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05/05/2017 | FRANCE | N°16/00128

France | France, Cour d'appel de Besançon, Chambre sociale, 05 mai 2017, 16/00128


ARRET N°

CP/GB



COUR D'APPEL DE BESANCON

- 172 501 116 00013 -

ARRET DU 05 MAI 2017



CHAMBRE SOCIALE





Contradictoire

Audience publique

du 07 mars 2017

N° de rôle : 16/00128



S/appel d'une décision

du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BELFORT

en date du 18 décembre 2015

Code affaire : 80C

Demande d'indemnités ou de salaires





[S] [A], [Z] [I], [B] [H], [B] [P], [K] [E], [E] [J], [G] [F], [B] [Z], [U] [Y], [B] [H], [A] [N]

, [T] [S], [U] [L], [U] [W], [E] [U], [A] [M], [W] [D], [I] [R]

C/

SA ALSTOM HOLDINGS, SAS ALSTOM POWER SERVICE, SA ALSTOM TRANSPORT, SAS ALSTOM POWER SYSTEMS







PARTIES EN CAUS...

ARRET N°

CP/GB

COUR D'APPEL DE BESANCON

- 172 501 116 00013 -

ARRET DU 05 MAI 2017

CHAMBRE SOCIALE

Contradictoire

Audience publique

du 07 mars 2017

N° de rôle : 16/00128

S/appel d'une décision

du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BELFORT

en date du 18 décembre 2015

Code affaire : 80C

Demande d'indemnités ou de salaires

[S] [A], [Z] [I], [B] [H], [B] [P], [K] [E], [E] [J], [G] [F], [B] [Z], [U] [Y], [B] [H], [A] [N], [T] [S], [U] [L], [U] [W], [E] [U], [A] [M], [W] [D], [I] [R]

C/

SA ALSTOM HOLDINGS, SAS ALSTOM POWER SERVICE, SA ALSTOM TRANSPORT, SAS ALSTOM POWER SYSTEMS

PARTIES EN CAUSE :

Monsieur [S] [A], demeurant [Adresse 1]

Monsieur [Z] [I], demeurant [Adresse 2]

Monsieur [B] [H], demeurant [Adresse 3]

Monsieur [B] [P], demeurant [Adresse 4]

Monsieur [K] [E], demeurant [Adresse 5]

Monsieur [E] [J], demeurant [Adresse 6]

Monsieur [G] [F], demeurant [Adresse 7]

Monsieur [U] [Y], demeurant [Adresse 8]

Monsieur [B] [H], demeurant [Adresse 9]

Monsieur [A] [N], demeurant [Adresse 10]

Monsieur [T] [S], demeurant [Adresse 11]

Monsieur [U] [L], demeurant [Adresse 12]

Monsieur [U] [W], demeurant [Adresse 13]

Monsieur [E] [U], demeurant [Adresse 14]

Monsieur [A] [M], demeurant [Adresse 15]

Monsieur [W] [D], demeurant [Adresse 16]

Monsieur [I] [R], demeurant [Adresse 17]

représentés par Me Anne LHOMET, avocat au barreau de BELFORT

Monsieur [B] [Z], demeurant [Adresse 18]

représenté par Me André CHAMY, avocat au barreau de MULHOUSE

APPELANTS

ET :

SA ALSTOM HOLDINGS, [Adresse 19]

SAS ALSTOM POWER SERVICE, [Adresse 19]

SAS ALSTOM POWER SYSTEMS, [Adresse 20]

représentées par Me Magali THORNE, avocat au barreau de PARIS

SA ALSTOM TRANSPORT, [Adresse 21]

représentée par Me Thomas HUMBERT, avocat au barreau de PARIS

INTIMEES

COMPOSITION DE LA COUR :

lors des débats du 07 Mars 2017 :

PRESIDENT DE CHAMBRE : Madame Chantal PALPACUER

CONSEILLERS : Monsieur Jérôme COTTERET et Monsieur Patrice BOURQUIN

GREFFIER : Madame Gaëlle BIOT et Mlle Stéphanie MOLINARI, Greffier stagiaire

Lors du délibéré :

PRESIDENT DE CHAMBRE : Madame Chantal PALPACUER

CONSEILLERS : Monsieur Jérôme COTTERET et Monsieur Patrice BOURQUIN

Les parties ont été avisées de ce que l'arrêt sera rendu le 05 Mai 2017 par mise à disposition au greffe.

**************

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES:

Messieurs [K] [E], [E] [J], [G] [F], [S] [A], [U] [Y], [Z] [I], [B] [H], [B] [P] [H], [A] [N], [T] [S], [U] [L], [U] [W], [E] [U], [A] [M], [B] [P], [W] [D], [I] [R] et M. [B] [Z], tous anciens salariés des différentes entités Alstom présentes sur le site de [Localité 1] ont saisi le Conseil de Prud'hommes de Belfort le 13 janvier 2015, de demandes dirigées contre les sociétés :

- Alstom Power Systems Sas,

- Alstom Power service Sas,

- Alstom Holdings Sa,

- Alstom Transport Sa,

afin d'obtenir l'indemnisation de leur préjudice d'anxiété en raison de leur exposition aux poussières d'amiante au cours des années 1960 à 1985.

Par jugement en date du 18 décembre 2015, le Conseil de Prud'hommes après avoir joint tous les dossiers, a retenu que l'action engagée était prescrite et rejeté les demandes, motif pris que le délai de prescriptio

n applicable était celui de cinq ans et que le point de départ était celui du 30 octobre 2007, date à laquelle la société Alstom a été classée «site Amiante» par arrêté ministériel, ce classement ouvrant alors droit pour les salariés exposés aux poussières d'amiante au bénéfice de l'allocation de cessation anticipée des Travailleurs de l'amiante(ACAATA).

Les dix-huit salariés ont interjeté appel de la décision.

*

Dans leurs dernières conclusions déposées le 27 février 2017, les dix sept salariés assistés par Me Lhomet, demandent à la cour d'infirmer le jugement, de déclarer leurs demandes recevables, de condamner les quatre sociétés Alstom à leur verser à chacun:

- la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice d'anxiété,

- la somme de 5000 euros à titre de dommages et intérêts pour absence de remise de l'attestation d'exposition à l'amiante,

- 1000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile .

Ils fondent leur demande sur les dispositions de l'article 1147 du code civil.

Les dix sept salariés font valoir que :

A) Sur la prescription:

- le préjudice spécifique d'anxiété est un préjudice corporel de sorte que la demande en réparation de ce préjudice est soumise au délai de prescription prévu par l'article 2226 du code civil issu de la loi du 17 juin 2008 qui précise que l'action née à raison d'un événement ayant entraîné un dommage corporel par la victime directe ou indirecte des préjudices en résultant se prescrit par dix ans,

- l'anxiété est un dommage corporel, ce qui est reconnu tant par la chambre sociale que criminelle de la Cour de cassation notamment dans l'arrêt du 11 mai 2010 ayant créé le préjudice d'anxiété spécifique mais aussi par la nomenclature Dintilhac,

- l'action intentée est donc bien soumise à la prescription de dix ans applicable aux actions en réparation d'un dommage corporel,

- le délai ne saurait courir qu'à compter du jour où celui contre lequel on l'invoque a pu agir valablement,

- la Cour de cassation, dans un arrêt de principe du 19 novembre 2014, a retenu que les salariés bénéficiaires de l'ACAATA avaient eu connaissance du risque à l'origine de l'anxiété à compter de l'arrêté ministériel d'inscription de la société sur la liste des établissements permettant la mise en 'uvre de l'ACAATA,

- le site Alstom de Belfort a été classé en «site amiante», pour les années 1960 à 1985, par arrêté ministériel du 30 octobre 2007, complété par arrêté du 12 octobre 2009,

- toutefois, les salariés n'ont pas été informés de l'arrêté ministériel alors que la loi du 23 décembre 1998 impose à l'employeur de l'afficher sur le lieu de travail,

- la société Alstom a contesté l'arrêté de classement en site amiante du 30 octobre 2007 qui a été annulé par la cour d'appel administrative de Nancy infirmant le jugement du tribunal administratif de Besançon du 3 juillet 2007,

- dès lors, s'agissant d'un arrêté illégal, il ne peut plus servir de base légale et de point de départ de la prescription,

- par ailleurs, le point de départ de la prescription doit être reporté du fait de l'impossibilité d'agir avant la reconnaissance du droit à indemnisation du préjudice d'anxiété, soit à la date de l'arrêt de la Cour Cassation du 11 mai 2010 l'instituant,

- ce principe a été consacré par la jurisprudence de la Cour de cassation au regard des arrêts rendus et relatés dans son rapport annuel 2014 mais aussi par les réponses du Garde des Sceaux apportées aux parlementaires, et enfin, repris dans un jugement du Conseil de Prud'hommes de Mulhouse du 12 mai 2015,

- de même, l'accord collectif signé le 18 décembre 2014 avec la SNC GE Energy Products France qui avait repris une partie de l'activité d'Alstom en 1999, démontre que la prescription ne court pas à compter de l'arrêté ministériel. Cet accord prévoit des mesures d'accompagnement pour les salariés notamment une indemnisation forfaitaire et globale du préjudice d'anxiété pour tous les salariés aussi bien pour ceux qui avait adhéré que pour ceux qui, bien qu'étant éligibles, avaient fait le choix de ne pas adhérer au dispositif de cessation anticipée de retraite (CAATA),

- enfin, retenir que le délai court avant qu'ils aient eu connaissance de leurs droits, les priverait d'un droit à un procès équitable et serait contraire à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme;

B) Sur l'exposition au risque :

- ils fondent leur demande sur la responsabilité contractuelle et sur la violation par l'employeur de son obligation de sécurité de résultat,

- depuis l'arrêt du 2 avril 2014, la cour de cassation considère que la preuve de l'anxiété est induite par l'exposition au risque de sorte qu'elle n'a plus à être prouvée; le simple classement de la société en site amiante par arrêté ministériel suffit à caractériser la violation par l'employeur de l' obligation de sécurité de résultat,

- en l'espèce, l'arrêté de classement de 2007 a certes été invalidé, mais il n'a été ni retiré ni abrogé de sorte que le bénéfice des décisions individuelles prises antérieurement sur son fondement demeure acquis, et ce, en application du principe de sécurité juridique,

- la société Alstom n'avait introduit aucun recours contre l'arrêté ministériel classant le site de [Localité 1] en site amiante, probablement car le préjudice d'anxiété n'avait pas été encore reconnu en 2007 mais elle l'a utilisé en incitant les salariés à entrer dans le dispositif CAATA, de sorte qu'elle ne saurait se prévaloir de son invalidation pour écarter la présomption d'exposition à l'amiante, ce qui serait une violation du principe de l'estoppel.

C) Sur la conscience du danger par la société Alstom :

- la société a été, à plusieurs reprises, condamnée au titre de la faute inexcusable, la Cour de cassation mais aussi la cour de Besançon retenant que la société aurait dû avoir ou avait conscience du danger auquel elle exposait ses salariés et qu'elle n'avait pas pris les moyens nécessaires pour les préserver,

- le risque de se voir diagnostiquée dans les prochaines années une maladie professionnelle invalidante voire mortelle du fait de cette exposition est prégnant;

D)Sur l'absence de remise de l'attestation d'exposition à l'amiante :

- l'article 16 du décret du 7 février 1996 relatif à la protection des travailleurs contre les risques liés à l'inhalation de poussière d'amiante prévoit «qu'une attestation d'exposition est remplie par l'employeur et le médecin du travail dans les conditions fixées par un arrêté ministériel.. et est remise au salarié par l'employeur à son départ,»

- si ce décret a été abrogé, l'article L4121-3-1 du code du travail impose à l'employeur d'établir des fiches d'exposition et de les remettre au médecin du travail et aux salariés lors de leur départ;

- la société Alstom n'a pas rempli son obligation et a commis une faute.

***

Dans ses conclusions déposées le 30 janvier 2017, M. [Z] assisté de Me Chamy, également ancien salarié de la société Alstom, demande la condamnation solidaire ou individuelle des quatre sociétés intimées à lui verser la somme de 15 000 euros en réparation du préjudice d'anxiété, à lui remettre un certificat d'exposition indiquant la nature et la période d'exposition sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de l'arrêt à intervenir, à lui payer 5000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice lié au refus de fournir ce document et enfin, 1000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Il rappelle dans un premier temps l'historique de la société depuis sa création et les fusions et ventes intervenues, dont la dernière survenue en 2014 à savoir la vente de la filière énergie à Général Electric qu'il dit avoir extrait du site Wikipedia et en tire comme conclusion que les salariés n'étaient pas toujours informés de ces modifications, tout en reconnaissant que cela était sans conséquence sur leur activité et leurs responsables.

Il souligne la continuité de l'appartenance au Groupe Alstom sans distinction aucune entre les différentes entités et le flou entre ces dernières de sorte que la mise en cause des quatre sociétés n'affecte pas la réclamation mais tend à les faire considérer comme co employeurs et à obtenir leur condamnation solidaire.

Sur la prescription, il soutient lui aussi qu'elle ne pouvait pas courir avant la création du droit à indemnisation du préjudice d'anxiété qui date du 11 mai 2010, aucun texte légal ne le consacrant auparavant.

Il souligne également que les sociétés ne justifient pas de l'information donnée aux salariés de leur inscription en «site amiante», que l'arrêté ministériel de classement a été invalidé mais n'a jamais été retiré et ne peut servir de base à la prétendue information; que le fait d'avoir bénéficié du dispositif CAATA ne saurait valoir information du droit à indemnisation car cela créerait une inégalité de traitement entre ceux qui en ont bénéficié et les autres.

Il affirme que l'exercice du droit à l'action ne peut donc pas être confondu avec la preuve de l'exposition qui résulte de la date d'inscription.

Il précise que le Conseil d'Etat a confirmé la décision de la cour administrative d'appel de Nancy dans un arrêt du 22 mars 2010.

Il s'interroge sur la date à laquelle la société a pris la décision d'appliquer volontairement l'arrêté annulé et considère que cela ne peut pas être antérieurement à la décision du conseil d'Etat.

En outre, il a quitté le site en 1999 soit bien avant que le site soit classé en site amiante.

Il précise que, quand bien même il n'a pas bénéficié du dispositif ACAATA, il peut obtenir une indemnisation, n'ayant ni à prouver l'exposition à l'amiante ni son préjudice dès lors qu'il a travaillé sur le site classé site «amiante».

******

Dans leurs dernières conclusions déposées le 6 mars 2017 complétant celles déposées le 6 février 2017, les sociétés Alstom Power Service et Alstom Power Systems précisent que:

' la société Alstom Power Service ne prend ses conclusions qu'à l'encontre de MM. [S] [A], [Z] [I] et [B] [P] [H].

' et la société Alstom Power System contre MM.[K] [E], [E] [J], [G] [F], [U] [Y], , [B] [H], [A] [N], [T] [S], [U] [L], [U] [W], [E] [U], [A] [M], [W] [D], [I] [R], [B] [Z].

Les deux sociétés intimées soulèvent à titre liminaire, l'incompétence de la cour pour statuer d'office sur l'illégalité de l'arrêté ministériel de classement du 30 octobre 2007, considérant que la juridiction ne pourrait que surseoir à statuer et renvoyer les parties à saisir la juridiction administrative.

Elles demandent à titre principal, la confirmation du jugement du Conseil de Prud'hommes, estimant les demandes irrecevables car prescrites.

Elles concluent à titre subsidiaire, au rejet de toutes les demandes estimant que les appelants ne sauraient prétendre à l'indemnisation du préjudice d'anxiété, d'une part sur la base de la présomption d'exposition à l'amiante issue du classement en site amiante dès lors que l' arrêté ministériel est entaché d'illégalité, et d'autre part, sur la base de la responsabilité civile de droit commun dès lors qu'ils ne prouvent l'existence ni d'un dommage causé par un manquement aux obligations de sécurité, ni d'une exposition personnelle et directe à l'amiante.

Elles sollicitent de plus, la condamnation de chacun des appelants à leur verser une somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Sur la prescription, elles rappellent en substance que les dispositions de l'article 2224 du code civil prévoient une prescription de cinq ans à compter de la date de connaissance des faits, soit de la décision de classement en site amiante du 30 octobre 2007 qui, au demeurant, a été publiée au Journal Officiel. Il importe peu que l'arrêté ait été annulé car l'annulation est sans importance sur la date de la connaissance de la situation permettant aux salariés d'agir.

Elles précisent en outre que l'arrêté ministériel n' a été ni retiré ni abrogé par le gouvernement, malgré la décision de la cour administrative d'appel du 22 juin 2009 pour un motif politique de sorte qu'il continue de produire effet puisqu'il permet d'admettre des salariés ou anciens salariés au dispositif de l'Acaata. Elles précisent que par arrêté du 12 octobre 2009 du Ministre du travail, deux nouvelles entités d'Alstom ont été ajoutées dans le classement ACAATA.

****

La société Alstom Holdings a pris ses conclusions déposées le 7 mars 2017 à l'encontre des dix huit salariés.

Elle soulève l'irrecevabilité de sa mise en cause et des demandes nouvelles tendant à sa condamnation, formulées à hauteur d'appel. Elle demande sa mise hors de cause et la condamnation de chaque appelant à lui verser une somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle précise que les appelants l'ont attraite dans la procédure prud'homale en qualité d'intervenant forcé aux fins de lui voir le jugement déclaré commun et opposable.

Elle considère donc que la demande en appel tendant à la voir condamnée est irrecevable dès lors que, d'une part, elle avait été appelée comme intervenant forcé et, d'autre part, en l'absence de toute demande nouvelle formulée par voie d'assignation et non par voie de simples conclusions et enfin, en l'absence de toute évolution du litige le justifiant.

En outre, elle fait valoir que les appelants ne justifient pas de leur intérêt à sa mise en cause, sa seule appartenance à un Groupe étant insuffisante et rappelle qu'elle n'a jamais été leur employeur .

A titre subsidiaire, elle fait sienne l'argumentation des sociétés Alstom Power Service, Alstom Power System et Alstom Transports et demande de constater que les actions sont prescrites.

****

La société Alstom Transport a pris des conclusions déposées le 20 décembre 2016 à l'encontre de M. [B] [P] et des conclusions d'irrecevabilité à l'encontre des 18 salariés, le 3 mars 2017.

Dans les conclusions déposées le 20 décembre 2016, la société demande de confirmer le jugement en ce qu'il a retenu la prescription de l'action intentée par M. [P] et à titre subsidiaire, de débouter celui-ci de sa demande d'indemnisation d'un préjudice d'anxiété ou plus subsidiairement, de réduire le montant alloué à de plus justes proportions.

Elle conclut aussi au rejet de la demande relative à l'absence de délivrance de l'attestation d'exposition. Elle sollicite la condamnation de M. [P] aux dépens et à lui verser une somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile .

Elle précise que M. [P] a été embauché le 8 décembre 1980 en qualité d'ajusteur sur le site de [Localité 1] et qu'il occupait en dernier lieu, un poste de responsable montage. Il a quitté l'entreprise le 30 septembre 2014 dans le cadre du dispositif de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante .

La société a complété ses conclusions par celles du 3 mars 2017 tendant à l'irrecevabilité, au visa de l'article 122 du code de procédure civile, des demandes dirigées contre elle, par les 17 autres salariés, pour défaut de qualité à agir, n'ayant jamais été leur employeur.

Sur la prescription, elle fait valoir que l'anxiété n'est pas un dommage corporel de sorte que ce n'est pas l'article 2226 du code civil qui s'applique mais l'article 2224 dudit code qui prévoit une prescription quinquennale depuis la loi du 17 juin 2008 la substituant à la prescription de 30 ans. Elle précise que si la prescription a commencé à courir avant le 19 juin 2008, elle est nécessairement acquise au 19 juin 2013.

Le point de départ de la prescription a été fixé au plus tard à la date de publication de l'arrêté de classement de la société en site amiante par la cour de cassation considérant que c'est le point de départ «objectif» qui peut donc être antérieur si les salariés avaient connaissance du risque d'exposition auparavant.

Or, les salariés en avaient connaissance dès la publication du décret du 17 août 1977 relatif aux mesures particulières d'hygiène applicables dans les établissements où les salariés sont exposés à l'amiante, voire même antérieurement puisque le 3 août 1945, l'asbestose est reconnue comme maladie professionnelle et le 3 octobre 1951, est créé le tableau n°30 relatif aux maladies consécutives à l'inhalation de poussières d'amiante.

De plus, le risque était connu aussi des salariés et des syndicats puisqu'il existait un dispositif de surveillance médicale spécifique sur le site de [Localité 1], qu'il y a eu de nombreux rappels des règles en matière de surveillance médicale, et qu'à partir de 1996, différentes actions ont été menées par les salariés et par les syndicats dont la presse s'est fait l'écho.

En tout état de cause, l'amiante a été interdite le 2 juillet 1996.

M. [P] avait donc connaissance avant 2008 du risque d'exposition à l'amiante de sorte que son action était prescrite le 19 juin 2013.

Elle ajoute en outre, que même si ce raisonnement n'était pas retenu, la date à prendre en compte serait celle de l'arrêté du 30 octobre 2007 de sorte qu'étant antérieure à 2008, l'action serait aussi prescrite.

En réponse à l'argumentation adverse, elle fait observer que c'est à l'initiative des membres du Comité d'hygiène et de sécurité et des conditions au travail que dès 2002, les démarches ont été entreprises pour obtenir le classement du site et que ce sont eux aussi qui ont introduit les recours contre la décision de refus du 7 février 2005. Par ailleurs, elle fait observer que l'arrêté du 30 octobre 2007 avait bien été porté à la connaissance des salariés par le biais de réunions d'information organisées dès 2008 par la direction et en présence des salariés, des membres élus et de la Caisse Régionale d'Assurance Maladie pour définir les modalités d'accès au dispositif de l'ACAATA.

Elle ajoute que M. [P] comme d'autres salariés, a bénéficié du dispositif ACAATA ouvert par cet arrêté.

Elle conclut qu'il importe peu que les salariés soient partis avant ou après la publication de l'arrêté de classement ou qu'ils aient été présents à cette date.

Elle considère que le délai ne pouvait être reporté en l'absence de toute preuve de l'existence d'un empêchement résultant de la loi, de la convention ou d'un cas de force majeure.

Enfin, elle précise que le fait générateur du préjudice spécifique d'anxiété est le classement du site sur les listes ouvrant droit à l'ACAATA et non la reconnaissance en mai 2010 du droit à indemnisation dudit préjudice par la Cour de cassation.

Elle conclut que le point de départ de la prescription est bien la décision de classement du site quand bien même elle a été annulée, cette date restant la date objective opposable à tous.

A titre subsidiaire, et sur le droit à réparation, elle fait observer que seuls les salariés éligibles au dispositif de l'ACAATA bénéficient d'une présomption d'exposition à l'amiante et peuvent être indemnisés du préjudice d'anxiété. Les autres doivent prouver d'une manière certaine cette exposition et le préjudice en résultant.

De plus, elle fait valoir que le préjudice qui résulterait d'un manquement à l' obligation de sécurité est inclus dans le préjudice d'anxiété et ne peut faire l'objet d' une indemnisation distincte et que l'établissement de [Localité 1], n'ayant pas été classé comme site amiante, il n'existe pas de fondement à la demande d'indemnisation.

En toute hypothèse, le salarié ne prouve ni l'exposition à l'amiante ni le préjudice indemnisable et encore moins le lien de causalité.

En dernier lieu, elle précise que le montant demandé est exagéré et demande qu'il soit réduit à de plus justes proportions.

Sur la demande de remise de l' attestation, elle conclut au rejet estimant que M. [P] ne justifie pas remplir les conditions de sa délivrance.

****

En application de l'article 455 du code de procédure civile, la Cour se réfère pour l'exposé des moyens des parties à leurs conclusions visées par le greffe et développées lors de l'audience du 7 mars 2017 au cours de laquelle le conseil des appelants a reconnu que seul M. [P] était employé par la société Alstom Transport et admis comme exacte la répartition des salariés entre les différentes sociétés.

Me Chamy pour M. [Z] a maintenu que les quatre sociétés étaient concernées.

MOTIFS DE LA DECISION :

A) Sur les irrecevabilités soulevées:

a) Sur l'irrecevabilité soulevée par la société Alstom Transport:

Les dix huit salariés ont formulé leurs demandes à l'encontre de la société Alstom Transport alors que cette dernière ne reconnaît avoir été l'employeur que de M. [B] [P].

Me Lhomet reconnaît que seul M. [P] a été employé par la société Alstom Transport.

Il convient en conséquence de constater le défaut de qualité à agir de Messieurs [K] [E], [E] [J], [G] [F], [S] [A], [U] [Y], [Z] [I], [B] [H], [B] [H], [A] [N], [T] [S], [U] [L], [U] [W], [E] [U], [A] [M], [W] [D], [I] [R] et de déclarer leurs demandes irrecevables à l'encontre de la société Alstom Transport en application des dispositions de l'article 122 du code de procédure civile.

M.[B] [Z] maintient quant à lui, sa demande à l'encontre de la société .

Il estime avoir été employé par les quatre sociétés. Il fait valoir que les intimées tentent de brouiller les cartes et se renvoient la responsabilité, reprochant à Alstom «un flou artistique», ce qui conduirait à considérer une situation de co-emploi et à justifier une condamnation solidaire.

Il convient d'observer que M. [Z] a introduit son action devant le Conseil de Prud'hommes par un acte introductif d'instance du 13 janvier 2015 à l'encontre de la seule et unique société Alstom Power Systems venant aux droits de la société SA Alstom Industrie de Belfort . Dans ses conclusions déposées le 22 juin 2015, Me Lhomet, conseil à l'époque de l'intéressé, a bien dirigé ses demandes exclusivement à l'encontre de cette société.

Or, à hauteur d'appel, M. [Z] représenté par un autre conseil, dirige son action contre les quatre sociétés faisant état d'une situation de co emploi lui permettant de solliciter la condamnation solidaire de toutes les sociétés.

S'il est exact que le Conseil de Prud'hommes a joint les 18 demandes formulées dans sa décision du 18 décembre 2015, la jonction n'est qu'une mesure d'administration judiciaire au vu de l'article 368 du code de procédure civile.

Si l'appelant entendait diriger sa demande contre les autres sociétés, il lui appartenait de les mettre en cause à ce titre, la jonction ne créant pas une procédure unique de sorte que le lien d'instance n'existait qu'à l'égard de la société Alstom Power Systems.

Il en résulte que sa demande tendant à la condamnation solidaire avec les autres sociétés Alstom est irrecevable à hauteur d'appel sans qu'il soit nécessaire d'examiner le moyen tiré d'une situation de co-emploi.

b) Sur l'irrecevabilité soulevée par la société Alstom Holdings :

Il ressort du dossier que les salariés ont fait assigner dans la procédure devant le Conseil de Prud'hommes la société Alstom Holdings SAS par acte d'huissier du 21 septembre 2015 aux fins de lui voir le jugement déclaré commun et opposable.

Si le Conseil de Prud'hommes a statué sur la fin de non recevoir tirée de la prescription, il n'a pas statué sur la recevabilité de la mise en cause de la société Alstom Holdings.

Or , à hauteur de Cour, les appelants demandent la condamnation de la société Alston Holdings.

A l'audience, Me Lhomet pour les 17 salariés qu'elle représente a déclaré s'en remettre sur ce point, Me Chamy pour M. [Z] a quant à lui, maintenu sa demande de condamnation solidaire.

Il est constant que la demande initiale n'avait que pour objet de déclarer le jugement commun et opposable, ce qui exclut toute condamnation.

Dès lors, pour formuler une demande nouvelle à hauteur d'appel tendant à la condamnation de la société, il eut fallu la faire citer à cette fin devant la cour d'appel, en application des dispositions de l'article 68 du code de procédure civile, une demande de condamnation ne pouvant pas être formée par voie de simples conclusions à l'encontre d'un tiers qui n'avait été appelé en première instance qu'en déclaration de jugement commun comme cela est le cas en l'espèce.

Faute de mise en cause régulière, la demande de condamnation est irrecevable.

En outre, si en vertu des dispositions de l'article 555 du code de procédure civile, les personnes qui ont figuré en première instance peuvent être appelées devant la cour d'appel même aux fins de condamnations, cette faculté n'est ouverte que si l'évolution du litige implique leur mise en cause.

Or, les appelants défendus par Me Lhomet n'invoquent pas une évolution du litige et ne présentent aucun élément en ce sens, étant rappelé que l'évolution du litige implique l'existence d'un élément nouveau révélé par le jugement ou survenu postérieurement à celui-ci et impliquant sa mise en cause.

Il en est de même pour M. [Z] qui n'invoque pas l'évolution du litige, se contentant de se prévaloir d'une situation de co-emploi mais uniquement comme fondement de la condamnation solidaire qu'il demande, ce qui n'a pas lieu d'être examiné à ce stade de la procédure.

Ainsi, force est de constater qu'il n'existe à hauteur d'appel, aucun fait nouveau qui caractériserait une évolution du litige et qui justifierait la demande de condamnation de la société Alstom Holdings, étant observé que les sociétés étaient toutes parties à l'instance depuis l'origine.

En conséquence, il convient de mettre hors de cause la société Alstom Holdings.

B) Sur la prescription :

A titre liminaire, les sociétés Astom Power Service, Alstom Power Systems soulèvent l'incompétence de la Cour d'appel pour statuer sur l'illégalité de classement du 30 octobre 2007 alors que les appelants ne sollicitent pas qu'il soit statué sur la légalité de celui mais se prévalent de son invalidation pour en conclure que privé de base légale, il ne peut pas servir de point de départ de la prescription.

Il sera donc répondu sur ce moyen lors de l'examen du point de départ de la prescription.

***

Pour soutenir que l'action n'est pas prescrite, les appelants font état d'un accord d'entreprise du 18 décembre 2014 signé par la société GE Energy Products France, repreneur des activités Energie d'Alstom dans le cadre d'une cession, avec les organisations syndicales représentatives du site de [Localité 1] de cette entreprise, prévoyant notamment une indemnisation du préjudice d'anxiété aux salariés remplissant les conditions prévues .

Or, un tel accord auquel les sociétés intimées n'étaient pas parties, pas plus d'ailleurs que les appelants, ne saurait leur être opposable ni valoir acquiescement à la présente demande. Ce moyen doit donc être écarté.

1-Sur le délai de prescription:

Les sociétés intimées ont soulevé une fin de non recevoir tirée de la prescription faisant valoir qu'elle est de cinq ans à compter de la date de l'arrêté de classement

en site amiante du site de [Localité 1].

Les appelants soutiennent que le délai de prescription n'est pas de cinq ans mais celui de dix ans prévu à l'article 2 226 du code civil.

Les dispositions de l'article 2224 du code civil dans sa version issue de la loi du 17 juin 2008 précisent que «les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.»

L'article 2226 du code civil indique «L'action en responsabilité née à raison d'un événement ayant entraîné un dommage corporel, engagée par la victime directe ou indirecte des préjudices qui en résultent, se prescrit par dix ans à compter de la date de la consolidation du dommage initial ou aggravé.»

Précédemment, l'article 2262 ancien du code civil, soumettait ces actions à la prescription trentenaire.

Pour soutenir que leur action relève des dispositions de l'article 2226 du code civil et de la prescription décennale, les appelants considèrent que le préjudice spécifique d'anxiété dont ils se prévalent, est un préjudice corporel.

Or, la jurisprudence de la Cour de cassation considère que le préjudice d'anxiété couvre l'ensemble des troubles psychologiques, y compris ceux liés au bouleversement dans les conditions d'existence, résultant du risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante.

Dans un arrêt du 17 décembre 2014, la cour de cassation confirme que le préjudice d'anxiété correspond à une situation d'inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante.

De ces éléments, il ne saurait être déduit que le préjudice spécifique d'anxiété est au regard de la jurisprudence de la cour de cassation un dommage corporel.

De plus, l'article 2226 du code civil évoqué, situe le point de départ de la prescription à la date de la consolidation. Or, cette dernière ne peut exister dans le préjudice d'anxiété puisque que par définition, la victime n'a développé aucune pathologie liée à l'exposition à l'amiante, ne développant qu'une anxiété à l'idée de pouvoir en être atteint.

Il résulte de ces éléments que ce n'est que lorsque le préjudice d'anxiété est la conséquence d'une pathologie déclarée que la prescription de l'action en réparation est de dix ans au regard des dispositions de l'article 2226 du code civil et que lorsque comme en l'espèce, le préjudice d'anxiété ne résulte d'aucune atteinte physique, l'action est soumise à la prescription quinquennale.

D'ailleurs, cette application des textes est conforme à la réponse de Mme La Garde des Sceaux publiée au JO du 11 juin 2013 dont se prévalent les appelants ainsi formulée: «A cet égard, il convient de rappeler que les règles de prescription diffèrent selon que le préjudice allégué résulte ou non d'une atteinte corporelle. Lorsqu'un préjudice tel que le préjudice d'anxiété est la conséquence d'une pathologie déclarée, la prescription de l'action en réparation est de dix ans en application de l'article 2226 du code civil, issu de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, et selon lequel « l'action en responsabilité née à raison d'un événement ayant entraîné un dommage corporel[...] se prescrit par dix ans à compter de la date de la consolidation du dommage initial ou aggravé ». Le point de départ de ce délai étant la date de la consolidation du dommage, en pratique l'action de la victime pourra être engagée, dans bien des cas, plus de dix ans après l'apparition de la pathologie. En revanche, lorsqu'une personne exposée à l'amiante subit un préjudice spécifique d'anxiété qui ne résulte d'aucune atteinte à l'intégrité physique, l'action en réparation est soumise à la prescription quinquennale de droit commun prévue à l'article 2224 du code civil et selon lequel « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ».

En outre, la Cour de cassation, dans un arrêt du 19 novembre 2014, retient l'application de la loi du 17 juin 2008 et vise l'article 2224 du code civil, position qu'elle a maintenue depuis lors ( soc. 8 avril 2015).

Par ailleurs, ce préjudice spécifique est un préjudice hors de la nomenclature Dintilhac et ne saurait être assimilé comme le demandent les appelants, aux préjudices liés à des pathologies évolutives qu'elle prévoit et qui concernent « les maladies incurables susceptibles d'évoluer et dont le risque d'évolution constitue en lui-même un chef de préjudice distinct qui doit être indemnisé en tant que tel ».

Ce poste de préjudice vise plus largement à indemniser « le préjudice résultant pour une victime de la connaissance de sa contamination par un agent exogène, quelle que soit sa nature (biologique, physique ou chimique), qui comporte le risque d'apparition à plus ou moins brève échéance, d'une pathologie mettant en jeu le pronostic vital qui pourrait être indemnisé à ce titre. »

Pour autant ce chef de préjudice vise l'angoisse consécutive à une atteinte physique.

Il convient également de souligner que s'agissant d'une nomenclature, elle n'a aucune valeur légale ou réglementaire de sorte qu'elle ne saurait s'imposer à une juridiction.

Enfin, les appelants se réfèrent à un arrêt de la cour de cassation du 21 octobre 2014 (chambre criminelle-13-87669) qui démontre qu'il est possible de retenir l'existence d'un dommage corporel en l'absence de blessures. Mais cette décision est sans emport sur le présent litige, puisque dans l'espèce concernée, la cour avait sanctionné le refus d'une cour d'appel d'indemniser un déficit temporaire et permanent fonctionnel d'un gendarme qui certes n'avait pas été blessé lors d'une interpellation par la balle tirée dans sa direction mais pour lequel il avait été retenu une invalidité liée au stress.

En conséquence, c'est bien la prescription quinquennale de l'article 2224 du code civil qui s'applique, étant observé que s'il s'agissait d'un dommage corporel lié à une pathologie, les appelants auraient dû alors intenter leur action en réparation devant le Tribunal des Affaires de Sécurité sociale, seul compétent en matière de maladie professionnelle.

2- Sur le point de départ de la prescription quinquennale :

Il ressort de l'article 26 de la loi du 17 juin 2008 que:

-les dispositions de la présente loi qui allongent la durée d'une prescription s'appliquent lorsque le délai de prescription n'était pas expiré à la date de son entrée en vigueur. Il est alors tenu compte du délai déjà écoulé.

-Les dispositions de la présente loi qui réduisent la durée de la prescription s'appliquent aux prescriptions à compter du jour de l'entrée en vigueur de la présente loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.

-Lorsqu'une instance a été introduite avant l'entrée en vigueur de la présente loi, l'action est poursuivie et jugée conformément à la loi ancienne. Cette loi s'applique également en appel et en cassation.

Il en résulte que si l'ancienne prescription de trente ans n'était pas acquise, la loi nouvelle s'applique. S'il restait moins de cinq ans à courir après le 19 juin 2008, la prescription est acquise à la date prévue avant l'entrée en vigueur, mais s'il restait plus de cinq ans à courir à compter du 19 juin 2008, la prescription est acquise au 19 juin 2013.

En l'espèce, l'action ayant été introduite le 13 janvier 2015, elle se prescrit par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

Il résulte de la jurisprudence de la Cour de cassation (soc. 19 novembre 2014) que le point de départ de la prescription est le jour où les salariés « bénéficiaires de l'ACAATA, avaient eu connaissance du risque à l'origine de l'anxiété soit à compter de l'arrêté ministériel ayant inscrit l'activité de réparation et de construction navale de la Normed sur la liste des établissements permettant la mise en oeuvre de ce régime légal spécifique. »

La Cour de cassation fixe donc le point de départ au moment où la connaissance est rendue objective.

Ainsi, le délai de prescription court à compter du jour où le salarié a eu connaissance du risque à l'origine de l'anxiété soit en l'espèce à compter de la publication de l'arrêté ministériel ayant inscrit l'établissement de [Localité 1] sur la liste de ceux permettant la mise en 'uvre du régime de départ à la retraite anticipée.

Il ne saurait être retenu comme point de départ de la prescription la date du 11 mai 2010 comme le demandent les appelants, date de l'arrêt de la Cour de cassation reconnaissant l'existence du préjudice spécifique d'anxiété, dans la mesure où le fait générateur de celui-ci ne peut être constitué que par le classement par un arrêté ministériel de l'établissement en «site amiante» donc du jour de la connaissance objective du risque de l'exposition à l'amiante puisqu'à l'évidence, l'arrêt précité n'a pas créé le préjudice d'anxiété mais admis que celui-ci pouvait être indemnisé.

Dès lors, et au plus tard, le point de départ de la prescription est celui de l'arrêté ministériel.

Il résulte du dossier que l'arrêté ministériel date, pour la société Alstom, du 30 octobre 2007 complété par celui du 12 octobre 2009.

Les appelants font valoir d'une part, que l'invalidation de cet arrêté le rend illégal de sorte qu'il ne saurait être retenu comme point de départ de la prescription et d'autre part, que le juge judiciaire est compétent pour en écarter l'application. Par ailleurs, ils soutiennent que le classement en site « amiante» n'avait pas été porté à la connaissance des salariés par voie d'affichage comme l'impose l'article V de la loi du 23 décembre 1998.

S'il est exact que cet arrêté a été invalidé par des décisions des juridictions administratives, il n'a pour autant été ni retiré ni abrogé et a même été exécuté.

Il convient de rappeler que c'est à la suite d'un recours des élus du CHSCT à l'encontre de la décision du Ministre du travail du 7 décembre 2005 refusant l' inscription de la société Alstom sur la liste des établissements classés «site amiante», que le tribunal administratif de Besançon a annulé cette décision alors que l'arrêté ministériel du 30 octobre 2007 avait été pris en exécution de ce jugement.

Par la suite, ce jugement a été infirmé par la cour administrative d'appel de Nancy le 22 juin 2009 . Le Conseil d'Etat a rejeté le recours par décision du 12 mars 2010 de sorte que la décision d'invalidation est devenue définitive.

Les appelants considèrent que l'infirmation du jugement du tribunal administratif par la cour administrative d'appel, prive l'arrêté de toute existence légale et en concluent que cet acte ne peut plus servir de point de départ de la prescription.

Or, si cet arrêté désormais privé de base légale, ne peut plus produire d'effet quant à son objet, c'est à dire quant au classement de la société en site amiante, en revanche, il peut servir de point de départ de la prescription de l'action dès lors qu'à cette date, les appelants ont eu connaissance ou du moins auraient dû avoir connaissance des faits leur permettant d'agir.

En effet, cet arrêté avait été porté à la connaissance des salariés par la société Alstom par voie d'affichage du 21 décembre 2007 et a été exécuté au regard des nombreux salariés qui ont demandé à bénéficier du dispositif de la CAATA.

En outre, cet arrêté a été publié au Journal Officiel le 6 novembre 2007, ce qui a eu pour effet de le porter à la connaissance du public et de ne plus permettre de se prévaloir de son ignorance.

Il s'ensuit que cet arrêté même invalidé constitue bien le point de départ de la prescription car il rend objective la connaissance par les salariés de leur exposition aux risques.

Il en résulte que le point de départ de la prescription doit être fixé au 6 novembre 2007, date de publication de l'arrêté ministériel invalidé.

Dès lors qu'à la date d'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 , la prescription trentenaire dont les appelants bénéficiaient n'était pas acquise, ils disposaient d'un nouveau délai de cinq ans pour agir soit jusqu'au 19 juin 2013.

L'action ayant été introduite le 13 janvier 2015, est prescrite et donc irrecevable de sorte qu'il n'y a pas lieu d'examiner si les appelants avaient pu avoir connaissance avant 2007, des risques liés à leur exposition à l'amiante.

Enfin, il convient de souligner que la prescription extinctive de l'article 2224 du code civil issue de la loi du 17 juin 2008, ne saurait constituer une atteinte à l'article 6 de la Convention des Droits de l'Homme dès lors que les appelants ont disposé d'un recours effectif au juge pour obtenir une indemnisation de leur préjudice d'anxiété à compter d'une date précise et portée à leur connaissance tant par l'employeur que par la publication de l'arrêté ministériel au Journal officiel, et d'un délai qui allait même au -delà de la date du 11 mai 2010 consacrant la reconnaissance par la Cour de cassation de l'indemnisation de ce préjudice spécifique puisque même à cette date, ils avaient encore 3 ans pour saisir la juridiction.

C) Sur l'absence de remise de l'attestation d'exposition à l'amiante :

Les appelants se fondent sur l'article 16 du décret du 7 février 1996 prévoyant la remise par l'employeur et le médecin du travail dans les conditions fixées par arrêté des ministres chargés du travail et de l'agriculture, d'une attestation au salarié lors de son départ de l'établissement et sur les dispositions des articles L4121-1 à -L4121-3-1 du code du travail.

Ainsi et depuis le décret de 1996, l'employeur a l'obligation de remettre aux salariés susceptibles d'être exposés du fait de leur activité, à l'inhalation de l'amiante, à leur départ, une attestation d'exposition à l'amiante.

Selon l'article 1er, les activités qui relèvent du présent décret sont les activités de fabrication et de transformation de matériaux contenant de l'amiante, celles de confinement et de retrait de l'amiante et enfin, les activités et interventions sur des matériaux ou appareils susceptibles de libérer des fibres d'amiante et définies à l'article 27.

Si ce décret a été abrogé en 2006, l'article L 4121-3-1 du code du travail prévoit aussi la remise au travailleur à son départ, en cas d'arrêt de travail excédant une certaine durée fixée par décret, ou de déclaration de maladie professionnelle, d'une copie de la fiche que l'employeur doit établir pour chaque travailleur exposé à un ou plusieurs facteurs de risques professionnels déterminés par décret.

Or, en l'espèce, il apparaît qu'un certain nombre de salariés avait quitté l'entreprise avant l'entrée en vigueur du décret de 1996, à savoir MM. [Y], [H], [L], [W], [R], partis entre 1985 et 1989 de sorte qu'ils ne peuvent pas prétendre à l'application de ce texte.

Par ailleurs, les sociétés Alstom Power Systems, Alstom Power Service et Alstom Transport ont produit un tableau indiquant pour chaque salarié l'emploi occupé et en conclut que leur refus de délivrer l'attestation ne revêt aucun caractère fautif puisque les activités exercées ne correspondent pas à celles visées par l'article 16 du décret.

Or, si depuis 1996 et au regard des textes successifs, l'obligation de l'employeur de délivrer l'attestation d'exposition aux risques est incontestable, pour autant, la législation en la matière, la prévoit pour des activités ciblées susceptibles d'exposer les salariés à des risques.

Toutefois, en l'espèce, les appelants n'ont pas contesté avoir occupé les emplois mentionnés dans le tableau qui ne correspondent pas aux activités désignées par les dispositions légales et réglementaires applicables en ce domaine et à la date de leur présence dans les sociétés intimées respectives.

En conséquence, la faute alléguée n'est pas démontrée de sorte qu'il convient de rejeter la demande en indemnisation. Il en est de même et pour les mêmes raisons, de la demande de M. [Z] en délivrance de l'attestation qui doit être rejetée.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :

Les appelants qui succombent dans la présente procédure, seront condamnés au paiement des dépens de la procédure d'appel, ce qui entraîne le rejet de leurs demandes formulées au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'équité commande de condamner MM.[K] [E], [E] [J], [G] [F], [U] [Y], [B] [H], [A] [N], [T] [S], [U] [L], [U] [W], [E] [U], [A] [M], [W] [D], [I] [R], [B] [Z] à verser chacun à la société Alstom Power Systems, une somme de 100 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et de condamner MM. [S] [A], [Z] [I] et [B] [P] [H] à verser chacun à la société Alstom Power Service, une somme de 100 euros, au titre de l'article 700 du code de procédure civile et M. [B] [P] à verser à la société Alstom Transport, une somme de 100 euros au même titre.

PAR CES MOTIFS:

La Cour, chambre sociale, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe et après débats en audience publique et après en avoir délibéré,

DÉCLARE irrecevable l'appel de Messieurs [K] [E], [E] [J], [G] [F], [S] [A], [U] [Y], [Z] [I], [B] [H], [B] [H], [A] [N], [T] [S], [U] [L], [U] [W], [E] [U], [A] [M], [W] [D], [I] [R], à l'encontre de la société Alstom Transport,

DÉCLARE irrecevable l'appel de M. [B] [Z] à l'encontre de la société Alstom Transport,

MET hors de cause la société Alstom Holdings,

CONFIRME le jugement du Conseil de Prud'hommes de Belfort du 18 décembre 2015 ayant déclaré les demandes prescrites;

CONDAMNE M.M [K] [E], [E] [J], [G] [F], [S] [A], [U] [Y], [Z] [I], [B] [H], [B] [H], [A] [N], [T] [S], [U] [L], [U] [W], [E] [U], [A] [M], [B] [P], [W] [D], [I] [R] et M. [B] [Z] aux dépens de la procédure d'appel;

CONDAMNE [J] [E], [E] [J], [G] [F], [U] [Y], [B] [H], [A] [N], [T] [S], [U] [L], [U] [W], [E] [U], [A] [M], [W] [D], [I] [R], [B] [Z], à verser chacun à la société Alstom Power Systems, une somme de 100 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ,

CONDAMNE MM.[S] [A], [Z] [I] et [B] [P] [H] à verser chacun, à la société Alstom Power Service, une somme de 100 euros, au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE M [B] [P] à verser à la société Alstom Transport, une somme de 100 euros, au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

LEDIT ARRÊT a été rendu par mise à disposition au greffe le cinq mai deux mille dix sept et signé par Madame Chantal PALPACUER, Présidente de chambre et Madame Gaëlle BIOT, Greffier.

LE GREFFIER,LA PRÉSIDENTE DE CHAMBRE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Besançon
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 16/00128
Date de la décision : 05/05/2017

Références :

Cour d'appel de Besançon 03, arrêt n°16/00128 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2017-05-05;16.00128 ?
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