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06/10/2020 | FRANCE | N°20/00269

France | France, Cour d'appel de Besançon, 1ère chambre, 06 octobre 2020, 20/00269


ARRÊT N°



BUL/CB



COUR D'APPEL DE BESANÇON

- 172 501 116 00013 -



ARRÊT DU 06 OCTOBRE 2020



PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE





Contradictoire

Audience publique du 01 septembre 2020

N° de rôle : N° RG 20/00269 - N° Portalis DBVG-V-B7E-EHF7



S/appel d'une décision

du TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE BESANCON

en date du 17 décembre 2019 [RG N° 19/01329]

Code affaire : 57A

Demande en paiement ou en indemnisation formée par un intermédiai

re



SA MICRO-MEGA C/ [Z] [W]



PARTIES EN CAUSE :



SA MICRO-MEGA

inscrite au RCS de BESANCON n°612 820 225

dont le siège est sis [Adresse 1]



APPELANTE



Représentée pa...

ARRÊT N°

BUL/CB

COUR D'APPEL DE BESANÇON

- 172 501 116 00013 -

ARRÊT DU 06 OCTOBRE 2020

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE

Contradictoire

Audience publique du 01 septembre 2020

N° de rôle : N° RG 20/00269 - N° Portalis DBVG-V-B7E-EHF7

S/appel d'une décision

du TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE BESANCON

en date du 17 décembre 2019 [RG N° 19/01329]

Code affaire : 57A

Demande en paiement ou en indemnisation formée par un intermédiaire

SA MICRO-MEGA C/ [Z] [W]

PARTIES EN CAUSE :

SA MICRO-MEGA

inscrite au RCS de BESANCON n°612 820 225

dont le siège est sis [Adresse 1]

APPELANTE

Représentée par Me Nicolas HOURNON de la SELARL NH, avocat au barreau de BESANCON et par Me Caroline LEROUX, avocat au barreau de BESANCON

ET :

Monsieur [Z] [W]

né le [Date naissance 3] 1969 à [Localité 4] (75) - de nationalité française-

Profession : Agent commercial,

demeurant [Adresse 2]

INTIMÉ

Représenté par Me Ludovic PAUTHIER de la SCP DUMONT - PAUTHIER, avocat au barreau de BESANCON et par Me LEGIS CONSEILS BOURGOGNE, avocat au barreau de DIJON

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors des débats :

PRÉSIDENT : Monsieur Edouard MAZARIN, Président de chambre.

ASSESSEURS : Mesdames B. UGUEN LAITHIER (magistrat rapporteur) et

A. CHIARADIA, Conseillers.

GREFFIER : Madame D. BOROWSKI , Greffier

lors du délibéré :

PRÉSIDENT : Monsieur Edouard MAZARIN, Président de chambre

ASSESSEURS : Mesdames B. UGUEN LAITHIER, et A. CHIARADIA, Conseillers.

L'affaire, plaidée à l'audience du 01 septembre 2020 a été mise en délibéré au 06 octobre 2020. Les parties ont été avisées qu'à cette date l'arrêt serait rendu par mise à disposition au greffe.

**************

Faits et prétentions des parties

Le 8 mars 2007, la société de droit suisse SA Micro-Mega International Distribution (la société), a conclu avec monsieur [Z] [W] un contrat d'agent commercial aux fins de promouvoir la vente d'instruments dentaires sur la zone dite APAC (Asie, Pacifique, Afrique du Sud, Océanie et Inde) lequel a été renouvelé le 20 novembre 2009 avec une modification des conditions de rémunération puis, suivant avenant du 5 décembre 2011, transféré à la société avec une soumission du contrat au droit français.

Après avoir reçu notification, par lettre du 3 mai 2019, de la résiliation du contrat pour fautes graves, monsieur [W] a, par exploit d'huissier délivré le 25 juin 2019, fait assigner la société devant le tribunal de grande instance de Besançon afin d'obtenir l'indemnisation de ses divers préjudices suite à la rupture du contrat d'agence qu'il estime abusive.

Par jugement rendu le 17 décembre 2019, ce tribunal a :

- condamné la société à payer à Monsieur [W] les sommes suivantes :

* 52 112 euros au titre de l'indemnité de préavis,

* 414 827 euros au titre de l'indemnité compensatrice,

* 10 000 à titre de dommages-intérêts,

* 2 000 euros au titre des frais irrépétibles,

- dit que la décision est exécutoire à titre provisoire pour les sommes dues au titre de l'indemnité de préavis, des dommages-intérêts et de l'indemnité de procédure,

- condamné la société à consigner le surplus, soit la somme de 414 827 euros à la Caisse des dépôts et consignations dans les huit jours de la signification du jugement et d'en justifier à monsieur [W] à première demande,

- dit qu'à l'issue du délai d'appel cette somme sera remise à monsieur [W] par la société,

- condamné celle-ci aux dépens.

Suivant déclaration parvenue au greffe le 10 février 2020, la société a relevé appel de cette décision, et aux termes de ses dernières écritures transmises le 15 juin 2020, elle demande à la cour de :

- réformer la décision déférée sauf en ce qu'elle a reconnu la qualité d'agent commercial à monsieur [W],

- à titre principal, dire que la rupture est fondée sur les manquements graves de l'agent commercial et débouter monsieur [W] de ses demandes,

- à titre subsidiaire, dire que monsieur [W] ne justifie d'aucun préjudice et le débouter de ses demandes d'indemnité pour non respect du préavis, d'indemnité compensatrice de rupture et de sa demande au titre de la rupture abusive du contrat

- en tout état de cause, le condamner à lui payer 6 000 euros au titre des frais irrépétibles ainsi qu'aux dépens.

Par dernières écritures déposées le 7 août 2020, monsieur [W] demande à la cour de :

- confirmer le jugement déféré sauf en ses dispositions relatives à l'indemnité compensatrice et aux dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat,

- condamner en conséquence la société à lui payer, outre intérêts au taux légal à compter du 5 mai 2019, les sommes de :

* 625 344 euros au titre de l'indemnité compensatrice,

* 100 000 euros au titre de l'indemnisation du préjudice subi à raison de la rupture abusive,

- condamner la société à lui verser 10 000 euros au titre des frais irrépétibles et à supporter les entiers dépens, en ce compris les frais de traduction (1 106,16 euros).

Pour l'exposé complet des moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

La clôture de l'instruction de l'affaire a été prononcée par ordonnance du 31 août 2020.

Motifs de la décision

Attendu que la cour relève que l'appelante ne conteste finalement plus, dans ses derniers écrits, la qualité d'agent commercial de monsieur [W] ; qu'elle soutient en revanche toujours que la rupture du contrat d'agence est exclusivement imputable aux manquements de celui-ci et aucunement au rachat de la société par le groupe Coltene, comme il le prétend ; qu'elle affirme ainsi que la rupture sans préavis du contrat par son courrier du 3 mai 2019 était légitime et fondée sur les manquements à ses obligations contractuelles suivantes, qui ont eu une incidence sur l'évolution négative du chiffre d'affaire réalisé sur la zone APAC, pourtant en plein essor :

* absence de plan de développement,

* relation difficile avec certains clients,

* méconnaissance des produits (proposition de produits inexistants ou non enregistrés dans le pays concerné),

* non respect des objectifs (pourtant définis conjointement) et baisse du chiffre d'affaire sur la zone non imputable à des lenteurs d'enregistrement de produits,

* émissions d'offres promotionnelles de produits non autorisées par la direction,

* violation des engagements de confidentialité par la divulgation d'informations confidentielles à un client,

* absence de communication sur le respect des obligations sociales et fiscales ;

Qu'au soutien de ses demandes elle rappelle que le contrat stipule que chaque partie peut résilier celui-ci immédiatement et sans avertissement préalable pour de justes motifs, au nombre desquels figurent précisément la violation de l'obligation de confidentialité, la non réalisation des objectifs, la violation réitérée de toute disposition du contrat et précise qu'en dépit de plusieurs avertissements, les manquements ont perduré, l'intéressé refusant notamment de se plier aux méthodes de vente de son mandant ;

Qu'elle souligne subsidiairement, que la demande adverse d'indemnité compensatrice n'est pas fondée au regard de ses modalités d'attribution définies par un avenant du 4 mars 2011 et que si elle relève, certes du pouvoir souverain du juge, elle doit correspondre au préjudice effectivement subi par l'agent, lequel ne démontre pas l'existence d'un dommage excédant l'indemnisation autrement prévue au contrat ;

Qu'elle déplore enfin que le tribunal judiciaire ait statué ultra petita dès lors que monsieur [W] n'avait pas invoqué de préjudice moral à l'appui de sa demande de dommages-intérêts pour rupture abusive ;

Attendu que l'intimé prétend au contraire que, suite au rachat de son mandant par le groupe suisse Coltene, leader mondial dans le secteur du matériel dentaire, son emploi faisait doublon avec les forces commerciales du groupe et qu'il en a fait les frais par une rupture abusive de son contrat d'agence, la société invoquant selon lui des griefs fallacieux afin d'échapper au paiement des indemnités d'usage ; que la faute grave est communément admise de façon restrictive car elle prive l'agent de toute protection en fin de contrat et que les griefs qui lui sont opposés ne peuvent constituer une telle faute dès lors que son mandant, s'il les qualifiait de cette manière, les a tolérés et qu'ils n'ont fait l'objet d'aucun avertissement ni mise en garde formelle ;

Attendu qu'il résulte des dispositions combinées des articles L.134-11, L.134-12 et L.134-13 du code de commerce que si la rupture du contrat d'agent commercial est provoquée par la faute grave du mandataire, celui-ci perd le bénéfice des dispositions relatives au délai de préavis et ne peut réclamer l'indemnité compensatrice du préjudice subi du fait de la rupture ;

Qu'il est admis que la faute grave de l'agent est celle qui porte atteinte à la finalité commune du mandat d'intérêt commun et rend impossible le maintien du lien contractuel, étant rappelé qu'il incombe au mandant de prouver l'existence d'au moins une faute grave imputable à son mandataire, laquelle se distingue par sa gravité d'un simple manquement de celui-ci à ses obligations contractuelles ;

Que les circonstances de la cause, notamment la connaissance et la tolérance par le mandant avant la rupture du contrat des agissements prétendument fautifs de son mandataire doivent être prises en considération pour apprécier si les griefs invoqués peuvent être qualifiés de fautes graves ;

Attendu qu'aux termes du contrat d'agence du 20 novembre 2009, les droits et obligations du mandataire sont clairement définies (et non modifiés par les avenants ultérieurs) et il y est stipulé que chacune des parties peut le résilier immédiatement et sans avertissement pour de justes motifs, lesquels sont en particulier :

* l'insolvabilité de l'agent,

* une violation par l'agent de son devoir de confidentialité,

* la non réalisation par l'agent des objectifs durant deux années consécutives,

* une violation réitérée par l'une des parties, en dépit d'un avertissement écrit de l'autre partie, de n'importe laquelle des dispositions du contrat ;

Qu'il convient par conséquent d'examiner successivement les griefs imputés à monsieur [W] par la société afin d'apprécier s'ils constituent des fautes graves exclusives d'indemnités ;

* Sur les fautes reprochées à monsieur [W],

- violation des engagements de confidentialité par la divulgation d'informations confidentielles à un client,

Attendu que l'agent s'est engagé contractuellement à observer une discrétion absolue sur toutes les affaires traitées par son mandant et toutes les sociétés du groupe et en particulier à « ne révéler aucun renseignement concernant la clientèle, ni aucun secret de fabrication et d'affaires qui aurait pu lui être confié ou dont il aurait pu avoir connaissance dans le cadre de son activité ... » ; qu'il est stipulé que ce devoir lie l'agent pour toute la durée du contrat ainsi qu'au delà, sans limite dans le temps et que sa violation constitue un juste motif de résiliation avec effet immédiat, sans préjudice d'une réparation intégrale des dommages ainsi causés à son mandant ;

Que l'appelante reproche en l'occurrence à son agent d'avoir transmis à un client un fichier de prix pourtant identifié comme étant « confidentiel ' usage interne seul » ;

Que monsieur [W] réplique qu'il a communiqué un extrait du fichier litigieux expurgé des mentions confidentielles et que l'accès à l'entier document n'a pas été volontaire mais le fruit d'une erreur de manipulation et qu'il y a été remédié puisque la cliente, à sa demande, a supprimé le document ;

Attendu qu'il ressort des pièces communiquées sous les n° 49 et 50 qu'à partir d'un fichier format A3 portant la mention « Confidential ' Internal use only » constituant la liste des prix officiels et des prix minima validés pour l'année 2019 sur la zone APAC pour chaque client, monsieur [W] a prélevé un extrait sur lequel ne figurent que les prix officiels pour chaque produit et excluant par conséquent la mention des clients et les prix minima pratiqués ;

Que l'appelante soutient que le document original ayant été transmis par voie électronique le masquage de certaines mentions confidentielles n'était pas suffisant et que le client a eu accès à l'entier document ; que l'envoi du fichier au client Dental Warehouse par monsieur [W], suivant courriel du 4 avril 2019, a été adressé en copie à deux de ses collègues, dont monsieur [N] [Y] qui a appelé son attention par réponse du même jour sur le fait que le fichier « envoyé au client provient d'un fichier de travail interne et confidentiel qui ne doit pas être diffusé » ; que même à supposer que l'intégralité du document ait finalement pu être accessible par son destinataire, comme l'indique monsieur [Y] dans son courriel, cet envoi en copie accrédite la thèse de l'intimé selon laquelle il a commis une erreur de manipulation dans l'usage du document et que cette transmission intégrale est purement involontaire de sa part ; qu'il justifie enfin d'un échange avec le client attestant de ce qu'il a sollicité et obtenu de celui-ci la suppression du fichier litigieux ; qu'il s'ensuit que si cet envoi constitue bien une divulgation d'informations confidentielles, les circonstances dans lesquelles il est intervenu ne permettent pas de considérer qu'il est constitutif d'une faute grave, étant observé qu'aucun autre agissement de même nature n'est évoqué à l'encontre de l'intéressé ;

- relation difficile avec certains clients,

Attendu que la société reproche à son agent qui le conteste un manque de suivi des demandes de certain clients et de communication avec son mandant ;

Que pour asseoir son grief l'appelante n'évoque que deux exemples concernant les clients Kulzer et Bombay Dental & Surgical ;

Que s'agissant du premier, il est reproché à l'agent de ne pas avoir informé le client d'un changement de conditionnement intervenu en 2015, de n'avoir apporté aucune réponse satisfaisante à sa demande à ce sujet en 2019 et d'avoir refusé d'intervenir pour réaliser une opération banale auprès de ce même client ;

Attendu qu'il ressort des pièces afférentes que ce client a contacté une première fois l'agent par courriel du 22 avril 2019 pour s'étonner d'un changement de l'emballage du produit MM1500 qui contenait précédemment un lubrifiant puis une seconde fois le 25 avril 2019, cette fois en adressant copie à d'autres interlocuteurs de la société, pour l'interroger sur le changement de modèle du produit Sonic Air, qui ne comportait plus que trois broches au lieu de quatre initialement ;

Que Mme [A] [S] a répondu à ce client le 25 avril 2019 que le nombre de broches avait été modifié fin 2015 et que l'huile avait été retirée du boîtier en 2017, craignant que ces informations n'aient pas été portées à sa connaissance, mais lui assurant que la procédure de contrôle du changement étant désormais plus stricte, ce désagrément ne saurait se reproduire à l'avenir ;

Que si l'agent n'a effectivement pas répondu à ce client avant que sa collègue ne s'en charge, la cour relève toutefois qu'une réponse a été apportée au client respectivement trois jours après la première demande et le jour même pour la seconde, de sorte qu'il ne saurait être retenu une faute, a fortiori grave, à ce titre à l'encontre de monsieur [W] ; qu'en outre, la cour étant laissée dans l'ignorance de la procédure interne d'information des agents commerciaux quant aux modifications de produits préexistants dont ils sont chargés de la vente, l'absence de preuve par monsieur [W], quatre ans et deux ans après la modification relevée par le client Kulzer de ce qu'il aurait transmis cette information à ce dernier ne peut davantage être constitutif d'une faute ; qu'enfin, l'intimé a, dans un courriel du 22 février 2019, non pas refusé catégoriquement d'effectuer pour le compte de ce même client une tâche manuelle de conditionnement d'une durée d'une journée en se rendant en Chine, mais soulevé une difficulté liée à un risque tenant à la réglementation chinoise et à une éventuelle responsabilité de sa part ; que rassuré par son interlocuteur sur une éventuelle contravention à la réglementation locale, monsieur [W] a finalement, non seulement accepté cette tâche dans un courriel du 26 février 2019, mais également proposé une date pour y procéder ; qu'aucun grief ne saurait donc être retenu à ce titre ;

Que s'agissant du second, le client Bombay Dental & Surgical, il ressort d'un courriel du 31 mars 2019 émanant de son directeur que celui-ci fait part de façon circonstanciée à monsieur [B] [I], manager général de la société, de la situation délicate du marché indien et de son entreprise, confrontés à la concurrence sérieuse des produits chinois conjuguée à l'augmentation des prix des produits de la société ; que cette correspondance qui est en réalité une alerte et un appel à la discussion sur les relations à venir pour contrer la concurrence, ne met pas en cause monsieur [W], sauf à indiquer simplement qu'il n'a pas répondu à leur demande de reprise des invendus portant sur d'anciens produits ;

Qu'au contraire, les échanges électroniques communiqués par l'intimé démontrent que les relations sont excellentes avec ce client, et qu'il a même dédramatisé une tension provoquée à son insu par l'envoi d'un rappel de paiement sous peine d'action en justice par la société, vécue comme une offense par ce client asiatique ;

Que ce prétendu grief n'étant pas constitué à l'encontre de l'agent, il ne saurait constituer une faute grave imputable à celui-ci ;

- absence de communication sur le respect des obligations sociales et fiscales,

Attendu que la société s'appuie sur un prétendu courriel anonyme reçu via son site internet, dont elle indique reprendre les termes dans le corps de ses écrits, pour prétendre que son agent n'aurait pas fait preuve de transparence sur le respect de ses obligations fiscales et sociales ;

Que monsieur [W] juge ce grief particulièrement infamant et s'étonne de la précision du supposé courriel anonyme ; qu'il conteste fermement ce qu'il qualifie être de fausses accusations de nature à porter atteinte à son honneur et sa probité ;

Attendu que si, aux termes de son contrat, l'agent s'engage à faire tout ce qui est en son pouvoir pour exercer son activité en conformité avec les réglementations locales en vigueur (registre du commerce, sécurité sociale...), il n'a pas, contrairement à son obligation d'assurance, à en justifier à son mandant, lequel ne prétend d'ailleurs pas l'avoir sollicité à cet égard durant le temps du contrat ;

Que faute pour la société de justifier de ses allégations, qui ne reposent que sur les dires d'un tiers non identifiable, et qu'elle évoque seulement dans le cadre du présent litige, ce grief ne saurait être tenu pour établi ;

- connaissance aléatoire des produits (proposition de produits inexistants ou non enregistrés dans le pays concerné),

Attendu que l'appelante fait le reproche à son agent d'avoir, de façon réitérée, proposé à des clients des produits qui n'étaient pas commercialisés et/ou enregistrés dans la zone concernée voire qui n'existaient pas, la mettant ainsi en porte-à-faux tant vis à vis de ceux-ci que des réglementations locales en vigueur ;

Que l'intimé estime vexatoire le grief tenant à la méconnaissance des produits alors qu'aucun reproche ne lui a été adressé à ce sujet en douze années de présence dans l'entreprise et que la proposition d'un produit, même non enregistré, relève précisément de la prospection commerciale ;

Attendu en premier lieu qu'il ressort des échanges électroniques communiqués que l'agent a effectivement proposé à la vente des produits qui n'étaient pas enregistrés dans le pays dans lequel se trouvait le client et que l'information lui est à chaque fois rappelée par son interlocuteur interne ; qu'il n'est toutefois pas démontré que ces agissements aient donné lieu à un avertissement en des termes clairs ou une injonction de s'abstenir à l'avenir de telles pratiques ; que la cour relève en outre que l'argument de l'intimé consistant à expliquer que la proposition d'un produit non encore enregistré dans le pays participe du travail de prospection commerciale et que l'enregistrement peut intervenir a posteriori n'est pas contredit de façon convaincante par l'appelante ; qu'ainsi dans sa réponse du 23 novembre 2018, monsieur [Y] indique à monsieur [W] : « nous avons analysé ta demande ce matin et nous te confirmons que la commande ne sera pas traitée tant que les aspects réglementaires ne seront pas complètement solutionnés » ;

Que par ailleurs dans son courriel du 1er février 2018, monsieur [T] [U], directeur général, s'adresse à monsieur [W] en ces termes : « Bonjour [Z], ce courrier adressé à nos clients est inacceptable (souligné). Les produits ne sont pas disponibles à tous les clients. Merci de vous référer aux consignes des mails envoyés le 31 janvier et me proposer vos clients stratégiques pour le développement simultané des gammes MM et Gen Endo. Il faut notamment respecter des engagements et un contrat spécifique sera émis. De plus les produits ne sont pas disponibles immédiatement dans tous les pays. Il faut passer par une phase d'enregistrement. Ce courriel est véritablement hors stratégie MM et ne me convient pas du tout. J'attends vos propositions de partenariat avec business plans. En attendant aucune demande ne sera validée par l'ADV » ;

Attendu que si la teneur de ce message laisse incontestablement transparaître un agacement devant le courriel adressé par l'intimé à l'ensemble de ses interlocuteurs, il ressort toutefois de la suite de l'échange que les propos se normalisent et qu'aucun avertissement formel n'a été finalement adressé à l'intéressé à ce sujet ; qu'au contraire, le même directeur général s'adresse à l'intimé dans un message électronique du 18 septembre 2018, soit sept mois plus tard, en lui indiquant simplement avoir « un petit souci avec la vente du GenTaper en Indonésie » au motif que « cette décision ne (lui) semble pas avoir été prise et en plus est contraire à la stratégie mise en place » ;

Qu'ainsi à supposer qu'une telle pratique réitérée ait constitué une faute de la part de l'agent, l'absence de réaction formelle de la part de la société à chaque acte constaté sous la forme d'un avertissement d'avoir à cesser cette pratique, qui puisse être interprétée par son destinataire comme une mise en garde, doit s'analyser comme une tolérance, de sorte que de tels actes ne sauraient fonder à eux seuls une rupture du mandat pour faute grave imputable à monsieur [W] ;

- émissions d'offres promotionnelles de produits non autorisées par la direction,

Attendu que l'appelante reproche encore à son agent d'avoir proposé des offres promotionnelles à ses clients non préalablement validées par elle et ce, de façon réitérée ;

Attendu qu'aux termes de son contrat, monsieur [W] n'était pas autorisé à engager juridiquement son mandant et en particulier ne pouvait pas, sans l'accord de celui-ci, notamment, offrir des produits à la vente à des prix qui n'avaient pas été agrées par la société et accorder des rabais, des conditions de paiement ou convenir avec les clients d'autres modifications des contrats déjà conclus sans l'accord du mandant ;

Que par échanges du 12 novembre 2015, monsieur [W] a sollicité la validation a posteriori de rabais proposés dans une offre commerciale au client KZN Dental Suppliers ; que le service clients lui rappelait en retour que sans validation des offres promotionnelles émises, la commande ne pourrait être traitée à son arrivée et monsieur [V] [K], directeur commercial, lui rappelait le jour même que les offres de prix devaient être préalablement autorisées par la direction, qu'en tant qu'agent son contrat ne l'autorisait pas à engager la responsabilité de la société sans son accord et lui demandait à l'avenir de « respecter scrupuleusement ce point », en ajoutant que pour le client sud-africain il n'avait cependant « pas d'autre choix que de valider ces offres », mettant ainsi celui-ci devant le fait accompli ;

Que dans un échange électronique du 27 juillet 2016, la directrice marketing rappelait encore monsieur [W] à raison, en l'invitant à ne plus s'engager sur « de telles dépenses marketing ni pour 2016, ni pour 2017 ... » lui rappelant à cette occasion, en parlant des clients, qu'ils en « demandent beaucoup ' maintenant il faut recevoir » ;

Qu'aux termes d'un échange du 7 septembre 2018, l'intimé écrivait à monsieur [T] [U], directeur général, qu'il avait suivi les instructions mais qu'il estimait pouvoir lui-même valider de telles offres ; que l'intéressé lui répondait que s'ils devaient définir le degré de liberté sur les offres et discuter de la marge de manoeuvre, il lui rappelait néanmoins : « actuellement, comme vous le savez déjà je souhaite que les prix de vente soient maintenus aux prix de liste » ;

Qu'alors que l'agent tentait d'obtenir la transmission du coût usine des produits afin de calculer lui-même les marges, aspirant à davantage de transparence à cet égard, Monsieur [B] [I] lui répondait le 21 décembre 2018 que cette information était confidentielle et lui rappelait que seul le listing de prix était applicable et que sa référence devait demeurer la base tarifaire qui avait été définie et validée ;

Que dans un courriel du 11 décembre 2018, monsieur [Y] rappelait encore à l'intimé qu'il était impossible d'autoriser le tarif de 1,40 euros la plaquette au motif qu'il n'était pas cohérent avec celui pratiqué pour d'autres clients, que le tarif avait été validé à 1,50 euros pour l'année 2018 et que cette décision lui avait été notifiée le 29 janvier 2018 ; que Monsieur [B] [I] lui rappelait à son tour dans un message du même jour : « [Z], la base tarif APAC est notre règle de gestion et tu ne peux pas décider unilatéralement de l'application d'offre sans notre aval et celui de ton directeur de zone » ; que s'il ajoute qu'il va « regarder pour protocoler ce mode de travail afin d'éclaircir et simplifier les relations » c'est par une interprétation hasardeuse que monsieur [W] tire de cette mention l'intention de son auteur d'aller vers davantage de marge de manoeuvre au profit des agents commerciaux ;

Qu'enfin le 10 janvier 2019, le directeur des ventes « Asie Pacifique » informait monsieur [W] qu'il ne pouvait valider l'offre faite par lui aux clients de certains pays pour une durée de trois mois ; que s'il indiquait être ouvert à soutenir certains clients sur une période courte s'ils s'engageaient à répercuter les offres aux clients finaux et qu'une réflexion était en cours dans le cadre de la nouvelle grille tarifaire 2019, monsieur [W] ne peut en déduire qu'il disposait de fait d'une marge de manoeuvre pour proposer de sa propre initiative des offres promotionnelles, alors qu'il ressort des développements qui précèdent qu'il a été constamment rappelé à l'ordre par son mandant à cet égard sans en tenir le moindre compte ;

Qu'à telle enseigne que le 4 mars 2019 encore, l'assistante « service clients » l'informait que le client KZN réclamait des produits gratuits alors que l'offre qui lui avait été faite par celui-ci n'était pas applicable ; que ce dernier suggérait alors que ces produits gratuits soient passés sur le budget marketing, ce que refusait son mandant à la suite d'une décision interne, lequel l'invitait instamment à informer lui-même ce client et tous les autres destinataires de la même offre que celle-ci n'était pas applicable ;

Attendu qu'il résulte des motifs qui précèdent que monsieur [W] a, incontestablement, contrevenu au périmètre de son contrat d'agence en proposant, de sa propre initiative et avant toute validation de son mandant, des rabais ou offres promotionnelles excédant les pouvoirs qui lui étaient attribués et ce, de façon réitérée en dépit des nombreux rappels qui lui étaient adressés afin qu'il respecte les limites contractuellement définies ; que des échanges électroniques internes attestent que plusieurs interlocuteurs de l'intéressé s'émouvaient de ce qu'il dépassait à l'évidence les limites de ce qui était acceptable de la part d'un agent commercial en terme de liberté d'action au regard de son contrat et des limites qui y étaient fixées ;

Qu'il s'ensuit, sans qu'il soit nécessaire d'examiner le surplus des griefs articulés à l'encontre de monsieur [W] par l'appelante et en dépit du rejet des autres griefs précédemment examinés, que la société rapporte la preuve suffisante que la rupture du contrat d'agence est fondée sur la faute grave ainsi constituée au regard de l'article 3.1 du contrat, tant le comportement réitéré du mandataire, mettant sans cesse son mandant devant le fait accompli en violation du périmètre qui lui était défini et rappelé, s'est avéré incompatible avec une poursuite du contrat ;

Que le jugement déféré qui a retenu qu'aucune faute grave n'était démontrée par la société à l'encontre de son mandataire doit par conséquent être infirmé de ce chef ;

* Sur l'indemnisation du préjudice,

Attendu qu'en application des articles L.134-11, L.134-12 et L.134-13 du code de commerce précédemment visés, monsieur [W], dont la rupture du contrat d'agent commercial est fondée sur une faute grave qui lui est imputable, ne peut valablement se prévaloir du bénéfice des dispositions relatives au délai de préavis et ne peut réclamer l'indemnité compensatrice du préjudice subi du fait de la rupture ; qu'il ne peut davantage solliciter l'allocation de dommages-intérêts pour rupture abusive ;

Qu'il s'ensuit que le jugement qui l'a indemnisé à ces divers titres doit être infirmé de ces chefs et l'intimé débouté de son appel incident ;

* Sur les demandes accessoires,

Attendu que monsieur [W], qui succombe, sera condamné à verser à son contradicteur une indemnité de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et supportera les dépens de première instance et d'appel, les dispositions afférentes de la décision entreprise étant infirmées ;

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi,

Infirme en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de grande instance de Besançon rendu le 17 décembre 2019.

Statuant à nouveau,

Dit que la rupture du contrat d'agent commercial liant monsieur [Z] [W] à la SA Micro-Mega est fondée sur la faute grave du mandataire.

Déboute monsieur [Z] [W] de ses demandes d'indemnisation liées à cette rupture.

Le condamne à payer à la SA Micro-Mega la somme de quatre mille (4 000) euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.

Le condamne aux dépens de première instance et d'appel.

Ledit arrêt a été signé par monsieur Edouard Mazarin, président de chambre, magistrat ayant participé au délibéré, et par Mme Fabienne Arnoux, greffier.

Le greffier,le président de chambre


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Besançon
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 20/00269
Date de la décision : 06/10/2020

Références :

Cour d'appel de Besançon 01, arrêt n°20/00269 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-10-06;20.00269 ?
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