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20/11/2018 | FRANCE | N°17/00918

France | France, Cour d'appel de Besançon, 1ère chambre, 20 novembre 2018, 17/00918


ARRÊT N°



JFL/CB



COUR D'APPEL DE BESANÇON

- 172 501 116 00013 -



ARRÊT DU 20 NOVEMBRE 2018



PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE









Contradictoire

Audience publique

du 16 octobre 2018

N° de rôle : N° RG 17/00918 - N° Portalis DBVG-V-B7B-DZNU



S/appel d'une décision

du TRIBUNAL DE COMMERCE DE LONS-LE-SAUNIER

en date du 10 mars 2017 [RG N° 2015J00025]

Code affaire : 58Z

Demande relative à d'autres contrats d'assurance







Société DEPEYRE ENTREPRISES C/ SAS PAGET APPROBOIS, Société ALPHA INSURANCE







PARTIES EN CAUSE :





Société DEPEYRE ENTREPRISES

dont le siège est [...]



APPELANTE



Représentée p...

ARRÊT N°

JFL/CB

COUR D'APPEL DE BESANÇON

- 172 501 116 00013 -

ARRÊT DU 20 NOVEMBRE 2018

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE

Contradictoire

Audience publique

du 16 octobre 2018

N° de rôle : N° RG 17/00918 - N° Portalis DBVG-V-B7B-DZNU

S/appel d'une décision

du TRIBUNAL DE COMMERCE DE LONS-LE-SAUNIER

en date du 10 mars 2017 [RG N° 2015J00025]

Code affaire : 58Z

Demande relative à d'autres contrats d'assurance

Société DEPEYRE ENTREPRISES C/ SAS PAGET APPROBOIS, Société ALPHA INSURANCE

PARTIES EN CAUSE :

Société DEPEYRE ENTREPRISES

dont le siège est [...]

APPELANTE

Représentée par Me Sandrine X... de la Y... - LEXAVOUE BESANCON, avocat au barreau de BESANCON et Me Jean-François Z..., avocat au barreau de PARIS

ET :

SAS PAGET APPROBOIS

dont le siège est [...]

INTIMÉE

Représentée par Me Benoît A... de la SCP A... & ASSOCIES, avocat au barreau de BESANCON

Société ALPHA INSURANCE

dont le siège est [...]

INTIMÉE

Représentée par Me Bruno B..., avocat au barreau de BESANCON

et Me Carole C..., avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors des débats :

PRÉSIDENT : Monsieur Edouard MAZARIN, Président de chambre.

ASSESSEURS : Madame A. CHIARADIA et Monsieur Jean-François LEVEQUE (magistrat rapporteur) , Conseillers.

GREFFIER : Madame D. BOROWSKI, Greffier.

lors du délibéré :

PRÉSIDENT : Monsieur Edouard MAZARIN, Président de chambre

ASSESSEURS : Madame A. CHIARADIA et Monsieur Jean-François LEVEQUE, Conseillers.

L'affaire, plaidée à l'audience du 16 octobre 2018 a été mise en délibéré au 20 novembre 2018. Les parties ont été avisées qu'à cette date l'arrêt serait rendu par mise à disposition au greffe.

**************

Exposé du litige

La société par actions simplifiées Paget Approbois (la SAS Paget) a souscrit auprès de la société à responsabilité limitée Depeyre Entreprise (la SARL Depeyre), courtier et agent général d'assurance, une police d'assurance « multirisque industrielle » portant la mention « Compagnie: Alpha Insurance - 11/0002 », avec effet au 1er janvier 2011.

Le 20 mai 2012, la grêle s'est abattue sur deux sites exploités par l'assurée, qui a remis une déclaration de sinistre à la SARL Depeyre dès le lendemain et une expertise amiable a permis d'évaluer son préjudice matériel. Toutefois, la SARL Depeyre n'a jamais indemnisé l'assurée et lui a finalement fait connaître, par lettre du 7 janvier 2013, qu'elle avait été assurée par l'intermédiaire d'une société belge D..., que ses assureurs avaient été la société britannique United et la société roumaine Euroins à compter du 1er janvier 2012, mais que depuis le 1er janvier 2013 elle n'avait plus d'assureur, ces compagnies ayant, depuis cette date, retiré à la société D... toute possibilité de garantie sur le territoire français.

La SAS Paget, après vaine mise en demeure délivrée à la SARL Depeyre le 26 mars 2013, l'a assignée le 9 février 2015 aux fins d'indemnisation de son préjudice matériel et d'expertise de son préjudice financier. Elle a également assigné, par acte du 10 juin 2015, la société danoise Alpha Insurance, qui, selon la défense de la SARL Depeyre, était le véritable assureur de la SAS Paget.

Par jugement rendu le 10 mars 2017, le tribunal de commerce de Lons-le-Saunier, retenant que la SAS Paget n'avait pas été assurée, que la SARL Depeyre avait manqué à l'obligation de conseil que lui imposait l'article L.520-1 du code des assurances, et à son mandat en n'accomplissant pas les diligences utiles pour que la SAS Paget soit assurée correctement, qu'elle se trouvait en conséquence responsable des conséquences du défaut d'assurance, qu'aucune expertise n'était utile puisque l'assuré avait accepté le montant de l'indemnisation de son préjudice matériel, et que, par ailleurs, le tribunal n'avait pas « à interférer dans le débat entre la compagnie Alpha Insurance et le cabinet Depeyre » a :

- rejeté la demande d'expertise,

- rejeté l'appel en garantie formé par la SARL Depeyre contre la société Alpha Insurance,

- condamné la SARL Depeyre à payer à la SAS Paget la somme de 335.089,19€ au titre de l'indemnisation du sinistre subi le 20 mai 2012, avec intérêts au taux légal à compter du 26 mars 2013,

- ordonné l'exécution provisoire,

- condamné la SARL Depeyre à payer, en application de l'article 700 du code de procédure civile, la somme de 7.000 € à la SAS Paget et celle de 2.500 € à la société Alpha Insurance,

- condamné la SARL Depeyre aux dépens,

- rejeté toute autre demande.

La SARL Depeyre a interjeté appel total de cette décision par déclaration parvenue au greffe le 20 avril 2017 et par conclusions transmises le 10 novembre 2017, elle demande à la cour de :

- infirmer le jugement sauf en ce qu'il a rejeté la demande d'expertise,

- dire que la société Alpha Insurance doit sa garantie à la société Paget Approbois,

- dire que le recours contre elle est non fondé,

- subsidiairement si la garantie contractuelle de la société Alpha Insurance n'était pas retenue, condamner la société Alpha Insurance à prendre en charge le préjudice sur le fondement de l'article L. 511-1 du code des assurances et débouter toutes parties de toutes demandes dirigées contre elle,

- plus subsidiairement si sa responsabilité était retenue, limiter l'indemnisation à 50 % au titre de la perte de chance et condamner la société Alpha Insurance à la garantir de toute condamnation,

- et en tout état de cause, condamner tout succombant à lui payer 7.000 € pour ses frais irrépétibles, ainsi qu'aux dépens.

A cet effet, l'appelante soutient que le contrat d'assurance n'a pas été conclu avec elle-même mais avec la société Alpha Insurance, que reconduit tacitement, non résilié et non transféré à des sociétés tierces, il était en vigueur à la date du sinistre, que subsidiairement, si l'obligation d'assureur de la société Alpha Insurance n'était pas retenue, celle-ci serait responsable au titre de la faute de son mandataire, la société D..., sur le fondement de l'article L.511-1 du code des assurances, et que, toujours si la garantie de la société Alpha Insurance n'était pas retenue, les conditions de la responsabilité subsidiaire de l'intermédiaire d'assurance ne sont pas réunies.

Plus subsidiairement, elle soutient que le préjudice résultant de la faute d'un intermédiaire en assurance se limite à la non indemnisation par l'assureur, et qu'enfin la société Alpha Insurance devra la garantir de toutes condamnations par application de l'article L.511-1 du code des assurances et des articles 1242, 2004 et 2005 du code civil.

La SAS Paget intimée, par conclusions portant appel incident enregistrées le 12 février 2018, demande à la cour de :

- confirmer les condamnations à paiement de la SARL Depeyre aux titres de l'indemnisation du sinistre, des frais irrépétibles et des dépens,

- y ajouter la condamnation in solidum de la société Alpha Insurance aux mêmes montants,

- condamner in solidum les sociétés Depeyre et Alpha Insurance à l'indemniser de son préjudice immatériel,

- avant dire droit, confier à un expert-comptable judiciaire la mission de chiffrer les préjudices financiers et comptables qu'elle a subis et mettre à la charge des sociétés Depeyre et Alpha Insurance les frais d'expertise,

- les condamner in solidum à lui payer 8.000 € pour ses frais irrépétibles, ainsi qu'à supporter les entiers dépens, avec distraction au profit de « A... et associés ».

A cet effet, la SAS Paget soutient principalement que son assureur était la SARL Depeyre, que s'il était retenu au contraire que l'assureur était la société Alpha Insurance, la garantie était en vigueur à la date du sinistre, ayant été tacitement reconduite sans qu'une manifestation de consentement ait été nécessaire, et n'ayant de plus été ni résiliée ni transférée à des sociétés tierces. L'intimée ajoute que la société Alpha Insurance est responsable de son préjudice au titre des fautes commises par son mandataire la société D... en application de l'art. L.511-1 du code des assurances, nonobstant la révocation du mandat qui n'avait pas été portée à sa connaissance. L'intimée soutient encore que la SARL Depeyre a commis une faute en s'abstenant de vérifier l'efficacité de l'assurance souscrite par son client. Même en cas de mobilisation de la garantie due par Alpha Insurance, l'intimée estime que la SARL Depeyre doit être condamnée in solidum à ses côtés, dès lors que le sinistre date de 2012 et que c'est en raison de sa mauvaise gestion de l'assurance que l'indemnisation n'est pas intervenue en temps et en heure. Enfin, l'intimée soutient subir un préjudice immatériel résultant d'une perte de capacité de production, de l'impossibilité de répondre aux demandes de ses clients, et du fait que sa situation serait meilleure si l'indemnisation avait été plus rapide.

La société Alpha Insurance, par conclusions enregistrées le 14 novembre 2017, demande à cour de :

- confirmer le jugement déféré,

- rejeter comme irrecevables les prétentions contradictoires de la SAS Paget et de la SARL Depeyre qui soutiennent simultanément qu'elle était restée assureur à compter du 1er janvier 2012 et qu'elles auraient traité dans l'ignorance de la révocation du mandat d'D...,

- débouter la SAS Paget de ses demandes dirigées contre elle,

- subsidiairement la débouter de sa demande d'expertise et d'indemnisation d'un préjudice immatériel,

- toujours subsidiairement, dire que l'expertise amiable du préjudice matériel ne lui est pas opposable,

- débouter la SARL Depeyre de l'intégralité de ses demandes et la condamner à lui payer 5.000€ pour ses frais irrépétibles et à supporter les dépens.

A cet effet, la société Alpha Insurance soutient qu'elle a effectivement été l'assureur de la SAS Paget à compter du 1er janvier 2011, par l'intermédiaire du courtier belge D..., mais qu'elle ne l'était plus à la date du sinistre, d'une part parce que le contrat n'a pas été reconduit en l'absence de renouvellement de son consentement, lequel n'avait pu être donné par son mandataire la société D... dont le mandat avait été résilié avec effet au 31 décembre 2011, d'autre part parce que le contrat avait été transféré à d'autres assureurs. Elle ajoute que les sociétés Depeyre et Paget se contredisent en soutenant tout à la fois que la police aurait été transférée à de nouveaux assureurs et qu'elle serait restée assureur pendant la même période. Selon elle, la situation de la SAS Paget résulte exclusivement de la faute de la SARL Depeyre qui savait parfaitement qu'Alpha Insurance n'était plus l'assureur et aurait dû faire des vérifications sur les nouveaux assureurs, alors qu'elle-même n'a pas commis de faute et n'est pas responsable de celles de son courtier D..., à qui elle avait retiré son mandat à effet du 31 décembre 2011. Elle ajoute que la SARL Depeyre se contredit en soutenant simultanément avoir été dans l'ignorance de la révocation du mandat d'D... et que celui-ci avait indiqué dans ses actes que la garantie avait été transférée sur d'autres assureurs. Elle ajoute encore que la SAS Paget se contredit également en soutenant simultanément n'avoir jamais eu connaissance d'Alpha Insurance et avoir appris son existence à la réception de l'avenant prenant effet à l'anniversaire de la souscription, cette contradiction rendant ses prétentions irrecevables. Enfin, la société Alpha Insurance, soutient que la preuve d'un préjudice immatériel s'ajoutant à celui pris en compte par le premier juge n'est pas rapportée, aucun élément nouveau ne justifiant de remettre en cause l'appréciation du premier juge sur le préjudice

Il est renvoyé aux écritures des parties pour plus ample exposé de leurs moyens de fait et de droit, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

L'affaire a été clôturée le 25 septembre 2018 et fixée à l'audience du 16 octobre 2018, à laquelle le conseil de la société Alpha Insurance a annoncé que celle-ci faisait l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire.

La décision a été mise en délibéré au 20 novembre 2018.

Motifs de la décision

- Sur la faillite de la société Alpha Insurance,

A l'audience de plaidoirie, le conseil de la société Alpha Insurance a informé la cour et les autres parties du placement de celle-ci en faillite à compter du 8 mai 2018 par le tribunal maritime et commercial de Copenhague (Danemark), ce dont il a justifié en cours de délibéré, postérieurement à la clôture des débats. Toutefois, malgré l'objection formulée en réponse par la société Depeyre dans son courrier du 29 octobre, la société Alpha Insurance n'a pas établi que la procédure de faillite danoise avait les mêmes effets qu'en droit français sur la poursuite de l'instance et sur la recevabilité des demandes dirigées contre elle. Dès lors, ignorée des parties avant la clôture et n'apparaissant pas revêtir la gravité justifiant de révoquer l'ordonnance de clôture, l'existence de cette procédure de faillite restera étrangère aux débats.

- Sur le débiteur de la garantie d'assurance,

Les parties s'opposent sur le point de savoir si la police d'assurance litigieuse oblige comme assureur la SARL Depeyre, comme le soutient la SAS Paget, ou au contraire la société Alpha Insurance, comme le soutiennent les autres parties. Contrairement à ce que prétend la société Alpha Insurance, les autres parties ne soutiennent pas simultanément que la garantie d'assurance serait due par elle-même et par les sociétés United et Euroins, de sorte qu'elles n'encourent pas le grief de contradiction. Opposées sur la détermination de l'assureur, les parties s'accordent en revanche sur le fait qu'elle doit être effectuée à l'examen de la police versée aux débats, et sur le fait que les obligations de l'assureur et de l'assuré sont définies par la même police.

L'examen du document montre, certes, que figure en tête de chaque page la mention « Cabinet Depeyre, assureurs conseils », mais aussi qu'il a pour titre « Police d'assurance multirisque industriel » immédiatement suivi de la mention « Compagnie : Alpha Insurance ' N° 11/0002», puis de la mention «Assuré : Paget Approbois», et enfin qu'en pied de chaque page figure la référence «Paget Approbois ' MRI n° 11/0002- Alpha Insurance».

De telles mentions, qui identifient clairement la compagnie d'assurance et l'assuré, ne permettent pas d'envisager que l'assureur soit la SARL Depeyre et non la société Alpha Insurance, qui au demeurant confirme avoir été engagée par ce contrat, même si elle soutient s'en être déliée par la suite.

Il est indifférent que la seule mention « compagnie Alpha Insurance - N°11/0002», sans plus de précision sur l'identité et l'adresse de l'assureur, ne réponde pas aux exigences d'identification contractuelle de l'assureur édictées à l'article L.112-4 du code des assurances, dès lors que la violation de ce texte n'a pas pour effet de conférer la qualité d'assureur à l'intermédiaire d'assurance par lequel le contrat a été rédigé et que les parties n'en tirent pas d'autre conséquence. Quant aux dispositions de l'article R.112-1 du code des assurances, également invoquées à ce titre, elles ne concernent pas l'identification de l'assureur.

Il résulte des précédents éléments que la société Alpha Insurance s'est engagée à assurer la SAS Paget dans les termes du contrat produit.

La garantie, conformément au chapitre VI du contrat, a couru du 1er janvier au 31 décembre 2011, puis s'est renouvelée automatiquement d'année en année, sans qu'il ait été besoin que l'assuré ou l'assureur manifeste son consentement, la stipulation du caractère automatique du renouvellement rendant une telle manifestation inutile. Il est donc indifférent que la société Alpha Insurance ait pu, à la date de renouvellement du contrat, avoir révoqué le mandat consenti à son intermédiaire la société D... et avoir ainsi privé celui-ci du pouvoir de consentir pour elle au renouvellement du contrat. Par suite, aucune contradiction n'entache le fait, pour les sociétés Paget et Depeyre de soutenir simultanément que le mandataire avait été révoqué et que le contrat avait pourtant été renouvelé.

Le seul moyen prévu au contrat de faire obstacle au renouvellement automatique du contrat était, pour la partie intéressée, d'adresser à l'autre une dénonciation par lettre recommandée trois mois au moins avant la date d'échéance, ce qui en l'espèce n'a pas été fait.

Il n'apparaît pas davantage que le contrat ait jamais été résilié, étant indifférente la résiliation du mandat donné par la société Alpha Insurance à la société D..., qui n'affecte pas les contrats conclus en exécution de ce mandat avant sa résiliation.

Il en résulte que le contrat, qui le 31 décembre 2011 n'avait pas pris fin mais s'était au contraire automatiquement renouvelé, était en vigueur au 20 mai 2012, date du sinistre.

La société Alpha Insurance n'apporte pas la preuve, qui lui incombait, qu'à la date du sinistre elle n'était plus débitrice de la garantie en raison d'un transfert effectué au profit de la société roumaine Euroins et de la société britannique United. Ne produisant pas aux débats les contrats dont a pu résulter un tel transfert, elle invoque un document intitulé « Avenant de transfert», établi à l'entête de son mandataire la société belge D... SA, non daté sinon par référence à la date de la poste que les pièces produites ne permettent pas de connaître, et surtout dépourvue de toute signature du preneur d'assurance. Ainsi, n'établissant pas que l'assuré a accepté la substitution de nouveaux cocontractants, ni même que son accord a été sollicité, le document invoqué n'a pas pu le décharger de ses engagements envers son cocontractant.

Si effectivement, par ailleurs, l'appel de primes pour l'année 2012 ne mentionne plus la société Alpha Insurance, il n'en résulte pas pour autant que l'assuré a donné son accord au prétendu changement d'assureur.

Au surplus, aucun de ces documents n'établit que la société D... a réellement transféré la garantie donnée par la société Alpha Insurance à des sociétés tierces, que ce soit au profit de la société United, qui n'a jamais répondu à la demande d'attestation de garantie que lui a adressé la SARL Depeyre, ou au profit de la société Euroins, qui a répondu ne connaître ni l'assuré, ni la société D....

Il résulte de ce qui précède qu'à la date du sinistre, la garantie promise à la SAS Paget restait due par la société Alpha Insurance.

C'est donc à tort que le premier juge a retenu que la SAS Paget n'était pas assurée et, ajoutant à leur décision déférée, alors que la condamnation de la société Alpha Insurance ne leur était pas demandée, la cour condamnera la société Alpha Insurance à indemniser la SAS Paget des chefs de préjudice établis.

- Sur la responsabilité de l'intermédiaire d'assurance,

S'agissant des préjudices attachés par la SAS Paget au défaut d'assurance, dès lors que la garantie est due par la société Alpha Insurance, aucune condamnation ne peut être prononcée à l'encontre de la SARL Depeyre. L'assurée demande toutefois que celle-ci soit condamnée solidairement avec l'assureur à l'indemniser de son entier préjudice, nonobstant l'existence de la garantie, aux motifs que c'est en raison de la mauvaise gestion de l'assurance par la SARL Depeyre qu'elle n'a pas été indemnisée « en temps et en heure ».

La mauvaise gestion invoquée, qui au demeurant permettrait d'imputer à l'intermédiaire d'assurance l'indemnisation non pas de l'entier sinistre mais seulement du préjudice distinct causé par le retard d'indemnisation, n'est nullement établie. En effet, il n'apparaît pas que la société Depeyre se soit montrée négligente ou autrement fautive dans sa gestion du sinistre survenu le 20 mai 2012. Tout d'abord, il n'est pas soutenu qu'elle a manqué à une quelconque obligation pendant les premiers mois suivant le sinistre, au cours desquels les parties ont suivi les opérations d'expertise puis trouvé un accord relatif à l'indemnisation, au mois de septembre 2012 bien que cet accord a été formalisé par une lettre d'acceptation signée par l'assuré seulement le 10 janvier 2013, le déroulement de ces opérations n'apparaissant pas avoir été retardé par la SARL Depeyre. Ensuite, pendant l'année 2013, la SARL Depeyre a sollicité plusieurs fois la société D... afin qu'elle provoque le paiement de l'indemnité par son mandant, et ce par courriers des 2 janvier, 7 mars, 2 avril et 10 juillet. Parallèlement, le 25 avril elle a demandé aux sociétés United et Euroins de lui fournir une attestation de garantie. C'est enfin par un courrier daté du 7 janvier 2013, mais datant manifestement du 7 janvier 2014 dès lors qu'il se réfère aux démarches effectuées courant 2013, que la SARL Depeyre a finalement indiqué à la SAS Paget qu'elle n'avait plus d'assureur. Cette dernière n'établit pas que ces différentes démarches ont été accomplies avec retard, ni qu'elles auraient dû être complétées par d'autre.

En conséquence, la responsabilité de la SARL Depeyre n'étant pas engagée envers la SAS Paget, le jugement déféré sera infirmé en ce qu'il a condamné la première à indemniser la seconde, laquelle sera déboutée de ce chef.

- Sur le préjudice et l'expertise,

L'assurée et l'assureur s'accordent pour considérer, comme l'avait fait le premier juge, que la lettre d'acceptation d'une indemnité de 335.089,19 € signée le 10 janvier 2013 par l'assurée porte sur la seule indemnisation de son préjudice matériel.

L'assureur n'acquiesçant pas pour autant à la demande d'indemnisation faite à ce titre, il appartenait à l'assurée d'apporter la preuve de son préjudice matériel, ce qu'elle fait, même si elle ne produit pas le rapport d'expertise dont il importe dès lors peu qu'il puisse être inopposable à l'assureur, en versant aux débats diverses autres pièces relatives aux opérations de l'expertise menée par la société SW Associates, qui intervenait comme expert de l'assureur, en présence de l'expert d'assuré Alain E.... Il résulte ainsi, du projet de règlement de la somme de 335.080,79 € établi par la société SW Associates et joint à son courrier du 31 juillet 2012, dont le contenu détaillé n'est pas critiqué, ainsi que de la lettre d'acceptation établie pour le même montant par l'assuré le 10 janvier 2013, que le préjudice matériel indemnisable par l'assureur doit être évalué à la même valeur de 335.080,79 €.

L'assureur sera donc condamné à payer cette somme à l'assurée au titre de l'indemnisation de son préjudice matériel.

L'indemnisation complémentaire d'un préjudice immatériel, résultant pour l'assurée de la perte de capacité de production et de l'impossibilité de répondre aux demandes de ses clients, et du fait que sa situation serait meilleure si l'indemnisation avait été plus rapide, est contestée par l'assureur au motif que ce préjudice ne serait pas établi, de sorte qu'il incombe à l'assurée d'en apporter les preuves, l'expertise pouvant être ordonnée pour compléter des preuves insuffisantes, mais non pour suppléer sa carence probatoire, conformément à l'article 146 du code de procédure civile.

Pour caractériser son préjudice immatériel, l'assurée allègue d'abord qu'à la suite du sinistre, ni les travaux conservatoires, ni les réparations matérielles n'ont été pris en charge par l'assureur, et que les marchandises perdues n'ont pas été remplacées.

Toutefois, il ne se déduit pas d'une telle affirmation que l'assurée s'est abstenue de réparer à ses frais les toits crevés par la grêle, ni qu'elle a laissé ses locaux indisponibles et s'est ainsi privée de la possibilité de poursuivre la production. De même, l'affirmation de la perte de marchandises, sans plus de précision, relève du préjudice matériel et n'implique pas un arrêt ou un ralentissement de la production ultérieure constitutif du préjudice immatériel invoqué.

L'assurée affirme ensuite que le sinistre et son absence de prise en charge ont fragilisé l'entreprise et ont provoqué un net recul de son activité, ainsi que le mécontentement des clients dont la commande n'a pu être honorée, le tout affectant son chiffre d'affaire.

Il s'agit à nouveau d'affirmations sans preuves, l'assurée se bornant à produire ses comptes annuels pour l'exercice 2015, qui ne constituent pas même un indice du préjudice allégué, en l'absence de toute précision sur les chiffres susceptibles d'établir ce préjudice, et surtout en l'absence de tout élément de comparaison, tels les comptes annuels de l'année antérieure au sinistre, qui auraient permis de mesurer la prétendue baisse d'activité.

Elle ne produit par ailleurs aucune attestation de client mécontent, aucun courrier relatif aux commandes perdues, ni aucune autre pièce susceptible d'étayer ses dires.

Ces lacunes inexpliquées dans l'administration des preuves caractérisent une carence probatoire qui fait obstacle à l'expertise demandée.

Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté la demande d'expertise et y ajoutant, la SAS Paget sera déboutée de sa demande en condamnation de la société Alpha Insurance à l'indemniser d'un préjudice immatériel.

- Sur les frais irrépétibles et les dépens,

Contrairement à la SARL Depeyre qui obtient total gain de cause, les sociétés Paget et Alpha Insurance qui succombent l'une et l'autre pour partie, seront seules condamnées aux dépens de première instance et d'appel, et les demandes formées en application de l'article 700 du code de procédure civile seront rejetées.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant contradictoirement, après débats en audience publique et en avoir délibéré conformément à la loi,

Dit n'y avoir lieu à révocation de l'ordonnance de clôture.

Infirme le jugement rendu entre les parties le 10 mars 2017 par le tribunal de commerce de Lons-le-Saunier, sauf en ce qu'il a débouté la SAS Paget Approbois de sa demande d'expertise.

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Déboute la SAS Paget Approbois de sa demande en condamnation de la SARL Depeyre Entreprise à l'indemniser de ses préjudices résultant du sinistre survenu le 20 mai 2012.

Condamne la société Alpha Insurance à payer à la SAS Paget Approbois la somme de trois cent trente cinq mille quatre vingts euros et soixante dix neuf centimes (335.080,79 €) au titre de l'indemnisation de son préjudice matériel résultant du sinistre précité, avec les intérêts au taux légal à compter du 26 mars 2013.

Déboute la SAS Paget Approbois de sa demande en condamnation de la société Alpha Insurance à l'indemniser de son préjudice immatériel.

Rejette les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.

Condamne in solidum les sociétés Paget Approbois et Alpha Insurance aux dépens de première instance et d'appel.

Ledit arrêt a été signé par M. Edouard Mazarin, président de chambre, magistrat ayant participé au délibéré, et par Mme Dominique Borowski, greffier.

Le Greffier,le Président de chambre


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Besançon
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 17/00918
Date de la décision : 20/11/2018

Références :

Cour d'appel de Besançon 01, arrêt n°17/00918 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-11-20;17.00918 ?
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