ARRÊT N°
JFL/CB
COUR D'APPEL DE BESANÇON
- 172 501 116 00013 -
ARRÊT DU 23 AVRIL 2019
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE
Contradictoire
Audience publique
du 12 mars 2019
N° de rôle : N° RG 17/01663 - N° Portalis DBVG-V-B7B-D25Y
S/appel d'une décision
du TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE LONS LE SAUNIER
en date du 07 juin 2017 [RG N° 15/00803]
Code affaire : 53B
Prêt - Demande en remboursement du prêt
[E] [X] C/ CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE FRANCHE COMTE
PARTIES EN CAUSE :
Monsieur [E] [X]
né le [Date naissance 1] 1979 à [Localité 4] - de nationalité française,
demeurant [Adresse 3]
APPELANT
Représenté par Me Jean-philippe NARJOZ DELATOUR de la SELARL JURIS FRANCHE-COMTE, avocat au barreau de JURA
ET :
CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE FRANCHE COMTE
Activité : ORGANISME BANCAIRE,
dont le siège est sis [Adresse 2]
INTIMÉ
Représenté par Me Jean-marie LETONDOR de la SCP LETONDOR - GOY LETONDOR, avocat au barreau de JURA
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors des débats :
PRÉSIDENT : Monsieur Edouard MAZARIN, Président de chambre.
ASSESSEURS : Madame A. CHIARADIA et Monsieur Jean-François LEVEQUE (magistrat rapporteur) , Conseillers.
GREFFIER : Madame D. BOROWSKI, Greffier.
lors du délibéré :
PRÉSIDENT : Monsieur Edouard MAZARIN, Président de chambre
ASSESSEURS : Madame A. CHIARADIA et Monsieur Jean-François LEVEQUE, Conseillers.
L'affaire, plaidée à l'audience du 12 mars 2019 a été mise en délibéré au 23 avril 2019. Les parties ont été avisées qu'à cette date l'arrêt serait rendu par mise à disposition au greffe.
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Exposé du litige
Par offre acceptée le 21 février 2008, la société Crédit Agricole de Franche-Comté (ci après le Crédit agricole ou la banque) a prêté à M. [E] [X], résident français travaillant en Suisse et désireux d'acquérir un terrain à bâtir situé en France, la contre-valeur en francs suisses de 87 740 euros, remboursable en 300 mensualités à taux révisable égales à la contre-valeur en francs suisses d'un montant fixé en euros.
Après divers impayés survenus à compter du mois de mars 2014, suivis d'une vaine mise en demeure de régulariser en date du 20 novembre 2014, la banque a prononcé la déchéance du terme et, par exploit d'huissier délivré le 10 août 2015, a assigné l'emprunteur en remboursement d'une somme de 98 680,21'euros, outre accessoires.
Par jugement rendu le 7 juin 2017 soumis à la cour, le tribunal de grande instance de Lons-le-Saunier, retenant que le capital prêté comme les mensualités de remboursement étaient stipulées en devises et non en euro comme le soutenait l'emprunteur, et que le taux d'intérêt variable pratiqué par la banque était conforme au contrat qui indexe ce taux sur le cours de l'Eurodevise non pas sur le taux Libor, a :
- condamné M. [X] à payer au Crédit agricole la somme demandée de 98 680,21 euros avec intérêts au taux de 3.38 % sur 91 468,17 euros à compter du 6 février 2015 et au taux légal à compter du 10 août 2015,
- rejeté toute autre demande,
- et condamné M. [X] aux dépens.
M. [X] a interjeté appel total de cette décision par déclaration parvenue au greffe le 31 juillet 2017 et, par conclusions transmises le 27 juillet 2018, il demande à la cour de :
- débouter le Crédit agricole de l'ensemble de ses demandes,
- le condamner à produire un tableau d'amortissement récapitulatif du prêt litigieux, sous astreinte de 2 000 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir,
- le condamner à lui payer 20 000 euros en réparation de son préjudice,
- subsidiairement prononcer la résolution du prêt litigieux,
- condamner le Crédit agricole à lui payer 7 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
A cet effet, l'appelant soutient à titre principal que le contrat portait sur un capital emprunté en euros et amortissable en euros, dont les remboursements, à partir des salaires perçus en francs suisses qu'il déposait sur son compte en devises ouvert au Crédit agricole, devaient être effectués en francs suisses pour la contre-valeur de l'échéance libellée en euros.
A titre subsidiaire, il soutient que le contrat créait entre les parties un déséquilibre significatif, abusif au sens de l'article L.132-1 devenu L.212-1du code de la consommation, en faisant supporter le risque de change sue le seul emprunteur.
L'intimée, par conclusions enregistrées le 21 décembre 2018, demande à la cour de confirmer le jugement déféré et condamner l'appelant à lui payer 2 500 euros au titre des frais irrépétibles, ainsi qu'aux dépens.
A cet effet, le Crédit agricole soutient que le contrat portait sur le prêt de devises et était remboursable en devises, que la demande de communication d'un tableau d'amortissement a déjà été satisfaite ensuite de la demande incidente présentée au conseiller de la mise en état, que les demandes formées pour la première fois devant la cour aux fins d'une part de résolution du prêt, et d'autre part de réparation d'un préjudice, sont irrecevables par application des articles 564 et 565 du code de procédure civile, que les dispositions de l'article L.212-2 du code de la consommation relatives aux clauses abusives ne portent pas sur les clauses claires et compréhensibles relatives à l'objet principal du contrat et à l'adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert, et que l'effet des mêmes dispositions est de rendre la clause abusive non écrite, et non d'emporter la résolution de l'entier contrat.
Il est renvoyé aux écritures des parties pour plus ample exposé de leurs moyens de fait et de droit, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
L'affaire a été clôturée le 26 décembre 2018, fixée à l'audience du 12 mars 2019 et la décision a été mise en délibéré au 23 avril 2019.
Motifs de la décision
- Sur la nature du prêt et la production d'un tableau d'amortissement modifié,
A titre principal, l'appelant demande cumulativement que le prêteur soit débouté de sa demande en remboursement du prêt et qu'il soit condamné à produire un tableau d'amortissement conforme à une lecture exacte du contrat, appuyant ces deux prétentions sur les mêmes motifs, selon lesquels le prêteur aurait inexactement considéré lui avoir prêté des francs suisses remboursables en francs suisses alors qu'il s'agissait en réalité d'un prêt en euros.
Les pièces contractuelles produites aux débats montrent que l'offre de prêt est intitulée 'opération devise mlt', que le contrat exprime le montant du capital et des échéances en contre-valeur en francs suisses de montants en euros, que le taux du prêt est indexé sur celui de la devise suisse sur le marché des changes à [Localité 5], que le contrat stipule la déchéance du terme en cas de perte de la qualité de travailleur frontalier et assortit cette déchéance d'une conversion en euros de la créance du prêteur, non sans rappeler à l'emprunteur qu'il était exposé au risque de change, emprunteur de surcroît destinataire d'une notice d'information relative aux prêts en devises, des documents d'information obligatoire mentionnant un capital restant dû et des échéances exprimées en francs suisses, et de relevés de compte bancaires désignant le prêt litigieux par les mots 'PRET CHF'.
Si effectivement les parties ont pu utiliser parfois l'euro à titre indicatif au cours de la phase pré-contractuelle antérieure à l'acceptation de l'offre, notamment en raison du fait que le financement concernait un terrain acheté en euros, et si lors des premières difficultés de paiement la banque a pu prélever ponctuellement quelques échéances sur le compte en euros de l'emprunteur et non comme antérieurement sur son compte en devises, les clauses du contrat et les autres pièces précédemment énumérées démontrent clairement que monsieur [X] a emprunté des francs suisses et devait les rembourser dans la même devise grâce à la rémunération de son emploi en Suisse, sauf conversion en euros des sommes restant dues en cas de déchéance du terme.
L'avis contraire du cabinet Finovea Conseils, sollicité par monsieur [X], est sans emport dès lors qu'il procède d'une lecture inexacte des clauses claires du contrat, à la différence du médiateur auprès de la fédération française de banque qui, lui aussi saisi par M. [X], lui a répondu exactement que le prêt litigieux était en devises.
Il en résulte que le tableau d'amortissement invoqué par la banque n'encourt pas la critique pour avoir été établi au regard d'un prêt en francs suisses.
Ce tableau n'encourt pas davantage la critique au titre du taux d'intérêt, le premier juge ayant exactement retenu que le taux d'intérêt variable pratiqué par la banque était conforme au contrat, qui indexe ce taux sur le cours de l'Eurodevise non pas sur le taux Libor invoqué par l'appelant.
En conséquence, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a, au titre du rejet de « toute autre demande », rejeté en particulier la demande en condamnation du prêteur à produire un tableau d'amortissement modifié.
Sur la résolution du prêt litigieux,
La demande en résolution du prêt litigieux, bien que non présentée au premier juge, est recevable devant la cour dès lors qu'elle tend à faire écarter les prétentions adverses au sens de l'article 564 du code de procédure civile.
Est inopérant le moyen tiré par l'appelant des dispositions de l'article L.132-1 du code de la consommation dans sa rédaction applicable au contrat, selon lesquelles « dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives et réputées non écrites les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat », dès lors que le contrat litigieux, en stipulant que « le risque de change sera supporté en totalité par l'emprunteur », prévoyait seulement que l'emprunteur assumerait seul ce risque s'il venait à se réaliser en sa défaveur, sans pour autant le priver des bénéfices que lui aurait procurés une évolution favorable de l'aléa cambiaire, laissant ainsi l'une et l'autre des parties exposée de façon équilibrée au risque de change, ce qui prive d'application le texte invoqué.
Ainsi, le déséquilibre contractuel n'étant pas caractérisé, il est indifférent à la validité du contrat que le risque se soit finalement réalisé en défaveur de l'emprunteur, à qui la forte dépréciation de l'euros par rapport au franc suisse, intervenue après la conclusion du contrat, a fait subir lourdement, à la déchéance du terme, la conversion en euros des sommes restant dues en francs suisses.
En conséquence, il sera ajouté au jugement déféré pour débouter monsieur [X] de sa demande en résolution du prêt.
Le montant des sommes réclamées apparaissant justifié par les pièces produites et n'étant pas contesté autrement que par les moyens précédemment rejetés, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a condamné M. [X] à payer au Crédit agricole la somme demandée de 98 680,21 euros avec intérêts au taux de 3.38 % sur 91 468,17 euros à compter du 6 février 2015 et au taux légal sur le surplus à compter du 10 août 2015.
- Sur les dommages et intérêts,
La demande en dommages et intérêts, que l'appelant n'avait pas présentée au premier juge et qu'il motive par le préjudice résultant pour lui de ce que la banque aurait sciemment et de façon intéressée modifié l'économie du contrat de prêt en l'interprétant à tort comme un prêt en devises, est recevable dès lors qu'elle constitue la conséquence des défenses soumises au premier juge au sens de l'article 566 du code de procédure civile.
L'appelant en sera toutefois débouté en l'absence de faute de la banque, dont la cour a retenu qu'elle avait fait une exacte application du contrat.
- Sur les frais irrépétibles et les dépens,
L'appelant, qui succombe en appel, sera condamné au dépens, débouté de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile, et condamné au même titre à payer à la banque la somme de 2 500 euros, la décision déférée étant confirmée en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens de première instance.
Par ces motifs
La cour, statuant contradictoirement après débats en audience publique et en avoir délibéré conformément à la loi,
Déclare recevables les demandes de monsieur [E] [X] tendant à la résolution du contrat et au paiement de dommages et intérêts.
Le déboute de l'une et l'autre de ces demandes.
Confirme la décision rendue entre les parties le 7 juin 2017 par le tribunal de grande instance de Lons-le-Saunier.
Condamne monsieur [E] [X] à payer à la société Crédit Agricole de Franche-Comté la somme de 2 500 euros (deux mille cinq cents euros) au titre des fais irrépétibles.
Le déboute de sa demande formée du même chef.
Le condamne aux dépens.
Accorde, aux avocats de la cause qui l'ont demandé, le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile.
Ledit arrêt a été signé par M. Edouard Mazarin, président de chambre, magistrat ayant participé au délibéré, et par Mme Dominique Borowski, greffier.
Le Greffier,le Président de chambre