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28/06/2022 | FRANCE | N°20/01557

France | France, Cour d'appel de Besançon, Chambre sociale, 28 juin 2022, 20/01557


ARRÊT N°

CE/SMG



COUR D'APPEL DE BESANÇON



ARRÊT DU 28 JUIN 2022



CHAMBRE SOCIALE







Audience publique

du 28 septembre 2021

N° de rôle : N° RG 20/01557 - N° Portalis DBVG-V-B7E-EJWI



S/appel d'une décision

du Pôle social du TJ de VESOUL

en date du 09 octobre 2020

Code affaire : 88B

Demande d'annulation d'une mise en demeure ou d'une contrainte



APPELANTE



URSSAF DE FRANCHE-COMTE Prise en la personne de son représentant lé

gal domicilié de droit audit siège, sise [Adresse 1]



représentée par Me Séverine WERTHE, avocat au barreau de BESANÇON, présente





INTIMÉE



SAS [6] agissant poursuites et diligences de ses ...

ARRÊT N°

CE/SMG

COUR D'APPEL DE BESANÇON

ARRÊT DU 28 JUIN 2022

CHAMBRE SOCIALE

Audience publique

du 28 septembre 2021

N° de rôle : N° RG 20/01557 - N° Portalis DBVG-V-B7E-EJWI

S/appel d'une décision

du Pôle social du TJ de VESOUL

en date du 09 octobre 2020

Code affaire : 88B

Demande d'annulation d'une mise en demeure ou d'une contrainte

APPELANTE

URSSAF DE FRANCHE-COMTE Prise en la personne de son représentant légal domicilié de droit audit siège, sise [Adresse 1]

représentée par Me Séverine WERTHE, avocat au barreau de BESANÇON, présente

INTIMÉE

SAS [6] agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice sise [Adresse 7]

représentée par Me Ludovic PAUTHIER, Postulant, avocat au barreau de BESANÇON présent et Me Myriam ARIZZI-GALLI, Plaidante, avocat au barreau de BESANÇON, présente

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors des débats du 28 Septembre 2021 :

Monsieur Christophe ESTEVE, Président de Chambre

Madame Bénédicte UGUEN-LAITHIER, Conseiller

Mme Florence DOMENEGO, Conseiller

qui en ont délibéré,

Mme MERSON GREDLER, Greffière lors des débats

Les parties ont été avisées de ce que l'arrêt sera rendu le 23 Novembre 2021 par mise à disposition au greffe. A cette date, la mise à disposition a été prorogé au 21 décembre 2021, au 25 janvier 2022, au 8 février 2022 , au 8 mars 2022, au 5 avril 2022, au 17 mai 2022, au 13 juin 2022 et au 28 juin 2022.

**************

Statuant sur l'appel interjeté le 12 novembre 2020 par l'URSSAF de Franche-Comté d'un jugement rendu le 9 octobre 2020 par le pôle social du tribunal judiciaire de Vesoul qui, dans le cadre du litige l'opposant à la société [6], a essentiellement :

- annulé la lettre d'observations du 10 mai 2017 et la procédure de redressement subséquente,

- condamné l'URSSAF de Franche-Comté à rembourser à la société [6] la somme qu'elle a indûment perçue à l'occasion des règlements effectués par cette dernière à titre conservatoire,

- condamné l'URSSAF de Franche-Comté à payer à la société [6] la somme de 1.200 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens,

Vu les dernières conclusions visées par le greffe le 15 juillet 2021 aux termes desquelles l'URSSAF de Franche-Comté, appelante, demande à la cour de :

- infirmer le jugement attaqué en ce qu'il a :

- constaté le non-respect de la procédure de recouvrement

- déclaré le recours fondé

- annulé la lettre d'observations du 10 mai 2017 et la procédure de redressement subséquente

- condamné l'Urssaf de Franche-Comté à rembourser à la société [6] la somme qu'elle a indûment perçue à l'occasion des règlements effectués par cette dernière à titre conservatoire

- condamné l'Urssaf de Franche-Comté à payer la somme de 1.200 euros au titre des frais irrépétibles,

statuant à nouveau,

- confirmer la lettre d'observations du 10 mai 2017 et le redressement dans son intégralité,

- valider les mises en demeure des 16 août 2017 et 12 septembre 2017,

- confirmer la décision de la commission de recours amiable de l'URSSAF de Franche-Comté en date du 24 novembre 2017,

- débouter la SAS [6] de l'ensemble de ses demandes,

- la condamner à payer la somme de 1.500 € au titre des frais irrépétibles ainsi qu'aux dépens,

Vu les dernières conclusions visées par le greffe le 29 juillet 2021 aux termes desquelles la société par actions simplifiée [6], intimée, demande à la cour de :

à titre principal :

- confirmer le jugement entrepris dans toutes ses dispositions,

en conséquence,

- annuler la totalité des opérations de contrôle et de redressement portant sur la somme de 88.050 € (mise en demeure du 16 août 2017), outre 300 € (mise en demeure du 12 septembre 2017),

à titre subsidiaire :

- enjoindre à l'URSSAF de communiquer le procès-verbal n° 00344/2014/011189 en date du 16 février 2015,

- annuler la décision de la commission de recours amiable du 24 novembre 2017 en ce qu'elle rejette la demande de la société [6],

- juger infondé le redressement portant sur la réintégration dans l'assiette pour le calcul des cotisations sociales dues la somme de 88.050 € (mise en demeure du 16 août 2017), outre 300 € (mise en demeure du 12 septembre 2017),

en tout état de cause,

- condamner l'URSSAF de Franche-Comté à verser à la société [6] la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner l'URSSAF de Franche-Comté aux entiers dépens,

La cour faisant expressément référence, pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, aux conclusions susvisées qui ont été soutenues à l'audience,

SUR CE

EXPOSE DU LITIGE

La société [6], fabricant de portes de garage, de portes industrielles et de rideaux métalliques, a confié une partie de son activité à une entreprise sous-traitante, la SARL [2] (dénommée [2]).

La société [2] a fait l'objet d'un contrôle portant sur la période du 1er décembre 2010 au 1er décembre 2014, au cours duquel il a été constaté une violation des articles L. 8221-1 à 3, L. 8222-5 et R. 8222-1 du code du travail relatifs au délit de travail dissimulé par dissimulation d'activité et d'emploi salarié.

Un procès-verbal n° 00344/2014/011189 a été dressé par les services de police le 16 février 2015 et transmis au procureur de la République.

L'URSSAF de Franche-Comté a adressé à la société [2] le 8 septembre 2015 une lettre d'observations faisant état d'un redressement de 1.011.007 euros au titre des cotisations de sécurité sociale, d'assurance chômage et d'AGS, puis le 23 décembre 2015 une mise en demeure de payer la somme de 1.227.401 euros incluant la majoration de redressement complémentaire pour infraction de travail dissimulé et les majorations de retard..

Par courrier en date du 10 juin 2016, l'URSSAF de Franche-Comté a demandé à la société [6] de lui communiquer les documents justifiant du respect, en sa qualité de donneur d'ordre, de ses obligations de vigilance auprès de son cocontractant, la société [3].

Par courriel du 21 juin 2016, la société [6] lui a transmis la copie du contrat conclu avec la société [4], l'extrait du grand livre comptable de cette dernière pour les exercices 2010-2011, 2011-2012, 2012-2013 et 2013-2014, en lui précisant que suite au départ de son directeur d'usine elle n'était pas en mesure de produire les attestations de vigilance.

Considérant que la société [6] n'avait pas respecté son obligation de vigilance, l'inspectrice du recouvrement a, par lettre d'observations du 5 août 2016, mis en oeuvre la solidarité financière sur le fondement de l'article L. 8222-2 du code du travail.

L'URSSAF a ensuite adressé à la société [6] le 20 décembre 2016 une mise en demeure d'un montant de 11.191 euros, soit 9.106 euros de cotisations, 628 euros de majorations de redressement et 1.457 euros de majorations de retard, calculé par application d'un prorata déterminé par l'article L. 8222-3 du code du travail.

Le 3 janvier 2017, la société [6] a adressé à l'URSSAF un chèque en règlement de cette somme.

Par lettre d'observations du 10 mai 2017 concernant uniquement l'annulation des exonérations du donneur d'ordre prévue à l'article L. 133-4-5 du code de la sécurité sociale, l'URSSAF de Franche-Comté a notifié à la société [6] un rappel de cotisations et contributions de sécurité sociale, d'assurance chômage et d'AGS d'un montant total de 75.000 euros.

L'organisme lui a ensuite adressé le 16 août 2017 une mise en demeure pour règlement de la somme de 88.050 euros, soit 75.000 euros de cotisations et 13.050 euros de majorations.

Par lettre du 5 septembre 2017, la société [6] a contesté ce rappel de cotisations, en procédant toutefois à son règlement à titre conservatoire.

L'URSSAF lui a adressé le 12 septembre 2017 une nouvelle mise en demeure, uniquement pour paiement de la somme de 300 euros au titre des majorations de retard.

Par courriers du 26 septembre 2017, la société [6] a saisi la commission de recours amiable d'une contestation des mises en demeure délivrées les 16 août et 12 septembre 2017.

Par décision du 24 novembre 2017 notifiée le 17 janvier 2018, la commission de recours amiable a rejeté les recours de la société [6].

Par courriers des 7 et 14 décembre 2017, la société [6] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Besançon d'une contestation de la décision de rejet implicite de la commission de recours amiable.

Par jugements des 1er avril 2019 et 17 juin 2019, le pôle social du tribunal de grande instance de Besançon s'est déclaré incompétent au profit de celui de Vesoul.

C'est dans ces conditions qu'après jonction des procédures enrôlées sous les numéros RG 19/00120 et 19/00226, le pôle social du tribunal judiciaire de Vesoul a rendu le jugement entrepris le 9 octobre 2020.

MOTIFS

1- Sur les demandes tendant à la nullité du redressement :

La société [6] poursuit à titre principal la nullité du redressement ayant donné lieu aux mises en demeure des 16 août 2017 et 12 septembre 2017, sur deux fondements :

- le non-respect de la procédure définie à l'article R. 133-8-1 du code de la sécurité sociale ;

- la violation du principe du contradictoire.

1-1- Sur la procédure suivie par l'URSSAF :

L'article L. 8222-1 du code du travail dispose :

« Toute personne vérifie lors de la conclusion d'un contrat dont l'objet porte sur une obligation d'un montant minimum en vue de l'exécution d'un travail, de la fourniture d'une prestation de services ou de l'accomplissement d'un acte de commerce, et périodiquement jusqu'à la fin de l'exécution du contrat, que son cocontractant s'acquitte :

1° des formalités mentionnées aux articles L. 8221-3 et L. 8221-5 ;

2° de l'une seulement des formalités mentionnées au 1°, dans le cas d'un contrat conclu par un particulier pour son usage personnel, celui de son conjoint, partenaire lié par un pacte civil de solidarité, concubin, de ses ascendants ou descendants.

Les modalités selon lesquelles sont opérées les vérifications imposées par le présent article sont précisées par décret. »

L'article L. 133-4-5 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction applicable au litige dispose :

« Lorsqu'il est constaté que le donneur d'ordre n'a pas rempli l'une des obligations définies à l'article L. 8222-1 du code du travail et que son cocontractant a, au cours de la même période, exercé un travail dissimulé par dissimulation d'activité ou d'emploi salarié, l'organisme de recouvrement procède à l'annulation des réductions ou exonérations des cotisations ou contributions dont le donneur d'ordre a bénéficié au titre des rémunérations versées à ses salariés. Le donneur d'ordre ou le maître d'ouvrage encourt la même sanction, dans les mêmes conditions, lorsqu'il est constaté qu'il a manqué à l'obligation mentionnée à l'article L. 8222-5 du code du travail.

L'annulation s'applique pour chacun des mois au cours desquels les conditions mentionnées au premier alinéa du présent article sont vérifiées. Elle est calculée selon les modalités prévues aux deux derniers alinéas de l'article L. 133-4-2, sans que son montant global puisse excéder 15 000 € pour une personne physique et 75 000 € pour une personne morale.

Les modalités d'application du présent article, en particulier la manière dont est assuré le respect du principe du contradictoire, sont déterminées par décret en Conseil d'Etat. »

Enfin, l'article R. 133-8-1 du même code prévoit :

« Lorsqu'il ne résulte pas d'un contrôle effectué en application de l'article L. 243-7 du présent code ou de l'article L. 724-7 du code rural et de la pêche maritime, tout redressement consécutif à la mise en 'uvre des dispositions de l'article L. 133-4-5 est porté à la connaissance du donneur d'ordre ou du maître d'ouvrage par un document signé par le directeur de l'organisme de recouvrement, transmis par tout moyen permettant de rapporter la preuve de sa date de réception.

Ce document rappelle les références du procès-verbal pour travail dissimulé établi à l'encontre du cocontractant, précise le manquement constaté, la période sur laquelle il porte et le montant de la sanction envisagé.

Ce document informe également la personne en cause qu'elle dispose d'un délai de trente jours pour présenter ses observations par tout moyen permettant de rapporter la preuve de leur date de réception et qu'elle a la faculté de se faire assister par une personne ou un conseil de son choix. A l'expiration de ce délai et, en cas d'observations du donneur d'ordre ou du maître d'ouvrage, après lui avoir notifié le montant de la sanction, le directeur de l'organisme de recouvrement met en recouvrement les sommes dues selon les règles et sous les garanties et sanctions applicables au recouvrement des cotisations de sécurité sociale. »

La société [6] fait valoir :

- que la lettre d'observations notifiée le 10 mai 2017 vise les articles R. 243-59 et suivants du code de la sécurité sociale, alors même que le contrôle est intervenu dans le cadre d'une procédure spécifique de lutte contre le travail illégal applicable aux donneurs d'ordre, relative à l'annulation des exonérations de cotisations,

- que le contrôle de la société [2] a été diligenté en application des dispositions des articles L. 8221-1 et L. 8221-2 du code du travail relatives à la lutte contre le travail dissimulé, et non en application de l'article L. 243-7 du code de la sécurité sociale,

- que lorsque la procédure mise en oeuvre concerne l'annulation des réductions ou exonérations des cotisations dont le donneur d'ordre a bénéficié au titre des rémunérations versées à ses salariés, annulation prévue par l'article R. 133-4-5 du code de la sécurité sociale, la procédure visée par l'article R. 133-8-1 a vocation à s'appliquer.

Elle ajoute que le visa de l'article R. 133-8-1 du code de la sécurité sociale dans le corps de la lettre d'observations en date du 10 mai 2017 est la preuve incontestable de son application.

Elle en conclut que conformément à ce texte, la lettre d'observations aurait dû être signée par le directeur de l'organisme de recouvrement et qu'à défaut d'avoir respecté cette formalité substantielle, le redressement doit être annulé.

L'URSSAF de Franche-Comté répond que l'article R. 133-8-1 du code de la sécurité sociale n'est pas applicable en l'espèce dès lors que c'est bien le contrôle opéré à l'encontre de la société [2] en application de l'article L. 243-7 du même code qui a conduit à la mise en oeuvre de la solidarité financière à l'encontre de la société [6], de sorte que c'est à bon droit qu'elle a recouru à la procédure de droit commun de l'article R. 243-59.

Il ressort des dispositions susvisées de l'article R. 133-8-1 que la procédure qu'il prévoit n'est applicable que lorsque le redressement du donneur d'ordre consécutif à la mise en 'uvre des dispositions de l'article L. 133-4-5 ne résulte pas d'un contrôle de son cocontractant effectué en application de l'article L. 243-7 du présent code ou de l'article L. 724-7 du code rural et de la pêche maritime.

Au cas présent, si la lettre d'observations adressée le 8 septembre 2015 à la société [2] indique que l'objet du contrôle est la « recherche des infractions aux interdictions de travail dissimulé mentionnées à l'article L. 8221-1 du code du travail » et fait état des « observations consécutives à la vérification de l'application des législations de sécurité sociale, d'assurance chômage et de garantie des salaires concernant les infractions aux interdictions mentionnées aux articles L. 8221-1 et L. 8221-2 du code du travail pour l'établissement » de [Localité 5], il résulte également de ce document que l'organisme de recouvrement a suivi la procédure de droit commun en faisant expressément référence à l'article R. 243-59 du code de la sécurité sociale.

Il a été jugé que si la recherche des infractions constitutives de travail illégal mentionnées à l'article L. 8211-1 du code du travail est soumise aux articles L. 8271-1 et suivants du même code, ces dispositions ne font pas obstacle à ce qu'un organisme de recouvrement procède, dans le cadre du contrôle de l'application de la législation de sécurité sociale par les employeurs et les travailleurs indépendants prévu par l'article L. 243-7 du code de la sécurité sociale, à la recherche des infractions susmentionnées aux seules fins de recouvrement des cotisations afférentes (Cass. civ. II 7 juillet 2016 n° 15-16.110 et Cass. civ. II 7 novembre 2019 n° 18-21.947).

Il ressort en outre des jurisprudences précitées que l'utilisation de la procédure de droit commun suppose que l'organisme de recouvrement procède à la recherche de l'infraction de travail dissimulé aux seules fins de recouvrement des cotisations afférentes, alors que les dispositions de l'article R 133-8 du code de la sécurité sociale doivent être appliquées lorsque le contrôle donnant lieu au redressement litigieux n'avait pas pour seule fin le recouvrement des cotisations sociales.

Dans le cas de la société [2], ainsi qu'il a été dit, l'URSSAF n'a pas fait application de l'article R. 133-8, la lettre d'observations du 8 septembre 2015 étant d'ailleurs signée par l'inspecteur du recouvrement et non par le directeur de l'organisme de recouvrement.

En outre, le redressement notifié le 8 septembre 2015 à la société [2] porte aussi sur d'autres cotisations sociales sans rapport avec le travail dissimulé, telles par exemple que celles résultant de la remise en cause de la déduction forfaitaire spécifique pour frais professionnels dont ont bénéficié à tort certains salariés (page 14).

Il est ainsi suffisamment établi que l'URSSAF a procédé aux opérations de contrôle de la société [2] selon la procédure de droit commun dans le cadre du contrôle de l'application de la législation de sécurité sociale par cette société et que ses investigations en matière de travail dissimulé, qui ont porté sur les informations transmises par l'administration fiscale et les services de police, n'ont été diligentées qu'aux seules fins de recouvrement des cotisations afférentes.

Aux termes de leur décision, les premiers juges ont d'ailleurs relevé qu'il ressortait des pièces du dossier que le redressement de la société [6] faisait suite au contrôle de droit commun (c'est la cour qui souligne) opéré à l'encontre de la société [2].

En conséquence, dès lors qu'il résultait d'un contrôle effectué en application de l'article L. 243-7 du code de la sécurité sociale, le redressement de la société [6] consécutif à la mise en 'uvre des dispositions de l'article L. 133-4-5 n'était pas régi par la procédure prévue par l'article R. 133-8-1 mais par celle de droit commun de l'article R. 243-59.

Quand bien même l'article R. 133-8-1 du code de la sécurité sociale est par erreur cité dans le corps (page 3) de la lettre d'observations adressée le 10 mai 2017 au donneur d'ordre, celle-ci fait bien expressément référence à deux reprises à l'article R. 243-59 du même code.

C'est donc à tort que les premiers juges se sont fondés sur le non-respect de l'article R. 133-8-1 pour annuler la lettre d'observations du 10 mai 2017 et la procédure de redressement subséquente.

1-2- Sur le principe de la contradiction :

La société [6] expose que l'annulation des exonérations de cotisations ou contributions dont a bénéficié le donneur d'ordre est subordonnée à l'établissement d'un procès-verbal pour délit de travail dissimulé à l'encontre de son cocontractant.

Elle fait valoir que ce procès-verbal constitue un élément essentiel, incontestablement utile à la défense du donneur d'ordre, et que l'URSSAF ne saurait refuser la communication de ce document en justice.

Elle cite notamment à cet égard deux arrêts rendus par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation : 21 décembre 2017 (n° 16-23.672) et 29 novembre 2018 (n° 17-27.362).

Elle précise encore qu'à aucun moment l'URSSAF de Franche-Comté ne l'a informée de la possibilité de consulter le procès-verbal de travail dissimulé dressé à l'encontre de la société [2].

Elle soutient enfin que la communication du procès-verbal pour travail dissimulé, sur lequel repose entièrement le redressement notifié, revêt une importance particulière dans la mesure où l'existence de relations contractuelles entre la société [3] et elle-même est contestée.

L'URSSAF répond d'abord que le procès-verbal de constatation d'une infraction de travail illégal ne constitue pas un acte administratif mais une pièce de procédure pénale, qui est protégée par le secret de l'enquête et de l'instruction selon les dispositions de l'article 11 du code de procédure pénale.

Elle considère donc qu'en déposant le rapport au greffe du tribunal où il peut être consulté par les parties et qu'en indiquant la référence du procès-verbal pour travail dissimulé dans la lettre d'observations adressée au donneur d'ordre, elle a satisfait à ses obligations en la matière.

Elle soutient ensuite qu'aucun texte ne pose l'obligation de communiquer le procès-verbal de travail dissimulé à l'origine de la mise en oeuvre de la procédure de solidarité financière et se prévaut à cet égard des arrêts suivants rendus par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation : 16 juin 2011 n° 10-21.170 et 13 octobre 2011 n° 10-19.389.

En premier lieu, l'URSSAF de Franche-Comté ne saurait exciper du secret de l'instruction dans le cadre du présent litige pour refuser de communiquer un procès-verbal de travail dissimulé dressé à l'encontre de la société [2] le 16 février 2015, alors qu'il ne résulte d'aucun élément qu'une enquête ou une information serait encore en cours.

En second lieu, il doit être rappelé que par une décision n° 2015-479 QPC du 31 juillet 2015, le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution les dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 8222-2 du code du travail, sous réserve qu'elles n'interdisent pas au donneur d'ordre de contester la régularité de la procédure, le bien fondé de l'exigibilité des impôts, taxes et cotisations obligatoires ainsi que des pénalités et majorations y afférentes au paiement solidaire desquels il est tenu.

Si, ainsi que le rappellent les jurisprudences citées par l'URSSAF, la régularité de la procédure résultant de la mise en oeuvre de la solidarité financière du donneur d'ordre n'est pas subordonnée à la communication préalable à celui-ci du procès-verbal pour délit de travail dissimulé dressé à l'encontre de son cocontractant, en revanche l'organisme de recouvrement est tenu de produire ce procès-verbal devant la juridiction de sécurité sociale en cas de contestation par le donneur d'ordre de l'existence ou du contenu de celui-ci (Cass. Civ. II 24 juin 2021 n° 20-10.946).

En l'espèce, la société [6] conteste le contenu du procès-verbal pour délit de travail dissimulé établi le 16 février 2015 à l'encontre de la société [2].

Elle a sollicité en vain la production de ce procès-verbal en première instance, pour le cas où elle n'obtiendrait pas l'annulation du redressement pour violation alléguée de l'article R. 133-8-1 du code de la sécurité sociale.

L'URSSAF ne l'a pas versé aux débats et ne l'a pas davantage communiqué devant la cour, en dépit de l'argumentaire et de la demande de l'intimée sur ce point.

De surcroît, il ressort de la lettre d'observations adressée à la société [2] le 8 septembre 2015 que le procès-verbal considéré s'est révélé essentiel, notamment en vue de la mise en oeuvre de la solidarité financière, dès lors qu'il y est mentionné : « la procédure de travail dissimulé engagée par les services de police porte à notre connaissance des éléments nouveaux. En effet, la comptabilité présentée lors du précédent contrôle n'est ni sincère, ni régulière ».

Il s'ensuit que faute d'avoir communiqué dans le cadre de la présente instance le procès-verbal pour délit de travail dissimulé établi le 16 février 2015 à l'encontre de la société [2], l'URSSAF de Franche-Comté a méconnu le principe de la contradiction.

Par voie de conséquence, en l'absence de ce document, l'URSSAF ne justifie pas du caractère bien fondé du redressement ayant donné lieu aux mises en demeure des 16 août 2017 et 12 septembre 2017.

Dès lors, il convient de confirmer par substitution de motifs le jugement entrepris.

2- Sur les frais irrépétibles et les dépens :

La décision attaquée sera également confirmée en ce qu'elle a statué sur les frais irrépétibles et les dépens de première instance.

En application de l'article 700 du code de procédure civile, il y a lieu d'allouer à la société [6] la somme de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles qu'elle a été contrainte d'exposer devant la cour.

L'URSSAF de Franche-Comté, qui succombe, n'obtiendra aucune indemnité sur ce fondement et supportera les dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

En conséquence, annule le redressement ayant donné lieu aux mises en demeure des 16 août 2017 et 12 septembre 2017 ;

Condamne l'URSSAF de Franche-Comté à payer à la société [6] la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne l'URSSAF de Franche-Comté aux dépens d'appel.

Ledit arrêt a été prononcé par mise à disposition au greffe le vingt-huit juin deux mille vingt deux et signé par Christophe ESTEVE, Président de chambre, et Mme MERSON GREDLER, Greffière.

LA GREFFIÈRE,LE PRÉSIDENT DE CHAMBRE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Besançon
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 20/01557
Date de la décision : 28/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-28;20.01557 ?
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