ARRÊT N°
FD/SMG
COUR D'APPEL DE BESANÇON
ARRÊT DU 18 OCTOBRE 2022
CHAMBRE SOCIALE
Audience publique
du 30 août 2022
N° de rôle : N° RG 21/02050 - N° Portalis DBVG-V-B7F-EOID
S/appel d'une décision
du Pole social du TJ de BESANCON
en date du 01 octobre 2021
Code affaire : 88B
Demande d'annulation d'une mise en demeure ou d'une contrainte
APPELANTE
[3], sise [Adresse 1]
représentée par Me Floriane PETITJEAN, avocat au barreau de BESANÇON, présente
INTIMEE
URSAFF DE FRANCHE COMTE, sise [Adresse 2]
représenté par Me Séverine WERTHE, avocat au barreau de BESANÇON, présente
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors des débats du 30 Août 2022 :
Monsieur Christophe ESTEVE, Président de Chambre
Madame Bénédicte UGUEN-LAITHIER, Conseiller
Mme Florence DOMENEGO, Conseiller
qui en ont délibéré,
Mme MERSON GREDLER, Greffière lors des débats
Les parties ont été avisées de ce que l'arrêt sera rendu le 18 Octobre 2022 par mise à disposition au greffe.
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EXPOSE DU LITIGE :
L'[3] ( [3]), immatriculée auprès de l'Urssaf de Franche-Comté (Urssaf) en qualité d'employeur du régime général, a fait l'objet d'un contrôle portant sur la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2017.
Suite à la lettre d'observations qui lui a été notifiée le 5 juillet 2018, l'[3] a indiqué qu'elle acceptait certains chefs de redressement mais contestait les chefs n° 1, 3, 5 et 8, lesquels ont cependant été maintenus par l'Urssaf mais réduits à la somme de 215 664 euros par courrier en date du 10 octobre 2018.
Par mise en demeure adressée le 23 novembre 2018, l'Urssaf a invité la société à s'acquitter d'une somme de 235 864 euros, majorations de retard incluses.
Le 22 janvier 2019, l'[3] a saisi la commission de recours amiable pour obtenir l'annulation des chefs de redressement n° 1, 3, 5 et 8.
En l'absence de réponse dans les délais impartis, l'[3] a saisi le 16 avril 2019 le pôle social du tribunal de grande instance de Besançon, devenu tribunal judiciaire, lequel a, dans son jugement du 1er octobre 2021, :
- ordonné la jonction de cette procédure, avec celle engagée postérieurement en suite de la notification de la décision de rejet de la commission de recours amiable
- débouté l'[3] de l'ensemble de ses demandes
- confirmé la décision de la commission de recours amiable du 24 juin 2020
- condamné l'[3] au paiement de la somme restant due au titre des majorations de retard, soit 2 094 euros.
Par lettre recommandée en date du 8 novembre 2021 , l'[3] a relevé appel de cette décision.
Dans ses écritures du 9 mai 2022 soutenues à l'audience, l'[3] demande à la cour d'infirmer le jugement et statuant à nouveau de :
- annuler la décision de rejet de la commission de recours amiable du 24 juin 2020
- annuler le rappel de cotisations au titre des points n°1 et n° 3
- annuler le rappel de cotisations au titre du point n° 5 et subsidiairement, ordonner à l'Urssaf de procéder à un calcul au réel de l'avantage en nature logement de M. [T], de Mme [J], de M. [V] et de Mme [N]
- constater qu'elle s'est déjà acquittée des cotisations sociales de M. [T] et de Mme [J] inhérentes au logement de fonction par le mécanisme de compensation de l'astreinte et annuler ces deux chefs de redressements
- annuler sa condamnation au paiement de majorations de retard
- annuler les majorations de retard afférentes à la mise en demeure
- condamner l'Urssaf de Franche Comté à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
- condamner l'Urssaf aux entiers dépens.
L'[3] fait grief aux premiers juges d'avoir fait droit à la contrainte de l'Urssaf alors même que les montants redressés au titre des points 1, 3 et 5 étaient indus ou erronés.
Dans ses écritures du 4 janvier 2022, soutenues à l'audience, l'Urssaf de Franche Comté demande à la cour de confirmer en toutes ses dispositions le jugement attaqué et de condamner l'[3] à lui payer la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
A l'appui de ses demandes, l'Urssaf de Franche Comté conteste toute irrégularité au redressement et soutient au contraire le bien-fondé de l'ensemble des points objet du redressement.
Pour l'exposé complet des moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DECISION :
- sur le redressement relatif à l'indemnité transactionnelle versée à M. [F] : ( point 1)
Aux termes de l'article L 242-1 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction en vigueur sur la période contrôlée, tout avantage en argent ou en nature alloué en contrepartie ou à l'occasion du travail doit être soumis à cotisations.
Est cependant exclue de l'assiette des cotisations mentionnées au premier alinéa, dans la limite d'un montant fixé à deux fois la valeur annuelle du plafond mentionné à l'article L. 241-3, la part des indemnités versées à l'occasion de la rupture du contrat de travail ou de la cessation forcée des fonctions de mandataires sociaux, dirigeants et personnes visées à l'article 80 ter du code général des impôts qui n'est pas imposable en application de l'article 80 duodecies du même code. Toutefois, les indemnités d'un montant supérieur à dix fois le plafond annuel défini par l'article L. 241-3 du présent code sont intégralement assimilées à des rémunérations pour le calcul des cotisations visées au premier alinéa du présent article. Pour l'application du présent alinéa, il est fait masse des indemnités liées à la rupture du contrat de travail et de celles liées à la cessation forcée des fonctions.
En l'espèce, l'Urssaf a procédé à un redressement d'un montant de 5 271 euros au motif que l'indemnité transactionnelle qu'avait perçue le 12 février 2016 M. [F], surveillant de nuit, était un complément de l'indemnité de précarité et échappait à l'exonération prévue à l'article L 242-1 du code de la sécurité sociale.
L'[3] fait grief aux premiers juges d'avoir confirmé ce point, alors même que cette indemnité avait pour objet de mettre fin à un litige relatif à la rupture du contrat de travail et d'indemniser du préjudice subi le salarié, lequel sollicitait la requalification de ses contrats de travail à durée déterminée successifs en contrat à durée indéterminée.
Comme le soulève cependant à juste titre l'[3], l'indemnité transactionnelle ainsi versée à M. [F] a bien été acquittée à l'occasion de la rupture de son contrat de travail, dont M. [F] contestait a posteriori les circonstances et les modalités financières.
L'[3] justifie par ailleurs que l'indemnité ainsi allouée à M. [F] ne revêt pas le caractère d'une indemnité de requalification, d'une indemnité de licenciement ou d'une indemnité de préavis, mais celui de dommages et intérêts. En témoigne ainsi la transaction du 12 février 2016, qui précise expressément dans ses stipulations réparer le seul préjudice issu des 90 contrats à durée déterminée de remplacement dont M. [F] avait bénéficié entre 2005 et 2014 et ne pas être versée à d'autres fins.
Si cette transaction n'a certes d'effet qu'entre les parties et si la qualification ainsi retenue par les parties ne lie pas l'Urssaf, cette dernière ne justifie pas cependant de l'absence du préjudice de M. [F], alors même que ce dernier a manifestement été maintenu dans une situation précaire, sans stabilité professionnelle, pendant plus de neuf ans, en dépit des besoins en personnel manifestement pérennes de l' [3].
L'Urssaf ne démontre pas plus que l' indemnité transactionnelle serait un complément de l'indemnité de précarité, la transaction n'y faisant nullement référence et les circonstances ayant conduit à sa rédaction ne confortant pas de telles allégations de l'intimée. Le régime de cette indemnité ne saurait en conséquence lui être appliqué.
Au contraire, l'employeur démontre parfaitement que la somme transactionnelle allouée à M. [F] a concouru à indemniser ce dernier du préjudice subi à l'occasion de la rupture de son contrat de travail, indépendamment de l'indemnité de précarité, de telle sorte que cette somme, ne revêt pas le caractère d'éléments de salaire ou d'avantage en nature et échappe, quand bien même cette indemnité n'est pas visée par les articles L 242-1 du code de la sécurité sociale et 80 duodecies du code général des impôts, aux cotisations sociales ( Cass soc- 21 juin 2018 n° 17-19.432).
C'est donc à tort que les premiers juges ont confirmé ce point de redressement.
Le jugement entrepris sera en conséquence infirmé de ce chef.
- sur le redressement relatif à la condamnation de l'[3] à rembourser à Pôle Emploi des allocations chômage dans la limite de six mois : (point 3)
En l'espèce, l'Urssaf a procédé à un redressement d'un montant de 674 euros au motif que l'employeur ayant été condamné à rembourser à Pôle Emploi les indemnités qu' avait perçues M. [R], éducateur spécialisé, après son licenciement reconnu sans cause réelle et sérieuse, les sommes versées par Pôle Emploi lui restaient acquises et devaient être ajoutées aux indemnités conventionnelles ou légales de licenciement afin d'apprécier les limites d'exonération posées par l'article L 242-1 du code de la sécurité sociale.
L'[3] fait grief aux premiers juges d'avoir confirmé ce point, alors que l'arrêt de la cour d'appel de Besançon du 26 mai 2015 l'avait condamnée à rembourser à Pôle Emploi les allocations chômage versées dans la limite de six mois, somme qui n'était pas constitutive, selon elle, d'une indemnité liée à la rupture du contrat de travail mais d'une sanction civile accessoire.
Si l'Urssaf conteste une telle analyse, il convient cependant de rappeler que le fait générateur des cotisations est le paiement par l'employeur de la rémunération et des éléments la composant et que l'assiette de ces dernières ne saurait intégrer des sommes que l'employeur n'a pas acquittées lui-même ou dont il n'a pas été remboursé, dans le cadre de la relation contractuelle ou à l'occasion de la rupture du contrat de travail.
Or, en l'état, la condamnation dont a fait l'objet l'[3] par l'arrêt du 26 mai 2015 ne revêt pas un caractère salarial mais constitue effectivement une sanction civile tendant à ne pas faire supporter à la solidarité nationale les fautes commises par l' employeur dans l'exécution de ses obligations contractuelles.
Si le salarié a certes conservé le bénéfice des allocations chômage, ces dernières ont cependant été allouées par Pôle Emploi dans le cadre de l'exécution de la convention d'assurance-chômage et non par l'employeur, lequel était dégagé de toute obligation contractuelle à l'égard de M. [R]. Elles ne constituent en conséquence aucunement un 'revenu d'activité' au sens de l'article L 242-1 du code de la sécurité sociale ni 'les sommes dues en contrepartie ou à l'occasion d'un travail, d'une activité ou de l'exercice d'un mandat' au sens de l'article L 136-1-1 du code de la sécurité sociale. Elles ne présentent pas plus un caractère indemnitaire.
Aucune cotisation et contribution sociale ne pouvait en conséquence être appelée par l'Urssaf sur les sommes que l'[3] a été amenée à verser à Pôle Emploi en dédommagement du préjudice subi par l'institution. Cette somme ne pouvait dès lors être ajoutée à l'indemnité conventionnelle perçue par M. [R] lors de son licenciement pour le calcul des limites d'exonération.
C'est donc à tort que les premiers juges ont confirmé ce point de redressement.
Le jugement entrepris sera en conséquence infirmé de ce chef.
- sur le redressement au titre des avantages en nature logement ( point 5 ) :
En l'espèce, l'Urssaf a procédé à un redressement d'un montant de 17 107 euros au motif que l'employeur ne justifiait pas des montants pris en charge par ses soins au titre des charges annexes des logements mis à disposition de M. [K] [T], de Mme [N], de Mme [P] [J] et de M. [Y] [V].
L'[3] fait grief aux premiers juges d'avoir confirmé ce point, alors même que l'Urssaf, lors de son précédent contrôle en 2011, avait validé l'évaluation au réel du logement calculée sur la base de la valeur locative de chaque logement figurant sur les taxes d'habitation et l'évaluation forfaitaire des charges inhérentes à chaque logement déterminée par l'[3].
Contrairement à ce que soutient l'[3], cette dernière ne rapporte pas la preuve de l'acceptation tacite que l'Urssaf aurait donnée, lors du précédent contrôle effectué le 23 février 2010, de l'évaluation forfaitaire des charges annexes des logements mis à disposition des salariés. Aucun élément ne vient ainsi établir que l'inspecteur en charge du contrôle aurait été informé d'une telle situation et aurait sciemment validé cette dernière, après avoir pris connaissance de l'ensemble des documents correspondants et de la problématique concernée, une telle preuve ne pouvant se déduire de la seule mention 'avantage nature logement' sur les bulletins de paye communiqués lors du contrôle et d'un redressement opéré pour un 'avantage en nature véhicule'.
Les dispositions de l'article R 243-59-7 du code de la sécurité sociale ne peuvent en conséquence s'appliquer.
L'[3] ne produit pas plus aux débats les éléments permettant de voir modifier le montant du redressement opéré de manière forfaitaire par l'Urssaf en l'absence de la totalité des factures concernant les charges inhérentes à chaque logement.
Les premiers juges ont ainsi retenu à raison que certains postes de dépenses demeuraient inconnus, notamment les frais d'électricité, d'eau et de fuel du logement de M. [T], dont les factures n'étaient pas individualisées et concernaient l'ensemble de la structure Foyer de Vie [4]. Il en est de même pour les frais de fuel et d'eau de Mme [J], les frais d'électricité et d'eau de M. [V], et des frais d'électricité de Mme [N], alors même que cette dernière se chauffe par le biais de cette seule énergie.
En conséquence, à défaut pour les pièces produites par l'employeur de permettre une évaluation au réel des charges inhérentes des logements, c'est à bon droit que les premiers juges ont rejeté la demande subsidiaire de l'[3] de recalcul des sommes ainsi redressées au titre de ces avantages en nature et ont validé le calcul forfaitaire opéré par l'Urssaf de ces derniers, en fonction de la rémunération du salarié et du nombre de pièces principales du logement.
Aucun élément ne vient enfin démontrer que l'[3] aurait acquitté des cotisations sociales dans le cadre de l'indemnité d'astreinte versée à M. [T] et Mme [J], et que ces dernières devraient venir 'annuler' le redressement concernant M. [T] et 'minorer' celui concernant Mme [J]. Si des sommes ont certes été allouées à M. [T] et Mme [J] au titre des astreintes sur les bulletins de paye communiqués, il ne peut cependant se déduire de ces seuls documents, très laconiques et corroborés par aucun décompte explicatif précis, que l'employeur aurait fait application des dispositions de l'article 3 de l'accord 2005-04 du 22 avril 2005 de la branche sanitaire, sociale et médico-sociale à but non lucratif et d'ores et déjà imputé sur ces dernières tout ou partie des cotisations dues au titre de l'avantage en nature logement.
Le jugement entrepris sera en conséquence confirmé dans la totalité du chef de redressement contesté.
- sur les autres demandes :
Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a condamné l'[3] au paiment des majorations de retard, les chefs de jugement ci-dessus infirmés justifiant un recalcul de ces dernières par l'Urssaf.
Chaque partie succombant partiellement à l'instance supportera pour moitié les dépens et sera déboutée de sa demande présentée au titre des frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, après débats en audience publique et après en avoir délibéré
Infirme le jugement du tribunal judiciaire de Besançon en date du 1er octobre 2021, sauf en ce qu'il a ordonné la jonction des procédures RG 20-00241 et RG 20-19/00172 et a validé le chef de redressement n° 5 relatif à l'avantage en nature logement
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :
Annule le chef de redressement n° 1 relatif à l'indemnité transactionnelle versée à M. [F]
Annule le chef de redressement n° 3 relatif à la condamnation de l'Association d'[3] à rembourser à Pôle Emploi des allocations chômage dans la limite de six mois
Invite l'Urssaf de Franche Comté à recalculer les majorations dues par l'Association d'[3] au regard des seuls chefs de redressement maintenus par la présente décision
Déboute les parties de leur demande présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
Condamne l'Association d'[3] à supporter, par moitié chacun, les dépens de première instance et d'appel.
Ledit arrêt a été prononcé par mise à disposition au greffe le dix huit octobre deux mille vingt deux et signé par Christophe ESTEVE, Président de chambre, et Mme MERSON GREDLER, Greffière.
LA GREFFIÈRE,LE PRÉSIDENT DE CHAMBRE,