ARRÊT N°
BM/FA
COUR D'APPEL DE BESANÇON
- 172 501 116 00013 -
ARRÊT DU 15 DECEMBRE 2022
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
Contradictoire
Audience publique
du 20 Octobre 2022
N° de rôle : N° RG 22/00198 - N° Portalis DBVG-V-B7G-EPEA
S/appel d'une décision
du Juge de la mise en état de Belfort
en date du 11 janvier 2022 [RG N° 20/00832]
Code affaire : 54G
Demande d'exécution de travaux, ou de dommages-intérêts, formée par le maître de l'ouvrage contre le constructeur ou son garant, ou contre le fabricant d'un élément de construction
S.A.S.U. WIENERBERGER C/ S.A. NEOLIA
PARTIES EN CAUSE :
S.A.S.U. WIENERBERGER, immatriculée au RCS de Strasbourg sous le numéro 548 500 982 prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié audit siège
Sise [Adresse 2]
Représentée par Me Baptiste LUTTRINGER de la SELAS FIDAL, avocat au barreau de STRASBOURG, avocat plaidant,
Représentée par Me Benjamin LEVY, avocat au barreau de BESANCON, avocat postulant
APPELANTE
ET :
S.A. NEOLIA, immatriculée au RCS de Belfort sous le numéro 305 918 732 prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié audit siège
Sise [Adresse 1]
Représentée par Me Marion GONET, avocat au barreau de MONTBELIARD
INTIMÉE
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors des débats :
MAGISTRAT RAPPORTEUR : Madame B. MANTEAUX, Conseiller, conformément aux dispositions des articles 786 et 907 du Code de Procédure Civile, avec l'accord des Conseils des parties.
GREFFIER : Madame F. ARNOUX, Greffier.
Lors du délibéré :
Madame B. MANTEAUX, conseiller, a rendu compte conformément à l'article 786 du Code de Procédure Civile aux autres magistrats :
Monsieur M. WACHTER, Président et Monsieur J.F. LEVEQUE, conseiller
L'affaire, plaidée à l'audience du 20 octobre 2022 a été mise en délibéré au 15 décembre 2022. Les parties ont été avisées qu'à cette date l'arrêt serait rendu par mise à disposition au greffe.
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Exposé des faits et de la procédure
La SA d'HLM Neolia a réalisé en 2014 un programme de construction de quatorze pavillons à [Adresse 3]. La réception du lot enduit de façade est intervenue le 6 octobre 2014.
Ayant constaté l'apparition de taches affectant le crépi des pavillons, la société Neolia a saisi, par actes d'huissier de justice délivrés en mars et avril 2018, le juge des référés d'une demande d'expertise judiciaire. Il a été fait droit à sa demande par ordonnance du 17 mai 2018, complétée par ordonnance du 24 janvier 2019 étendant l'expertise à la SASU Wienerberger, fabricant des briques.
Le rapport d'expertise a été déposé le 19 mai 2020. Il conclut au fait que les tâches incriminées résultent de la présence de chrome dans les briques utilisées pour la construction, la responsabilité pesant en conséquence sur la société Wienerberger.
Par acte du 9 décembre 2020, la société Neolia a assigné la société Wienerberger devant le tribunal judiciaire de Belfort aux fins de la voir condamner, à titre principal, à lui payer la somme de 39 600 euros représentant le coût des travaux de reprise et 10 000 euros en indemnisation de son préjudice moral.
Par conclusions du 21 juin 2021, la société Wienerberger a saisi le juge de la mise en état aux fins que l'action diligentée par la société Neolia soit déclarée irrecevable comme étant prescrite.
Le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Belfort a notamment, par ordonnance rendue le 11 janvier 2022, objet du présent appel :
- rejeté la fin de non-recevoir soulevée par la société Wienerberger ;
- déclaré les demandes de la société Neolia recevables ;
- dit que les dépens suivront le sort de l'instance au fond.
Pour parvenir à cette décision, le premier juge a considéré que le délai de prescription de droit commun n'était pas écoulé à la date de la saisine du juge des référés et qu' un nouveau délai de prescription de cinq ans avait commencé à courir à compter de l'ordonnance de référé du 24 janvier 2019, délai suspendu en outre pendant la réalisation de la mesure d'expertise en application des dispositions de l'article 2239 du code civil.
Par déclaration parvenue au greffe le 4 février 2022, la société Wienerberger a régulièrement interjeté appel de cette ordonnance.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 19 octobre 2022 et l'affaire a été appelée à l'audience du 20 octobre 2022 et mise en délibéré au 15 décembre 2022.
Exposé des prétentions et moyens des parties
Selon conclusions transmises le 8 mars 2022, la société Wienerberger demande à la cour d'infirmer l'ordonnance rendue le 11 janvier 2022 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Belfort en ce qu'elle a rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action de la société Neolia et de débouter cette dernière de toutes ses demandes et, statuant à nouveau, de :
- juger prescrites les demandes de la société Neolia à son encontre et, en conséquence, en prononcer l'irrecevabilité ;
- condamner cette dernière aux entiers dépens, ainsi qu'au versement en sa faveur d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle fait valoir que le point de départ du délai de prescription est la date de livraison des briques litigieuses au grossiste qui a lui-même livré les briques à l'entrepreneur qui les a posées lors du chantier et que cette date remonte à 2012 ou 2013 sauf à la société Neolia de pouvoir justifier d'une date plus récente.
La société Neolia a répliqué en dernier lieu par conclusions transmises le 8 avril 2022 pour demander à la cour de confirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions et condamner l'appelante à lui verser 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens d'appel.
Elle invoque que sa demande en paiement est fondée sur la responsabilité délictuelle et que son action se prescrit donc par cinq ans à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits qui lui permettent de l'exercer, donc à compter de la manifestation des dommages ; que celle-ci date du 17 avril 2015, que l'assignation délivrée à la société Wienerberger date du 5 décembre 2018 soit trois ans après la constatation des désordres ; que la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion, que, dès lors, un nouveau délai a commencé à courir le 24 janvier 2019, date de la décision rendant opposables les opérations d'expertise à la société Wienerberger ; par
la suite, la mesure d'expertise avait elle-même suspendu le délai de prescription jusqu'au 19 mai 2020, date du dépôt du rapport définitif ; enfin, l'assignation au fond étant délivrée le 9 décembre 2020 régularisée dans les délais impartis, sa demande n'est donc pas prescrite.
Si le fondement de la responsabilité contractuelle était retenu, la société Neolia invoque qu'en tant que maître de l'ouvrage, elle dispose des droits ouverts à l'entrepreneur et est donc en mesure de rechercher la responsabilité du fabricant. Or, l'assignation délivrée le 5 avril 2018 à l'entrepreneur, la société Camozzi, comme l'ordonnance de référé du 24 janvier 2019 ont interrompu le délai de prescription, lequel a ensuite été suspendu par la mesure d'expertise jusqu'à la date de dépôt du rapport d'expertise le 19 mai 2020.
Elle fait valoir que le fabricant peut s'engager à garantir la bonne tenue d'un matériau pendant une certaine durée excédant le délai de droit commun. Or, la société Wienerberger ne justifie pas du délai de garantie du matériau vendu mais, dans le descriptif produit, la durée de vie typique était mentionnée de cent ans. Elle soutient donc que son action n'est pas prescrite.
Pour l'exposé complet des moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
Motifs de la décision
Le principe de non-cumul des responsabilités contractuelle et extra-contractuelle (délictuelle) qui prohibe à la fois le cumul et l'option entre les deux types de responsabilité civile ne reçoit application que dans les rapports entre contractants (Com. 9 juill. 2002, n° 99-19.156). En l'espèce, la société Wienerberger n'est pas co-contractant mais tiers au regard du contrat de livraison des briques.
En pareille situation, le maître d'ouvrage peut décider d'intenter une action contre le fournisseur soit sur le fondement contractuel en exerçant l'action directe attachée à la chose qui lui a été transmise en même temps que la propriété de cette chose par le co-contractant initial du fournisseur, soit sur le fondement extra-contractuel contre le tiers qu'est le fournisseur et fabricant des briques intégrées dans la construction de son bien immobilier, avec lequel il n'a pas de lien contractuel (Civ. 1re, 5 avril 2018, n° 16-24.582).
Il reste que le demandeur doit fonder juridiquement sa demande et ne peut cumulativement, pour le même préjudice et le même fait causal, la présenter à la fois au principal sur le fondement contractuel et sur le fondement extra-contractuel comme le fait la société Neolia en l'espèce.
Au regard de la priorité donnée par la société Neolia au fondement extra-contractuel et à la qualité de tiers de la société Neolia au contrat souscrit par la société Wienerberger, la cour considère que la juridiction est saisie d'une demande d'indemnisation fondée sur la responsabilité extra-contractuelle et qu'il n'y a donc lieu de n'examiner la recevabilité de la demande au regard de la prescription que sur le fondement extra-contractuel.
L'article 2224 du code civil qui fixe le délai de prescription de droit commun en matière civile à cinq ans prévoit également que le point de départ de ce délai court à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
Pour l'action en responsabilité, le point de départ de la prescription correspond au jour où le dommage se manifeste.
En l'espèce, le procès-verbal de constat d'huissier de justice en date du 17 avril 2015 établit que les dommages (apparition des taches de couleur verdâtre sur les façades des immeubles) sont apparus en 2015. L'assignation en référé expertise délivrée à la société Wienerberger le 5 décembre 2018 a interrompu le délai de prescription avant son terme. Le nouveau délai de prescription débuté le 24 janvier 2019 par l'ordonnance de référé a de nouveau été suspendu par les opérations d'expertise puis interrompu par l'assignation au fond délivrée à la société Wienerberger le 9 décembre 2020 ayant donné lieu à l'ordonnance entreprise.
La cour confirme donc la dite ordonnance qui a rejeté la fin de non-recevoir soulevée par la société Wienerberger tirée de la prescription de l'action de la société Neolia.
Dispositif : Par ces motifs,
La cour, statuant contradictoirement, après débats en audience publique :
Confirme l'ordonnance rendue entre les parties le 11 janvier 2022 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Belfort sauf en ce qu'elle a dit que les dépens suivront ceux de l'instance au fond ;
Statuant à nouveau sur ce chef et y ajoutant ;
Condamne la SASU Wienerberger aux entiers dépens de l'incident de première instance et d'appel ;
Et, vu l'article 700 du code de procédure civile, déboute la SASU Wienerberger de sa demande et la condamne à payer à la SA d'HLM Neolia la somme de 2 000 euros.
Ledit arrêt a été signé par M. Michel Wachter, président de chambre, magistrat ayant participé au délibéré, et par Mme Fabienne Arnoux, greffier.
Le greffier, Le président de chambre,