ARRET N°
HB/CM
COUR D'APPEL DE BESANCON
- 172 501 116 00013 -
ARRET DU 09 MAI 2012
CHAMBRE SOCIALE
Contradictoire
Audience publique
du 07 février 2012
N° de rôle : 10/02592
S/appel d'une décision
du Conseil de prud'hommes - Formation de départage de MONTBELIARD
en date du 26 août 2010
Code affaire : 80A
Demande d'indemnités liées à la rupture du contrat de travail CDI ou CDD, son exécution ou inexécution
[I] [G]
C/
SA SITA CENTRE EST
PARTIES EN CAUSE :
Monsieur [I] [G], demeurant [Adresse 1]
APPELANT
REPRESENTE par Me Valérie CHASSARD, avocat au barreau de MONTBELIARD
ET :
SA SITA CENTRE EST, ayant son siège social, [Adresse 2]
INTIMEE
REPRESENTEE par Me Dominique PEROL, avocat au barreau de LYON
COMPOSITION DE LA COUR :
lors des débats du 07 Février 2012 :
PRESIDENT DE CHAMBRE : Monsieur Jean DEGLISE
CONSEILLERS : Madame Hélène BOUCON et Madame Véronique LAMBOLEY-CUNEY
GREFFIER : Mademoiselle Ghyslaine MAROLLES
Lors du délibéré :
PRESIDENT DE CHAMBRE : Monsieur Jean DEGLISE
CONSEILLERS : Madame Hélène BOUCON et Madame Véronique LAMBOLEY-CUNEY
Les parties ont été avisées de ce que l'arrêt serait rendu le 13 mars 2012 et prorogé au 09 mai 2012 par mise à disposition au greffe.
**************
Mr [I] [G] a été embauché le 23 août 2004 par la société Sita Centre Est en qualité d'attaché commercial.
Par avenant du 15 janvier 2007, il a été promu au poste de responsable d'exploitation de l'agence de [Localité 5].
Le 27 décembre 2007, il a été convoqué à un entretien préalable fixé au 7 janvier 2008, avec mise à pied conservatoire, et licencié pour faute grave le 11 janvier 2008 aux motifs suivants :
- mise en péril de la sécurité des salariés d'[Localité 3] en les affectant pendant plusieurs mois sur du matériel nécessitant des travaux de mise en conformité
- falsification de documents.
Contestant la légitimité de son licenciement, il a saisi le conseil de prud'hommes aux fins d'obtenir paiement d'indemnités de rupture et de dommages et intérêts.
Par jugement en date du 26 août 2010, le conseil, statuant en formation de départage, l'a débouté de l'ensemble de ses demandes et condamné aux dépens.
Régulièrement appelant de ce jugement par déclaration en date du 12 octobre 2010, Mr [G] demande à la cour d'infirmer celui-ci et de condamner la société Sita Centre Est à lui payer les sommes de :
- 4 620 € brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis
- 462 € brut à titre de congés payés sur préavis
- 1 386 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement
- 20 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
- 1 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile
Il fait valoir en substance :
- qu'il n'a bénéficié d'aucune formation sérieuse avant sa prise de poste de responsable d'exploitation alors qu'il avait en charge 5 sites dont trois avec du personnel
- qu'il n'avait pas le statut cadre et n'était pas directement responsable de la sécurité, celle-ci étant confiée à un cadre de l'agence régionale de [Localité 4], destinataire des rapports de contrôle relatifs aux installations
- que s'agissant du chariot élévateur prétendument dangereux qu'il lui est reproché d'avoir maintenu en service sans effectuer les mises en conformité nécessaires, celui-ci était loué auprès de la société Manuloc, qui avait la charge d'effectuer les vérifications périodiques; qu'il n'a pas eu connaissance du rapport de contrôle effectué à la demande de ladite société en juin 2007 pendant ses congés ;
- que le rapport de contrôle établi par la société Norilsko le 27 novembre 2007 à sa requête ne préconisait pas l'arrêt immédiat du chariot élévateur et qu'il a fait procéder au remplacement des fourches de celui-ci par une commande adressée le 14 décembre 2007, soit dans le délai d'un mois prévu par les procédures en vigueur dans la société ; qu'aucune faute ne peut donc lui être reprochée à cet égard
- que la date du 1er décembre figurant sur la commande procède d'une erreur matérielle et ne peut caractériser le grief de falsification de documents
- que les motifs réels de son licenciement sont économiques, l'exploitation de [Localité 5] ayant cessé.
La société Sita Centre Est conclut à la confirmation du jugement déféré en toutes ses dispositions, au rejet de l'intégralité des demandes de l'appelant et à la condamnation de celui-ci à lui payer une indemnité de 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle maintient que Mr [I] [G] a gravement manqué à ses obligations de responsable d'exploitation, en s'abstenant délibérément de faire procéder au remplacement des fourches d'un chariot-élévateur et en maintenant celui-ci en activité, en dépit des préconisations de deux rapports de contrôles successifs du 15 juin 2007 et du 27 novembre 2007, à telle enseigne qu'un salarié utilisateur de celui-ci a décidé le 1er décembre 2007 d'exercer son droit de retrait, pour violation des règles de sécurité.
Elle conteste les allégations de l'appelant, soutenant n'avoir pas eu connaissance du rapport de la société CDT-Crea du 15 juin 2007, alors que celui-ci a été retrouvé dans un classeur de son bureau avec celui de la société Norisko en date du 27 novembre 2007, et qu'un devis de réparation des fourches du chariot élévateur avait été établi le 11 septembre 2007 par la société de location Manuloc.
Elle maintient également que l'appelant a volontairement antidaté au 1er décembre 2007 les bons de commande des réparations à effectuer sur le chariot élévateur en cause, alors qu'il n'a établi et envoyé ceux-ci à la société Manuloc que le 14 décembre 2007, après que les services du siège aient été alertés par un délégué du personnel de l'exercice par un salarié de son droit de retrait et sollicité des informations sur la situation dénoncée par celui-ci.
Elle estime en conséquence que son licenciement pour faute grave était parfaitement fondé.
MOTIFS DE LA DECISION
En droit, la faute grave résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié caractérisant une violation par celui-ci des obligations découlant de son contrat de travail ou des relations de travail, d'une gravité telle qu'elle rend impossible la poursuite des relations contractuelles.
En l'espèce, la lettre de licenciement notifiée à Mr [G] le 11 janvier 2008 fait grief à celui-ci :
- d'avoir mis en péril la sécurité des salariés du site Faurecia d'[Localité 3] en les affectant pendant plusieurs mois sur du matériel nécessitant des travaux de mise en conformité, à savoir un chariot-élévateur, dont il avait été signalé par un rapport de visite périodique de la société CTD-CREA du 15 juin 2007, et à nouveau par un rapport de visite de la société Norilsko du 16 novembre 2007 que les fourches devaient être remplacées en raison d'une usure dépassant le seuil de tolérance, et dont les travaux n'ont été finalement commandés que le 14 décembre 2007
- d'avoir falsifié les bons de commandes faxés à la société Manuloc le 14 décembre 2007 en les datant du 1er décembre 2007, pour dissimuler sa carence en matière de respect de l'obligation de sécurité.
La matérialité des faits n'est pas sérieusement contestée.
Il est établi en effet par les documents produits aux débats par l'employeur que deux rapports de vérifications périodiques effectuées le 15 juin 2007 par la société CTD-CREA, mandatée par la société de location Manuloc, puis le 16 novembre 2007 par la société Norisko, mandatée par la société intimée, ont préconisé le remplacement des fourches du chariot-élévateur de marque Komatsu n° 12074, utilisé sur le site Faurecia-[Localité 3], en raison d'une usure de plus de 10 %, le deuxième rapport faisant état par ailleurs d'autres anomalies à réparer et d'une mise à l'arrêt conseillée.
Il est établi d'autre part qu'un devis de remplacement des fourches a été établi le 11 septembre 2007 sous le n° 13029 par la société Manuloc pour un montant hors taxe de 787,16 € et que Mr [G] n'a signé le bon de commande correspondant que le 14 décembre 2007, après une enquête de la direction régionale de [Localité 4], consécutive à l'exercice par un salarié, Mr [H], de son droit de retrait.
Les fonctions de responsable d'exploitation, telles que décrites dans la fiche de poste produite par l'appelant, comportant la surveillance de l'état du matériel dans une perspective de rentabilité, de sécurité et de qualité de service, et un respect rigoureux de la
réglementation en matière de collecte et traitement des déchets mais également en matière de conditions de travail, Mr [G] ne peut nier sa responsabilité dans le maintien en service d'un engin de levage dont les bras de fourches usagés présentaient un danger pour la sécurité du personnel, en arguant d'une formation insuffisante lors de sa prise de fonctions ou d'une absence de transmission du rapport de vérification périodique du 15 juin 2007.
L'employeur produit plusieurs attestations et courriers électroniques établissant qu'il a été invité à suivre un parcours d'accueil comportant plusieurs séquences de formation, notamment en matière de sécurité-environnement et qu'il a été accompagné sur site par son supérieur hiérarchique Mr [V] en ce qui concerne les questions de matériel et de personnel, pendant le premier trimestre de ses fonctions.
Mr [G] ne peut sérieusement prétendre avoir ignoré l'existence et le caractère impératif des vérifications périodiques des moyens d'exploitation tels que les véhicules de transport, compacteurs et engins de levage et l'obligation de procéder aux réparations et mises en conformités prescrites pour les vérificateurs.
Il indique d'ailleurs dans ses écritures avoir pris l'initiative de faire procéder à la vérification du 16 novembre 2007 par la société Norisko, qui a donné lieu à un rapport du 27 novembre 2007.
Quant à ses allégations relatives à l'absence de communication du rapport du 15 juin 2007 établi par la société CTD-CREA, elles sont formellement démenties par les attestations de Mr [P], coordinateur sécurité, de Mme [Y] [O] et de Mr [J] [V], selon lesquelles ledit rapport était archivé dans son bureau avec le rapport Norisko du 16 novembre 2007 et les devis de réparation de la société Manuloc dont celui du 11 septembre 2007 relatif à la réparation de la fourche préconisée dans le rapport de vérification du 15 juin 2007.
L'absence de suite donnée par Mr [G] aux observations de ce premier rapport et au devis du 11 septembre 2007 et le maintien en service du chariot élévateur défectueux après le 16 novembre 2007 pendant près d'un mois, sans qu'aucun ordre de réparation n'ait été donné en dépit de la réitération par la société Norisko du caractère impératif du remplacement des bras de la fourche, et du constat de nouvelles anomalies l'amenant à formuler une 'mise à l'arrêt conseillée' caractérise indiscutablement un manquement à ses obligations en matière de sécurité.
La gravité de celui-ci doit toutefois être relativisée en considération de son inexpérience du poste de responsable d'exploitation, confronté en permanence à des injonctions contradictoires de rentabilité, sécurité, qualité, dont il est regrettable de constater, dans les fiches de poste et notes de services de l'employeur que l'objectif de sécurité n'est pas désigné en priorité et vient après celui de rentabilité, dans la rubrique relative à la surveillance de l'état du matériel, consigne subliminale que Mr [G] a cru devoir appliquer, si l'on se réfère aux explications qu'il aurait données de son attentisme à Mr [P], coordinateur sécurité, aux termes desquelles il avait différé les ordres de réparation sur cet engin de location, dans l'attente de la réponse du client Faurecia sur le renouvellement du contrat.
Force est de constater par ailleurs et surtout que la procédure d'établissement par le service sécurité de la société d'une 'fiche action' destinée à définir le planning des travaux de mise en conformité préconisés par le rapport de vérifications périodiques (cf. pièce 2-2-1 de la société SITA) et à contrôler l'avancement des réparations programmées n'a pas été mise en oeuvre, témoignant d'un laxisme révélateur en matière de respect d'obligation de sécurité.
Quant au fait d'avoir antidaté au 1er décembre 2007 les bons de commande établis et envoyés en réalité le 14 décembre, il ne constitue qu'une tentative maladroite d'atténuer sa responsabilité, suite à l'exercice par un salarié de son droit de retrait, et n'est pas suffisant à justifier une rupture immédiate sans préavis du contrat de travail, en l'absence d'antécédents disciplinaires.
Il convient en conséquence d'infirmer partiellement le jugement déféré, de dire que le licenciement de Mr [G] est fondé sur une cause réelle et sérieuse mais non sur une faute grave et de faire droit à ses demandes en paiement de l'indemnité compensatrice de préavis et de l'indemnité conventionnelle de licenciement, les montants sollicités à ce titre étant justifiés par les bulletins de salaires communiqués.
P A R C E S M O T I F S
La cour, chambre sociale, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Dit l'appel recevable et partiellement fondé,
Infirme le jugement rendu le 26 août 2010 par le conseil de prud'hommes de Montbéliard, en ce qu'il a débouté le salarié de ses demandes d'indemnité compensatrice de préavis et d'indemnité de licenciement,
Statuant à nouveau,
Dit que le licenciement de Mr [I] [G] est fondé sur une cause réelle et sérieuse mais non sur une faute grave,
Condamne la société Sita Centre Est à payer à Mr [I] [G] les sommes de :
- quatre mille six cent vingt euros (4 620,00 €) brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis
- quatre cent soixante deux euros (462,00 €) brut au titre des congés payés afférents
- mille trois cent quatre vingt six euros (1 386,00 €) à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement
Condamne la société Sita Centre Est aux entiers dépens et à payer à M [I] [G] une indemnité de huit cents euros (800,00 €) en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Ledit arrêt a été prononcé par mise à disposition au greffe le neuf mai deux mille douze et signé par Monsieur Jean DEGLISE, président de chambre et Mademoiselle Ghyslaine MAROLLES, greffier.
LE GREFFIER,LE PRESIDENT DE CHAMBRE,