ARRET N°
HB/IH
COUR D'APPEL DE BESANCON
- 172 501 116 00013 -
ARRET DU 1er JUILLET 2011
CHAMBRE SOCIALE
Contradictoire
Audience publique
du 22 avril 2011
N° de rôle : 10/02600
S/appel d'une décision
du Conseil de prud'hommes de BESANCON
en date du 10 septembre 2010
Code affaire : 80A
Demande d'indemnités liées à la rupture du contrat de travail CDI ou CDD, son exécution ou inexécution
[N] [O]
C/
S.A.S. CLINIQUE [5]
PARTIES EN CAUSE :
Monsieur [N] [O], demeurant [Adresse 2]
APPELANT
REPRESENTE par Me Laurent MORDEFROY, avocat au barreau de BESANCON
ET :
S.A.S. CLINIQUE [5], ayant son siège social [Adresse 1]
INTIMEE
REPRESENTEE par Me Patrick MONNET substitué par Me Laurent BESSE, avocats au barreau de BESANCON
COMPOSITION DE LA COUR :
lors des débats du 22 Avril 2011 :
CONSEILLERS RAPPORTEURS : Madame Hélène BOUCON, Conseiller, en présence de Monsieur Jérôme COTTERET, Conseiller, conformément aux dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, en l'absence d'opposition des parties
GREFFIER : Mademoiselle Ghyslaine MAROLLES
lors du délibéré :
Madame Hélène BOUCON et Monsieur Jérôme COTTERET, Conseillers, ont rendu compte conformément à l'article 945-1 du code de procédure civile à Monsieur Jean DEGLISE, Président de chambre
Les parties ont été avisées de ce que l'arrêt serait rendu le 17 juin 2011 et prorogé au 1er juillet 2011 par mise à disposition au greffe
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Engagé par contrat de travail en date du 10 août 2004 à effet du 1er octobre 2004 en qualité de médecin spécialiste attaché au service de soins de suite et de réadaptation de la clinique [4] de [Localité 3], Monsieur [N] [O] a été promu, par avenant en date du 6 mars 2008, médecin responsable des services de soins de suite et de réadaptation de cet établissement, désormais géré par la SAS clinique [5], filiale du groupe Capio.
A la suite d'une pétition de soutien qu'il a fait circuler auprès du personnel soignant en faveur d'une psychologue dont l'embauche définitive après période d'essai était refusée par la direction, il a fait l'objet le 11 juin 2008 d'une mise à pied disciplinaire de cinq jours pour abus de son pouvoir hiérarchique et manquement à son obligation de loyauté.
Par courrier en date du 4 juillet 2008, notifié à l'employeur le 7 juillet 2008, il a donné sa démission, précisant qu'il effectuerait son préavis de trois mois et prendrait, comme convenu, trois semaines de congés annuels en août.
Le 30 octobre 2008 il a saisi le conseil de prud'hommes de Besançon aux fins d'annulation de la sanction disciplinaire du 11 juin 2008 et requalification de sa démission en licenciement sans cause réelle et sérieuse, du fait du harcèlement moral subi par lui de la part de la direction de l'établissement, sollicitant la condamnation de l'employeur à lui payer diverses indemnités de rupture et dommages et intérêts en réparation de son préjudice.
Par jugement en date du 10 septembre 2010, auquel il est référé pour un plus ample exposé des faits et de la procédure ainsi que pour les motifs, le conseil a dit justifiée et proportionnée la sanction disciplinaire prononcée à son encontre le 11 juin 2008, non fondée sa demande de requalification de la démission en licenciement sans cause réelle et sérieuse, et l'a débouté de l'ensemble de ses demandes.
Régulièrement appelant de ce jugement par déclaration au greffe en date du 14 octobre 2010, Monsieur [N] [O] demande à la cour d'infirmer celui-ci et de condamner la SAS clinique St Vincent à lui payer les sommes suivantes :
- 20 000 € au titre du harcèlement moral,
- 4 848,78 € à titre d'indemnité légale de licenciement,
- 6 098,48 € à titre d'indemnité pour licenciement irrégulier,
- 100 000 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en réparation du préjudice financier et moral,
- 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Il indique renoncer à solliciter l'annulation de la mise à pied disciplinaire dont il a fait l'objet le 11 juin 2008, sans qu'il y ait lieu d'interpréter l'abandon de ce grief comme une reconnaissance d'une quelconque faute commise par lui.
Il maintient en revanche qu'il a été contraint à la démission par des agissements humiliants et vexatoires perpétrés à son encontre par la direction de l'établissement (annonce publique de sa mise à pied, changement de bureau) destinés à le discréditer et à le rabaisser, et par une dégradation de ses conditions de travail devenues indignes de son statut de médecin chef de service, à l'origine d'une altération de son état de santé.
La SAS clinique [5] conclut à la confirmation du jugement déféré et au rejet de l'ensemble des demandes de Monsieur [O].
Elle sollicite reconventionnellement la condamnation de celui-ci à lui verser une somme de 3 000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle fait valoir en substance :
- que celui-ci s'est inscrit à partir de mai 2008 dans un processus d'opposition et de déstabilisation de la direction de l'établissement et a enfreint gravement son devoir de réserve et de loyauté en exerçant des pressions sur des membres du personnel relevant de son pouvoir hiérarchique pour les amener à signer une pétition destinée à contester une décision de la direction relative au recrutement d'une psychologue, alors qu'en sa qualité de chef de service, il lui incombait de faire part de ses observations au sein du comité de direction, que la sanction disciplinaire qui lui a été notifiée était donc parfaitement justifiée ;
- que sa démission du 4 juillet 2008 n'est assortie d'aucune réserve et ne formule aucun grief à l'encontre de l'employeur susceptible de faire présumer qu'elle ne résultait pas d'une volonté claire et non équivoque, et qu'il n'a commencé à exprimer des plaintes sur ses conditions de travail qu'à la fin du mois d'août 2008 ;
- que les faits qu'il invoque à l'appui de sa demande de requalification ne sont nullement constitutifs de harcèlement moral, que l'information donnée au personnel sur la sanction dont il a été l'objet était justifiée par un souci de transparence et d'exemplarité, destiné à éviter le renouvellement des faits ;
- que le changement de bureau dont il se plaint, intervenu le 9 juin 2008, était consécutif à des travaux de réaménagement des locaux et avait un caractère provisoire ; que le local attribué était de dimensions normales et pourvu d'un mobilier adéquat au regard des conditions d'exercice de ses fonctions, et n'entraînait aucune dégradation de celles-ci, qu'il a bénéficié à partir du 15 septembre 2008 de l'attribution d'un nouveau bureau au rez de chaussée de l'établissement.
MOTIFS DE LA DECISION
Il est constant en droit que la démission du salarié ne peut résulter que d'une manifestation claire et non équivoque de la part de celui-ci de mettre fin au contrat de travail.
Tel n'est pas le cas d'une démission motivée par des manquements de l'employeur à ses obligations ou d'une démission, même donnée sans réserves, s'il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de celle-ci qu'à la date à laquelle elle a été donnée, elle était équivoque.
Dans ce cas, il y a lieu de l'analyser en une prise d'acte de la rupture par le salarié de son contrat de travail qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient ou dans le cas contraire d'une démission.
En l'espèce, Monsieur [N] [O] a donné sa démission le 4 juillet 2008 moins d'un mois après avoir fait l'objet d'une mise à pied disciplinaire pour avoir été l'initiateur d'une pétition destinée à remettre en cause une décision de la direction de la clinique.
Cette situation révélatrice de relations gravement conflictuelles entre les parties confère un caractère équivoque à ladite démission, de sorte qu'il incombe à la cour, saisie d'une demande de requalification de celle-ci en licenciement sans cause réelle et sérieuse de vérifier si les manquements invoqués par Monsieur [N] [O] à l'encontre de son employeur étaient réels et suffisamment graves pour rendre impossible la poursuite de son contrat de travail.
S'agissant de la sanction disciplinaire prononcée à son encontre, Monsieur [N] [O], qui s'abstient de remettre en cause la décision des premiers juges ayant estimé celle-ci justifiée et proportionnée, ne peut sérieusement faire grief à la direction de l'établissement d'avoir annoncé publiquement celle-ci lors d'une réunion du personnel.
Il résulte en effet des pièces produites aux débats que l'initiative prise par Monsieur [N] [O] de faire circuler une pétition de soutien à une psychologue menacée de rupture de sa période d'essai constituait une violation de l'obligation de loyauté inscrite à l'article 7 de l'avenant à son contrat de travail du 6 mars 2008, lui commandant de réserver l'exercice de son droit de critique et de sa liberté d'expression au sein du comité de direction, et que certains membres du personnel ont été amenés à signer ladite pétition dans des conditions qui ne permettaient pas de garantir l'expression d'un consentement libre et éclairé de leur part ; que les faits ont été à l'origine d'importantes tensions au sein de l'établissement, de sorte qu'il n'était pas illégitime de la part de la direction d'informer officiellement le personnel des sanctions prises et des motifs précis de celles-ci en vue d'éclairer les salariés sur les obligations et responsabilités de chacun et de rétablir sa crédibilité et son autorité, étant observé qu'il ne résulte pas de l'attestation de Madame [V] [J], présente à cette réunion, que cette information ait été donnée en termes dévalorisants et humiliants à l'égard du docteur [O] et de Madame [W], responsable des soins, également en cause.
L'appelant prétend d'autre part qu'à compter du 9 juin 2008 son bureau aurait été transféré au rez de chaussée dans un 'placard', à savoir un local technique abritant une armoire de détection incendie et du matériel informatique ne comportant pas de table d'examen pour les patients, indigne de son statut et de ses fonctions.
Or les photographies produites aux débats de part et d'autre du local en cause ne permettent pas d'accréditer le qualificatif de placard ou de local technique.
Celui-ci est en effet relativement spacieux et équipé de deux bureaux, avec ordinateur et imprimante sur l'un deux, et pourvu d'une fenêtre avec rideaux, contrairement à l'attestation de Madame [Z] faisant état 'd'un bureau bruyant, surchauffé, sans fenêtre'.
En tout état de cause, il résulte des courriels échangés entre les parties, et il n'est pas sérieusement contesté par l'appelant, que ce changement de bureau était consécutif à des travaux de réaménagement des locaux de l'établissement, et que l'attribution du bureau critiqué avait un caractère provisoire, que celui-ci répondait aux exigences des fonctions de l'intéressé, nonobstant les quelques nuisances sonores évoquées dans ses écritures, étant donné qu'il n'a à aucun moment exprimé de récriminations à cet égard pendant les mois de juin, juillet et août 2008.
Ainsi dans un courriel du 27 août 2008 adressé au docteur [G] [K] soit près de deux mois après sa démission, il informe celui-ci qu'il s'est rendu à l'inspection du travail pour dénoncer des actes abusifs et maltraitants de Mesdames [A] [Y], directrice adjointe et [I] [M], et sollicite la réattribution des lits du 2ème étage aux médecins du 1er étage, jusqu'à la fin des travaux, sans évoquer à aucun moment le caractère 'indigne' du bureau qui lui a été attribué.
Un autre courriel du 12 septembre 2008 établit qu'il a évoqué pour la première fois ce problème lors d'une rencontre du 9 septembre 2008 avec Monsieur [K], directeur de la société intimée, lequel lui a rappelé dans un courrier du 11 septembre 2008 les motifs de ce changement de bureau et lui a proposé d'intégrer un nouveau bureau à compter du 15 septembre 2008.
Le grief de 'mise au placard' apparaît dès lors dénué de réalité et de sérieux.
Par ailleurs l'enquête diligentée par le CHSCT de la société intimée, à la demande de son directeur, suite à la dénonciation effectuée par le docteur [O] auprès de l'inspection du travail, n'a pas permis de recueillir des preuves matérielles et des faits concrets caractérisant les 'actes abusifs et maltraitants' dénoncés par lui, en dépit du constat d'un état de souffrance du personnel (cf compte-rendu de le réunion du 9 octobre 2008).
Enfin les documents médicaux et attestations produits par l'appelant ne permettent pas de retenir une altération de son état de santé en relation avec des agissements de harcèlement moral.
Les troubles anxieux et dépressifs dont il est fait état peuvent résulter de la seule existence de désaccords ou de conflits avec la direction ou des membres du personnel de l'établissement, ils ne peuvent faire preuve à eux seuls d'une situation de harcèlement moral.
En l'absence de manquements avérés et graves imputables à l'employeur rendant impossible la poursuite du contrat de travail, la demande de requalification de la démission en licenciement sans cause réelle et sérieuse n'apparaît pas fondée.
Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté l'ensemble des demandes de Monsieur [N] [O] tant au titre de la rupture de son contrat de travail que du harcèlement moral.
Celui-ci supportera les dépens d'appel.
L'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'intimée.
P A R C E S M O T I F S
La cour, chambre sociale, statuant publiquement, contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Dit l'appel recevable mais non fondé ;
Confirme le jugement rendu le 10 septembre 2010 par le conseil de prud'hommes de Besançon entre Mr [N] [O] la clinique [5] ;
Condamne Monsieur [N] [O] aux dépens ;
Dit n'y avoir lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Ledit arrêt a été prononcé par mise à disposition au greffe le premier juillet deux mille onze et signé par Monsieur Jean DEGLISE, président de chambre, et Mademoiselle Ghyslaine MAROLLES, greffier.
LE GREFFIER, LE PRESIDENT DE CHAMBRE