ARRET N°
PB/KM
COUR D'APPEL DE BESANCON
- 172 501 116 00013 -
ARRET DU 06 OCTOBRE 2015
CHAMBRE SOCIALE
Contradictoire
Audience publique
du 01 septembre 2015
N° de rôle : 14/00932
S/appel d'une décision
du Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de BELFORT
en date du 02 avril 2014
Code affaire : 88F
Demande en dommages-intérêts contre un organisme
SAS SUP INTERIM 90
C/
URSSAF DE BESANCON
PARTIES EN CAUSE :
SAS SUP INTERIM 90, ayant son siège social [Adresse 2]
APPELANTE
représentée par Me Vincent LE FAUCHEUR, avocat au barreau de PARIS
ET :
URSSAF DE BESANCON, [Adresse 1]
INTIMEE
représentée par Madame [V] [N], munie d'un pouvoir de représentation daté du 21 juillet 2015 émanant de Madame [C] [K], Directrice de l'Union de Recouvrement des Cotisations de Sécurité Sociale et d'Allocations Familiales (URSSAF) de Franche-Comté
COMPOSITION DE LA COUR :
lors des débats du 01 Septembre 2015 :
PRESIDENT DE CHAMBRE : Madame Chantal PALPACUER
CONSEILLERS : M. Jérôme COTTERET et Monsieur Patrice BOURQUIN
GREFFIER : Mme Karine MAUCHAIN
Lors du délibéré :
PRESIDENT DE CHAMBRE : Madame Chantal PALPACUER
CONSEILLERS : M. Jérôme COTTERET et Monsieur Patrice BOURQUIN
Les parties ont été avisées de ce que l'arrêt sera rendu le 06 Octobre 2015 par mise à disposition au greffe.
**************
La loi n° 2003-47 du 17 janvier 2003 a créé un dispositif de réduction des cotisations patronales de sécurité sociale, dénommée 'réduction Fillon' dues au titre des gains et rémunérations versées à compter du 1er juillet 2003.
Selon l'article L 241-13 du code de la sécurité sociale, la réduction calculée pour chaque salarié était égale au produit de la rémunération mensuelle brute soumise à cotisation multiplié par un coefficient déterminé par application d'une formule spécifique.
Une lettre ministérielle 10 septembre 2004, reprise par une circulaire de l'Acoss du 8 octobre 2004, a précisé que seules les heures constituant du temps de travail effectif ou assimilé devaient être intégrées dans le calcul de la réduction.
La loi n° 2005-1579 du 19 décembre 2005 a modifié l'article L 241-15 en précisant que l'assiette de calcul s'entendait de l'ensemble des heures rémunérées quelle qu'en soit la nature, cette disposition n'étant toutefois applicable qu'aux cotisations dues au titre des gains et rémunération versées à compter du 1er janvier 2006.
Par lettres ministérielles des 18 avril 2006 le Ministre du travail a demandé au directeur de l'Acoss de mettre fin à toutes les procédures de redressement et aux contentieux en cours ou envisagés, à l'encontre des employeurs qui avaient déterminé le montant de la réduction sur la base de la totalité des heures rémunérées, pour les cotisations afférentes aux rémunérations versées avant le 1er janvier 2006.
Cette instruction a été reprise par un courrier du 7 juillet 2006 de l'Acoss aux directeurs des Urssaf et un second courrier ministériel a été adressé à l'Acoss le 13 mars 2008 .
Les lettres ministérielles, ainsi que le courrier du directeur de l'Acoss n'ont fait l'objet d'aucune publication.
La Sas Sup Interim 90 a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Belfort d'une action en responsabilité à l'encontre de l'Urssaf de Belfort-Montbéliard faisant valoir qu'en l'absence de publication des instructions, elle n'avait pu solliciter le remboursement des cotisations versées avant le 1er janvier 2006.
Par jugement du 2 avril 2014 le tribunal des affaires de sécurité de Belfort a rejeté l'intégralité des demandes de la Sas Sup Interim 90 et l'a condamnée à payer aux défendeurs la somme de 300 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration du 18 avril 2014, la Sas Sup Interim 90 a interjeté appel de la décision.
Selon conclusions visées le 30 juillet 2015, elle conclut à l'infirmation du jugement et à la condamnation de l'Urssaf de Belfort-Montbéliard à lui payer la somme de 16477€ à titre de dommages et intérêts, outre les intérêts de retard à compter du jour du paiement des cotisations ainsi que la somme de 3.500€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle fait valoir qu'en violation de l'obligation d'information qui s'impose à elle, l'Urssaf s'est volontairement abstenue de diffuser les différentes instructions, ce qui a causé la perte, par le cotisant de la possibilité de demander le remboursement des cotisations patronales versées pour la période antérieure au 1er janvier 2006.
Selon conclusions visées le 22 juillet 2015, l'Urssaf de Franche-Comté venant aux droits de l'Urssaf de Belfort-Montbéliard conclut à la confirmation du jugement entrepris et à la condamnation de la Sas Sup Interim 90 lui payer la somme de 1000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
En application de l' article 455 du code de procédure civile, la Cour se réfère, pour l'exposé des moyens des parties, à leurs conclusions visées par le greffe et développées lors de l'audience de plaidoirie du 16 juin 2015.
MOTIFS DE LA DECISION
En tant qu'organisme de droit privé, l'Urssaf est soumise aux dispositions de l'article 1382 du code civil et il appartient au cotisant qui se prétend lésé de faire la preuve, conformément au droit commun , de la faute commise par l'organisme, du préjudice subi et du lien de causalité entre cette faute et le préjudice.
La Sas Sup Interim 90 fait valoir que l'Urssaf a commis une faute en ne publiant pas la lettre du ministre délégué à la sécurité sociale à destination du directeur de l'Acoss en date du 18 avril 2006, la lettre du directeur de l'Acoss aux directeurs des Urssaf du 7 juillet 2006 et enfin la lettre ministérielle du 13 mars 2008.
Elle s'appuie en premier lieu sur l'article 7 de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 aux termes duquel 'font l'objet d'une publication, les instructions, les circulaires ainsi que les notes et réponses ministérielles qui comportent une interprétation du droit positif ou une description des procédures administratives. Les administrations peuvent en outre rendre publics les autres documents administratifs qu'elles produisent ou reçoivent'.
Le premier texte visé est la lettre ministérielle du 18 avril 2006 adressée au directeur de l'Acoss, précisant qu'à la suite du vote de la loi du 19 décembre 2005, il est demandé 'pour tenir compte de la volonté exprimée par le législateur à l'occasion du vote de cette loi et afin de sécuriser toute les situations existantes... de prendre toutes les dispositions nécessaires afin qu'il soit mis fin à toutes les procédures de redressement en cours ou envisagées à l'encontre des employeurs qui ont déterminé le montant de la réduction générale sur la base de la totalité des heures rémunérées pour les cotisations afférentes aux rémunérations versées avant le 1er janvier 2005 et de transmettre les instructions nécessaires afin que les organismes de recouvrement impliqués dans un contentieux engagé sur ce motif se désistent'.
La volonté du législateur évoquée par le courrier résultait du vote d'un amendement contenu dans l'article 22 du projet de loi du 9 mars 2006 sur l'égalité des chances, prévoyant que l'assiette de calcul de la réduction, telle que prévue par la loi du 19 décembre 2005, serait applicable pour les cotisations versées depuis le 1er janvier 2003, cette disposition ayant été toutefois censurée par le Conseil constitutionnel.
Le contenu de la lettre ministérielle ne pouvait donc être analysé comme une description du droit positif mais ne pouvait constituer qu'une tolérance, non créatrice de droits, qui n'avait pas à faire l'objet d'une publication en application des dispositions susvisées.
Le courrier du directeur de l'Acoss aux Urssaf du 7 juillet 2006 reprend les termes de la lettre ministérielle, tout en abordant dans son annexe le cas, non expressément visé par la lettre ministérielle du 18 avril 2006, des demandes de remboursement.
Il est dans ce cas demandé aux Urssaf, de procéder à la notification du refus de la demande en indiquant les voies de recours puis, si le cotisant saisit la commission de recours amiable, de procéder à l'examen de sa demande dans un sens favorable de manière à aboutir à faire droit à la requête.
Cet ajout, qui vise à donner une solution aux litiges avant que soit formalisé un contentieux judiciaire, ne constitue pas une nouvelle interprétation du droit positif, qui n'a pas été modifié pour les cotisations relatives à la période 2003 à 2005 ou la description d'une procédure administrative, mais unifie la gestion interne des situations pré-contentieuses afin de mettre en oeuvre la tolérance prévue par la lettre ministérielle du 18 avril 2006.
La lettre ministérielle du 13 mars 2008 ne fait quant à elle que reprendre la solution retenue par la lettre du 18 avril 2006 et le courrier du directeur de l'Acoss du 7 juillet 2006 et n'apporte donc pas d'élément nouveau.
Il en résulte qu'aucun des textes litigieux ne devait être publié par l'Urssaf en application de l'article 7 de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978.
La Sas Sup Interim 90 invoque par ailleurs l'article 2 de la loi 2000-321 du 12 avril 2000, aux termes duquel les autorités administratives sont tenues d'organiser un accès simple aux règles de droit qu'elles édictent.
Même si l'Urssaf, en tant que personne publique assurant un service public administratif est soumise à ses dispositions, il n'en reste pas moins qu'elle n'a pas elle-même édicté les textes litigieux dont il résulte par ailleurs des développements précédents qu'ils n'ont pas pour objet d'édicter une règle de droit.
La société appelante soutient également que l'Urssaf devait procéder à la diffusion des documents litigieux sur le fondement de l'obligation générale d'information dont les organismes de sécurité sociale sont débiteurs envers les assurés et cotisants en application de l'article R 112-2 du code de la sécurité sociale.
L'Urssaf est toutefois tenue de répondre aux demandes qui lui sont soumises, mais non de prendre l'initiative de renseigner les cotisants à titre individuel ou de façon générale sur leurs droits éventuels, étant au surplus rappelé que les textes litigieux ne créaient pas un droit mais instituaient une simple tolérance.
La Sas Sup Interim 90 soutient enfin que l'absence de publication constituait une violation par l'Urssaf du devoir de loyauté dont elle serait tenue à l'égard des cotisants.
Toutefois il appartenait à l'Urssaf de traiter, conformément aux instructions ministérielles, tant les contentieux en cours que les demandes ultérieures de remboursement ou de crédit, qui n'étaient pas spécifiquement visées par la lettre ministérielle du 18 avril 2006, et de définir un mode de gestion des situations pré-contentieuses et contentieuses permettant d'y mettre fin, sans qu'il puisse lui être reproché de ne pas avoir suscité des demandes des cotisants en portant à leur connaissance les modalités de traitement qu'elle avait choisi de retenir, de sorte qu'il ne peut être soutenu qu'elle a fait preuve d'un manque de transparence constitutif d'une déloyauté.
La société appelante fait enfin valoir que le bénéfice de la tolérance administrative, ouverte aux seuls cotisants en situation de contrôle Urssaf ou en contentieux, créerait un rupture d'égalité illégitime des cotisants vis-à-vis des charges publiques.
Toutefois ceux-ci sont placés dans des situations objectivement distinctes selon qu'ils ont sollicité un remboursement ou un crédit ou se trouvent en cours de contentieux et ce par rapport aux autres cotisants, qui n'ont formé aucune réclamation et étaient par ailleurs à l'époque à même de pouvoir engager une telle action s'ils l'estimaient utile.
Les textes litigieux ne créent donc pas une différence de traitement constitutive d'une rupture d'égalité des cotisants vis-à-vis des charges publiques dès lors que tout cotisant placé dans chacune de ces deux catégories se voit appliquer un traitement identique.
Dans ces conditions, c'est à juste titre que le premier juge a retenu l'absence de faute de l'Urssaf et a débouté la société appelante de sa demande, le jugement étant en conséquence confirmé.
La Sas Sup Interim 90 qui succombe sera condamnée à payer à l'Urssaf la somme de 500€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, Chambre sociale, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,
Vu l'avis d'audience adressé à la mission nationale de contrôle et d'audit des organismes de sécurité sociale,
CONFIRME le jugement rendu par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Belfort le 2 avril 2014;
Y ajoutant,
CONDAMNE la Sas Sup Interim 90 à payer à l'Urssaf de Franche-Comté la somme de 500€ au titre de l'article 700 du code du procédure civile.
Ledit arrêt a été prononcé par mise à disposition au greffe le six octobre deux mille quinze et signé par Madame Chantal PALPACUER, Présidente de chambre et Mme Karine MAUCHAIN, Greffier.
LE GREFFIER,LA PRESIDENTE DE CHAMBRE,