ARRET N° 22/
FD/CM
COUR D'APPEL DE BESANCON
ARRET DU 09 SEPTEMBRE 2022
CHAMBRE SOCIALE
Audience publique
du 10 Juin 2022
N° de rôle : N° RG 21/02206 - N° Portalis DBVG-V-B7F-EOSC
S/appel d'une décision
du POLE SOCIAL DU TJ DE LONS-LE-SAUNIER
en date du 10 novembre 2021
code affaire : 89E
A.T.M.P. : demande d'un employeur contestant une décision d'une caisse
APPELANTE
S.A.S. [4],
[Adresse 1] - [Localité 3]
représentée par Me Philippe YON,, avocat au barreau de PARIS
ahsent
substitué par Me Floriane BOURGEOIS,, avocat au barreau de PARIS
présent
INTIMEE
Caisse CPAM DU JURA, Service Contentieux - [Localité 2]
représentée par Mme [G], de la CPAM du Doubs munie d'un pouvoir de représentation
présente
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile l'affaire a été débattue le 10 Juin 2022, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame DOMENEGO Florence, Conseiller, entendu en son rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Christophe ESTEVE, Président de Chambre
Madame Bénédicte UGUEN-LAITHIER, Conseiller
Mme Florence DOMENEGO, Conseiller
qui en ont délibéré,
Mme Cécile MARTIN, Greffier lors des débats
Les parties ont été avisées de ce que l'arrêt sera rendu le 09 septembre 2022 par mise à disposition au greffe.
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EXPOSE DU LITIGE :
Mme [P] [E] est salariée de la SAS [4] depuis le 1er octobre 2014 en qualité d'agent logistique cariste polyvalent.
Le 29 juillet 2020, Mme [P] [E] a informé la SAS [4] avoir été victime d'un accident le 27 juillet 2020 à 16 Heures 20, en se cognant l'arrière du pied droit en franchissant un tournique, et a joint un certificat médical établi le 29 juillet 2020 faisant état de 'traumatisme direct de l'arrière-pied droit, douleurs achiléennes et induration'.
Le 30 juillet 2020, la SAS [4] a adressé une déclaration d'accident du travail à la Caisse primaire d'assurance maladie (Cpam) du Jura, en l'accompagnant d'un courrier de réserves.
Après instruction, la Cpam du Jura a notifié le 22 octobre 2020 à la SAS [4] la prise en charge au titre de la législation sur les risques professionnels de cet accident du travail.
Le 2 novembre 2020, la SAS [4] a contesté cette décision devant la commission de recours amiable et devant sa décision de rejet du 11 février 2021, a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Lons-le-Saunier par courrier recommandé en date du 30 mars 2021.
Par jugement en date du 10 novembre 2021, le pôle social du tribunal judiciaire de Lons-le-Saunier a :
- rejeté le recours de la société [4]
- déclaré opposable à la SAS [4] la décision du 22 octobre 2020 de prise en charge par la Cpam du Jura de l'accident du travail du 27 juillet 2020 dont Mme [E] avait été victime
- condamné la SAS [4] aux entiers dépens.
Par déclaration en date du 16 décembre 2011, la SAS [4] a relevé appel de cette décision.
Dans ses écritures soutenues à l'audience, la SAS [4] demande à la cour de :
- infirmer le jugement dans toutes ses dispositions
-constater que la matérialité de l'accident du 27 juillet 2020 déclaré par Mme [E] n'est pas établie
- lui déclarer inopposable l'accident du travail du 27 juillet 2020 déclaré par Mme [E] et pris en charge par la Cpam le 22 octobre 2020
- condamner la Cpam à la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans ses écritures transmises le 9 mai 2022, la Cpam du Jura demande à la cour de :
- dire que les conditions de prise en charge à titre professionnel de l'accident dont a été victime Mme [E] le 27 juillet 2020 sont remplies
- dire que sa décision de prendre en charge l'accident du 27 Juillet 2020 est opposable à la SAS [4]
- confirmer le jugement rendu le 10 novembre 2021
- débouter la SAS [4] de l'ensemble de ses demandes
- la condamner aux dépens.
Pour l'exposé complet des moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DECISION :
- sur la matérialité des faits et leur imputabilité :
Aux termes de l'article L 411-1 du code de la sécurité sociale, est considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d'entreprise.
L'accident du travail est défini comme un événement ou une série d'événements survenus à des dates certaines par le fait ou à l'occasion du travail dont il est résulté une lésion corporelle, quelle que soit la date d'apparition de celle-ci.
La présomption d'imputabilité énoncée par ces dispositions implique que toute lésion survenue au temps et au lieu du travail doit être considérée comme résultant d'un accident du travail sauf s'il est rapporté la preuve que cette lésion a une origine totalement étrangère au travail.
En l'espèce, il résulte de la déclaration d'accident que le 27 juillet 2020, à 16 heures 20, Mme [E] s'est cogné l'arrière du pied dans le tourniquet de sortie la menant à la salle de pause, alors qu'elle se trouvait sur son lieu de travail et dans les horaires impartis à la réalisation de ce dernier, et que ce faisant, elle a subi un traumatisme direct de l'arrière du pied droit, avec douleurs achiléennes et induration, selon le certificat médical initial du docteur [S].
Si l'employeur conteste la matérialité des faits ainsi décrits, se prévalant d'une déclaration tardive de l'accident par Mme [E], il sera cependant rappelé que les dispositions de l'article R 441-2 du code de la sécurité sociale, qui précisent que la déclaration doit être effectuée par le salarié dans la journée où l'accident s'est produit ou au plus tard dans les 24 heures, sont cependant susceptibles d'assouplissement 'en cas de force majeure, d'impossibilité absolue ou de motifs légitimes' pour informer ou en faire informer l'employeur ou l'un de ses préposés, en application de l'article L 441-1 du code de la sécurité sociale.
Or, en l'état, si l'accident est survenu le lundi 27 juillet 2020 à 16 heures 20, Mme [E] a cependant prévenu le jour même à 18 heures M. [H], responsable QHSE, de la survenance de l'incident et a consulté son médecin traitant le mercredi 29 juillet 2020 à 8 heures. L'information dont a été destinataire la société [4] le 29 juillet 20 à 8 heures 40 par message vocal ne ressort donc pas, compte-tenu du contexte ci-dessus rappelé, comme ayant été effectuée en contravention des dispositions susvisées, compte-tenu du délai incontournable qu'imposait la consultation du praticien, ou comme devant conférer un caractère suspect à la réalité des faits rapportés.
Tout autant, cette absence de matérialité ne saurait être déduite de la poursuite par Mme [E] de son activité professionnelle le 27 juillet 2020 jusqu'à 20 heures et le 28 juillet de 13 à 20 heures, cette dernière n'étant pas incompatible avec la nature des lésions constatées par la salariée, laquelle s'était plainte par ailleurs de manière contemporaine de ces dernières auprès de Mme [R] et de M. [H].
Cette absence de matérialité ne saurait au surplus s'exciper de l'absence de témoin, une telle allégation de l'employeur étant contestée par Mme [R], témoin mentionné par Mme [E]. Mme [R] a au contraire indiqué le 6 octobre 2020, dans le cadre de l'enquête initiée par la Cpam en suite des réserves émises par l'employeur, qu'elle avait accompagné Mme [E] en pause et que lorsque cette dernière était passée dans le tourniquet avec des barres métalliques, 'le pied de [P] avait été tapé par l'arrière par une des barres en métal, la barre tout en bas du tourniquet', 'qu'elle avait poussé un cri de douleur et arrivée en pause, avait même enlevé sa chaussure pour regarder son talon' et 'qu'elle avait prévenu le responsable sécurité tout de suite au retour de pause'.
Enfin, ce défaut de matérialité ne saurait résulter des captures d'écran produites aux débats par la société [4], ces dernières ne permettant ni d'identifier clairement Mme [E] sur les horaires de passage au tourniquet le 27 juillet 2020 à 16 heures 12 ni de démontrer, comme l'invoque l'employeur, 'l'absence de temps d'arrêt et de geste de douleur', à défaut de montrer la totalité du passage de la salariée par ledit tourniquet.
En conséquence, contrairement à ce que soutient la société [4], Mme [E] a bien été victime d'une action soudaine provenant d'une cause extérieure, ayant provoqué une lésion de son organisme.
La présomption du caractère professionnel de l'accident dont a été victime Mme [E] doit s'appliquer dès lors d'une part que l'accident ne résulte pas des seules allégations de la victime mais est manifestement corroboré par un témoin direct en la personne de Mme [R] et par le responsable QHSE, en parfaite concordance avec les constatations médicales faites, et d'autre part, qu'il s'est manifestement produit pendant le temps et sur le lieu de travail de la salariée.
Cette présomption est cependant simple et il appartient à l'employeur qui entend la voir écarter de rapporter la preuve de la cause étrangère.
Or, en l'espèce, comme l'ont retenu à juste titre les premiers juges, la société [4] ne démontre pas que les blessures dont a été victime Mme [E] ne seraient pas en lien avec l'exercice de son activité professionnelle au sein de la société mais avec une cause extérieure, survenue en dehors de son lieu de travail et hors du temps de travail.
La société [4] ne verse ainsi aux débats aucune attestation ou élément médical de nature à remettre en cause les constatations de la Cpam et cette preuve ne saurait en aucune façon résulter des captures d'écran de vidéo surveillance, inopérantes pour établir la cause étrangère.
Le jugement entrepris sera en conséquence confirmé de ce chef.
- sur l'opposabilité de la prise en charge de l'accident :
En application des dispositions de l' article R 441-7 du code de la sécurité sociale, la caisse dispose d'un délai de trente jours à compter de la date à laquelle elle a reçu la déclaration d'accident et le certificat médical initial pour soit statuer sur le caractère professionnel de l'accident, soit engager des investigations lorsqu'elle l'estime nécessaire ou lorsqu'elle a reçu des réserves motivées émises par l'employeur.
Lorsque la caisse engage des investigations, la caisse adresse un questionnaire portant sur les circonstances ou la cause de l'accident à l'employeur ainsi qu'à la victime ou ses représentants. La caisse peut en outre recourir à une enquête complémentaire, en application de l'article R 441-8 du code de la sécurité sociale.
A l'issue de ses investigations, la caisse met le dossier mentionné à l'article R. 441-14 à la disposition de la victime ou de ses représentants ainsi qu'à celle de l'employeur. Ceux-ci disposent d'un délai de dix jours francs pour le consulter et faire connaître leurs observations, qui sont annexées au dossier.
Il est de jurisprudence constante que ces investigations doivent respecter le principe du contradictoire pour pouvoir être opposables à l'employeur.
En l'espèce, contrairement à ce que soutient l'appelante, la procédure suivie par la Cpam n'a enfin pas été lacunaire et a parfaitement respecté le principe du contradictoire.
En effet, la société [4] a été destinataire d'un questionnaire à la même enseigne que la salariée, conformément aux prescriptions de l'article R 411-8 du code de la santé publique susvisé, et aucun élément ne vient établir qu'elle n'a pu prendre connaissance de la totalité de la procédure diligentée par la Cpam à l'issue de cette dernière et présenter des observations complémentaires.
En aucune façon, l' audition de la société [4] ne s'imposait, quand bien même Mme [E] et Mme [R] avaient été entendues personnellement, l'article susvisé laissant à la Cpam le choix des auditions à mener pour compléter ou confronter les informations recueillies dans les questionnaires et contradictoirement communiquées à employeur et à la salariée.
Les investigations ainsi menées, tout comme la décision subséquente de prise en charge de l'accident par la Cpam, sont donc parfaitement opposables à l'employeur.
Le jugement querellé sera en conséquence confirmé dans l'ensemble de ses dispositions.
La société [4] sera condamnée aux dépens d'appel.
- sur les autres demandes :
Partie perdante, la SAS [4] sera condamnée aux dépens et déboutée de sa demande présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, Chambre sociale, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,
- CONFIRME le jugement du tribunal judiciaire de Lons-le-Saunier en date du 10 novembre 2021 en toutes ses dispositions
Y ajoutant :
- DEBOUTE la SAS [4] de sa demande présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
- CONDAMNE la SAS [4] aux dépens d'appel.
Ledit arrêt a été prononcé par mise à disposition au greffe le neuf septembre deux mille vingt deux et signé par Christophe ESTEVE, Président de chambre, et Catherine RIDE-GAULTIER, Greffière.
LA GREFFIERE, LE PRESIDENT DE CHAMBRE,