ARRÊT N°
BUL/SMG
COUR D'APPEL DE BESANÇON
ARRÊT DU 10 MAI 2022
CHAMBRE SOCIALE
Audience publique
du 8 mars 2022
N° de rôle : N° RG 21/01720 - N° Portalis DBVG-V-B7F-ENTR
S/appel d'une décision
du Pole social du TJ de LONS LE SAUNIER
en date du 25 août 2021
Code affaire : 88E
Demande en paiement de prestations
APPELANTE
CAISSE NATIONALE D'ASSURANCE VIEILLESSE ILE DE FRANCE, demeurant [Localité 2]
représentée par M. [Y] [F], présent, selon pouvoir spécial de M.[M] [K], Directeur de la relation assurées de la CNAV signé en date du 8 mars 2022
INTIMEE
Madame [W] [E], demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Dominique PEYRONEL avocat au barreau de JURA omis du tableau du Jura à sa demande et remplacé par sa suppléante Me Candice VIALET, avocat au barreau du JURA, présente
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors des débats du 08 Mars 2022 :
Monsieur Christophe ESTEVE, Président de Chambre
Madame Bénédicte UGUEN-LAITHIER, Conseiller
Mme Florence DOMENEGO, Conseiller
qui en ont délibéré,
Mme MERSON GREDLER, Greffière lors des débats
Les parties ont été avisées de ce que l'arrêt sera rendu le 10 Mai 2022 par mise à disposition au greffe.
**************
FAITS ET PROCEDURE
Mme [W] [E] a fait valoir ses droits à la retraite à compter du 1er septembre 2015 et sa pension a été liquidée à hauteur de 581,03 euros puis réévaluée à 648,62 euros mensuels par la Caisse nationale d'assurance vieillesse d'Ile de France (ci-après CNAV).
Contestant le refus de la CNAV de valider la période comprise entre le 1er juillet 1984 et le 31 octobre 1987, durant laquelle elle indiquait se trouver en chômage indemnisé, Mme [W] [E] a saisi la Commission de recours amiable de la CNAV Ile de France courant 2018, laquelle n'a statué sur son recours que dans sa séance du 1er mars 2021, en le rejetant.
Par requête du 8 avril 2021, elle a saisi le tribunal judiciaire de Lons le Saunier aux fins d'obtenir la validation des trimestres qui lui ont été refusés sur la période considérée.
Par jugement du 25 août 2021, ce tribunal a :
- déclaré le recours recevable
- infirmé la décision de la Commission de recours amiable de la CNAV du 1er mars 2021
- ordonné la validation des 13 trimestres non validés pour la période de mars 1984 à octobre 1987
- rappelé que le jugement bénéficie de l'exécution provisoire
- condamné la CNAV à verser à Mme [W] [E] la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en sus des dépens
Par déclaration transmise au greffe sous pli recommandé expédié le 16 septembre 2021, la CNAV a relevé appel de la décision et aux termes de ses conclusions visées le 31 décembre 2021 demande à la cour de :
- infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions
- confirmer la décision de la Commission de recours amiable et dire n'y avoir lieu à validation des 13 trimestres assimilés au titre du chômage pour la période du 01.07.1984 au 31.10.1987
- condamner Mme [W] [E] à lui rembourser l'intégralité des arrérages indûment perçus à ce titre dans le cadre de l'exécution provisoire ainsi que l'indemnité de procédure
- condamner Mme [W] [E] à lui payer la somme de 150 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
Selon conclusions visées le 7 février 2022, Mme [W] [E] conclut à la confirmation de la décision déférée et à la condamnation de la CNAV à lui payer la somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens d'appel.
En application de l' article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour l'exposé des moyens des parties, à leurs conclusions susvisées auxquelles elles se sont remises lors de l'audience de plaidoirie du 8 mars 2022.
MOTIFS DE LA DECISION
Aux termes de l'article L.351-2 ancien du code de la sécurité sociale applicable au litige, les périodes d'assurance ne peuvent être retenues, pour la détermination du droit à pension ou rente que si elles ont donné lieu au versement d'un minimum de cotisations au titre de l'année civile au cours de laquelle ces périodes d'assurance ont été acquises. Les arrérages de pension de retraite correspondent en effet à des cotisations qui ont été versées par l'employeur à l'URSSAF pour alimenter les caisses de retraite et la CNAV calcule le montant de la pension en fonction des cotisations versées.
Ces dispositions prévoient cependant qu'en cas de force majeure ou d'impossibilité manifeste pour l'assuré d'apporter la preuve du versement de cotisations, celle-ci peut l'être à l'aide de documents probants ou de présomptions concordantes.
Les trimestres non-cotisés ou assimilés correspondent à des trimestres attribués gratuitement, sans prélèvement de cotisations d'assurance vieillesse, lors de certaines périodes d'interruption d'activité professionnelle. Ces trimestres assimilés sont pris en compte, au même titre que les trimestres cotisés, pour la détermination du taux de retraite et la durée d'assurance utilisée dans le calcul de la pension de retraite.
Les circonstances donnant droit à des trimestres assimilés dans le régime général des salariés sont nombreuses : service militaire, maladie, chômage indemnisé ou non, maternité ou encore invalidité.
Le nombre de trimestres validés au titre de l'assurance vieillesse se calcule par conséquent en additionnant les trimestres cotisés et les trimestres assimilés.
En l'espèce, Mme [W] [E] expose qu'elle a été contrainte de démissionner le 1er juillet 1984 pour suivi de conjoint, date à compter de laquelle elle dit avoir perçu des indemnités de chômage et avoir été inscrite à l'Agence nationale pour l'emploi (ANPE) tout en étant dans l'impossibilité de justifier du versement de cotisations et de son inscription à cet organisme, mais produire néanmoins des éléments qu'elle estime suffisamment probants émanant de son administration d'origine, constituant selon elle des présomptions concordantes au sens de l'article L.351-2 susvisé pour valider les 13 trimestres litigieux.
La CNAV soutient au contraire que le texte invoqué et retenu par les premiers juges est applicable à la preuve des seuls trimestres cotisés, donc précomptés sur les salaires, et non des trimestres assimilés, donc attribués gratuitement lors des périodes d'interruption involontaire d'activité, comme c'est le cas des 13 trimestres litigieux, de sorte que le jugement déféré manque de base légale, tout comme il a contrevenu à l'article L.311-2 ancien du code du travail en retenant que l'inscription à l'ASSEDIC n'était qu'un indice et non une condition de la qualité de demandeur d'emploi.
Elle considère en outre que les éléments produits sont insuffisamment probants tant dans la forme, pour ne pas observer le formalisme édicté aux articles 201 et 202 du code de procédure civile, qu'au fond, en l'absence de preuve d'une indemnisation effective au titre du chômage, mais seulement d'un "droit à".
Il n'est pas contesté que Mme [W] [E] a démissionné le 1er juillet 1984 pour suivre son conjoint, qui avait obtenu une mutation à [Localité 4], et qu'à cette date elle occupait un poste de secrétaire vacataire au sein du dispensaire de [Localité 3], géré par la Direction départementale des affaires sanitaires et sociales de Haute-Saône.
Il n'est pas davantage mis en doute que cette situation, qui a perduré jusqu'au 31octobre 1987, a été considérée comme consécutive à une démission légitime, ouvrant droit à ce titre au bénéfice d'une indemnité chômage à compter du 1er juillet 1984.
Afin d'étayer sa demande, l'intimée verse aux débats :
- un courrier du 30 décembre 1986 adressé par M. [J], directeur de la Direction des affaires sanitaires et sociales de Haute-Saône, à l'intéressée, ayant pour objet 'Indemnité de chômage pour cause de cessation d'activité' et informant Mme [W] [E] 'qu'une indemnité de chômage (lui) sera versée conformément à la réglementation en vigueur' et l'invitant à cet effet à lui apporter 'les documents prouvant (son) inscription à l'Agence nationale pour l'emploi, toutes attestations d'inscription à un ou des stages suivis depuis (son) départ de la Direction des affaires sanitaires et sociales ou tout document relatif à d'autres activités' qu'elle aurait pu exercer
- un courrier du 7 avril 1987 de M. [U], inspecteur principal de la Direction des affaires sanitaires et sociales, mentionnant pour objet 'demande d'allocation chômage' soumettant au ministre des affaires sociales et de l'emploi la situation de Mme [W] [E] indiquant que, suite à la demande de celle-ci tendant à l'obtention d'une allocation de perte d'emploi, ses 'services en relation avec l'A.S.S.E.D.I.C. ont donc procédé au calcul des indemnités auxquelles Mme [E] peut prétendre sur les bases définies par les différentes circulaires et dont le montant a été arrêté à 22 136,28 francs, soit 4 426 allocations de base à 4,69 francs et 365 allocations de fin de droits à 20,16 francs'. Il explique ensuite que si la circulaire du 5 octobre 1984 prévoyait la possibilité de passer convention avec l'U.N.E.D.I.C. afin de lui confier, contre remboursement des sommes effectivement engagées, la gestion des allocations chômage servies aux agents non titulaires, le décret d'application de cette circulaire n'étant pas paru il appartenait donc à son administration de prendre en charge le versement des allocations dues à Mme [E], raison pour laquelle il sollicitait son ministère de tutelle aux fins de 'procéder à une délégation de crédits d'un montant de 22 136,28 euros au chapitre prévu pour ce genre d'indemnisation'
- un courrier de relance adressé à ce même ministère le 4 septembre 1987 par M. [U], directeur de de la Direction des affaires sanitaires et sociales
- un document intitulé 'Attestation' à l'en-tête de l'Agence régionale de santé de Bourgogne Franche-Comté du 10 mai 2016 aux termes de laquelle Mme [N], adjointe au directeur des ressources humaines, reprenant les termes du courrier du 7 avril 1987 confirme que 'ces allocations devaient être prises en charge par l'administration et qu'une délégation de crédits d'un montant de 22 136,28 francs a été sollicitée auprès du ministère des affaires sociales et de l'emploi'
- un document intitulé 'Attestation' à l'en-tête de la Direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations de la Haute-Saône, par laquelle Mme [D], secrétaire administrative, se souvient de l'instruction du dossier de l'intimée, qui 'a pu bénéficier d'une indemnité de retour à l'emploi directement versée par l'Etat à hauteur de 22 136,28 euros' mais indique dans le même temps qu'elle ne dispose pas de documents officiels liés à ce versement
En premier lieu, si l'article L.351-2 ancien susvisé n'évoque la recevabilité de la preuve par présomptions concordantes que pour les cotisations versées, c'est à tort que la CNAV prétend que ce mécanisme de preuve serait inapplicable à la personne tenue de démontrer l'existence de périodes assimilées, dès lors qu'il a précisément pour vocation d'assouplir la rigueur probatoire à laquelle sont confrontés les affiliés pour justifier de cotisations anciennes, rigueur d'autant plus saillante lorsqu'il s'agit de justifier de période assimilées, comme c'est le cas en l'espèce.
Cependant, s'il ressort des documents susvisés que l'administration quittée par Mme [W] [E] à l'occasion de sa démission le 1er juillet 1984 avait calculé les allocations auxquelles elle pourrait alors prétendre et que le montant global de celles-ci a fait l'objet d'une demande de délégation de crédits au ministère de tutelle, avec relance, il n'est pas démontré que ces allocations ont en définitive été effectivement versées à l'intéressée, et a fortiori sur toute la période considérée, ni qu'elles auraient été suffisantes pour permettre d'attribuer à l'affiliée les 13 trimestres supplémentaires qu'elle réclame.
Indépendamment du grief de forme évoqué par l'appelante, l'attestation' de Mme [D], qui demeure ambiguë au regard des autres documents produits du fait de l'usage de la formule 'a pu bénéficier' et de la précision de l'absence de justificatifs objectif, ne constitue pas davantage une présomption suffisante de versement d'un revenu de remplacement.
A cela s'ajoute une incohérence, soulignée à juste titre par l'appelante, dans le calcul des droits figurant au courrier précité du 7 avril 1987, dès lors que l'addition de 4 426 allocations à 4,69 francs et de 365 allocations à 20,16 francs aurait conduit à une somme globale de 28 116,34 francs et non 22 136,28 francs comme indiqué dans ce courrier officiel.
Il n'est pas inutile de relever également que, dans la correspondance du 30 décembre 1986, son administration lui demandait de produire les documents prouvant son inscription à l'Agence nationale pour l'emploi, toutes attestations d'inscription à un ou des stages suivis depuis son départ de la Direction ou tout document relatif à d'autres activités qu'elle aurait pu exercer, et que rien n'indique qu'elle ait justifié desdits éléments, l'appelante soulignant à juste titre que la qualité de demandeur d'emploi repose sur l'inscription à Pôle emploi.
L'intimée n'a pas davantage été en mesure de justifier, même partiellement, de la perception d'indemnités de chômage sur l'entière période considérée, notamment par des extraits de comptes bancaires ou avis d'imposition sur les revenus.
A la lumière des développements qui précèdent, la cour, à la différence des premiers juges, estime que Mme [W] [E] échoue à établir le bien fondé de sa prétention par la production d'éléments probants ou de présomptions concordantes établissant qu'elle a perçu un revenu de remplacement ou une indemnisation en qualité de demandeur d'emploi.
Le jugement déféré qui a fait droit à sa demande devra être infirmé de ce chef, de même qu'en ce qu'il infirme la décision de la Commission de recours amiable, et l'intéressée déboutée de ses entières demandes.
L'appelante sollicite la condamnation de Mme [W] [E] à lui rembourser l'intégralité des arrérages ainsi que l'indemnité de procédure indûment perçus en vertu de l'exécution provisoire attachée à la décision querellée.
Néanmoins, le présent arrêt infirmatif constituant le titre ouvrant droit à la restitution des sommes versées à tort au titre de l'exécution provisoire du jugement de première instance, il n'y a pas lieu de statuer sur cette demande de remboursement.
Il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de chacune des parties les frais irrépétibles exposés par elles tant en première instance qu'en appel, de sorte que le jugement déféré qui a condamné la CNAV à une indemnité de procédure sera infirmé sur ce point.
Mme [W] [E] supportera les dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, chambre sociale, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,
INFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions.
Statuant à nouveau,
DEBOUTE Mme [W] [E] de ses demandes.
VALIDE la décision de la Commission de recours amiable de la Caisse nationale Caisse nationale d'assurance vieillesse d'Ile de France du 1er mars 2021.
REJETTE les demandes formées par la Caisse nationale d'assurance vieillesse d'Ile de France et par Mme [W] [E] au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.
CONDAMNE Mme [W] [E] aux dépens de première instance et d'appel.
Ledit arrêt a été prononcé par mise à disposition au greffe le dix mai deux mille vingt deux et signé par Christophe ESTEVE, Président de chambre, et Mme MERSON GREDLER, Greffière.
LA GREFFIÈRE,LE PRÉSIDENT DE CHAMBRE,