ARRET N° 18/
JC/KM
COUR D'APPEL DE BESANCON
ARRET DU 27 FEVRIER 2018
CHAMBRE SOCIALE
Réputé contradictoire
Audience publique
du 16 janvier 2018
N° de rôle : 17/00512
S/appel d'une décision
du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MONTBELIARD
en date du 14 février 2017
Code affaire : 80A
Demande d'indemnités liées à la rupture du contrat de travail CDI ou CDD, son exécution ou inexécution
APPELANTE
Madame [H] [W], demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Pierre-Yves DUFFET, avocat au barreau de MONTBELIARD
INTIMEE
SAS LABORATOIRES INNOTHERA, [Adresse 2]
non représentée
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors des débats du 16 Janvier 2018 :
Mme Christine K. DORSCH, Présidente de Chambre
M. Jérôme COTTERET, Conseiller
M. Patrice BOURQUIN, Conseiller
qui en ont délibéré,
Mme Karine MAUCHAIN, Greffier lors des débats
Les parties ont été avisées de ce que l'arrêt sera rendu le 27 Février 2018 par mise à disposition au greffe.
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FAITS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
Mme [H] [W] a été embauchée selon contrat de travail à durée indéterminée le 5 janvier 2011 par la S.A.S. Laboratoires INNOTHERA comme déléguée technico-commerciale de santé et a été affectée à la région Est, secteur 211.
Après convocation à un entretien préalable, elle a été licenciée par courrier recommandé du 15 octobre 2014 pour insuffisance professionnelle.
Contestant son licenciement, Mme [H] [W] a saisi le conseil de prud'hommes de [Localité 1] par déclaration enregistrée au greffe le 26 mai 2015 afin d'obtenir la condamnation de la S.A.S. Laboratoires INNOTHERA à lui verser la somme de 25'455,61 € à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive ainsi qu'une indemnité de 2 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement rendu le 14 février 2017 en formation de départage, le conseil de prud'hommes de [Localité 1] a débouté Mme [H] [W] de ses prétentions et l'a condamnée aux dépens.
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Par déclaration enregistrée au greffe de la Cour le 28 février 2017, Mme [H] [W] a interjeté appel de cette décision.
Dans ses écrits déposés le 18 mai 2017, elle maintient ses prétentions de première instance, portant à la somme de 3 500 € l'indemnité au titre des frais irrépétibles.
Elle conteste les faits d'insuffisance professionnelle, expliquant qu'à compter de septembre 2013, un nouveau secteur, beaucoup plus difficile, lui a été attribué et qu'elle aurait eu besoin de davantage de temps pour en améliorer les résultats.
Elle ajoute avoir été mise en concurrence avec des commerciaux de la région déjà en poste depuis longtemps et que les griefs qui lui sont reprochés ne reposent que sur des considérations théoriques.
Elle précise n'avoir commis aucune erreur, ni aucune négligence dans l'application des consignes.
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L'ordonnance de clôture est intervenue le 31 juillet 2017.
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Dans ses conclusions déposées le 9 octobre 2017, la S.A.S. Laboratoires INNOTHERA sollicite la confirmation du jugement, y ajoutant une indemnité de 5 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle maintient que les griefs d'insuffisance professionnelle reprochés à la salariée sont établis.
À l'audience du 16 janvier 2017, la S.A.S. Laboratoires INNOTHERA n'a pas comparu et ne s'est pas fait représenter.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
À titre liminaire, la Cour observe d'une part que la S.A.S. Laboratoires INNOTHERA n'a pas comparu et ne s'est pas fait représenter à l'audience et d'autre part que ses conclusions et pièces, déposées au greffe postérieurement à l'ordonnance de clôture, sont irrecevables en application de l'article 783 du code de procédure civile.
Toutefois, en application de l'article 472 du même code, si le défendeur ne comparaît pas, il est néanmoins statué sur le fond, le juge ne faisant droit à la demande que dans la mesure où il l'estime régulière, recevable et bien fondée.
Il en résulte, ce que confirme une jurisprudence constante, que la cour d'appel qui n'est pas saisie de conclusions par l'intimé doit, pour statuer sur l'appel, examiner les motifs du jugement ayant accueilli les prétentions de cette partie en première instance.
1° ) Sur l'existence d'une cause réelle et sérieuse :
Il ressort des articles L. 1232-1 et L. 1232-6 du code du travail que l'insuffisance professionnelle d'un salarié constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement dont les motifs doivent être énoncés dans la lettre de licenciement fixant les limites du litige, et matériellement vérifiables.
Aux termes de cette lettre datée du 15 octobre 2014, notifiée par lettre recommandée avec accusé de réception, et dont la Cour ne peut reprendre que les extraits analysés par le premier juge, il est reproché à Mme [H] [W] les faits d'insuffisance professionnelle suivants :
- une mauvaise performance s'illustrant au travers de la baisse significative de sa part de marché, très en deçà des chiffres des parts de marché de la 'Région 2" et 'Nationale',
- un topage très médiocre et une perspective très négative en 2014 alors que le chiffre d'affaires 'topé' est le 'moteur',
- des erreurs et des négligences dans l'application et le suivi des consignes émanant de la Direction des ventes.
a - sur la mauvaise performance de la salariée :
Mme [H] [W] explique qu'à son embauche le 5 janvier 2011, elle a été affectée sur le secteur 211 correspondant aux départements du Territoire de [Localité 2], à la moitié du département du Haut-Rhin ainsi qu'à une partie du département du [Localité 3], et qu'elle y a travaillé jusqu'au mois de juillet 2013. Elle précise qu'il s'agissait d'un secteur sur lequel la S.A.S. Laboratoires INNOTHERA avait des parts de marché extrêmement faibles en comparaison avec d'autres secteurs, ce qui lui a permis de faire progresser les parts de marché dans des proportions importantes. Elle indique que l'employeur, satisfait de ses résultats, l'a alors affectée en septembre 2013 sur le secteur 222 correspondant au département du [Localité 3], à une partie du [Localité 4] (secteur de [Localité 5]) et de la Haute-Saône (secteur de [Localité 6] et de [Localité 7]), au département du Territoire de [Localité 2] ainsi qu'à une partie de département du Haut-Rhin (secteur d'[Localité 8], de [Localité 9], du [Localité 10] et de [Localité 11]), dont les résultats en parts de marché étaient nettement inférieurs à ceux d'autres secteurs voisins.
Mme [H] [W] explique que la S.A.S. Laboratoires INNOTHERA ne lui a pas laissé suffisamment de temps pour prendre en charge ce nouveau secteur et notamment pour rencontrer les pharmaciens, alors que par ailleurs un courrier électronique de l'employeur du 13 octobre 2013 la félicitait sur l'évolution positive des chiffres d'affaires.
Elle ajoute encore que ses résultats doivent être replacés dans leur contexte au regard de la diminution du nombre de pharmacies en raison des difficultés économiques depuis 2010 ainsi qu'au regard de la faible densité des pharmacies en Alsace.
Mme [H] [W] soutient également que les autres commerciaux de la région étaient déjà en place depuis longtemps et qu'il lui était ainsi difficile, en une seule année, de capter des parts de marché.
Il résulte du jugement du conseil de prud'hommes que l'employeur a pour sa part présenté les arguments suivants :
La S.A.S. Laboratoires INNOTHERA a soutenu que Mme [H] [W] avait bénéficié d'objectifs chiffrés et réalistes, du soutien de sa hiérarchie ainsi que d'une formation adéquate. Il a également expliqué que le contexte économique était stable et satisfaisant, comme le démontre le nombre inchangé d'officines et de pharmaciens inscrits au tableau de l'Ordre. Il a enfin produit une étude de marché sur le secteur 222 démontrant une quasi stagnation des résultats, avec une diminution du 4ème semestre 2013 au 1er semestre 2014 alors même que les résultats nationaux et régionaux étaient en hausse.
Toutefois, force est de constater que ces éléments, non contestés dans leur matérialité par la salariée, ne répondent pas aux objections soulevées par cette dernière pour les justifier, si bien que ce premier grief n'apparaît pas constitué.
b - sur la médiocrité du topage et la perspective négative pour 2014 :
Mme [H] [W] explique que lui sont reprochées la situation de son secteur qui reste dans les dernières positions du classement 'chiffre d'affaires et évolution du chiffre d'affaires', ainsi que la non réalisation des objectifs du chiffre d'affaires concernant les clients 'topés'.
Le topage consiste à faire signer des contrats commerciaux avec les pharmaciens aux termes desquels ils s'obligent pour l'avenir à réaliser un chiffre d'affaires avec la S.A.S. Laboratoires INNOTHERA.
Il résulte du jugement de départage que la S.A.S. Laboratoires INNOTHERA, au soutien de ce grief, a justifié que les objectifs en matière de 'topage' sur l'année 2014 n'ont jamais été atteints, le résultat de la salariée n'étant que de 51 % de l'objectif fixé.
Il est constant que Mme [H] [W] ne conteste pas cette réalité. Toutefois, elle explique que ces mauvais résultats découlent des mêmes causes à l'origine du premier grief.
Ainsi, à défaut d'autres éléments produits par l'employeur à hauteur de Cour, il convient de dire que ce deuxième grief n'est pas davantage constitué.
c - sur les erreurs et les négligences dans l'application et le suivi des consignes émanant de la Direction des ventes :
Mme [H] [W] ne reconnaît qu'une seule erreur, celle ayant amené la livraison à une pharmacie de chaussettes au lieu de collants. Elle explique toutefois que les conséquences financières pour l'employeur étaient strictement négligeables.
En ce qui concerne les arguments présentés par l'employeur, le conseil de prud'hommes indique :
'Enfin, des erreurs de consignes quant à des commandes de produits doivent être retenues. La salariée a également méconnu une consigne précise de démarchage d'un client potentiel, la pharmacie de [Localité 12]'.
À défaut d'autres précisions dans le jugement et d'éléments complémentaires portés à hauteur de Cour par l'employeur, force est de constater que le troisième grief au soutien de l'insuffisance professionnelle n'est pas davantage établi.
Au regard de l'ensemble de ces observations, il convient d'infirmer le jugement déféré et de déclarer le licenciement de Mme [H] [W] dépourvu de cause réelle et sérieuse.
2° ) Sur les conséquences financières du licenciement abusif :
La S.A.S. Laboratoires INNOTHERA comptant plus de 11 salariés au moment du licenciement et Mme [H] [W] ayant plus de 2 ans d'ancienneté, les dommages et intérêts pour licenciement abusif ne peuvent être inférieurs à l'équivalent de 6 mois de salaire.
En l'espèce, il est constant que Mme [H] [W], âgée de 38 ans au moment de la rupture du contrat de travail, avait plus de 3 ans d'ancienneté.
Elle précise, mais sans en justifier, ne pas avoir retrouvé d'emploi.
Au regard de ces éléments, après avoir observé que la moyenne des 6 derniers mois de salaire s'élève à la somme de 3 181,95 € brut par mois, il convient de fixer les dommages et intérêts dus pour licenciement abusif à la somme de 22 200 €.
3° ) Sur les effets de la décision vis-à-vis des tiers :
Aux termes de l'article L. 1235-4 du code du travail, dans les cas prévus à l'article L. 1235-3, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé.
Dans la mesure où la salariée n'a pas précisé si elle a bénéficié de telles prestations, il y a lieu d'ordonner le remboursement des indemnités de chômage dans la limite prévue ci-dessus.
4° ) Sur les dépens et les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile:
Le jugement ayant été intégralement infirmé, la S.A.S. Laboratoires INNOTHERA devra supporter les entiers dépens de première instance et d'appel.
L'équité commande en revanche d'allouer à Mme [H] [W] une indemnité de 3 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, Chambre sociale, statuant par arrêt réputé contradictoire mis à disposition au greffe, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,
INFIRME le jugement de départage rendu par le conseil de prud'hommes de [Localité 1] le 14 février 2017 en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau,
DÉCLARE le licenciement de Mme [H] [W] dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
CONDAMNE la S.A.S. Laboratoires INNOTHERA à lui verser la somme de vingt deux mille deux cents euros (22.200 €) à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
DIT que la S.A.S. Laboratoires INNOTHERA devra le cas échéant rembourser aux organismes intéressés les indemnités de chômage versées à la salariée dans la limite de six mois à compter de la rupture sur le fondement des dispositions de l'article L. 1235-4 du code du travail ;
CONDAMNE la S.A.S. Laboratoires INNOTHERA aux entiers dépens de première instance et d'appel ainsi qu'à verser à Mme [H] [W] une indemnité de trois mille euros (3 000 €) en application de l'article 700 du code de procédure civile.
LEDIT ARRÊT aa été prononcé par mise à disposition au greffe le vingt sept février deux mille dix huit et signé par Mme Christine K-DORSCH, Présidente de Chambre, et Mme Karine MAUCHAIN, Greffière.
LE GREFFIER,LE PRESIDENT DE CHAMBRE,