ARRÊT N°
BUL/SMG
COUR D'APPEL DE BESANÇON
ARRÊT DU 18 OCTOBRE 2022
CHAMBRE SOCIALE
Audience publique
du 30 août 2022
N° de rôle : N° RG 21/00559 - N° Portalis DBVG-V-B7F-ELL7
S/appel d'une décision
du Pole social du TJ de BELFORT
en date du 25 février 2021
Code affaire : 88G
Autres demandes contre un organisme
APPELANTE
S.A. [3], sise [Adresse 1]
représentée par Me Antony VANHAECKE, avocat au barreau de LYON absent et substitué par Me Séverine WERTHE, avocat au barreau de BESANÇON, présente
INTIMEE
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU VAUCLUSE, sise [Adresse 2]
Dispensée de comparaître en vertu des dispositions de l'article 446-1 du code de procédure civile
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors des débats du 30 Août 2022 :
Monsieur Christophe ESTEVE, Président de Chambre
Madame Bénédicte UGUEN-LAITHIER, Conseiller
Mme Florence DOMENEGO, Conseiller
qui en ont délibéré,
Mme MERSON GREDLER, Greffière lors des débats
Les parties ont été avisées de ce que l'arrêt sera rendu le 18 Octobre 2022 par mise à disposition au greffe.
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FAITS ET PROCEDURE
Par jugement du 25 février 2021, assorti de l'exécution provisoire, le tribunal judiciaire de Belfort a déclaré opposable à la société [3] la reconnaissance de maladie professionnelle de Mme [Z] [G] sous la dénomination "tendinite épicondylienne externe droite" entrant dans la catégorie du "tableau n°57A", débouté les parties du surplus de leurs prétentions et laissé les dépens à chacune des parties.
Par déclaration transmise sous pli recommandé avec avis de réception le 25 mars 2021, la société [3] a relevé appel de cette décision.
Suivant arrêt du 30 novembre 2021, la présente cour, après avoir effectué un exposé de la procédure suivie, de l'essentiel des faits constants et des prétentions des parties, exposé auquel il est présentement fait expressément référence, a, avant dire droit, ordonné une consultation sur pièces confiée au docteur [V] [D] et réservé les dépens.
Le docteur [V] [D] a déposé son rapport daté du 15 février 2022.
Par conclusions visées le 23 août 2022, la société [3] (ci-après [3]) demande à la cour de :
- infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Belfort du 25 février 2021 en toutes ses dispositions
- dire que la décision de prise en charge du 10 février 2020 de la pathologie déclarée par Mme [Z] [G] au titre de la législation professionnelle lui est inopposable
- condamner l'intimée à lui verser une indemnité de 1 000 euros au titre des frais irrépétibles et à supporter les entiers dépens
Aux termes de ses écrits visés le 1er août 2022, la Caisse primaire d'assurance maladie du Vaucluse (ci-après CPAM) demande à la cour de :
- confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions
- débouter la SA [3] de ses demandes
En application de l' article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour l'exposé des moyens des parties, à leurs conclusions susvisées, auxquelles les parties se sont référées lors de l'audience de plaidoirie du 30 août 2022, la CPAM ayant sollicité sa dispense de comparaître.
MOTIFS DE LA DECISION
I- Sur le manquement de la caisse à son devoir d'information de l'employeur
L'appelante fait grief à la caisse d'une part de ne pas avoir satisfait à son devoir d'information et d'autre part d'avoir procédé à une enquête insuffisante, en l'absence d'étude du poste de la salariée.
La caisse affirme au contraire que la procédure d'instruction du dossier a scrupuleusement respecté l'obligation d'information de l'employeur et le principe de la contradiction, l'employeur ayant été destinataire de la déclaration de maladie professionnelle et ayant disposé d'un délai suffisant pour venir consulter le dossier avant décision, la seule modification de la date de première constatation de la maladie qui a généré un changement du numéro de dossier étant sans incidence dès lors que les documents transmis offraient d'autres moyens d'identification (nom de la salariée, numéro de sécurité sociale, numéro de la maladie concernée), et qu'il n'est démontré aucun grief.
Elle soutient enfin que l'enquête diligentée sous la forme d'un envoi de questionnaires a été suffisante, aucune modalité d'enquête précise n'étant imposée en la matière.
I-1 le devoir d'information
L'employeur reproche tout d'abord à la caisse d'avoir modifié de façon inattendue le numéro d'enregistrement du dossier suite à la modification la date de la première constatation médicale de la maladie déclarée.
Toutefois, il ressort des pièces communiquées que le numéro d'enregistrement n'est pas l'unique élément d'identification du dossier puisqu'à chaque étape les correspondances transmises à l'employeur visaient l'identité de la salariée, le numéro de sécurité sociale et le numéro de la maladie, de sorte que l'appelante ne peut valablement soutenir qu'elle a subi un préjudice du fait de cette modification alors qu'elle était parfaitement en mesure d'identifier qu'il s'agissait de la situation de Mme [Z] [G].
Selon l'article R 441-13 dans sa version applicable au présent litige, le dossier constitué par la caisse primaire doit comprendre :
1°) la déclaration d'accident
2°) les divers certificats médicaux détenus par la caisse
3°) les constats faits par la caisse primaire
4°) les informations parvenues à la caisse de chacune des parties
5°) les éléments communiqués par la caisse régionale
L'employeur fait grief à la caisse de ne pas lui avoir transmis, avant de prendre sa décision, et en dépit de la demande formulée en ce sens par courrier du 24 janvier 2020, la communication des pièces sur lesquelles elle s'apprêtait à fonder sa décision.
La caisse lui objecte qu'elle n'était pas tenue de lui adresser copie du dossier et qu'elle l'a invitée par correspondance du 21 janvier 2020, produite aux débats, à venir consulter les pièces avant le 10 février suivant, lui octroyant ainsi 20 jours francs pour en prendre connaissance.
En réalité, il incombe à la caisse d'informer l'employeur de la possibilité qu'il a de consulter le dossier personnellement ou par l'intermédiaire de son mandataire et de lui octroyer 10 jours francs au moins pour ce faire. A cet égard, il est admis d'une part que la caisse n'est pas tenue de procéder à ' la remise effective d'une copie du dossier' par voie dématérialisée ou au format papier (2ème civ. 4 avril 2018 n° 17-14.176) et d'autre part que la faculté de consultation du dossier dans les locaux de la caisse suffit à satisfaire à l'obligation d'information pesant sur celle-ci.
Il s'ensuit qu'en octroyant à l'appelante le délai précité dans son courrier du 21 janvier 2020 pour venir consulter le dossier avant le 10 février 2020, date implicitement annoncée comme étant celle de sa décision à intervenir, la caisse a satisfait à son obligation d'information de l'employeur et à l'exigence du contradictoire à son égard.
I-2 l'insuffisance alléguée de l'enquête
L'employeur déplore encore que la caisse se soit abstenue de procéder à une enquête sur site afin de visualiser les contraintes du poste occupé par la salariée ou par un collègue accomplissant des gestes analogues, alors que les réponses au questionnaires 'employeur' ne lui permettaient pas de conclure à une exposition aux risques décrits dans le tableau n°57B.
Si la cour relève que les réponses au questionnaire sur les temps journaliers des travaux accomplis divergent entre la salariée et son employeur, c'est à juste titre que la caisse rappelle que les articles R.411-3 et R.411-13 du code de la sécurité sociale ne lui imposaient pas de modalités d'enquête précises et qu'elle a pu estimer suffisante une enquête par voie de questionnaires circonstanciés, sans étude de poste sur site.
Il s'ensuit que contrairement à ce que demande l'appelante, il ne peut être tiré aucune conséquence des moyens susvisés sur l'opposabilité de la décision de la caisse à l'employeur.
II- Sur le caractère professionnel de la maladie
En application de l'article L.461-1 du code de la sécurité sociale est présumée d'origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau.
II-1 La désignation de la maladie déclarée
Si la caisse a toujours soutenu que la maladie déclarée, telle que décrite par le docteur [N] dans son certificat initial (tendinite épicondylienne externe droite), correspondait scrupuleusement à celle prévue au tableau 57B ainsi que l'avait confirmé le médecin-conseil le 26 octobre 2020 saisi pour avis, l'employeur soutenait initialement que la maladie déclarée par Mme [Z] [G] ne correspondait pas à la pathologie décrite audit tableau et qu'il convenait de faire en la matière une interprétation stricte de la maladie ainsi désignée.
Aux termes du certificat médical initial dressé le 21 octobre 2019, le docteur [K] [N] mentionne avoir relevé chez la patiente une 'tendinite épicondylienne externe droite' et en fixe la première constatation médicale au 20 septembre 2019. Cette désignation est reprise à l'identique dans la déclaration du 23 octobre 2019.
Le tableau n°57B correspondant aux affections périarticulaires affectant le coude, provoquées par certains gestes et postures de travail, au regard duquel la caisse a instruit le dossier de maladie professionnelle de la salariée, évoque une 'tendinopathie d'insertion des muscles épicondyliens associée ou non à un syndrome du tunnel radial'.
S'il est exact, ainsi que le souligne l'appelante, que la désignation de la maladie déclarée n'est pas en tous points identique à la dénomination de la maladie figurant audit tableau, il ressort sans aucune ambiguïté des conclusions de la consultation réalisée par le docteur [V] [D] que 'la formulation 'tendinite épicondylienne externe' désigne bien la tendinopathie d'insertion des muscles épicondyliens prévus par le tableau n°57B des maladies professionnelles'.
La cour relève au demeurant que l'appelante ne disconvient plus de cette concordance dans ses derniers écrits.
II-1 La condition liée à l'exposition aux risques
Forte de l'avis du docteur [V] [D] qui a conclu en ce sens dans son rapport du 15 février 2022, la société [3] réaffirme que sa salariée n'a pas été exposée aux risques décrits au tableau n°57B dans le cadre de ses deux activités distinctes de livraison et de suivi des véhicules du parc des véhicules de livraison exercées au sein de l'entreprise.
La caisse rétorque sur ce point qu'en dépit des divergences de réponses de l'employeur et de la salariée au questionnaire d'usage, Mme [Z] [G] a assurément été exposée de manière habituelle à des mouvements répétés de préhension ou d'extension de la main sur l'avant bras ou de pronosupination, gestes qui sont à l'origine de la pathologie professionnelle et fait observer qu'il n'entrait pas dans la mission confié au médecin désigné par la cour dans le cadre de la consultation sur pièces de se prononcer sur ce point.
Il est exact qu'aux termes de la mission qui lui était confiée, le docteur [V] [D] était invité à ' dire si la formulation "tendinite épicondylienne externe" désigne la tendinopathie d'insertion des muscles épicondyliens prévue par le tableau n° 57B ou si elle est susceptible de désigner une autre pathologie.
A l'évidence le médecin consultant a outrepassé le périmètre de sa mission, étant rappelé que la question de savoir si le salarié satisfait à la condition d'exposition aux risques énoncés par le tableau n°57B n'est pas d'ordre médical et relève de l'imperium du juge.
Selon le tableau n°57B de la maladie professionnelle déclarée par Mme [Z] [G], la liste limitative des travaux susceptibles de provoquer la tendinopathie d'insertion des muscles épicondyliens sont : 'des travaux comportant habituellement des mouvements répétés de préhension ou d'extension de la main sur l'avant-bras ou des mouvements de pronosupination'.
Il ressort à cet égard des questionnaires renseignés respectivement par Mme [Z] [G] et par l'employeur que ceux-ci s'accordent à indiquer que le nombre moyen de jours par semaine est systématiquement supérieur à trois, mais qu'une divergence apparaît quant à la fréquence journalière des mouvements qui y sont décrits, à savoir :
- mouvements répétés de flexion/extension du poignet : plus de trois heures selon la salariée, moins d'une heure pour l'employeur
- travaux comportant de nombreuses saisies manuelles et/ou manipulation d'objets : moins d'une heure selon la salariée, entre une et trois heure pour l'employeur
- travaux comportant des mouvements de rotation du poignet : entre une et trois heures selon la salariée, moins d'une heure pour l'employeur
Pour autant, même en considérant le seul questionnaire renseigné par l'employeur, la cour considère, à la différence du médecin consultant, que la salariée effectuait habituellement dans le cadre de son travail des mouvements répétés de préhension ou d'extension de la main sur l'avant-bras ou des mouvements de pronosupination.
A cet égard, si l'employeur prétend que la salariée n'exécutait aucun geste 'répétitif' ou 'contraignant', il doit être rappelé que les conditions d'exposition aux risques du tableau applicable au présent litige ne prescrivent aucune durée minimale journalière et même hebdomadaire d'exposition, donc de réalisation des mouvements décrits mais n'évoquent qu'une notion d'exécution habituelle de mouvements présentant une répétition.
En l'occurrence, si l'activité de suivi du parc automobile des véhicules de livraison, qui représentait au moment de la déclaration de maladie professionnelle 28% du temps de travail de la salariée ne l'exposait pas aux risques susvisés, il ressort que dans le cadre de son activité principale de livreur de bacs de médicaments dans des pharmacies (72% de son temps de travail), elle effectuait de façon habituelle les mouvements décrits précédemment, dans la mesure où elle déballait et dispatchait les palettes reçues dans le magasin général en vue d'être livrées dans les pharmacies, s'occupait de ranger les bacs préparés par les préparatrices par tournées et effectuait une à deux tournées journalières lors desquelles elle manipulait des bacs de médicaments pour les charger dans son véhicule, les décharger, les livrer aux pharmacies et récupérer les bacs vides.
Il résulte des développement qui précèdent que la caisse apporte la démonstration qui lui incombe que la condition d'exposition aux risques définis par le tableau n°57B est satisfaite par Mme [Z] [G].
Dans ces conditions, c'est par une juste interprétation des faits de la cause que les premiers juges ont dit opposable à la société [3] la maladie professionnelle déclarée par Mme [Z] [G] au titre du tableau n°57B.
Le jugement déféré sera donc confirmé de ce chef.
III - Sur les demandes accessoires
Le jugement déféré sera confirmé en ses dispositions relative aux frais irrépétibles et dépens et l'appelante qui succombe en sa voie de recours sera déboutée de sa demande d'indemnité de procédure formée à hauteur de cour.
La présente décision n'étant pas susceptible de recours suspensif, il doit être considéré que la demande figurant aux écritures de l'appelante, tendant à voir ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir, résulte d'une erreur de plume et qu'elle est en tout état de cause sans objet.
PAR CES MOTIFS
La cour, chambre sociale, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,
Vu l'arrêt de la présente cour du 30 novembre 2021,
CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions.
DEBOUTE la SA [3] de sa demande au titre des frais irrépétibles.
CONDAMNE la SA [3] aux dépens d'appel.
Ledit arrêt a été prononcé par mise à disposition au greffe le dix huit octobre deux mille vingt deux et signé par Christophe ESTEVE, Président de chambre, et Mme MERSON GREDLER, Greffière.
LA GREFFIÈRE,LE PRÉSIDENT DE CHAMBRE,