ARRET N° 18/
CKD/GB
COUR D'APPEL DE BESANCON
- 172 501 116 00013 -
ARRET DU 25 SEPTEMBRE 2018
CHAMBRE SOCIALE
Contradictoire
Audience publique du 19 Juin 2018
N° RG 17/01848
S/appel d'une décision
du CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION DE DEPARTAGE DE MONTBELIARD en date du 07 aout 2017
Nature de l'affaire : 80A - Demande d'indemnités liées à la rupture du contrat de travail CDI ou CDD, son exécution ou inexécution
APPELANTE
SAS MONTDIS, ZAC du Pied des Gouttes - [...]
représentée par Me Sébastien X..., avocat au barreau de STRASBOURG, substitué par Me Caroline Y..., avocat au barreau de STRASBOURG
INTIMEE
Madame Maud, Samantha Z... épouse A..., demeurant [...]
représentée par Me Pierre-Yves B..., avocat au barreau de MONTBELIARD
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 786 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 19 Juin 2018 , en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme C... K-DORSCH, Présidente de Chambre et Monsieur Patrice BOURQUIN, Conseiller.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de:
- Mme C... K-DORSCH, Présidente de Chambre
- M. Jérôme COTTERET, Conseiller,
- Monsieur Patrice BOURQUIN, Conseiller,
GREFFIERS, lors des débats : Mme Gaëlle BIOT et de Mme Marine CASOLI, greffier stagiaire
Les parties ont été avisées de ce que l'arrêt sera rendu le 25 Septembre 2018 par mise à disposition au greffe.
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FAITS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Madame Maud Z... épouse A... a, été embauchée par la SAS Montdis exploitant le supermarché Leclerc à Montbéliard à compter de juillet 2001 et a été licenciée pour inaptitude physique et impossibilité de reclassement en novembre 2004.
Par jugement rendu le 23 janvier 2014, le tribunal correctionnel de Montbéliard a notamment reconnu la SAS Montdis coupable des faits d'exécution d'un travail dissimulé par personne morale commis du 26 octobre 2003 au 26 octobre 2006, et l'a condamnée au paiement d'une amende de 75000 €.
La constitution de partie civile de Madame Maud Z... épouse A... a été déclarée irrecevable au titre des demandes relatives aux heures supplémentaires relevant de la seule compétence du conseil des prud'hommes, en revanche la société Montdis ainsi que Monsieur Bernard D... son représentant légal ont solidairement été condamnés à lui payer une somme de 1.000 € en réparation du préjudice moral, outre 300 € au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale.
Saisie d'un appel à l'encontre des dispositions civiles du jugement, la chambre des appels correctionnels de la cour d'appel de Besançon statuant sur intérêts civils, a par arrêt du 10 avril 2015 confirmé le jugement déféré s'agissant des intérêts civils concernant Madame Maud Z... épouse A....
Cette dernière a le 08 janvier 2016 saisi le conseil des prud'hommes de Montbéliard d'une demande aux fins de voir condamner la SAS Montdis à lui payer 10.061,64 € au titre de l'indemnité pour travail dissimulé, ainsi qu'une somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La SAS Montdis s'opposait à cette demande qu'elle considérait comme prescrite.
Par jugement du 7 août 2017 le conseil des prud'hommes de Montbéliard en la formation de départage, après avoir écarté la prescription, a déclaré la demande de Madame Maud Z... épouse A... recevable et bien fondée, et a condamné la SAS Montdis à lui payer les sommes de :
- 10061,64 € € sur le fondement de l'article L8223-1 du code du travail,
- 1.500 € au titre de l'article 700 du CPC.
La société a en outre été condamnée aux dépens.
La SAS Montdis a interjeté appel à l'encontre de cette décision.
Par conclusions enregistrées le 13 octobre 2017, la SAS Montdis demande à la cour d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions, et statuant à nouveau de déclarer la demande de Madame Maud Z... épouse A... irrecevable et mal fondée, de l'en débouter intégralement, et de la condamner au paiement de 800 € au titre de l'article 700 du CPC ainsi qu'aux dépens.
À l'appui de son recours, la SAS Montdis conclut que la demande de Madame Maud Z... épouse A... est prescrite aux motifs que:
- la salariée avait quitté l'entreprise depuis plus de 10 ans au moment de la saisine de la juridiction prud'homale,
- l'article L 1471-1 du code du travail énonçant une prescription de 2 ans, pour les actions portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail, s'applique, dès lors que l'action en paiement d'une indemnité de travail dissimulé ne figure pas aux exceptions énoncées par le texte,
- le point de départ de la prescription ne peut être retardé jusqu'à la date du jugement correctionnel, dès lors que la salariée n'était pas dans l'ignorance de ses droits et qu'elle s'est d'ailleurs portée partie civile dans la procédure pénale en 2006,
- l'indemnité pour travail dissimulé n'est pas liée à une condamnation pénale,
elle ne justifie pas avoir effectué des heures supplémentaires non rémunérées et en particulier ne prouve pas avoir réalisé des heures supplémentaires au cours des six mois précédant la rupture du contrat de travail,
à titre subsidiaire son préjudice a été indemnisé par le tribunal correctionnel, de sorte qu'il n'est pas recevable à obtenir une seconde indemnisation pour le même poste.
Par conclusions enregistrées le 15 décembre 2017, Madame Maud Z... épouse A... demande à la cour de confirmer le jugement entrepris, et y ajoutant de condamner la société Montdis à lui payer 1500 € au titre des frais irrépétibles.
Madame A... affirme que l'article L 1475-1 est inapplicable, au contraire de l'article 2224 du Code civil relatif à la prescription de droit commun de 5 ans applicable en l'espèce. Elle fait valoir que le tribunal correctionnel a reconnu sa qualité de victime de l'infraction de travail dissimulé de sorte que son action est bien recevable.
Elle estime que le point de départ de la prescription est celle du jugement du 24 janvier 2014 puisque seule l'enquête pénale a permis de mettre un terme à un système institutionnalisé par l'employeur qui faisait notamment signer aux salariés des relevés d'heures inexactes et leur versait en compensation des primes dites «à la tête du client» de sorte que ce n'est qu'à l'issue de l'enquête que le mécanisme a été mis à jour, et a été caractérisé par le tribunal correctionnel. Elle déclare qu'elle se trouvait en situation de connaître ses droits à compter du jugement correctionnel.
Elle ajoute encore que la prescription ne peut courir pendant le temps nécessaire à l'enquête pénale, et qu'elle a en outre été interrompue lors de l'audience du 14 novembre 2013 par la reconnaissance du dirigeant de la société de la réalité du système de dissimulation des heures, et ajoute en dernier lieu que la fraude corrompt tout.
Enfin elle fait valoir que la demande d'indemnité pour travail dissimulé est distincte et indépendante d'une action en paiement des heures supplémentaires, et que le jugement correctionnel lui alloue 1000 € au titre du préjudice moral de sorte qu'il n'y a pas double indemnisation.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 25 mai 2018.
Il est en application de l'article 455 du code de procédure civile, pour plus ample exposé des faits moyens et prétentions des parties renvoyé aux conclusions des parties ci-dessus visées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Attendu que le conseil des prud'hommes a écarté la prescription soulevée par l'employeur sans nullement motiver sa décision, se contentant de juger que «les développements relatifs à la prescription de l'action en paiement d'heures supplémentaires sont totalement inopérants»;
1. Sur la prescription applicable
Attendu que la société appelante invoque l'application de l'article L 1471-1 du code du travail prévoyant une prescription de 2 ans pour toute action portant sur l'exécution, ou la rupture du contrat de travail, sauf exception précisée par le texte, l'indemnité pour travail dissimulé ne faisant pas partie de ces exceptions, et qu'elle cite à l'appui de son raisonnement un arrêt de la Cour de cassation du 25 juin 2013;
Attendu qu'à l'inverse la salariée soutient que la prescription de droit commun de 5 ans est en l'espèce applicable puisque son action ne concerne ni la rupture du contrat de travail, ni son exécution ;
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Attendu que l'action en paiement de l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé prévue par l'article L.8223-1 du code du travail, était soumise à la prescription trentenaire de l'ancien article 2262 du code civil ; et que depuis l'entrée en vigueur de la loi N° 2008-561 du 17 juin 2008, et en application de l'article 2224 du code civil, le délai de prescription a été réduit à cinq ans;
Attendu en effet que selon une jurisprudence désormais constante, l'action en paiement de l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé est soumise au délai de prescription de droit commun, et que la Cour de cassation a ainsi jugé que, sous l'application de la loi ancienne, si l'action en paiement des salaires se prescrit par 5 ans, cette prescription n'interdit pas de percevoir l'indemnité pour travail dissimulé qui elle se prescrit par 30 ans (Cass 10 mai 2006 N° 04. 42. 608);
Que plus récemment elle a confirmé que le délai de prescription est bien quinquennal (Cass. 18 février 2016 N° 14-19019);
Attendu que l'arrêt cité par l'appelante n'énonce nullement un délai de prescription de deux ans pour l'action litigieuse;
Attendu que c'est en vain que la société Montdis soutient que le texte de l'article L 8223-1 du code du travail ne permet pas d'appliquer la prescription de droit commun;
Qu'en effet l'action tendant au paiement de l'indemnité pour travail dissimulé ne porte pas sur l'exécution du contrat de travail mais constitue une sanction privée, et qu'elle n'est pas relative à la rupture du contrat de travail, la rupture étant simplement une des conditions d'application du texte;
Attendu qu'il résulte de ce qui précède que c'est la prescription de droit commun de 5 ans, issue du nouvel article 2224 du Code civil, quis'applique à l'action en paiement de l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé introduite par Madame Maud Z... épouse A... ;
2. Sur le point de départ de la prescription
Attendu que les deux parties conviennent que le point de départ de la prescription est la connaissance par la salariée des éléments lui permettant d'introduire l'action;
Que la salariée affirme que cette connaissance se situe à la date du jugement correctionnel du 23 janvier 2014, puisque ne disposant pas des éléments nécessaires avant ce jugement, toute action prud'homale était vouée à l'échec ;
Que l'employeur pour sa part soutient que Madame Maud Z... épouse A... ne pouvait être dans l'ignorance de ses droits, qu'elle était partie civile dans une procédure qui a débuté en 2006, qu'elle connaissait nécessairement le nombre d'heures qu'elle prétendait avoir effectuées, et que l'indemnité pour travail dissimulé n'est pas liée à une condamnation pénale de l'employeur;
Attendu que l'article 2224 du Code civil dispose que les actions personnelles mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu, ou aurait dû connaître les faits permettant de l'exercer;
Attendu que la salariée opère une confusion entre la connaissance des faits permettant d'exercer l'action, et la preuve de ces faits;
Que le point de départ de l'action énoncée par l'article 2224 est bien le jour où le titulaire du droit a connu, ou aurait dû connaître, les faits permettant d'exercer l'action;
Attendu qu'il est constant que la salariée avait connaissance du nombre d'heures de travail qu'elle effectuait, et du fait que celles-ci n'étaient pas rémunérées conformément au bulletin de salaire qu'elle recevait mensuellement;
Attendu par conséquent que le point de départ de la prescription doit être fixé à la date de la rupture du contrat de travail;
Attendu que la date de la rupture n'est pas indiquée avec précision par les parties qui mentionnent «novembre 2004», qu'aucune pièce relative à la rupture n'est produite, mais que le dernier bulletin de salaire de Madame Maud Z... épouse A... est celui du mois de septembre 2004 (du 1er au 30 septembre 2004), de sorte qu'il y a lieu de retenir comme date de rupture du contrat de travail le 1er octobre 2004;
3. Sur l'interruption de la prescription
Attendu que la reconnaissance de l'infraction par le dirigeant de la société lors de l'audience correctionnelle du 13 novembre 2013 n'est pas de nature à suspendre le délai puisque la prescription était acquise depuis le 19 juin 2013 ;
Attendu que la salariée invoque l'article 2234 du Code civil selon lequel la prescription ne court pas, ou est suspendue contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement résultant de la loi, de la convention, ou de la force majeure;
Que cependant Madame Maud Z... épouse A... ne se trouvait pas dans l'impossibilité d'agir au sens de l'article 2234 puisqu'elle ne caractérise pas un empêchement résultant de la loi, de la convention, ni de la force majeure;
Qu'elle avait connaissance du nombre d'heures travaillées, et à la réception des bulletins de paye du non-paiement des heures supplémentaires, et pouvait de ce fait saisir le conseil des prud'hommes d'une action en paiement de l'indemnité pour travail dissimulé, et le cas échéant, si elle l'estimait nécessaire, solliciter un sursis à statuer dans l'attente de l'issue de la procédure pénale;
Attendu que Madame Maud Z... épouse A... soutient enfin que la fraude corrompt tout, de sorte qu'il y a impossibilité de purger par l'effet de la prescription un acte ou des faits illicites;
Que ce raisonnement conduit à nier toute prescription en la matière, alors que l'action en paiement de l'indemnité pour travail dissimulé suppose par sa nature même une fraude de l'employeur, et demeure néanmoins soumise à un délai de prescription;
Attendu que de ces énonciations il résulte qu'aucune cause d'interruption de la prescription ne peut être retenue;
4. Sur la synthèse
Attendu que la rupture du contrat de travail de Madame Maud Z... épouse A... le 1er octobre 2004 marquant le point de départ de la prescription, elle disposait alors d'un délai de 30 ans pour agir, ramené à 5 ans à compter du 19 juin 2008, de sorte que le délai d'action est prescrit le 19 juin 2013;
Attendu que la salariée a introduit son action devant le conseil des prud'hommes le 08 janvier 2016, de sorte que celle-ci est prescrite;
Que le jugement déféré sera par conséquent infirmé en toutes ses dispositions;
5. Sur les demandes annexes
Attendu que Madame Maud Z... épouse A... qui succombe doit être condamnée aux frais et dépens des procédures de première instance et d'appel;
Que l'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de l'une ou de l'autre partie tant en première instance qu'en appel;
PAR CES MOTIFS
La Cour, Chambre sociale, statuant par arrêt contradictoire et mis à disposition au greffe, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,
INFIRME le jugement rendu le 07 août 2017 par le Conseil de Prud'hommes de Montbéliard en la formation de départage, en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau
DECLARE prescrite l'action formée par Madame Maud Z... épouse A... en paiement de l'indemnité pour travail dissimulé ;
CONDAMNE Madame Maud Z... épouse A... aux entiers frais et dépens des procédures de première instance et d'appel ;
DIT n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
LEDIT ARRÊT a été prononcé par mise à disposition au greffe le 25 septembre 2018 et signé par Mme C... K.DORSCH, Président de Chambre, et par Mme Karine MAUCHAIN, Greffier.
LE GREFFIER, LE PRESIDENT DE CHAMBRE,