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29/03/2011 | FRANCE | N°10/01537

France | France, Cour d'appel de Besançon, Chambre sociale, 29 mars 2011, 10/01537


ARRET N°

VLC/CM



COUR D'APPEL DE BESANCON

- 172 501 116 00013 -

ARRET DU 29 MARS 2011



CHAMBRE SOCIALE





Contradictoire

Audience publique

du 28 janvier 2011

N° de rôle : 10/01537



S/appel d'une décision

du Conseil de prud'hommes de VESOUL

en date du 28 mai 2010

Code affaire : 80A

Demande d'indemnités liées à la rupture du contrat de travail CDI ou CDD, son exécution ou inexécution





S.A.S. [B]

C/

[V] [N]





PARTIES EN CAUSE :





S.A.S. [B], ayant son siège social, [Adresse 2]





APPELANTE



COMPARANTE en la personne de Madame [M] [B], ès qualités de présidente, assistée par Me Robert BAUER, avocat au barr...

ARRET N°

VLC/CM

COUR D'APPEL DE BESANCON

- 172 501 116 00013 -

ARRET DU 29 MARS 2011

CHAMBRE SOCIALE

Contradictoire

Audience publique

du 28 janvier 2011

N° de rôle : 10/01537

S/appel d'une décision

du Conseil de prud'hommes de VESOUL

en date du 28 mai 2010

Code affaire : 80A

Demande d'indemnités liées à la rupture du contrat de travail CDI ou CDD, son exécution ou inexécution

S.A.S. [B]

C/

[V] [N]

PARTIES EN CAUSE :

S.A.S. [B], ayant son siège social, [Adresse 2]

APPELANTE

COMPARANTE en la personne de Madame [M] [B], ès qualités de présidente, assistée par Me Robert BAUER, avocat au barreau de MONTBELIARD

ET :

Monsieur [V] [N], demeurant [Adresse 1]

INTIME

REPRESENTE par Me Anne VALLOT, avocat au barreau de VALENCE

COMPOSITION DE LA COUR :

lors des débats du 28 janvier 2011 :

CONSEILLERS RAPPORTEURS : Madame Véronique LAMBOLEY-CUNEY, Conseiller, en présence de Monsieur Laurent MARCEL, Vice-président placé, délégué dans les fonctions de Conseiller par ordonnance de Monsieur le Premier Président, conformément aux dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, en l'absence d'opposition des parties

GREFFIER : Mademoiselle Ghyslaine MAROLLES

lors du délibéré :

Madame Véronique LAMBOLEY-CUNEY, Conseiller, et Monsieur Laurent MARCEL, Vice-Président placé, délégué dans les fonctions de Conseiller par ordonnance de Monsieur le Premier Président, ont rendu compte conformément à l'article 945-1 du code de procédure civile à Monsieur Jean DEGLISE, Président de chambre

Les parties ont été avisées de ce que l'arrêt serait rendu le 18 mars 2011 et prorogé au 29 mars 2011 par mise à disposition au greffe

***********

M. [V] [N] a été embauché à compter du 4 février 2002 en exécution d'un contrat de travail à durée indéterminée en date du 29 janvier 2002 en qualité de responsable commercial (création de poste) statut cadre coefficient III B par la société SAS [B] employant environ 70 salariés.

M. [V] [N] s'est vu notifier son licenciement pour faute grave selon lettre en date du 4 juin 2007, ayant au préalable été convoqué par courrier du 21 mai 2007 avec mise à pied conservatoire à un entretien préalable qui s'est déroulé le 29 mai 2007 ; les griefs retenus sont relatifs d'une part à des actes de maltraitance, racisme, harcèlement moral et sexuel, et d'autre part à un management défaillant.

M. [V] [N] a saisi le conseil de prud'hommes de Vesoul par requête en date du 3 juillet 2009, en sollicitant le paiement de la somme de 2802,95 € au titre de la mise à pied conservatoire, outre 280,29 € au titre des congés payés afférents, des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à hauteur de 150000 €, une somme de 8391,90 € à titre d'indemnité de licenciement, une somme de 39316,56 € à titre d'indemnité de préavis outre les congés payés afférents, une somme de 1166,85 € à titre de rappel de salaire sur prime d'objectif, une somme de 7739,40 € à titre de rappel de salaire sur forfait jour, outre une somme de 3000 € au titre de ses frais irrépétibles et la remise de documents administratifs sous astreinte.

Par jugement en date du 23 mai 2010, le conseil de prud'hommes de Vesoul a dit que le licenciement prononcé par la société [B] procède d'une cause réelle et sérieuse mais ne repose pas sur une faute grave.

Le conseil a alloué à M. [V] [N] les sommes de :

- 2802,95 € à titre de rappel de salaire correspondant à la mise à pied conservatoire, outre 280,29 € au titre des congés payés afférents,

- 8391,90 € à titre d'indemnité de licenciement,

- 39316,56 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre 3931,66 € au titre des congés payés afférents,

- 7739,40 € à titre d'indemnité forfait jours, outre 773,94 euros au titre des congés payés afférents.

- 800 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le conseil a débouté M. [N] du surplus de ses demandes. Les premiers juges ont retenu à l'appui de la requalification de la faute grave en cause réelle et sérieuse que le grief tenant à des faits de maltraitance, racisme, harcèlement moral et sexuel n'était pas suffisant pour motiver le licenciement pour faute grave, et que le grief relatif à l'insuffisance de management n'était pas dû à une mauvaise volonté délibérée du salarié.

Par courrier adressé le 14 juin 2010 au greffe de la cour, le conseil de la société [B] a interjeté appel du jugement rendu le 23 mai 2010, qui lui a été notifié le 7 juin 2010. Son appel est donc recevable.

Dans ses conclusions déposées le 13 janvier 2011 et reprises oralement par son avocat à l'audience, la société [B] conclut à l'infirmation partielle du jugement déféré et sollicite le débouté de M. [V] [N] de ses prétentions au titre du licenciement, outre une somme de 10000 € de dommages-intérêts pour procédure abusive et vexatoire, ainsi que 4000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile. Lors des débats le conseil de la société [B] a précisé que le montant alloué par le conseil au titre du forfait jours n'est pas remis en cause à hauteur d'appel.

La société appelante explique que les griefs imputés à M. [N] lui ont été révélés au regard de nombreuses démissions de salariés appartenant au service de M. [N] (7 salariés), mais surtout en raison de trois nouvelles démissions survenues concomitamment au mois de mai 2007, dont deux démissions mettant directement en cause M. [N].

Elle reprend chacun des griefs reprochés à M. [N], soit :

- sa défaillance professionnelle :

A ce titre elle fait état du management défaillant (pas une seule réunion commerciale depuis 2004, pas de formation ni d'accompagnement sur le terrain, isolement de chaque commercial du reste de l'entreprise, management brutal des collaborateurs), d'une stratégie commerciale défaillante (absence de développement du chiffre d'affaires, absence de comptes rendus, désintérêt pour traiter les litiges avec les clients, pratique de remises sans souci de qualité).

Elle soutient que si le chiffre d'affaires a augmenté notamment fin avril 2007 M. [N] n'y est pour rien car il s'agit du fruit de l'action constante du directeur M. [B] qui avec trois clients seulement a apporté 387000 € de chiffre d'affaires supplémentaire pour l'exercice 2006-2007.

- des mauvais traitements, comportement relevant du harcèlement, racisme :

Elle invoque plusieurs témoignages de salariés ou ex-salariés de la société subordonnés à M. [N] (une dizaine de témoignages), et notamment le témoignage de Mme [G] [T] assistante commerciale travaillant dans le bureau contigu avec celui de M. [N], une attestation du médecin du travail sur des plaintes de commerciaux à propos de leurs mauvaises conditions de travail, la survenance de 13 licenciements et démissions dans le service commercial dirigé par M. [N] durant sa présence dans l'entreprise.

Elle fait enfin valoir que M. [N] n'a pas hésité à produire aux débats des faux, notamment un courriel qu'il attribue à Mme [T] qui conteste en être l'auteur, ainsi qu'un écrit qu'il prétend avoir adressé à Mme [T] pour la mettre en garde par rapport à l'attitude déplacée du dirigeant M. [D] [B].

Dans ses conclusions déposées le 21 janvier 2011 M. [V] [N] forme appel incident et réclame la confirmation partielle du jugement déféré, sauf en ce qu'il a retenu que son licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse. Il sollicite la somme de 150000 € de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, outre 1500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

A l'appui de ses prétentions M. [N] rappelle que c'est à l'employeur qu'il appartient d'établir la réalité des griefs que lui-même conteste, et soutient que la charge de la preuve a été renversée par le conseil.

- s'agissant du grief relatif à ses compétences professionnelles et à son management :

M. [N] indique qu'il a réorganisé la force commerciale en diminuant la masse salariale. Il se prévaut de ses agendas au soutien de la tenue de réunions, de formations, et de sa présence sur le terrain.

Il conteste être à l'origine des démissions, et souligne que des démissions sont intervenues après son départ.

Il soutient que ses objectifs commerciaux ont été atteints, puisqu'il a perçu une rémunération complémentaire à sa rémunération forfaitaire pour les exercices de 2005 à 2007.

M. [N] n'a jamais eu connaissance des prix de revient, et n'a jamais eu de conversation avec M. [B] sur les marges et se prévaut en ce sens de divers courriels. Il n'avait pas pouvoir d'accorder des remises et n'avait aucune responsabilité dans les problèmes de qualité.

- s'agissant du harcèlement :

M. [N] fait valoir que les faits allégués sont tellement grossiers qu'il est impossible qu'ils aient pu se produire durant cinq années sans que les dirigeants ne s'en aperçoivent.

Il ajoute que l'employeur est tenu de respecter son obligation de sécurité de résultat ; le conseil a justement soulevé que les salariés n'ont pas utilisé la procédure de médiation, saisi le CHSCT, ou encore l'inspection du travail.

Il se prévaut du caractère spécieux des témoignages, notamment celui de sa secrétaire Mme [T] dont il est difficile de comprendre les reproches alors qu'elle était par ailleurs, dans un courrier, impatiente de le voir revenir pour continuer le travail.

Il rappelle que le conseil a retenu à juste titre que les éléments produits par l'employeur ne démontrent en rien des agissements de harcèlement sexuel.

M. [N] se prévaut de plusieurs attestations (ses pièces 26 à 32) démontrant qu'il était un professionnel tant dans son travail que dans ses relations avec ses collaborateurs et que son comportement n'était pas celui décrit par la société [B].

SUR CE, LA COUR,

Sur le licenciement pour faute grave

Attendu que M. [V] [N] a été embauché par la société [B] à compter du 4 février 2002 dans le cadre de la création d'un poste de responsable commercial statut cadre position III B avec une rémunération forfaitaire de 30000 francs brut mensuel, outre des primes en fonction d'objectifs quantitatifs et qualitatifs ;

Attendu que la lettre de licenciement pour faute grave du poste de responsable commercial notifiée à Monsieur [V] [N] le 4 juin 2007, et qui fixe les limites du litige, comporte 14 feuillets ; qu'elle énonce deux types de griefs :

- tenant aux compétences professionnelles fournies par M. [N], lui reprochant les manquements suivants :

+ absence de management de l'équipe, soit absence de recrutement et d'intégration des nouveaux recrutés, absence de formation des membres de l'équipe et d'accompagnement sur le terrain, absence d'organisation de réunions commerciales depuis le 1er octobre 2004, isolation des commerciaux entre eux, avec la production et avec la direction générale, absence totale de communication et de marketing, absence de fixation et gestion des budget, absence de fixation d'objectifs cohérents, désintérêt pour solutionner les problèmes des clients ;

+ absence de prise en compte de la plénitude de la fonction, avec une absence de développement des politiques commerciales et un chiffre d'affaires peu développé depuis son arrivée au regard d'une baisse de marges subies du fait d'une pratique de remises excessives donnant à la société une image de « soldeur » par rapport à ses concurrents ;

- tenant à l'attitude de M. [N] à l'égard du personnel :

+ par des propos insultants, dénigrants, harcelant tenus auprès et à l'encontre du personnel et notamment le personnel féminin,

+ par un contrôle des collaborateurs de façon provocante, harcelante, insultante notamment au cours de la réunion hebdomadaire du lundi ;

Que l'employeur cite dans la lettre de licenciement des passages de témoignages écrits recueillis auprès des collègues de travail de M. [N], relatant que ce sont trois démissions de salariés du service de l'équipe commerciale au mois de mai 2007 qui ont été révélatrice de dysfonctionnements au sein du service commercial, citant en outre trois démissions du personnel sédentaire en été 2006 et une nouvelle démission en décembre 2006 ;

Attendu que c'est à l'employeur qu'il appartient d'établir la réalité et la gravité des griefs invoqués qualifiés par lui de faute grave ;

Qu'au titre des griefs tenant à l'insuffisance fautive des prestations professionnelles de M. [N] la société [B] produit notamment :

- une note établie par M. [N] à l'attention de sa force de vente itinérante et sédentaire (sa pièce 14) indiquant que 60 % environ des anomalies émanent du service commercial, en amont du traitement de la commande, note alarmiste puisque M. [N] termine cet écrit demandant une prise de conscience collective en évoquant un concurrent enregistrant 2 millions d'euros de pertes dues aux anomalies qui est à présent à vendre ;

- des copies de courriels (ses pièces 41 à 53) établissant que M. [N] déterminait la politique des remises accordées aux clients ;

- des éléments comptables relatifs à la stabilité du chiffre d'affaires durant les années 2004 à 2007 (sa pièce 32) ;

Que les allégations de la société [B] reviennent à prétendre que la direction de la société [B] n'aurait pas pris la mesure de l'évolution négative de la politique et la pratique commerciale de la société appliquée au fil des années par M. [N] et notamment de l'incohérence de sa pratique de remise, ce qui n'est pas crédible, étant rappelé que M. [N] était subordonné à l'autorité de la gérante, du directeur général et du directeur général adjoint et que ceux-ci n'ont pointé aucune carence professionnelle, tenant à des pratiques délétères pour la société ou à une absence d'informations transmises par M. [N] à sa hiérarchie, et ce durant les cinq années de fonctions du directeur commercial dans l'entreprise ;

Que comme l'a rappelé le conseil, l'insuffisance professionnelle ne revêt un caractère fautif que lorsqu'il est démontré des manquements volontaires ou traduisant une mauvaise volonté délibérée dans l'accomplissement des obligations professionnelles du salarié ;

Que les éléments ci-avant évoqués qui sont produits par la société appelante ne démontrent pas à eux seuls un caractère fautif dans l'accomplissement de ses obligations professionnelles par M. [N], et qu'il convient d'examiner les autres éléments produits par l'employeur à l'appui de la démonstration du management défaillant et à l'appui du second type de grief tenant au comportement irrespectueux de M. [N] à l'égard des collègues de son service ;

Que la société [B] se prévaut d'une part du turnover impressionnant du personnel du service commercial (comportant une vingtaine de salariés selon les indications de l'intimé ' sa pièce 7) dont M. [N] était responsable, et ce pendant son temps de présence ; qu'il ressort de la liste de l'effectif du service commercial produite par l'employeur selon date d'entrée et selon date de sortie (sa pièce 38) ainsi que du registre du personnel (dont l'extrait produit par l'employeur en pièce 28 ne s'arrête nullement au 1er juin 2007 comme le soutient l'intimé) que durant les cinq ans de présence de M. [N], qui ne conteste nullement qu'il avait le pouvoir d'embaucher et de licencier les membres de son équipe, 13 salariés ont été licenciés (seulement 4 licenciements concernent des salariés embauchés avant M. [N]), et 10 salariés ont démissionné (parmi lesquels 4 salariés avaient été embauchés avant M. [N]) ;

Que la société [B] verse aux débats, à l'appui de ses allégations relatives à la prise de conscience des compétences et du comportement de M. [N] suite à des démissions rapprochées mettant directement en cause le directeur commercial, une lettre de démission datée du 12 mai 2007 établie au nom de M. [P] [F] qui indique que « les invectives et comportement de mon supérieur hiérarchique à l'encontre de mes collègues, de moi-même mais aussi des clients de la société [B] ne sont pas de nature à me permettre de pérenniser notre relation. » (sa pièce 40) et une deuxième lettre de démission datée du 14 mai 2007 établie au nom de Mme [J] [O] qui indique « je ne veux plus travailler au sein du service commercial à cause du directeur commercial » (sa pièce 29) ;

Que la société [B] produit en outre une dizaine de témoignages de personnes ayant été amenées à travailler avec M. [N] ; que ce nombre de salariés témoins n'est pas moindre puisqu'il est à apprécier au regard de l'effectif du service commercial qui comptait une vingtaine de salariés ;

Que M. [V] [N] minimise la force probante des témoignages produits en mettant en cause d'une part leur qualité, soutenant qu'ils émanent de salariés ayant fait l'objet de sanctions professionnelles, et d'autre part leur objectivité en faisant état de témoignages établis en sa faveur par d'anciens collègues et son entourage amical ;

Qu'outre le nombre conséquent d'écrits établis par des salariés en défaveur de M. [N], c'est le contenu de ceux-ci qui est pour le moins singulier puisque certaines attestations comportent plus d'une dizaine de feuillets, détaillant avec précision un vécu douloureux au sein du service dirigé par M. [N], soit :

- M. [I] [W] (pièce 3) VRP en retraite qui relate dans un témoignage de 12 feuillets la dégradation de ses conditions de travail de par les agressions verbales et les humiliations de M. [N], évoquant de sa part un « travail de destruction », illustrant l'attitude du directeur commercial par des situations concrètes, indiquant notamment « pour un entretien il vous convoquait à 10 h (à 8h il n'était pas là, à 9h non plus), vous recevait à 11h30 et vous gardait jusqu'à 13 h sans savoir si vous aviez des impératifs ».. « il se permettait de vous traiter de con, d'imbécile de débile » ;

- M. [I] [Z] (pièce 7) commercial, qui mentionne que sa condition de travail s'est dégradée à compter de l'arrivée de M. [N], confirme les fixations de rendez-vous avec attente importante délibérée, qui précise notamment que M. [N] lui interdisait de déjeuner avec le directeur de la production, et que M. [N] n'est venu qu'une seule fois sur son secteur, qui décrit le comportement odieux de M. [N] avec sa secrétaire au point de la faire pleurer devant M. [Z], qui indique qu'il a fini par se syndiquer pour se protéger du harcèlement de M. [N] ;

- M. [P] [F] (pièce 4) qui dénonce des propos délibérément humiliants, blessants, racistes tenus par M. [N] à l'égard de ses interlocuteurs, et qui évoque notamment : « en me tapotant sur la partie de mon crâne dégarnie il a deux fois dit que je devais aller chez le coiffeur (depuis que je suis au sein des établissements [B], ce qui me reste de cheveux n'a jamais excèdé 10 mm) ; qu'il indique qu'il a démissionné en raison de l'attitude du directeur commercial ;

- Mme [C] [R] (pièce11) commerciale, qui évoque les attitudes et paroles désagréables de M. [N] et qu'elle a été en arrêt maladie en octobre 2005 pour dépression nerveuse ; qu'en ce qui concerne l'organisation du service commercial, elle fait état d'une réunion organisée par M. [N] en octobre 2004 alors qu'elle-même venait d'arriver dans l'entreprise, réunion au cours de laquelle M. [N] avait tenu des propos menaçants à l'égard des commerciaux ; qu'elle indique qu'il n'y a ensuite plus eu de réunion en trois ans « ce qui fait qu'il n'y avait jamais de communication entre les commerciaux. Il était plus facile de diviser les commerciaux chacun de leur côté avec des réunions hebdomadaires individuelles ce qui permettait de mieux régner sur chacun de nous. Il s'agissait de 'diviser pour mieux régner''. Les commerciaux ne devaient pas s'appeler au téléphone pour communiquer. Or le niveau de pression était devenu insupportable fut un temps, que nous sommes entrés en contact très régulièrement les uns les autres pendant un certain temps ce qui d'ailleurs nous a valu un courrier concernant les notes de téléphone trop élevées. » ; que Mme [R] ajoute que les commerciaux ne devaient pas contacter les dirigeants pour faire remonter l'information mais passer par M. [N] qui ainsi se faisait «mousser» ;

- Mme [A] [S] (pièce 6) assistante commerciale, qui indique que M. [N] lui a fait savoir « à plusieurs reprises que j'étais 'grosse''. Il m'a également stipulé que je lui faisais pitié. Le pire était son comportement le jour où il a lourdement insisté sur le fait que je sois 'grosse laide et vieille''. Cela s'est passé devant mes collègues du service devis. » ;

- Mme [G] [T] (pièce 9) assistante commerciale embauchée juste avant l'arrivée de M. [N] et qui a été la secrétaire de ce dernier, avec un témoignage d'autant plus circonstancié et précis qu'il compte pas moins de 14 feuillets, décrivant son environnement professionnel quotidien et ses difficultés dans l'exécution de ses fonctions aux côtés de M. [V] [N], avec des détails et anecdotes pour le moins révélateurs d'un climat délétère entretenu au sein de la société par M. [V] [N]  ; que son contenu qui ne peut être repris in extenso, révèle que M. [N] « passait son temps à hurler au lieu de parler, à dénigrer, voire à insulter le personnel, à dire en permanence que nous sommes 'tous des cons'' et que 'nous ne savons rien foutre''(je cite les termes tels qu'il les disait). M. [N] est quelqu'un qui ne peut s'empêcher de porter des jugements à haute voix sur le physique des personnes qu'il rencontre (ex les clients) ou avec lesquelles il travaille' »' « En ce qui me concerne il prenait un malin plaisir à me mettre dans des situations très gênantes, voire humiliantes, et ses propos à mon égard dépassaient largement la limite de la décence. Au tout début de notre collaboration (début 2002) il m'a dit 'ce n'est pas possible d'être belle et intelligente à la fois, donc étant donné ton physique agréable, je dois m'attendre au pire pour ce qui est de l'intelligence''. Je n'avais à l'époque pas encore pu prouver mes compétences, puisque nous débutions tous les deux dans la société (je précise qu'il a adopté le tutoiement immédiatement, sans demander la permission, et ceci avec la plupart du personnel. Après plusieurs allusions sur mon physique, je lui ai répondu un jour, toujours au début de notre collaboration, qu'il faisait fausse route avec ses compliments, que j'étais une femme mariée et fidèle. J'ignore si, dès le départ son but était de me tester, de me déstabiliser, ou tout simplement tenter quelque chose. Par la suite, chaque jour, j'avais des remarques sur ma tenue vestimentaire, au point que chaque matin je me demandais ce que je devais mettre pour éviter ça. Il faisait toujours allusion au côté soit disant sexy de l'habillement car il faut bien l'admettre cet homme doit avoir un problème par rapport aux femmes, car dès lors qu'une femme lui plaît il ne peut s'empêcher de voir en elle une provocation et d'invoquer une incitation à la débauche. Ses remarques étaient du style ''si ma femme s'habillait comme ça, j'aurais peur qu'on me la prenne'', ''ça me fait de l'effet ce que tu as mis aujourd'hui'', ''je n'aime pas les sous-vêtements bleus (en voyant ma bretelle dépasser de mon débardeur), 'tu as mis un rouge à lèvres qui donne envie de t'embrasser'' et la pire de toutes a peut-être été 'tu as les lèvres bien gonflées ce matin, on se demande ce que tu as fait hier soir''. » ' ; que Mme [T] poursuit en relatant que l'accès à son bureau était quasiment interdit par M. [N] à ses collègues notamment masculins qui surveillait en outre ses conversations avec des interlocuteurs masculins, faisait des réflexions sur le physique des salariées ''plus ça vient, plus on embauche des moches'', sur les vendeurs ('des b'ufs' -''on se croirait dans un hôpital psychiatrique'' - ''l'arabe'' pour évoquer un vendeur prénommé [U]), sur les ouvriers ('les ouvriers ça a les mains qui puent'') et critiquait la direction devant le personnel ; que Mme [T] indique encore que M. [N] était souvent en déplacement « le seul jour où nous étions pratiquement certains de le voir était le lundi, où il arrivait à 9h15. Il procédait aux réunions téléphoniques hebdomadaires, lors desquelles il passait un savon à la plupart des vendeurs. En effet, le lundi n'était pas le jour de M.'s'en prenait pour son grade'' »' « lors de ces réunions au téléphone, il parlait beaucoup mais écoutait peu ce que les vendeurs avaient à dire, et eux même craignaient le lundi car ils savaient qu'ils allaient passer un mauvais quart d'heure, qu'ils aient fait leur chiffre ou pas, ils savaient que M. [N] allait 'passer ses nerfs''. Les autres jours de la semaine, lorsqu'il venait au bureau il arrivait entre 10h et 12h. Il me dictait des notes, des courriers, il chiffrait quelquefois des dossiers avec un collaborateur, il réglait certains litiges commerciaux et souvent'il hurlait après tout le monde. »' « Lorsqu'il était présent à l'usine le vendredi, c'était un homme complètement différent de celui du lundi, au point qu'il était parfois tellement euphorique qu'il était impossible d'obtenir de lui des réponses précises pour le traitement des dossiers. Il disait souvent le vendredi après-midi, lorsque nous étions peu à travailler 'je n'ai rien envie de foutre'. C'est probablement pour cette raison qu'il pensait que nous ne faisions rien non plus quand lui était absent. » ; que Mme [T] mentionne que M. [N] mentait avec un aplomb impressionnant, se plaignant à la direction de propos qu'il attribuait faussement à des vendeurs, mettait des demandes de vendeurs à la poubelle pour ensuite prétendre que Mme [T] avait perdu le document ; qu'elle relate que M. [N] hurlait son prénom depuis son bureau, lui demandant de venir même lorsqu'elle était en ligne « il criait ''raccroche, j'ai besoin de toi tout de suite'' alors qu'au final c'était pour que je lui donne un dossier qui était sur le coin de son bureau et qu'il ne s'était pas donné la peine de chercher (cela arrivait souvent qu'il me fasse venir dans son bureau alors qu'il était en entretien avec quelqu'un, simplement pour lui remettre ''entre les mains'' un dossier qui était un peu trop loin sur son bureau. En pareil cas j'étais très gênée par rapport aux personnes présentes' » ' « j'ai souhaité à plusieurs reprises quitter la société car il était devenu de plus en plus difficile de travailler dans ces conditions. Je venais chaque jour travailler avec une 'boule au ventre'' et une angoisse permanente' » ;

Que face à ce témoignage accablant de Mme [T], M. [V] [N] se prévaut d'un courriel (sa pièce 14) qui lui aurait été adressé par Mme [T] en mars 2006 au terme duquel elle attendait son retour pour continuer le travail ; qu'outre le fait que ce document n'annihile en rien la force probante du témoignage de Mme [T], cette dernière conteste avoir jamais rédigé et adressé ce courriel à M. [N] (pièce 23) ; qu'elle conteste de la même façon avoir jamais reçu un courrier de M. [N] (pièce 15) la mettant en garde au regard d'une attitude équivoque à son égard du dirigeant [D] [B] ;

Que de façon plus globale en ce qui concerne les autres attestations produites par l'employeur, M. [N] ne peut réduire le contenu des témoignages des salariés, qui évoquent des situations précises et qui relatent une attitude irrespectueuse et despotique de sa part à l'égard de son équipe et du personnel, à des protestations infondées de quelques salariés contre leur supérieur dont ils souhaitaient le départ parce qu'ils avaient été victimes de reproches professionnels, étant d'ailleurs observé que certains ont témoigné alors qu'ils n'étaient plus présents dans l'entreprise soit parce qu'ils ont démissionné soit parce qu'ils ont pris leur retraite  ;

Que si le grief retenu par l'employeur et relatif à des traitements ou comportement relevant du harcèlement et du racisme peut paraître insupportable à M. [V] [N], il n'en demeure pas mois que sa conduite était effectivement inadmissible au regard de son comportement irrespectueux et constitutif de harcèlement à l'égard de salariés, et portait indiscutablement préjudice au bon fonctionnement de la société ; que les témoignages

nombreux produits par l'appelant à l'appui de son altruisme, de ses qualités humaines et professionnelles, notamment auprès de quelques collègues, ne remettent nullement en cause la réalité de ses manquements professionnels fautifs ;

Que ces manquements, qui traduisent un abus incontestable d'autorité de la part de M. [N] sans lien avec une volonté d'exécution loyale de son contrat de travail, ont justement été qualifiés par l'employeur comme constitutifs d'une faute grave ;

Qu'en conséquence les dispositions du jugement déféré seront infirmées en ce qu'il a requalifié le licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse ; que les demandes d'indemnités de rupture seront donc rejetées ;

Sur les autres demandes, sur les frais irrépétibles et sur les dépens

Attendu qu'il n'est pas établi que M. [V] [N] ait commis une faute dans l'exercice de ses droits ; que la société appelante sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts ;

Attendu qu'il paraît contraire à l'équité de laisser à la charge de la société appelante ses frais irrépétibles exposés à hauteur d'appel ; qu'il lui sera alloué la somme de 500 € à ce titre ;

Attendu que Monsieur [V] [N] qui succombe assumera les dépens d'appel et ses frais irrépétibles ;

P A R C E S M O T I F S

La cour, chambre sociale, statuant publiquement, contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Dit l'appel partiel de la société [B] recevable et fondé,

Infirme le jugement rendu le 28 mai 2010 par le conseil de prud'hommes de Vesoul en ce qu'il a requalifié le licenciement pour faute grave de M. [V] [N] en licenciement pour cause réelle et sérieuse, et en ce qu'il a alloué des montants à M. [N] à titre d'indemnité de préavis et de licenciement,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit que le licenciement de M. [V] [N] est fondé sur une faute grave,

Déboute M. [V] [N] de toutes ses prétentions au titre de son licenciement,

Condamne M. [V] [N] à payer la somme de cinq cents euros (500 €) à la société [B] au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Laisse à la charge de Monsieur [V] [N] les dépens et ses frais irrépétibles.

Ledit arrêt a été prononcé par mise à disposition au greffe le vingt neuf mars deux mille onze et signé par Monsieur Jean DEGLISE, président de chambre, et Mademoiselle Ghyslaine MAROLLES, greffier.

LE GREFFIER LE PRESIDENT DE CHAMBRE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Besançon
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 10/01537
Date de la décision : 29/03/2011

Références :

Cour d'appel de Besançon 03, arrêt n°10/01537 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2011-03-29;10.01537 ?
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