avec les sommes restant dues à la banque en qualité de caution ;
- à titre très subsidiaire, lui accorder les plus larges délais de paiement pour s'acquitter de sa dette ;
- condamner la banque à lui payer la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel ;
- la condamner aux entiers dépens.
A l'appui de ses demandes, Mme [R] fait principalement valoir que les éléments déclarés par la caution auraient dû conduire la banque à ne pas lui faire souscrire deux cautionnements pour un montant global de 63 240 euros ; qu'elle n'était pas revenue à meilleure fortune le 18 juillet 2019 ; que le cautionnement ne pouvait en conséquence lui être opposé ; qu'elle était au surplus une caution profane et qu'il incombait par conséquent à la banque de l'alerter sur l'importance du risque encouru au regard de ses capacités financières et de son faible patrimoine, ce dont cette dernière s'était abstenue lui occasionnant un préjudice du fait de la perte de chance de contracter correspondant à 90 % des engagements aujourd'hui litigieux.
Pour l'exposé complet des moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 22 novembre 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Aux termes de l'article L 332-1 du code de la consommation, dans sa rédaction applicable à la cause, un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée ne lui permette de faire face à son obligation.
Il appartient à la caution qui s'en prévaut de rapporter la preuve du caractère manifestement disproportionné du cautionnement lors de sa conclusion.
Cette charge de la preuve pèse cependant sur la banque lorsque, en présence d'un cautionnement manifestement disproportionné lors de sa souscription, elle en sollicite le bénéfice au motif que le patrimoine de la caution lui permet de faire face à son obligation. (Cass 1ère civ- 10 septembre 2014 n° 12-28.977)
En l'espèce, Mme [R] s'est porté caution à hauteur de 30 000 euros pour le premier prêt et à hauteur de 33 240 euros pour le second prêt, engagements que les premiers juges ont estimé manifestement disproportionnés au regard des revenus et du patrimoine de la caution tant lors de la conclusion des contrats que lors de son appel en garantie par la banque.
Si l'appelante conteste une telle appréciation de la situation patrimoniale de la caution, les premiers juges ont cependant relevé, à raison, que selon la fiche individuelle de patrimoine remplie et signée le 5 août 2016 par Mme [R], cette dernière avait justifié bénéficier d'un revenu annuel de 19 000 euros ( soit 1 583 euros mensuels) ; n'être propriétaire d'aucun bien immobilier, partageant avec son mari, avec lequel elle était mariée sous le régime de la séparation de biens depuis le 25 juin 2016, un loyer mensuel de 1 000 euros, charges incluses ; avoir deux enfants à charge ; n'avoir aucun crédit ou cautionnement en cours, et avoir un patrimoine mobilier comprenant une épargne de 30 000 euros sur deux livrets.
Contrairement à ce que soutient l'appelante, quand bien même Mme [R] détenait une épargne immédiatement disponible et n'avait aucun passif déclaré, cette dernière présentait cependant des revenus professionnels trop faibles, couvrant principalement ses charges courantes et lui laissant un reste à vivre mensuel de 923 euros, pour faire face à l'engagement à hauteur de 33 240 euros restant dû après la mobilisation de l'épargne courante.
Il importe peu que les revenus de son époux ne soient pas justifiés à l'instance, dès lors que le régime même de leur contrat de mariage exclut toute prise en compte de ces derniers au-delà du juste partage des charges opéré par les premiers juges. Tout autant est sans emport la conclusion ultérieure par Mme [R] d'un autre engagement, ce dernier ne pouvant être pris en compte ni pour apprécier l'endettement global de la caution au moment où il a été consenti ni pour démontrer la bonne fortune que cette dernière aurait connue postérieurement.
Le cautionnement de Mme [R] ressort au contraire comme manifestement disproportionné lors de sa conclusion, disproportion dont la banque pouvait aisément se convaincre au regard des éléments d'actif et de passif déclarés dans la fiche de situation patrimoniale.
La banque ne démontre pas que lorsqu'elle a appelé en garantie la caution le 16 mars 2020, date de l'assignation ( Cass com- 9 juillet 2019 n° 17-31.346), cette dernière aurait bénéficié de revenus professionnels et d'un patrimoine lui permettant de faire face désormais à son obligation.
Les pièces produites par l'intimée témoignent au contraire que Mme [R] bénéficiait à cette date d'un revenu mensuel moindre, percevant un salaire de 1 403 euros nets. Elle était par ailleurs divorcée depuis le 18 octobre 2019 et assumait manifestement seule le loyer ainsi que l'ensemble des charges courantes d'un logement dont elle était toujours locataire selon la convention de divorce. Elle avait enfin en résidence à son domicile ses deux enfants de 10 ans et 8 ans, pour l'éducation et l'entretien desquels la convention de divorce avait prévu une contribution paternelle de 50 euros par mois et par enfant.
C'est donc à bon droit que les premiers juges ont retenu que la banque ne pouvait se prévaloir des deux contrats de cautionnement souscrits pour garantir les deux prêts accordés à la Sarl Julant et ont débouté en conséquence cette dernière de l'ensemble de ses demandes.
Le jugement entrepris sera enconséquence confirmé de ce chef.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant contradictoirement, après débats en audience publique et en avoir délibéré conformément à la loi
- Confirme en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce de Besançon en date du 12 mai 2021.
- Condamne le Crédit agricole mutuel de Franche-Comté aux dépens d'appel.
- Et vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne le Crédit agricole mutuel de Franche-Comté à payer à Mme [F] [R] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et le déboute de sa demande présentée sur le même fondement.
Ledit arrêt a été signé par Michel Wachter, président de chambre, magistrat ayant participé au délibéré et Fabienne Arnoux, greffier.
Le greffier, Le président,