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23/10/2018 | FRANCE | N°17/02018

France | France, Cour d'appel de Besançon, Chambre sociale, 23 octobre 2018, 17/02018


ARRET N° 18/

CKD/KM



COUR D'APPEL DE BESANCON



ARRET DU 23 OCTOBRE 2018



CHAMBRE SOCIALE





Contradictoire

Audience publique

du 11 septembre 2018

N° de rôle : N° RG 17/02018 - N° Portalis DBVG-V-B7B-D3VP



S/appel d'une décision

du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BELFORT

en date du 04 septembre 2017

Code affaire : 80A

Demande d'indemnités liées à la rupture du contrat de travail CDI ou CDD, son exécution ou inexécution



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APPELANTE



SAS CHARPIOT ET COMPAGNIE, [...]



représentée par Me Ludovic X..., avocat au barreau de BESANCON





INTIME



Monsieur Philippe Y..., demeurant [...]



représenté par ...

ARRET N° 18/

CKD/KM

COUR D'APPEL DE BESANCON

ARRET DU 23 OCTOBRE 2018

CHAMBRE SOCIALE

Contradictoire

Audience publique

du 11 septembre 2018

N° de rôle : N° RG 17/02018 - N° Portalis DBVG-V-B7B-D3VP

S/appel d'une décision

du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BELFORT

en date du 04 septembre 2017

Code affaire : 80A

Demande d'indemnités liées à la rupture du contrat de travail CDI ou CDD, son exécution ou inexécution

APPELANTE

SAS CHARPIOT ET COMPAGNIE, [...]

représentée par Me Ludovic X..., avocat au barreau de BESANCON

INTIME

Monsieur Philippe Y..., demeurant [...]

représenté par Me Jean-Charles Z..., avocat au barreau de BELFORT substitué par Me Fabien A..., avocat au barreau de BESANCON

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors des débats du 11 Septembre 2018 :

Mme Christine K-DORSCH, Président de Chambre

M. Jérôme COTTERET, Conseiller

M. Patrice BOURQUIN, Conseiller

qui en ont délibéré,

Mme Karine MAUCHAIN, Greffier lors des débats

Les parties ont été avisées de ce que l'arrêt sera rendu le 23 Octobre 2018 par mise à disposition au greffe.

**************

FAITS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Monsieur Philippe Y... a été embauché le 7 février 1986 par la société Charpiot et Compagnie exerçant une activité d'affrètement et de transport de marchandises en qualité d'employée exploitation. La société ayant son siège social à Delle emploie 105 salariés.

Les relations contractuelles sont soumises à la convention collective des transports routiers.

Monsieur Y... était en dernier lieu responsable trafic, en charge de la gestion du planning des conducteurs de l'agence de Delle.

Ses horaires de travail étaient de 8 h à 12 h et de 15 h à 18 h.

Invoquant des impératifs d'organisation et les nécessités du service, la société Charpiot et Compagnie a par note interne du 7 août 2015 modifié les horaires de travail de Monsieur Y... le matin de 6h30 à 10h30, l'après-midi demeurant inchangé de 15 h à 18h, et ce à compter du 7 septembre 2015.

Par courrier du 26 août 2015 Monsieur Y... a refusé cette modification pour des raisons familiales impérieuses en exposant que sa femme handicapée (paralysie du plexus brachial gauche) est déclarée travailleur handicapé et requiert son aide pour l'accomplissement des actes essentiels de la vie, et qu'il s'occupe par ailleurs de sa fille scolarisée.

Par courrier du 8 septembre 2015 l'employeur expliquant les impératifs d'organisation, confirme la nouvelle répartition des horaires reportée au 21 septembre 2015, et ajoute que cette modification effectuée dans l'intérêt de l'entreprise n'entraîne pas de modification de la durée du travail, de bouleversements des horaires, ni de changement de la rémunération, de sorte qu'elle relève d'une modification des conditions de travail.

Par courrier du 16 septembre 2015 le salarié a réitéré refus pour les mêmes motifs.

Par lettre du 21 septembre 2015 l'employeur, constatant que le salarié n'a pas pris son service aux horaires modifiés lui adressait une mise en demeure de se conformer aux instructions de la hiérarchie et de prendre son poste aux horaires fixés.

Le salarié n'a donné suite à la mise en demeure.

Il a, le 28 septembre 2015, fait l'objet d'un avertissement en sanction du refus de travailler aux horaires fixés par la hiérarchie, l'employeur lui demandant une dernière fois de se conformer aux horaires fixés et l'avertissait qu'à défaut une procédure disciplinaire pouvant aller jusqu'à la rupture du contrat travail serait engagée.

Par lettre du 8 octobre 1015 Monsieur Y... a été convoqué à un entretien préalable 19 octobre 2015 et a été licencié pour faute grave par lettre du 26 octobre 2015. L'employeur met en avant la nécessité pour l'entreprise de modifier la répartition des horaires ainsi que l'accord verbal du salarié pour une prise de poste à 6h30 dans le cadre d'une journée en continu, de sorte qu'il met en doute l'argumentaire opposé par Monsieur Y....

Contestant son licenciement, et affirmant que le changement des horaires est une modification du contrat de travail, Monsieur Philippe Y... a le 11 février 2016 saisi le conseil de prud'hommes de Belfort afin d'obtenir la condamnation de son employeur à lui verser,outre l'indemnité de préavis, les congés payés afférents et l'indemnité conventionnelle de licenciement de 30376,28 €, une somme de 50000 € à titre de dommages et intérêts. À titre subsidiaire il demandait au conseil des prud'hommes d'écarter la faute grave.

Par jugement du 4 septembre 2017 (notifié le 16 septembre 2017), le conseil de prud'hommes a dit que le licenciement ne repose pas sur une faute grave, et est dépourvu de cause réelle et sérieuse, a fixé la moyenne du salaire à la somme de 2618,64 €, et a condamné la SAS Charpiot et Compagnie à verser à Monsieur Philippe Y... les sommes de:

- 7.855,92 € au titre d'indemnité de préavis,

- 785,59 € au titre des congés payés afférents,

- 30.376,22 € au titre de l'indemnité légale de licenciement,

- 25.000 € pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 1.000 € au titre de l'article 700 du CPC.

Le conseil des prud'hommes a par ailleurs condamné l'employeur au remboursement des indemnités de chômage éventuellement versées au salarié dans la limite de six mois, a dit n'y avoir lieu à exécution provisoire au-delà de l'exécution de droit, et a condamné l'employeur aux dépens de l'instance.

***

Par déclaration enregistrée au greffe de la Cour le 9 octobre 2017, la SAS Charpiot et Compagnie a interjeté appel de cette décision.

Par conclusions récapitulatives du 25 mai 2018, la SAS Charpiot et Compagnie demande à la cour de:

À titre principal

'Dire juger que le licenciement repose sur une faute grave,

'Infirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré

'Débouter M. Philippe Y... de l'ensemble de ses fins et prétentions,

'Le condamner à verser à la société Charpiot et Compagnie 2.000 € au titre de l'article 700, outre aux entiers dépens

Subsidiairement

'Dire et juger que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse,

'le débouter de sa demande de dommages et intérêts et de frais irrépétibles,

'le condamner à verser à la société Charpiot et Compagnie 2.000 € au titre de l'article 700, outre aux entiers dépens.

***

Pour sa part, dans ses écrits déposés le 09 août 2018, Monsieur Philippe Y... conclut à titre principal à la confirmation du jugement déféré.
A titre subsidiaire si la cour estimait que le changement s'analyse en une modification du contrat de travail, il sollicite que la société Charpiot soit condamnée à lui régler l'indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents alloués par le conseil des prud'hommes. Il sollicite enfin une somme de 2500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, la Cour se réfère, pour l'exposé des moyens des parties, à leurs conclusions ci-dessus visées.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 17 août 2018.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Attendu que la société Charpiot après avoir notifié au salarié une mise en demeure et un avertissement, a licencié M. Y... par lettre du 26 octobre 2015 intégralement reproduite dans le jugement déféré et au terme de laquelle elle conclut: « ' ainsi, considérant que la réorganisation de votre horaire de travail était prévue dans le strict intérêt de l'entreprise, que les changements proposés ne relevaient en rien d'une modification de votre contrat de travail, que vos arguments pour motiver votre refus ne relèvent pas d'obligations familiales impérieuses, et qu'il n'y a dès lors aucun abus d'autorité de la part de la société, nous estimons ne plus pouvoir maintenir nos relations contractuelles, et vous notifions par la présente votre licenciement pour faute grave...»;

I. Sur la modification du contrat de travail

Attendu que le contrat de travail est un accord de volonté qui tient lieu de loi aux parties ;

Que si le pouvoir de direction de l'employeur lui permet de modifier unilatéralement les conditions de travail, en revanche il ne peut modifier le contrat de travail, c'est-à-dire ses éléments immuables, sans l'accord du salarié;

Attendu que, sauf atteinte excessive aux droits du salarié au respect de sa vie personnelle et familiale, ou à son droit au repos, l'instauration d'une nouvelle répartition du travail sur la journée relève du pouvoir de direction de l'employeur (Cass.Soc 3 nov. 2011 N° 10-14.712 et 08 nov. 2011 N°10-19.339);

Attendu qu'en l'espèce il s'agit bien d'une modification de la répartition des horaires de travail sur la journée, sans modification de la durée du travail;

Que cependant le salarié justifie que sa reprise de poste avancée à 6h30 au lieu de 8 h entraîne un véritable bouleversement de sa vie personnelle et familiale;

Attendu en effet qu'il résulte de la procédure que Mme Y... est affectée d'un handicap, soit une paralysie du plexus brachial gauche, ayant pour conséquence une paralysie du membre supérieur gauche, entraînant la nécessité pour elle de bénéficier de l'assistance d'une tierce personne pour des gestes supposant l'usage des deux bras tel l'habillage, ou d'autres gestes de la vie quotidienne;

Attendu que Mme Y... Patricia atteste que son mari l'aide chaque matin pour la toilette et l'habillement;

Que le Docteur Séverine C... atteste le 19 décembre 2016 avoir examiné Mme Y... Patricia âgée de 51 ans qui souffre d'un handicap du bras gauche et a besoin d'aide dans certains actes de la vie courante comme la toilette et l'habillage;

Que la maison départementale des personnes handicapées du territoire de Belfort a le 31 janvier 2013 délivré une attestation établissant la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé de Mme Patricia Y... du 1er novembre 2012 au 31 octobre 2017;

Qu'enfin la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées a le 18 décembre 2017 reconnu à Mme Y... un taux d'incapacité de 45%;

Attendu que le fait pour Mme Y... de conduire un véhicule adapté à son handicap (boîte automatique), et d'occuper un poste aménagé au sein de l'entreprise compte tenu de son handicap ne démontre pas que son état de santé ne nécessite pas l'assistance d'un tiers pour certains gestes de la vie quotidienne, tel l'habillage ou la toilette;

Attendu que la société Charpiot connaissait la situation de Mme Y... qui est également l'une de ses salariés;

Attendu qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que M. Y... démontre la nécessaire assistance qu'il apporte à son épouse dans les gestes de la vie quotidienne tel l'habillage et la toilette compte tenu de son lourd handicap qui entraîne une incapacité de 45%;

Attendu par conséquent qu'une prise de poste exigeant sa présence au sein de l'entreprise à 6:30 le matin au lieu de 8 h porte, dans ces circonstances particulières de l'espèce , une atteinte excessive au droit du salarié au respect de sa vie familiale et personnelle, de sorte qu'il était bien fondé à s'opposer à la modification imposée par l'employeur;

Attendu enfin que l'employeur soutient que M. Y... aurait accepté une prise de poste à 6:30, si l'horaire lui permettait de terminer sa journée de travail en début d'après-midi, ce que ce dernier conteste énergiquement;

Attendu qu'il est rappelé que s'agissant d'un licenciement pour faute grave c'est employeur qui supporte la charge de la preuve;

Que si dans la lettre de licenciement l'employeur écrit: « vous avez refusé cette organisation exposant à M. B... que vous étiez d'accord sur le projet présenté en juin (de 10:30 à 13:30 en continu) mais pas sur la nouvelle répartition horaire»; malgré les énergiques contestations du salarié, la société de Charpiot ne rapporte strictement aucune preuve d'un projet présenté en juin, ni surtout du moindre accord du salarié, aucune attestation de Mr B... n'étant versée à la procédure, de sorte qu'elle ne saurait se prévaloir d'un accord de Mr Y...;

Attendu que de ces énonciations il évince que le licenciement n'est pas justifié, ni pour faute grave, ni pour cause réelle et sérieuse;

Que le jugement doit être confirmé en toutes ses dispositions, les montants alloués contestés dans leur principe ne l'étant pas dans leur montant;

II. Sur les demandes annexes

Attendu que le jugement déféré est confirmé s'agissant des frais et dépens, et des frais irrépétibles;

Attendu qu'à hauteur de cour, l'appelante qui succombe est condamnée aux entiers dépens de la procédure d'appelsans pouvoir prétendre à l'indemnisation de ses frais irrépétibles;

Attendu en revanche que l'équité commande d'allouer à Monsieur Y... une indemnité de 2.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile;

PAR CES MOTIFS

La Cour, Chambre sociale, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,

CONFIRME le jugement rendu le 04 septembre 2017 par le Conseil de Prud'hommes de Belfort en toutes ses dispositions;

Y ajoutant

CONDAMNE la SAS Charpiot et Compagnie aux entiers dépens de la procédure d'appel;

CONDAMNE la SAS Charpiot et Compagnie à payer à Monsieur Philippe Y... une somme de 2.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile;

DEBOUTE la SAS Charpiot et Compagnie de sa demande de frais irrépétibles,

LEDIT ARRÊT a été prononcé par mise à disposition au greffe le vingt trois octobre deux mille dix huit et signé par Mme Christine K-DORSCH, Président de la Chambre Sociale, et Mme Karine MAUCHAIN, Greffier.

LE GREFFIER,LE PRESIDENT DE CHAMBRE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Besançon
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 17/02018
Date de la décision : 23/10/2018

Références :

Cour d'appel de Besançon 03, arrêt n°17/02018 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-10-23;17.02018 ?
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