ARRÊT N°
AC/CB
COUR D'APPEL DE BESANÇON
- 172 501 116 00013 -
ARRÊT DU 26 JUIN 2018
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE
Contradictoire
Audience publique
du 22 mai 2018
N° de rôle : 16/02502
S/appel d'une décision
du TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE BESANCON
en date du 12 juillet 2016 [RG N° 13/01587]
Code affaire : 54G
Demande d'exécution de travaux, ou de dommages-intérêts, formée par le maître de l'ouvrage contre le constructeur ou son garant, ou contre le fabricant d'un élément de construction
SCI LES CAMPANULES C/ PATRICK X..., Patrick Y..., S.A. ALLIANZ IARD, Compagnie d'assurances GROUPAMA GRAND EST
PARTIES EN CAUSE :
SCI LES CAMPANULES
ayant son siège, [...]
APPELANTE
Représentée par Me Sophie Z... de la SELARL Z... ASSOCIES, avocat au barreau de BESANCON et par Me Jean-Claude B..., avocat au barreau de SAINT-PIERRE-DE-LA-REUNION
ET :
Monsieur PATRICK X...
né le [...] à BESANCON
demeurant [...]
INTIME
Représenté par Me Christine C..., avocat au barreau de BESANCON
Monsieur Patrick Y...
demeurant [...]
INTIME
Représenté par Me Benoît D... de la SCP D... & ASSOCIES, avocat au barreau de BESANCON
S.A. ALLIANZ IARD
ayant son siège[...]
INTIMEE
Représentée par Me Sandrine E... de la SELARL E... - LEXAVOUE BESANCON, avocat au barreau de BESANCON et par Me Sylvie G... de la SELARL G... & ASSOCIES, avocat au barreau de LYON
GROUPAMA GRAND EST
ayant son siège, [...] - [...]
INTIMÉE
Représentée par Me Benoît D... de la SCP D... & ASSOCIES, avocat au barreau de BESANCON
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors des débats :
PRÉSIDENT : Monsieur Edouard MAZARIN, Président de chambre.
ASSESSEURS : Mesdames B. UGUEN LAITHIER et A. CHIARADIA, (magistrat rapporteur), Conseillers.
GREFFIER : Madame C.BILLOT, Adjoint Administratif faisant fonction de Greffier
lors du délibéré :
PRÉSIDENT : Monsieur Edouard MAZARIN, Président de chambre
ASSESSEURS : Mesdames B. UGUEN LAITHIER, et A. CHIARADIA, Conseillers.
L'affaire, plaidée à l'audience du 22 mai 2018 a été mise en délibéré au 26 juin 2018. Les parties ont été avisées qu'à cette date l'arrêt serait rendu par mise à disposition au greffe.
**************
Faits et prétentions des parties
La SCI Les Campanules est propriétaire d'un immeuble ancien situé [...] dans lequel elle a fait réaliser deux tranches de travaux, la première au rez-de-chaussée début 1999 et la seconde concernant le dernier étage et les combles.
Pour cette seconde tranche, elle a confié, le 24 juin 1999, à M. Patrick Y..., assuré en responsabilité décennale auprès de Groupama Grand Est, une mission complète de maîtrise d'oeuvre en vue de diviser l'appartement du premier étage et les combles en trois logements duplex.
Le montant total des travaux s'est élevé à 198.183 €. Les lots n°8 (placoplâtre) et n°16 (peinture et revêtements muraux) ont été confiés à M. Patrick X... pour un montant de 64.094,19 €.
Cette entreprise était assurée en responsabilité décennale au moment des travaux auprès de la Cie AGF, devenue depuis la SA Allianz Iard , le contrat d'assurance à effet au 1er avril 1995 ayant été résilié au 1er janvier 2005.
M. Patrick X... a mis en oeuvre des planchers en placosol dans les trois appartements sur lesquels un carrelage a été posé.
Les travaux ont débuté le 28 janvier 2000 et ceux réalisés par M. Patrick X... ont été réceptionnés le 27 juillet 2000. Des fissurations et des affaissements sont apparus au niveau du sol carrelé de deux des trois appartements de l'étage et ont été signalés par la SCI Les Campanules à M. Patrick X... le 25 juillet 2006.
M. H..., désigné en qualité d'expert par ordonnance du 3 décembre 2009, a déposé son rapport définitif le 6 décembre 2012.
Par exploits d'huissier délivrés les 4 et 5 juin 2013, la SCI Les Campanules a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Besançon M. Patrick X..., la SA Allianz Iard , M.Patrick Y... et Groupama Grand Est aux fins d'indemnisation de son préjudice.
Suivant jugement rendu le 12 juillet 2016, ce tribunal a:
- déclaré M. Patrick Y... et M. Patrick X... responsables in solidum des préjudices subis par la SCI Les Campanules au titre de l'affaissement des planchers des appartements n° 2 et 3 de l'immeuble sis [...] ,
- condamné in solidum M. Patrick Y..., Groupama Grand Est, M. Patrick X... et la SA Allianz Iard à payer à la SCI Les Campanules la somme de 64.918,11 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice matériel,
- condamné in solidum M. Patrick Y... et M. Patrick X... à payer à la SCI Les Campanules la somme de 3.000 € à titre de dommages et intérêts au titre du préjudice financier,
- débouté la SCI Les Campanules du surplus de ses demandes indemnitaires,
- dit que dans leurs rapports réciproques, la charge définitive de ces condamnations serait supportée à proportion de la moitié par M. Patrick Y... et son assureur Groupama Grand Est, d'une part, et par M. Patrick X... et la SA Allianz Iard , d'autre part,
- condamné la SA Allianz Iard à garantir M. Patrick X... des condamnations prononcées au titre du préjudice matériel, déduction faite d'une franchise de 10'% du montant de l'indemnité due, d'un minimum de 5 fois l'indice BT01 et d'un maximum de 20 fois cet indice,
- condamné in solidum M. Patrick X..., la SA Allianz Iard , M. Patrick Y... et Groupama Grand Est à payer à la SCI Les Campanules la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux 'dépens de l'instance et de l'instance de référé comprenant les frais d'expertise', avec distraction au profit de Me Z..., avocat aux offres de droit.
La SCI Les Campanules a interjeté appel de ce jugement par déclaration reçue au greffe le 19 décembre 2016 et, aux termes de ses dernières conclusions transmises le 21 juillet 2017, elle en sollicite l'infirmation en ce qu'il:
- a condamné in solidum M. Patrick Y..., Groupama Grand Est, M. Patrick X... et la SA Allianz Iard à lui payer la somme de 64.918,11 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice matériel,
- l'a déboutée du surplus de ses demandes indemnitaires, et notamment de sa demande au titre de son préjudice locatif,
- a condamné in solidum M. Patrick X..., la Sa Allianz Iard , M. Patrick Y... et Groupama Grand Est à lui payer 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
et sa confirmation pour le surplus.
Elle demande à la Cour de:
- condamner in solidum M. Patrick Y..., Groupama Grand Est, M. Patrick X... et la SA Allianz Iard à lui payer:
* 139.637,61 € au titre des travaux de reprise des désordres affectant son immeuble,
* 142.936,72 € au titre de son préjudice locatif,
* 6.000 € au titre des frais irrépétibles de première instance,
- débouter M. Patrick Y... Groupama Grand Est, M. Patrick X... et la SA Allianz Iard de leurs prétentions,
- condamner in solidum les mêmes au paiement de 7.000 € au titre de ses frais irrépétibles d'appel et aux dépens de l'instance d'appel,
Subsidiairement,
«si la Cour s'estimait insuffisamment informée concernant le chiffrage des travaux de reprise des désordres constatés, désigner tel expert qui lui plaira avec mission de déterminer le montant des travaux nécessaires à la réfection de l'ouvrage appartenant à la SCI Les Campanules».
M. Patrick Y... et Groupama Grand Est concluent comme suit:
* à titre principal,
- «constatant que la cause des désordres consiste dans des travaux réalisés au rez-de-chaussée de l'immeuble appartenant à la SCI Les Campanules commandés par elle et sous sa surveillance du moins pour les zones 1 et 3, qu'il s'agit donc d'une cause extérieure exonératoire de responsabilité et d'un défaut d'exécution par M. X... pour la zone 2 indétectable par l'architecte»,
- «par conséquent, mettre hors de cause M. Y... et la Cie Groupama»,
- condamner la SCI Les Campanules à leur payer la somme de 8.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, comprenant les frais de référé, d'expertise, de première instance et d'appel, ainsi que les entiers dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés par la SELARL D... & Associés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
* à titre subsidiaire,
- «pour la zone 2 constatant la taille extrêmement réduite de la zone concernée par les déchets remblayés par M. X..., et l'impossibilité pour M. Y... de le constater, condamner in solidum M. X... et Allianz à garantir M. Y... et la Cie Groupama Grand Est de toutes condamnations»,
- dire «que l'indemnisation au titre des désordres matériels ne saurait excéder 59.738,89 € ttc tel que retenu par l'expert»,
- «inviter l'expert H..., dans le cadre d'une simple consultation, à distinguer dans cette somme la part concernant chaque zone concernée, dans la mesure où les causes sont distinctes et ne ressortant pas des mêmes responsabilités»,
- «surseoir à statuer dans l'attente de ses conclusions»,
- « débouter la SCI Les Campanules de ses demandes indemnitaires, tant au titre de loyers, notamment des locaux du rez-de-chaussée que du logement n° 3, des frais financiers»,
* en tout état de cause,
- «condamner in solidum la SCI Les Campanules, M. X... et Allianz à garantir M. Y... et la Cie Groupama Grand Est de toutes condamnations prononcées à leur encontre à titre principal, frais et accessoires»,
- «condamner in solidum la SCI Les Campanules, M. X... et Allianz à payer à M. Y... et la Cie Groupama Grand Est la somme de 8.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, comprenant les frais de référé, d'expertise, de première instance et d'appel, ainsi que les entiers dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés par la SELARL D... & Associés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile»,
* à titre très subsidiaire,
- «dans l'hypothèse où, nonobstant les conclusions de l'expert H..., la Cour ne retiendrait pas l'existence de trois zones, de trois causes et de trois responsabilités différentes et ne retiendrait pas la cause extérieure exonératoire de responsabilité»,
- «condamner in solidum M. X... et Allianz à garantir à M. Y... et la Cie Groupama Grand Est de toutes condamnations prononcées à leur encontre à titre principal, frais et accessoires»,
- «débouter la SCI Les Campanules de ses demandes indemnitaires, tant au titre de loyers, notamment des locaux du rez-de-chaussée que du logement n° 3, des frais financiers»,
- «condamner in solidum M. X... et Allianz à payer à M. Y... et la Cie Groupama Grand Est la somme de 8.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, comprenant les frais de référé, d'expertise, de première instance et d'appel, ainsi que les entiers dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés par la SELARL D... & Associés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile».
Par écritures déposées le 28 juillet 2017, M. Patrick X... sollicite la réformation du jugement critiqué en ce qu'il l'a condamné in solidum au paiement de 64.918,11 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice matériel de la SCI Les Campanules et de 3.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice financier de la SCI Les Campanules.
Il demande à la Cour de:
- dire que les travaux qu'il a réalisés ne sont pas à l'origine des affaissements des planchers constatés par l'expert,
- le déclarer hors de cause,
- confirmer le jugement attaqué en ce qu'il débouté la SCI Les Campanules de ses demandes au titre d'un préjudice locatif,
- débouter la SCI Les Campanules de l'ensemble de ses prétentions,
- subsidiairement, condamner la SA Allianz Iard à le garantir de l'ensemble des condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre,
- condamner la SCI Les Campanules au paiement de la somme de 7.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
La SA Allianz Iard , suivant conclusions déposées le 16 avril 2018, demande à la Cour de:
* à titre principal,
- dire que les désordres dénoncés par la SCI Les Campanules ne sont pas de nature à mettre en oeuvre la responsabilité décennale de l'entreprise X... et, partant, à mobiliser ses garanties en qualité d'assureur décennal de celui-ci,
- débouter la SCI Les Campanules de ses demandes non fondées à son encontre,
- infirmer le jugement critiqué en ce qu'il a retenu la responsabilité décennale de M. Patrick X... et la garantie de son assureur,
* à titre subsidiaire, si la responsabilité de M. Patrick X... était retenue,
- dire qu'elle ne peut être tenue qu'à garantir les seuls dommages matériels, déduction faite de la franchise contractuelle et confirmer le jugement sur ce point,
- dire que les dommages matériels ne sauraient excéder la somme de 64.918,11 ttc arrêtée par l'expert judiciaire et confirmer le jugement sur ce point de même en ce qu'il a débouté la SCI Les Campanules de toute demande de préjudice locatif,
- infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a alloué 3.000 € au titre du préjudice financier à la SCI Les Campanules et débouter celle-ci de toute demande à ce titre,
- débouter M. Patrick X... de ses demandes tendant à être garanti de toutes les condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre, en ce qu'elle n'est susceptible de garantir que les seuls dommages matériels,
- débouter M. Patrick Y... et Groupama Grand Est de toutes demandes tendant à être relevés et garantis de toutes demandes en paiement,
- infirmer le jugement en ce qu'il a retenu la garantie de la SA Allianz Iard à hauteur de 50'%,
- condamner M. Patrick Y... et son assureur, Groupama Grand Est, à la relever et garantir de toutes condamnations prononcées à son encontre,
- la dire fondée à opposer à son assuré la franchise contractuelle,
- infirmer le jugement en ce qu'il a laissé à sa charge une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens,
- condamner la SCI Les Campanules, M. Patrick Y... et Groupama Grand Est ou celui d'entre eux qui mieux le devra à lui payer la somme de 8.000 € et les entiers dépens de première instance et d'appel.
Pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties, la Cour se réfère à leurs dernières conclusions ci-dessus rappelées conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 2 mai 2018.
Motifs de la décision
* Sur la responsabilité de l'architecte,
Pour asseoir leur décision, les premiers juges se sont basés sur les constatations de l'expert judiciaire qui a relevé un affaissement généralisé des planchers de deux logements créés au premier étage de l'immeuble, lesdits désordres rendant, selon le tribunal, l'ouvrage impropre à sa destination.
Une mauvaise préparation des supports et l'utilisation de matériaux de compensation d'épaisseurs non conformes aux règles de l'art ainsi qu'un défaut de vérification de l'état du support avant d'entreprendre les travaux ont été imputés à M. Patrick X....
A l'encontre de M. Patrick Y..., les premiers juges ont retenu que celui-ci était investi d'une mission de maîtrise d' oeuvre complète, de sorte que la présomption de responsabilité de l'article 1792 s'applique à lui et que, les travaux devant être réalisés dans un immeuble ancien, il lui appartenait de vérifier l'état de l'existant et en particulier du support sur lequel le plancher devait prendre appui et de veiller, dans le cadre de sa mission de suivi des travaux, à la consistance volumétrique des panneaux de polystyrène mis en place.
L'expert ne s'étant pas prononcé sur ce point, le tribunal a estimé que la responsabilité de M.Patrick X... et de M. Patrick Y... était engagée à hauteur de 50% pour chacun d'entre eux.
M. Patrick Y... fait plaider que si l'expert dit que les désordres sont généralisés, il existe en réalité trois zones distinctes, trois causes différentes de désordres et trois responsabilités:
- la zone 1, soit le logement 2 où «le solivage et le plancher CTBH du rez-de-chaussée» ont été repris par M. I..., un mur porteur ayant été enlevé;
- la Zone 2, soit la salle de bains du logement 2 et la cuisine du logement 3'où des déchets de chantier ont été mis en place par M. Patrick X..., ce qui constituerait une exécution défectueuse qui ne pouvait être décelée par l'architecte au cours de sa visite hebdomadaire, compte tenu de la surface limitée de cette zone et du court délai d'exécution corrélatif;
- la Zone 3, soit le logement 3 où un poteau bois du rez-de-chaussée s'est dégradé, un autre mur porteur au rez-de-chaussée ayant été percé de manière importante.
Selon M. Patrick Y... et son assureur les désordres relevés dans ces trois zones ont trois causes distinctes dont deux ne relèvent pas des travaux effectués sous l'égide de M. Patrick Y....
Dans les zones 1 et 3 ainsi définies, les désordres affectant l'ouvrage du premier étage seraient, selon M. Patrick Y... et Groupama Grand Est, la conséquence des travaux entrepris au rez-de-chaussée. Il s'agirait là d'une cause étrangère, exonératoire de responsabilité.
Si la Cour ne faisait pas droit au caractère exonératoire, M. Patrick Y... et Groupama Grand Est demandent à être garantis pour les zone 1 et 3 par la SCI Les Campanules qui n'a pas entendu appeler dans la cause les entreprises et le maître d'oeuvre à l'origine de ces travaux.
Néanmoins, M. Patrick Y... était investi d'une mission de maîtrise d'oeuvre complète qui aurait dû le conduire à vérifier les supports sur lesquels les travaux dont il devait assumer la maîtrise d'oeuvre (de leur conception à leur finition) devaient être réalisés.
Dès lors, les travaux antérieurement effectués au rez-de-chaussée ne peuvent être retenus comme une cause extérieure exonératoire de responsabilité.
Compte tenu du suivi de chantier qu'il devait assurer dans le cadre de sa mission de maîtrise d'oeuvre, M. Patrick Y... ne peut davantage rejeter toute responsabilité quant au comblement du vide par M. Patrick X... avec des déchets de chantier en lieu et place de la mise en oeuvre des matériaux prévus au cahier des charges, nonobstant la faible surface des lieux concernés.
Dès lors, comme l'ont retenu les premiers juges, la responsabilité de M. Patrick Y... doit être retenue et sa demande en garantie à l'encontre de la SCI Les Campanules, au motif qu'elle n'a pas appelé en la cause l'architecte et les entreprises intervenues au rez-de-chaussée, ne peut prospérer dans la mesure où il était loisible à M. Patrick Y... et Groupama Grand Est d'appeler les auteurs des travaux du rez-de-chaussée en intervention forcée, ce qui n'a pas été fait.
* Sur la responsabilité de M. Patrick X...,
M. Patrick X... fait également plaider la cause exonératoire, les travaux antérieurs au rez-de-chaussée étant, selon lui, la seule cause de l'affaissement des planchers. Il souligne que lorsqu'il est intervenu dans le logement 2 et a posé le placosol et le carrelage, le support était totalement neuf, le fait qu'un mur porteur ait été enlevé au rez-de-chaussée et que le plancher ait été repris avec un solivage défaillant n'étant absolument pas visible ni décelable.
Selon lui, il aurait fallu détruire tout le plancher avant de débuter les travaux pour examiner l'ensemble des solivettes, ce qui était inconcevable.
M. Patrick X... ajoute que M. Patrick Y..., qui avait une mission complète, aurait dû contrôler l'état du support existant. Il aurait ainsi dû établir ou faire établir par un bureau d'études le diagnostic des existants afin de s'assurer de la solidité de la structure sur laquelle il dirigeait les travaux.
Pour sa part, M. Patrick X... reconnaît sa responsabilité en ce qui concerne la non-conformité du matériau mis en oeuvre dans la salle de bains, mais souligne que cette non-conformité n'a pas généré d'affaissement, la surface concernée n'étant que de 7 m².
M. Patrick X... soutient ainsi que les travaux qu'il a réalisés ne rendent pas l'ouvrage impropre à sa destination et ne compromettent pas sa solidité, les affaissements constatés procédant d'une cause étrangère aux travaux qu'il a réalisés.
La SA Allianz Iard conclut que, selon le rapport d'expertise, l'entreprise X... ne peut être impliquée que pour partie dans les désordres liés aux préparations des supports et à l'utilisation des matériaux de compensation des épaisseurs pour rattraper les décalages de niveaux.
Elle ne serait, en outre, concernée que pour de très petites surfaces et non comme le retient le jugement au titre des affaissements de l'ensemble des logements.
En outre, la SA Allianz Iard rappelle que M. Patrick X... n'était assuré auprès d'elle qu'au titre de la responsabilité décennale et que rien ne permet d'affirmer que les désordres relevant de son intervention soient de nature décennale.
Néanmoins, l'expert judiciaire a relevé: «le tassement du sol provient d'un affaissement quasi généralisé du support de la chape sèche flottante placoforme et du placosol» et«la mise en oeuvre du système placosol présente des non-conformités aux prescriptions techniques, notamment pour ce qui concerne la réalisation du support. L'analyse par l'entrepreneur et l'architecte du support sur lequel le système de placosol a été posé n'a pas été effectuée avec la rigueur qui s'imposait».
Il écrit encore«Placoplâtre exige que le placosol soit posé sur un plancher sain, porteur et continu. La capacité portante doit être vérifiée par le maître d'oeuvre et l'entrepreneur. L'utilisation de plaques de doublage type placomur pour compenser les dénivellations est totalement interdite. De plus, la faible densité du placomur est inadaptée et a amplifié les tassements».
Dès lors, bien que moindre que celle de l'architecte, la responsabilité de M. Patrick X... est également engagée, et ce sur l'ensemble des travaux affectés de désordres.
Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de retenir que la responsabilité de M. Patrick Y... est engagée à hauteur de 80'% et celle de M. Patrick X... à hauteur de 20'%. Le jugement déféré sera réformé en ce sens.
* Sur la nature des désordres et l'obligation de garantie des assureurs,
Par des motifs pertinents que la Cour adopte, les premiers juges ont estimé que l'affaissement généralisé du système de plancher «placosol» réalisé par M. Patrick X... dans le cadre des travaux de rénovation confiés à M. Patrick Y... présentant des écarts variables pouvant aller jusqu'à plusieurs centimètres rendait l'ouvrage impropre à sa destination et conférait aux désordres constatés une nature décennale.
Il est constant que la SA Allianz Iard est assureur décennal de M. Patrick X.... En cette qualité, elle ne peut être tenue que des désordres matériels, déduction faite de la franchise prévue au contrat, le jugement entrepris étant confirmé de ce chef.
La Cie Groupama Grand Est, assureur de M. Patrick Y..., ne discute pas, quant à elle, le principe de la prise en charge des préjudices tant immatériels que matériels.
* Sur les préjudices invoqués par la SCI Les Campanules,
S'agissant du préjudice matériel de la SCI Les Campanules, le tribunal a fait sien le chiffrage de l'expert judiciaire, a rejeté la demande de la SCI Les Campanules au titre de son préjudice locatif en observant que les appartements concernés par les désordres avaient continué à être un temps loués et que la SCI Les Campanules ne justifiait pas de ce que les désordres en question étaient à l'origine de leur vacance ultérieure.
Les premiers juges ont également limité à 3.000 € le préjudice financier de la SCI Les Campanules, les représentants de la SCI (demeurant à La Réunion faisant valoir des frais somptuaires afin d'assister aux opérations d'expertise alors qu'ils disposaient d'un conseil local apte à les y représenter.
Sans revenir, à hauteur de cour, sur son préjudice financier, la SCI Les Campanules critique l'évaluation de son préjudice matériel par le tribunal sur la base du chiffrage de l'expert judiciaire qui se serait fondé sur des devis que lui avait transmis M. Patrick Y... et qui avaient été établis sans visite des lieux par les entreprises sollicitées.
La SCI Les Campanules fait valoir que les mêmes entreprises après visite des lieux se sont dites incapables de réaliser les travaux sur la base de leurs devis de 2012 qui ont été sous-estimés et ne correspondent pas à la complexité des lieux, outre le fait que, selon elles, certains travaux n'ont pas été précisés par l'expert alors que leur réalisation est implicitement incluse dans ses prescriptions.
S'agissant de son préjudice locatif, elle fait valoir que la vacance des appartements est due à la dépose des planchers rendue nécessaire dans le cadre des opérations d'expertise, les appartements n'étant alors plus habitables et ne pouvant être reloués qu'une fois les travaux de réfection réalisés.
De même, selon elle, les locaux commerciaux du rez-de-chaussée n'ont pu être loués, leurs plafonds risquant de s'effondrer sur les clients des deux commerces concernés (une boulangerie et une boucherie).
Cependant, contrairement à ce qui est allégué par la SCI Les Campanules, l'expert judiciaire ne s'est pas borné, comme elle le prétend, à fonder son chiffrage du préjudice matériel «sur des devis d'entreprises transmis par M. Y..., partie à l'instance et dont la responsabilité est indéniablement engagée, et ce à la veille du dépôt du rapport d'expertise, soit le 5 décembre 2012, ce qui n'a pas permis à la SCI Les Campanules d'y apporter contradiction».
En effet, l'expert a noté dans son rapport en page 16': «La société Agibat a estimé les travaux de remise en état des deux appartements en date du 21 novembre 2012 à la somme de 128.609,30€ ht soit 137.611,95 € ttc. Cette offre est très excessive. D'autres devis ont été établis par différentes entreprises pour les lots relevant de leurs spécialités. Il apparaît [qu'en] regroupant les offres les plus avantageuses par entreprises on obtient une offre globale s'élevant à la somme de 55.830,74 € ht, soit 59.738,89 € ttc», somme à laquelle l'expert a ajouté des honoraires de maîtrise d'oeuvre à hauteur de 8'% des travaux.
Dans ces conditions, il appartenait à la SCI Les Campanules de fournir d'autres devis que celui rejeté comme excessif par l'expert, lesquels auraient pu être soumis à la discussion contradictoire dans le cadre de l'expertise (qui a duré pas moins de quatre années), alors que tel n'est pas le cas de l'estimation de M. J... et des devis que la SCI Les Campanules produit au soutien de son actuelle demande d'indemnisation au titre de son préjudice matériel.
Il convient donc de retenir l'estimation que l'expert judiciaire a faite du préjudice matériel de la SCI Les Campanules, le jugement querellé étant confirmé de ce chef.
S'agissant du préjudice locatif, la demande de la SCI Les Campanules porte non seulement sur les pertes de loyers concernant les locaux dont la rénovation avait été confiée à M. Patrick Y... mais aussi sur des pertes de loyers touchant les locaux commerciaux du rez-de-chaussée qui ne sont pas affectés des désordres relevés par l'expert judiciaire, et ce, sans que soit rapportée la preuve de l'existence d'un risque d'effondrement.
En outre, la SCI Les Campanules qui écrit que les logements sont vacants depuis 2009 indique que la dépose de l'ensemble du plancher placosol interdisant la location des appartements serait intervenue en novembre 2010.
Cependant, la SCI Les Campanules ne justifie de cette situation que par la production d'un courrier de l'expert judiciaire demandant à M. Patrick X... de lui adresser un devis pour la «dépose complète de votre plancher placosol sur l'ensemble des logements».
De surcroît, elle ne produit aucun élément démontrant qu'elle se serait trouvée en situation de refuser la location d'un de ses biens à un locataire potentiel.
Enfin, en cause d'appel, la SCI Les Campanules se borne à produire au soutien de son estimation du préjudice locatif un récapitulatif établi par ses soins qui n'a aucun caractère probant.
Le jugement attaqué sera donc confirmé en ce qu'il a débouté la SCI Les Campanules du surplus de ses demandes indemnitaires, et notamment de sa demande au titre d'un préjudice locatif.
* Sur les demandes accessoires,
Aucune considération tirée de l'équité ne justifie qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur de cour.
Succombant pour l'essentiel, la SCI Les Campanules sera condamnée aux dépens d'appel, les dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens de première instance étant, par ailleurs, confirmées, ainsi que celles non soumises à la critique des parties.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et après en avoir délibéré conformément à la loi,
Confirme le jugement du tribunal de grande instance de Besançon en date du 12 juillet 2016, sauf en ce qu'il a dit que dans leurs rapports réciproques, la charge définitive des condamnations serait supportée à proportion de la moitié par M. Patrick Y... et son assureur, Groupama Grand Est, d'une part, et par M. Patrick X... et son assureur, la Sa Allianz Iard , d'autre part.
Statuant à nouveau uniquement sur ce point,
Dit que dans leurs rapports réciproques, la charge définitive des condamnations sera supportée à proportion de 80'% par M. Patrick Y... et son assureur, Groupama Grand Est, d'une part, et de 20'% par M. Patrick X... et son assureur, la SA Allianz Iard , d'autre part.
Y ajoutant,
Déboute les parties de leurs prétentions respectives sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne la SCI Les Campanules aux dépens d'appel, avec possibilité pour la SELARL D... & Associés, avocat, de se prévaloir des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Ledit arrêt a été signé par Monsieur Edouard Mazarin, Président de chambre, magistrat ayant participé au délibéré, et par Madame Dominique Borowski, Greffier.
Le Greffier, Le Président de chambre