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06/09/2016 | FRANCE | N°15/00788

France | France, Cour d'appel de Besançon, Chambre sociale, 06 septembre 2016, 15/00788


ARRET N° 16/

JC/KM



COUR D'APPEL DE BESANCON

- 172 501 116 00013 -

ARRET DU 06 SEPTEMBRE 2016



CHAMBRE SOCIALE





Contradictoire

Audience publique

du 07 juin 2016

N° de rôle : 15/00788



S/appel d'une décision

du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LURE

en date du 01 avril 2015

Code affaire : 80A

Demande d'indemnités liées à la rupture du contrat de travail CDI ou CDD, son exécution ou inexécution





[T] [V]

C/
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PARTIES EN CAUSE :



Monsieur [T] [V], demeurant [Adresse 1]





APPELANT



assisté par Me Cyril BOURAYNE, avocat au barreau de PARIS





ET :



SAS GESTAMP RONCHA...

ARRET N° 16/

JC/KM

COUR D'APPEL DE BESANCON

- 172 501 116 00013 -

ARRET DU 06 SEPTEMBRE 2016

CHAMBRE SOCIALE

Contradictoire

Audience publique

du 07 juin 2016

N° de rôle : 15/00788

S/appel d'une décision

du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LURE

en date du 01 avril 2015

Code affaire : 80A

Demande d'indemnités liées à la rupture du contrat de travail CDI ou CDD, son exécution ou inexécution

[T] [V]

C/

SAS GESTAMP RONCHAMP

PARTIES EN CAUSE :

Monsieur [T] [V], demeurant [Adresse 1]

APPELANT

assisté par Me Cyril BOURAYNE, avocat au barreau de PARIS

ET :

SAS GESTAMP RONCHAMP, ayant son siège social [Adresse 2]

INTIMEE

représentée par Me Romain RAPHAËL, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE

COMPOSITION DE LA COUR :

lors des débats du 07 Juin 2016 :

PRESIDENT DE CHAMBRE : Madame Chantal PALPACUER

CONSEILLERS : M. Jérôme COTTERET et Monsieur Patrice BOURQUIN

GREFFIER : Mme Karine MAUCHAIN

Lors du délibéré :

PRESIDENT DE CHAMBRE : Madame Chantal PALPACUER

CONSEILLERS : M. Jérôme COTTERET et Monsieur Patrice BOURQUIN

Les parties ont été avisées de ce que l'arrêt sera rendu le 06 Septembre 2016 par mise à disposition au greffe.

**************

FAITS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

M. [T] [V] est entré le 4 mai 2007 au sein du groupe espagnol GESTAMP dont les diverses sociétés, présentes dans 20 pays au travers de 100 sites de production, sont spécialisées dans le design, le développement et la fabrication de pièces et moulages en acier destinées aux principaux fabricants de véhicules.

M. [T] [V] a été affecté aux fonctions de directeur général du site GESTAMP RONCHAMP à compter du 1er septembre 2010 et un contrat de travail à durée indéterminée relevant du droit français a été régularisé à effet du 1er janvier 2012.

M. [T] [V] a signé un document écrit daté du 20 février 2014 relatif à une convention de rupture conventionnelle.

Il a finalement été licencié pour faute grave par lettre recommandée avec accusé de réception du 14 avril 2014, son employeur lui reprochant des malversations financières relatives à :

- un contrat de sous-traitance avec la société G3RMA,

- des engagements de travaux dont l'investissement n'était pas autorisé,

- des travaux payés par la société GESTAMP RONCHAMP alors qu'ils n'ont pas été effectués,

- un remboursement de frais non professionnels par la société GESTAMP RONCHAMP,

- des achats effectués auprès d'une société appartenant à l'épouse de M. [T] [V], en infraction avec le code de conduite interne à la société GESTAMP RONCHAMP,

- des dons effectués auprès d'associations privées et payées par la société GESTAMP RONCHAMP,

- un vol de marchandises et de matériaux.

Contestant son licenciement, M. [T] [V] a saisi le conseil de prud'hommes de Lure par déclaration enregistrée au greffe le 19 mai 2014 afin d'obtenir la nullité de la rupture conventionnelle et la condamnation de son employeur à lui verser les sommes suivantes :

- dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 201'512,88 €

- indemnité de préavis : 33'585,48 €

- congés payés sur préavis : 3 358,55 €

- indemnité légale de licenciement : 15'673,22 €

- dommages et intérêts pour licenciement vexatoire : 10'000 €

- dommages et intérêts pour absence d'information sur le droit individuel

à la formation : 1 000 €

- dommages et intérêts pour perte du logement de fonction : 17'658 €

- dommages et intérêts pour harcèlement moral : 10'000 €

- dommages et intérêts pour perte du véhicule de fonction :

5 400 €

- rappel de salaire pour l'année 2013 : 23'000 €

- rappel de salaire pour l'année 2014 : 6 708 €

- indemnité forfaitaire pour travail dissimulé : 67'170,96 €

- indemnité pour préjudice de retraite : 20'000 €

- préjudice au titre de la taxe d'habitation et de la redevance à l'audiovisuel public : 1 889 €

- frais irrépétibles :5 000 €

M. [T] [V] a également sollicité la publication de la décision dans deux magazines hebdomadaires et deux magazines mensuels de son choix dans la limite globale de 30'000 € HT ainsi que l'affichage de la décision durant un mois sur les panneaux de la société GESTAMP RONCHAMP, sous astreinte de 100 € par jour de retard.

Par jugement rendu le 1er avril 2015, le conseil de prud'hommes a déclaré le licenciement de M. [T] [V] fondé sur une faute grave mais a en revanche condamné la société GESTAMP RONCHAMP à lui verser les sommes de 23'000 € au titre de la prime d'objectifs 2013 et de 6 708 € au titre de la prime d'objectifs 2014.

*

Par déclaration enregistrée au greffe de la Cour le 13 avril 2015, M. [T] [V] a interjeté appel de cette décision.

Dans ses écrits déposés le 1er mars 2016, il soutient à titre principal que les griefs invoqués sont prescrits et à titre subsidiaire qu'ils sont infondés. Il considère en conséquence que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Il explique que son employeur a toujours validé les reporting mensuels, les clôtures de compte mensuelles, ainsi que les bilans annuels si bien qu'il ne peut prétendre avoir découvert les pratiques qu'il lui reproche qu'en mars 2014.

Sur le fond, il prétend :

- n'avoir jamais dérogé aux directives reçues de sa hiérarchie en ce qui concerne le recours à la sous-traitance,

- n'avoir commis aucune irrégularité dans la gestion des déchets, ni au niveau du respect des procédures, ni au niveau des montages de soudure,

- avoir respecté les procédures applicables en matière d'engagement de travaux d'investissement, tant en ce qui concerne les travaux confiés à la société FBE MONTAGE INDUSTRIEL qu'en ce qui concerne l'achat d'un compresseur d'occasion auprès de la société FC HYDRO SERVICE,

- n'avoir jamais payé de travaux fictifs, notamment au bénéfice de la société KPCF,

- avoir toujours sollicité le remboursement de frais strictement professionnels,

- ne pas avoir enfreint le code de conduite en faisant bénéficier la société de son épouse d'achats réalisés par la société GESTAMP RONCHAMP,

- avoir respecté les instructions de l'employeur dans la politique des dons aux associations,

- ne pas avoir volé de marchandises ou de matériaux.

Il ajoute avoir fait l'objet d'un harcèlement moral de la part de son supérieur hiérarchique, celui-ci critiquant sa gestion du site, en dépit des résultats obtenus, publiquement lors de réunions de travail, ce qui a provoqué, notamment à la suite de son refus d'accepter une rupture conventionnelle, un syndrome anxio-dépressif.

Il maintient donc ses prétentions de première instance, sauf à voir ordonnée une expertise judiciaire pour déterminer le montant du préjudice de retraite subi et à voir portée à la somme de 10'000 € l'indemnité pour frais irrépétibles.

*

Pour sa part, dans ses écrits déposés le 20 mai 2016, la société GESTAMP RONCHAMP forme un appel incident afin de voir M. [T] [V] débouté de ses prétentions relatives aux primes d'objectifs des années 2013 et 2014. Elle sollicite en revanche la confirmation du jugement pour le surplus, y ajoutant une indemnité de 5 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle maintient n'avoir eu connaissance des faits fautifs reprochés à M. [T] [V] qu'à l'issue d'un audit interne réalisé entre le 25 et le 28 mars 2014. Elle ajoute ne pas avoir eu la possibilité de vérifier l'absence de ces malversations dans la mesure où le salarié avait mis en place un management par la terreur afin que ses subordonnés ne fassent pas remonter au groupe certaines informations du service comptable et du service achats.

La société GESTAMP RONCHAMP affirme que les griefs reprochés sont constitués, faisant valoir que :

- début janvier 2013, en violation des consignes de l'employeur, M. [T] [V] a conclu un contrat de sous-traitance à titre exclusif avec la société G3RMA pour une durée de trois ans,

- M. [T] [V] n'a pas mis en place de contrôle strict de gestion des déchets, favorisant ainsi la société en charge de leur récupération dont le gérant est par ailleurs le propriétaire de son logement,

- M. [T] [V] a engagé des travaux d'investissement non autorisés qu'il a au surplus payés alors qu'ils n'étaient pas finalisés,

- M. [T] [V] a réglé au bénéfice de la société KPCF le 27 septembre 2013 une facture correspondant à des prestations déjà payées,

- M. [T] [V] s'est fait rembourser par la société GESTAMP RONCHAMP des frais en réalité engagés dans le cadre de sa vie privée, comme des voyages d'agrément et des repas de famille,

- M. [T] [V] a conclu plusieurs contrats commerciaux, sans autorisation, auprès de sociétés appartenant à son épouse et dont les factures ont été payées par la société GESTAMP RONCHAMP, notamment pour l'achat de mobilier,

- M. [T] [V] a octroyé des dons à des associations non caritatives, à des fins privées, avec l'argent de la société GESTAMP RONCHAMP,

- le salarié a frauduleusement soustrait début 2013 deux servantes à outils.

Pour les mêmes raisons, la société GESTAMP RONCHAMP conteste tout fait de harcèlement moral à l'encontre de M. [T] [V].

*

En application de l'article 455 du code de procédure civile, la Cour se réfère, pour l'exposé des moyens des parties, à leurs conclusions visées par le greffe et développées lors de l'audience de plaidoirie du 7 juin 2016.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

I - Sur le licenciement :

Il résulte des articles L. 1232-1 et L. 1234-1 du code du travail que la faute grave, dont la charge de la preuve incombe à l'employeur, est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.

En l'espèce, aux termes de la lettre de licenciement de 6 pages du 14 avril 2014 fixant le cadre du litige, notifiée par voie recommandée avec accusé de réception, et dont la Cour ne citera que quelques extraits en raison de sa longueur, l'employeur reproche à M. [T] [V] diverses malversations financières découvertes lors d'un audit interne.

Pour sa part, M. [T] [V] prétend que les faits sont prescrits dans la mesure où l'employeur en avait connaissance antérieurement à l'audit et subsidiairement qu'ils ne sont matériellement pas constitués.

1° ) Sur la prescription des faits allégués comme fautifs :

Aux termes de l'article L. 1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales.

Il en résulte, au sens d'une jurisprudence constante, que la faute grave implique en revanche une réaction immédiate de l'employeur qui doit engager la procédure de licenciement dès qu'il a connaissance des faits si aucune vérification n'est nécessaire.

En l'espèce, M. [T] [V] fait remarquer que les faits qui lui sont reprochés remontent aux années 2011 à 2013 et que la société GESTAMP RONCHAMP disposant d'un commissaire aux comptes ayant validé annuellement les comptes, elle ne peut plus les invoquer.

Toutefois, il ressort de la lettre de licenciement que la société GESTAMP RONCHAMP reproche à M. [T] [V] d'avoir passé un contrat de sous-traitance contrairement à ses directives, de ne pas avoir exercé son contrôle sur la gestion des déchets, d'avoir engagé des travaux d'investissement sans respecter la procédure de validation interne, d'avoir réglé des travaux fictifs, d'avoir fait supporter à titre professionnel des dépenses personnelles d'agrément, d'avoir effectué des achats auprès de sociétés dans lesquelles son épouse a des intérêts, d'avoir octroyé des dons payés par la société GESTAMP RONCHAMP à des associations relevant de ses activités privées et d'avoir volé du matériel.

Ainsi, les faits reprochés à M. [T] [V] ne pouvaient pas apparaître lors de la procédure de validation des bilans par le commissaire aux comptes.

En raison de leur nature, seul un audit interne est de nature à révéler l'existence des faits reprochés.

Dans la mesure où cet audit a été réalisé entre le 25 et le 28 mars 2014, où le rapport final a été communiqué au responsable du service GESTAMP Corporate Controlling le 8 avril 2014 et où le licenciement a été notifié par courrier du 14 avril 2014, les faits allégués ne sont pas prescrits si bien qu'il y a lieu pour la Cour d'examiner s'ils sont avérés.

2° ) Sur le bien-fondé du licenciement :

a - sur le dossier G3RMA :

Il est reproché à M. [T] [V] d'avoir début janvier 2013 signé un contrat de sous-traitance à titre exclusif avec la société G3RMA pour une durée de trois ans, de manière inutile et injustifiée, contrairement aux directives, à une époque où l'employeur subissait une baisse d'activité et une mise au chômage technique, et de lui avoir causé ainsi un préjudice de l'ordre de 300'000 €.

M. [T] [V] fait valoir en substance qu'il ne lui a jamais été demandé d'arrêter la sous-traitance, que celle-ci était de toute manière encore nécessaire et qu'elle n'a pas entraîné un surcoût de 300'000 € dans la mesure où l'employeur ne prend pas en compte les coûts qu'il aurait supportés en assurant lui-même la production. Il ajoute qu'il n'avait de toute façon pas connaissance du contrat litigieux avec la société G3RMA.

Or, il est constant, au vu de la pièce n° 101 B versée par l'employeur que par courrier électronique du 2 octobre 2012, le directeur des achats GESTAMP France a adressé à M. [T] [V] la consigne suivante :

'[T], suite à la baisse d'activité des sites en France (mise en congé des personnels, mesures de chômage partiel), j'ai des consignes, pour l'ensemble des sites France, de ne pas valider la sous-traitance sans un accord de M. [A] [A] (directeur régional France), cela pour être certain qu'un site GESTAMP ne pourrait pas faire le travail de la place d'un fournisseur'.

Ainsi, il existait bien une directive claire de la part de l'employeur de ne pas avoir recours à la sous-traitance sans accord exprès du groupe.

De même, si le contrat litigieux a été signé pour ordre par le directeur opérationnel de la société GESTAMP RONCHAMP, M. [D], il appartenait pour le moins à M. [T] [V] en sa qualité de directeur général, de s'apercevoir de l'irrégularité alors commise par son subordonné.

Au surplus, il ressort du rapport d'audit interne que M. [T] [V] a participé au choix de ce prestataire externe en concertation avec M. [D] et qu'il a donné des ordres pour ne pas passer par le processus d'achat applicable rappelé dans le courrier électronique du 2 octobre 2012.

Enfin, le préjudice subi par l'employeur est certain même s'il ne correspond certes pas au montant du marché de sous-traitance dans la mesure où la société GESTAMP RONCHAMP aurait exposé des coûts internes en fabriquant elle-même la production.

Ce grief est donc constitué.

b - sur l'absence de contrôle strict des déchets :

La société GESTAMP RONCHAMP reproche à M. [T] [V] de ne pas avoir mis en place de contrôle strict pour définir le tonnage des déchets, avantageant ainsi la société en charge de cette récupération.

L'employeur observe que le gérant de la société de récupération n'est autre que le bailleur du domicile personnel de M. [T] [V].

Pour sa part, M. [T] [V] soutient que l'importance des chutes varie en fonction du volume de pièces produites et qu'il n'a commis aucune irrégularité. Il ajoute avoir fait installer une bascule de pesage des déchets et d'avoir mis en place des procédures de contrôle.

Or, il résulte des calculs de l'employeur, basés sur les chiffres non contestés des valeurs de production et des tonnages des déchets déclarés officiellement, que 670 tonnes de déchets ont disparu en 2012 et n'ont de fait ainsi pas été facturées au prestataire les récupérant.

De même, l'employeur produit plusieurs attestations de salariés, M. [O] [U], M. [M] [K] et M. [D] [B], déclarant avoir constaté que la société de récupération ne pesait son camion que lorsqu'il n'était chargé que partiellement et non pas au moment où celui-ci quittait définitivement le site avec la charge complète.

Il en résulte que le système de gestion des déchets que dit avoir mis en place M. [T] [V] n'était pas efficient et que l'intéressé n'a pas effectué de vérification sur le processus de contrôle, si bien que ce grief apparaît également constitué.

c - sur le remboursement de frais non professionnels :

Il est reproché à M. [T] [V] d'avoir sollicité et obtenu le remboursement de frais professionnels qui se sont révélés être, pour un montant approchant les 18'000 €, des frais d'agrément personnel.

Ainsi, l'employeur fait grief à M. [T] [V] d'avoir invité aux frais de la société GESTAMP RONCHAMP à un voyage à [Localité 1] organisé en mars 2012 le gérant d'une société de transport, mais également en avril 2013 son opticien et en juin 2011 son épouse.

De même, la société GESTAMP RONCHAMP relève un nombre qu'elle juge indécent de notes de frais de restaurant payées avec la carte bancaire professionnelle, pour des repas en famille lors de week-ends et de congés, pour un montant estimé à 12'000 €.

En l'espèce, M. [T] [V] rappelle que son contrat de travail lui donnait droit au remboursement de frais professionnels conformément à la politique de la société GESTAMP RONCHAMP, sur présentation des justificatifs et selon des barèmes définis.

Il prétend que les dépenses qui lui sont reprochées ont été engagées dans un cadre qui restait professionnel.

Or, il ressort des écrits de M. [T] [V] que celui-ci reconnaît avoir invité en mars 2012 à [Localité 1] le gérant d'une société de transport, prestataire de la société GESTAMP RONCHAMP, pour le remercier d'avoir réalisé régulièrement des transports de dépannage et livré en urgence certains clients de [Localité 2] et [Localité 3].

Rien n'établit que la société GESTAMP RONCHAMP, dont ce n'était pas la politique, cautionnait un tel système opaque de rémunération d'un prestataire.

Concernant le déplacement à [Localité 1] en avril 2013 avec son opticien, M. [T] [V] reconnaît qu'il s'agissait d'un déplacement privé pour aller voir un match de football et qu'il a pu omettre de rembourser la société GESTAMP RONCHAMP des réservations de billets d'avion effectuées avec la centrale du groupe.

De même, le salarié admet que les frais de déplacement de son épouse pour assister avec lui au Grand prix de formule 1 de [Localité 4] ont été payés par la société GESTAMP RONCHAMP. Or, il n'est pas contesté que l'épouse de M. [T] [V], décoratrice d'intérieur, n'occupait aucune fonction pour la société GESTAMP RONCHAMP.

Concernant les notes de restaurant engagées le week-end pour près de 12'000 €, la Cour remarque que M. [T] [V] n'en conteste pas le montant. S'il prétend qu'au moment de son embauche, le directeur des ressources humaines du groupe lui a indiqué que la société GESTAMP RONCHAMP prendrait en charge certaines de ses notes de frais en raison de l'éloignement de sa famille, il ne s'agissait toutefois que d'une tolérance accordée à M. [T] [V] jusqu'au déménagement de sa famille en Haute Saône ou à proximité.

Au surplus, M. [T] [V] reconnaît dans ses écritures, page 42, qu'il a pu engager d'autres frais 'à titre privé mais dans un contexte professionnel'. Cette contradiction établit de manière claire la confusion qu'il entretenait entre ses dépenses personnelles et celles nécessitées pour les besoins de ses fonctions.

Au regard de ces observations, il apparaît que les faits commis par M. [T] [V] portent atteinte aux intérêts de son employeur et à la confiance que celui-ci pouvait lui témoigner. Ils rendaient en conséquence impossible son maintien dans l'entreprise. La faute grave est donc établie sans même qu'il soit nécessaire d'examiner les autres griefs invoqués.

Il convient ainsi de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté M. [T] [V] de l'intégralité de ses prétentions relatives aux indemnités de rupture et aux dommages et intérêts pour licenciement abusif.

De même, le licenciement étant fondé, c'est à juste titre que M. [T] [V] a été débouté de ses demandes de dommages et intérêts visant à réparer la perte d'avantages liés à l'exercice de ses fonctions, en l'espèce, le véhicule de fonction ou le règlement de la taxe habitation de son logement de fonction.

Enfin, la sévérité des termes employés dans la lettre de licenciement ne peut, au regard de la faute commise par M. [T] [V], revêtir un quelconque caractère vexatoire si bien qu'il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [T] [V] de sa demande de dommages et intérêts formée à ce titre.

II - Sur le harcèlement moral :

Aux termes de l'article L. 1152-1 du Code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'article L. 1154-1 précise que dès lors que le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement, il incombe à la partie défenderesse, au vu des ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, M. [T] [V] prétend avoir subi depuis le mois de mai 2013, les attaques verbales injustifiées de la part de son supérieur hiérarchique, le directeur général M. [A] [A], notamment à l'occasion de réunions de travail organisées en présence d'autres responsables du site français.

Or, alors que les faits reprochés par M. [T] [V] se seraient produits devant plusieurs autres responsables, le salarié ne verse au débat qu'une seule attestation, celle de M. [Y] [E], qui indique : 'en effet, M. [T] [V] et moi-même exposions nos besoins en termes de moyens humains et matériels, M. [A] haussait le ton en donnant par la même des coups de poing sur la table tout en rabaissant le travail effectué avec sérieux par M. [T] [V] et ses équipes'. Le témoin expose ensuite les difficultés rencontrées pour faire comprendre au directeur général le manque de moyens humains et matériels.

Il ressort de cette attestation non pas des faits de harcèlement à l'encontre d'une seule personne que serait M. [T] [V], mais une critique de la politique qualifiée de rigide menée par le groupe au travers de son directeur général.

À défaut d'autres éléments, il convient de juger que M. [T] [V] n'établit pas l'existence de faits laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral à son encontre si bien que le jugement déféré sera également confirmé sur ce point.

III - Sur le rappel de primes sur objectifs :

Il ressort du contrat de travail de M. [T] [V] que son salaire est composé d'un fixe et d'une part variable correspondant à un bonus déterminé en fonction du niveau d'atteinte d'objectifs fixés annuellement entre les parties, la prime étant fixée au maximum à un montant de 23'000 €'par an.

La société GESTAMP RONCHAMP, aux termes de son appel incident, fait valoir que le salarié ne rapporte pas la preuve d'avoir atteint les objectifs qui lui avaient été fixés. Or, selon une jurisprudence constante, c'est à l'employeur d'établir la défaillance du salarié.

Dans la mesure où, à hauteur d'appel, la société GESTAMP RONCHAMP ne précise pas les objectifs qui avaient été fixés à M. [T] [V] pour les années 2013 et 2014, ni en quoi il ne les a pas atteints, il convient donc de confirmer le jugement en ce qu'il l'a condamnée à lui verser les sommes de 23'000 € au titre de la prime d'objectifs 2013 et de 6 708 € au titre de la prime d'objectifs 2014.

IV - Sur le travail dissimulé et le préjudice de retraite :

Il est constant que la relation contractuelle entre les parties a été régie par le droit du travail espagnol entre juin 2007 et le 1er janvier 2012.

M. [T] [V] prétend qu'il aurait dû être soumis au droit français dès sa prise de fonction sur le site français et que le fait pour la société GESTAMP RONCHAMP de l'avoir maintenu sous le régime du droit social espagnol constitue à la fois du travail dissimulé et une faute l'ayant empêché de cotiser pour sa retraite.

Toutefois, il y a lieu de noter que M. [T] [V] a consenti à être assujetti au droit social espagnol et que son préjudice n'est pas établi dans la mesure où, en application de son contrat de travail espagnol, ses salaires ont été pris en compte par le régime espagnol d'assurance vieillesse.

De plus, le contrat de travail de M. [T] [V] n'a jamais été dissimulé par la société GESTAMP RONCHAMP. Il ressort simplement des éléments versés au dossier que l'URSSAF a estimé que la situation de M. [T] [V] relevait du droit français, raison pour laquelle, suite à l'observation émise par cet organisme après un contrôle, la société GESTAMP RONCHAMP a placé M. [T] [V] sous l'empire du droit social français.

C'est donc à juste titre que M. [T] [V] a été débouté de la demande de dommages et intérêts formée sur ces chefs de préjudice.

V - Sur l'absence de mention des heures acquises au titre du droit individuel à formation :

Le salarié reproche à la société GESTAMP RONCHAMP, alors qu'il avait acquis 120 heures au titre du droit individuel à la formation, de ne pas lui avoir précisé dans la lettre de licenciement le délai dans lequel il pouvait bénéficier de ses droits.

Toutefois, dès lors que la société GESTAMP RONCHAMP a indiqué, comme en l'espèce, dans la lettre de licenciement, qu'il avait acquis 120 heures au titre du droit individuel à formation et qu'il pouvait demander par écrit à les utiliser pour bénéficier d'une action de formation, d'un bilan de compétences ou d'une validation des acquis de l'expérience, il y a lieu de juger qu'elle a respecté les dispositions légales.

VI - Sur la publicité de l'arrêt :

La faute grave commise par M. [T] [V] étant établie, il n'y a pas lieu d'ordonner la publicité du présent arrêt.

VII - Sur les dépens et les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile:

La faute grave ayant été retenue à hauteur de Cour, il convient de laisser les dépens d'appel à M. [T] [V] qui ne peut dès lors prétendre à l'indemnisation de ses frais irrépétibles.

En revanche, l'équité commande d'allouer à la société GESTAMP RONCHAMP une indemnité de 1 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour, Chambre sociale, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,

DÉCLARE l'appel principal de M. [T] [V] mal fondé ;

DÉCLARE l'appel incident de la société GESTAMP RONCHAMP mal fondé;

CONFIRME le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Lure le 1er avril 2015 en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

DÉBOUTE M. [T] [V] de ses prétentions au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE M. [T] [V] aux entiers dépens ainsi qu'à verser à la société GESTAMP RONCHAMP une indemnité de mille cinq cents euros (1 500 €) en application de l'article 700 du code de procédure civile.

LEDIT ARRÊT a été prononcé par mise à disposition au greffe le six septembre deux mille seize et signé par Mme Chantal PALPACUER, Présidente de Chambre, et par Mme Karine MAUCHAIN, Greffier.

LE GREFFIER,LE PRESIDENT DE CHAMBRE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Besançon
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 15/00788
Date de la décision : 06/09/2016

Références :

Cour d'appel de Besançon 03, arrêt n°15/00788 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2016-09-06;15.00788 ?
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