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04/03/2011 | FRANCE | N°08/00847

France | France, Cour d'appel de Besançon, Chambre sociale, 04 mars 2011, 08/00847


ARRET N°

HB/CM



COUR D'APPEL DE BESANCON

- 172 501 116 00013 -

ARRET DU 04 MARS 2011



CHAMBRE SOCIALE





Contradictoire

Audience publique

du 30 novembre 2010

N° de rôle : 08/00847



S/appel d'une décision

du Conseil de prud'hommes - Formation de départage de VESOUL

en date du 18 mars 2008

Code affaire : 80A

Demande d'indemnités liées à la rupture du contrat de travail CDI ou CDD, son exécution ou inexécution





[M] [R]

C/
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PARTIES EN CAUSE :





Madame [M] [R], demeurant [Adresse 1]





APPELANTE



REPRESENTEE par Me Michel JOURDAN, avocat au barreau de PARIS







ET :
...

ARRET N°

HB/CM

COUR D'APPEL DE BESANCON

- 172 501 116 00013 -

ARRET DU 04 MARS 2011

CHAMBRE SOCIALE

Contradictoire

Audience publique

du 30 novembre 2010

N° de rôle : 08/00847

S/appel d'une décision

du Conseil de prud'hommes - Formation de départage de VESOUL

en date du 18 mars 2008

Code affaire : 80A

Demande d'indemnités liées à la rupture du contrat de travail CDI ou CDD, son exécution ou inexécution

[M] [R]

C/

SAS THEVENIN ET DUCROT DISTRIBUTION

PARTIES EN CAUSE :

Madame [M] [R], demeurant [Adresse 1]

APPELANTE

REPRESENTEE par Me Michel JOURDAN, avocat au barreau de PARIS

ET :

SAS THEVENIN ET DUCROT DISTRIBUTION, ayant son siège social, [Adresse 2]

INTIMEE

REPRESENTEE par Me Philippe CADROT, avocat au barreau de BESANCON

COMPOSITION DE LA COUR :

lors des débats du 30 Novembre 2010 :

PRESIDENT DE CHAMBRE : Monsieur Jean DEGLISE

CONSEILLERS : Madame Hélène BOUCON et Madame Véronique LAMBOLEY-CUNEY

GREFFIER : Mademoiselle Ghyslaine MAROLLES

Lors du délibéré :

PRESIDENT DE CHAMBRE : Monsieur Jean DEGLISE

CONSEILLERS : Madame Hélène BOUCON et Madame Véronique LAMBOLEY-CUNEY

Les parties ont été avisées de ce que l'arrêt serait rendu le 25 janvier 2011 et prorogé au 04 mars 2011 par mise à disposition au greffe.

**************

FAITS ET PRETENTIONS DES PARTIES

Madame [M] [R] a exploité une station-services AVIA sise à [Localité 3], propriété de la société Thevenin et Ducrot Distribution de 1995 à 2002 dans les conditions suivantes :

- du 1er avril 1995 au 31 mars 1996 en vertu d'un contrat de location-gérance de fonds de commerce en date du 20 mars 1995, assorti d'une convention de mandat-vente ducroire concernant la vente des carburants, ce contrat ayant pris fin à son initiative ;

- du 1er avril 1996 au 31 décembre 1997 en vertu d'un contrat de travail de pompiste - encaisseur en date du 15 mars 1996, moyennant une rémunération mensuelle fixe de 8 600 francs brut pour 181 heures de travail augmentée d'un intéressement fixe et proportionnel sur le chiffre d'affaires, contrat auquel elle a mis fin par une lettre de démission du 30 novembre 1997 à effet du 31 décembre 1997, pour reprendre la station en gérance ;

- du 1er janvier 1998 au 31 mars 2002, en vertu d'un contrat de location gérance de fonds de commerce, assorti d'une convention de mandat vente-ducroire, concernant la vente de carburants et d'un engagement d'exclusivité pour la fourniture des lubrifiants, graisses, antigels, batteries distribués par le bailleur sous sa marque, ledit contrat ayant pris fin également à son initiative suivant courrier recommandé du 31 décembre 2001.

Le 2 avril 2002, Madame [R] a saisi le conseil de prud'hommes de Besançon aux fins de se voir reconnaître le bénéfice du statut de salarié en application des dispositions de l'article L 781-1-2° du code du travail et le paiement de rappels de salaires, primes et indemnités diverses, déterminés par référence audit code et à la convention collective applicable à la société Thevenin et Ducrot Distribution au titre de la totalité de la période du 1er avril 1995 au 31 mars 2002.

Par arrêt en date du 23 mars 2004, la cour de ce siège statuant sur le contredit de compétence élevé par la SA Thevenin et Ducrot Distribution, après avoir relevé que l'activité de vente de carburants, exercée selon les conditions et les prix imposés par celle-ci, était restée prépondérante tout au long des quatre dernières années d'exploitation de la station-service, de 1998 à 2002, a confirmé la décision des premiers juges quant au principe de l'application du statut d'ordre public revendiqué par Madame [R] et renvoyé l'affaire devant ceux-ci pour la liquidation de ses droits.

Après rejet du pourvoi formé par la société Thevenin et Ducrot Distribution , par arrêt de la Cour de Cassation, chambre sociale, en date du 22 mars 2006, l'instance a été reprise devant le conseil de prud'hommes de Vesoul (suite à une décision de renvoi prise sur le fondement de l'article 47 du code de procédure civile), lequel a statué au fond sur les demandes salariales et indemnitaires de Mme [R] par jugement en date du 18 mars 2008.

Sur appel de celle-ci, la cour de ce siège, par arrêt en date du 8 septembre 2009, auquel il est référé pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que pour les motifs, a :

- confirmé le jugement rendu le 18 mars 2008 par le conseil de prud'hommes de Vesoul en ce qu'il a fait application de la prescription quinquennale aux demandes de nature salariale de Madame [M] [R] et dit que la rupture des relations contractuelles à la date du 31 mars 2002 était imputable à la société Thevenin et Ducrot Distribution et devait produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- réformé ledit jugement pour le surplus ;

- statuant à nouveau sur les autres points du litige :

- dit que Madame [M] [R] est en droit de prétendre à des rappels de salaires, congés payés, majorations pour heures complémentaires et pour dimanches et jours fériés travaillés :

- sur la base d'une durée moyenne hebdomadaire de travail de 70H sur 7 jours au titre de la période non couverte par la prescription du 2 avril 1997 au 31 mars 2002,

- sur la base de la rémunération minimale conventionnelle afférente à son niveau de qualification :

* niveau III coefficient 190 pour la période du 2 avril au 31 décembre 1997,

* niveau IV coefficient 250 pour la période du 1er janvier 1998 au 31 mars 2002.

- dit que la prime d'ancienneté conventionnelle lui est applicable au taux de 3% à compter du 1er avril 1998 et de 6% à compter du 1er avril 2001.

Avant dire droit au fond sur le montant des sommes dues à Madame [M] [R],

- ordonné une expertise comptable aux frais avancés par celle-ci,

- commis pour y procéder Mr [Z] [N], expert comptable, avec pour mission de :

- chiffrer le montant des salaires, primes d'ancienneté, indemnités de congés payés, y compris majorations pour heures supplémentaires et pour dimanches et jours fériés travaillés, dus à Madame [M] [R] en fonction des dispositions du présent arrêt, et des dispositions légales et conventionnelles applicables à l'entreprise pendant la période du 2 avril 1997 au 31 mars 2002.

-récapituler le montant des salaires bruts perçus par celle-ci, primes d'intéressement fixe et variable comprises, au cours de la période du 2 avril au 31 décembre 1997, ainsi que le résultat net annuel dégagé par l'exploitation de la station-service au cours des années 1998-1999-2000-2001 et 2002 en vue des déductions à opérer ;

- chiffrer également les droits éventuels à participation aux résultats de l'entreprise de Madame [M] [R] pour la période du 1er avril 1995 au 31 mars 2002 ;

- recueillir tous éléments d'information sur la situation de Madame [M] [R] postérieurement à la cessation des relations contractuelles (réinsertion professionnelle, niveau de ressources) permettant d'évaluer le préjudice né de la perte de son emploi ;

- condamné la société Thevenin et Ducrot Distribution à verser à Madame [M] [R] les sommes de :

. 20 000 € en réparation du préjudice subi par elle du fait du non-respect de ses droits à repos hebdomadaires et congés annuels de 1995 à 2002,

. 60 000 € à titre de provision à valoir sur sa créance de salaires et de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

- ordonné également à ladite société de régulariser dès à présent l'immatriculation de Madame [M] [R] au régime général de la sécurité sociale au titre de la période du 1er janvier 1998 au 31 mars 2002 et de verser les cotisations sociales afférentes aux rémunérations restant dues à celle-ci dès qu'elle auront été arrêtées définitivement au vu des conclusions du rapport d'expertise ;

- réservé le sort des dépens et des frais irrépétibles jusqu'à l'issue de la procédure.

L'expert commis a déposé son rapport au greffe de la cour le 27 septembre 2010, récapitulant ainsi qu'il suit, les sommes dues à Mme [R] d'après ses constatations.

Salaires bruts reconstitués

Francs

Euros

Salaires bruts du 1/04 au 31/12/1997 et

du 1/01/1998 au 31/03/2002

187 538,25

1 446 728,96

28 590,02

220 552,41

Déduction des salaires bruts versés par TDD

(161 400,51)

(24 605,35)

Résultats de la location-gérance (hors cotisations sociales)

(573 678,67)

(87 456,75)

TOTAL DES SALAIRES BRUTS

RECONSTITUES

899 188,03

137 080,33

Autres indemnités non soumises à cotisations

sociales

Francs

Euros

Droit à la participation (à soumettre à la CSG)

34 178,16

5 210,43

Indemnité de licenciement

36 784,60

5 607,78

Indemnité réparant le préjudice de la perte d'emploi

202 093,79

30 809,00

TOTAL DES AUTRES INDEMNITES

273 056,55

41 627,20

Au vu dudit rapport, Mme [R] demande à la cour, aux termes de ses conclusions écrites visées au greffe le 25 octobre 2010 et reprises oralement à l'audience par son conseil, de :

- condamner la société Thevenin et Ducrot à lui payer :

. au titre des salaires, heures supplémentaires, repos et jours fériés, prime d'ancienneté et congés payés, la somme de 249 142,43 € avec intérêts au taux légal à compter du 2 avril 2002 et anatocisme

. au titre de la participation aux fruits de l'expansion, la somme de 5 210,43 € avec intérêts au taux légal à compter du 2 avril 2002 et anatocisme

. au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement, la somme de 5 607,78 € avec intérêts au taux légal à compter du 2 avril 2002 et anatocisme

. au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, la somme de 27 893,44 € avec intérêts au taux légal à compter du 2 avril 2002 et anatocisme

. au titre de la perte de ses droits à chômage, la somme de 30 809 € avec intérêts au taux légal à compter du 2 avril 2002 et anatocisme

- dire et juger en tant que de besoin que l'indemnité due pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ne saurait être confondue avec l'indemnité due au titre du défaut d'immatriculation à l' Assedic par la société Thevenin et Ducrot

- déduire des sommes ci-dessus en principal et intérêts :

- les salaires versés par la société Thevenin et Ducrot pour un montant de

24 605,35 €

- les résultats nets de l'activité de location-gérance pour un total de 64 798,91 €

Elle demande en outre à la cour de la déclarer recevable et fondée en ses demandes complémentaires et de :

- condamner la société Thevenin et Ducrot à lui payer à titre de dommages et intérêts pour défaut d'affiliation au régime de retraite pour la période 1995-1997 une somme de 11 770,80 € avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir

- dire et juger que la société Thevenin et Ducrot par sa mauvaise foi lui a causé un préjudice, indépendant du retard de paiement, conformément aux dispositions de l'article 1153 du code civil et la condamner en conséquence à l'indemniser des frais financiers et autres qu'elle a dû assumer au titre de la moitié des crédits contractés pour ses besoins personnels, à la somme de 68 700,93 € avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir

-condamner la société Thevenin et Ducrot en tous les dépens qui comprendont notamment les honoraires de l'expert [N] et à lui payer une somme de 59 800 € TTC en application de l'article 700 du code de procédure civile.

La SAS Thevenin et Ducrot conclut à titre principal à un sursis à statuer, dans l'attente de la décision de la cour de cassation sur le pourvoi qu'elle a formé à l'encontre de l'arrêt du 8 septembre 2009, offrant de verser à Mme [R] une provision complémentaire de 100 000 €.

A titre subsidiaire au fond, elle demande à la cour de :

- homologuer le rapport de l'expert en ce qu'il n'est pas contraire à ses conclusions

- débouter Mme [R] de toutes ses fins et conclusions relatives au paiement de dommages et intérêts se cumulant avec l'indemnisation de la perte de ses droits au chômage

- débouter Mme [R] de sa demande de dommages et intérêts pour défaut d'affiliation au régime de retraite pour la période 1995-1997

- débouter Mme [R] de sa demande de déduction des résultats de l'activité de location-gérance pour 64 798,91 € et dire que la somme à déduire sera de 87 456,75 €

- ordonner la compensation entre les sommes dues de part et d'autre selon les conclusions de l'expert

- dire qu'il sera déduit la provision de 80 000 € (20 000 +60 000) versée le 12 janvier 2010 par chèque Carpa

- débouter Mme [R] de sa demande en paiement d'intérêts de retard à compter du 2 avril 2002 sur l'ensemble de ses chefs de demande

- dire que les intérêts devront courir à compter de l'arrêt à intervenir ayant consacré ses droits à indemnisation

- dire n'y avoir lieu à anatocisme sur les intérêts au taux légal

- débouter Mme [R] de sa demande en remboursement de la moitié des crédits contractés pour ses besoins personnels à hauteur de 68 700,93 €

- débouter Mme [R] de sa demande en paiement d'un article 700 à hauteur de 59 800 € HT

- réduire cette somme à de plus justes proportions

La cour entend se référer pour l'exposé des moyens des parties à leurs dernières conclusions écrites visées au greffe respectivement le 25 octobre 2010 (Mme [R]) et le 30 novembre 2010 (société Thevenin et Ducrot).

SUR CE, LA COUR

Sur la demande de sursis à statuer

Le pourvoi en cassation n'étant pas suspensif, il n'apparaît pas dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice de surseoir à la liquidation des droits de Mme [R], compte tenu du fait que celle-ci a engagé la procédure le 2 avril 2002 soit depuis près de 9 ans et qu'aucun défaut de diligences ne peut lui être reproché.

Il convient en conséquence de rejeter la demande de sursis à statuer de la société intimée.

Sur la demande de rappels de salaires

Le montant des salaires bruts reconstitués par l'expert au titre de la période du 1er avril au 31 décembre 1997 (28 590,02 €) et de la période du 1er janvier 1998 au 31 mars 2002 (220 552,41 €) soit au total 249 142,43 € ne fait pas l'objet de contestations non plus que le montant des salaires bruts versés par la société intimée à Mme [R] du 1er avril au 31 décembre 1997, soit 24 605,35 €, à déduire des salaires bruts reconstitués par l'expert.

S'agissant de la déduction des résultats de l'activité de location-gérance, figurant dans le récapitulatif de l'expert pour un montant de 87 456,75 €, Mme [R] conteste la réintégration par l'expert des cotisations sociales personnelles de l'exploitant, et demande que soit pris en compte exclusivement son résultat net fiscal, soit un montant de 64 798,91 €.

L'argumentation qu'elle développe dans ses écritures pour contester l'avis de l'expert, tirée de ce qu'en sa qualité de locataire-gérante mandataire-ducroire elle avait engagé sa responsabilité commerciale, est totalement inopérante, dès lors que s'agissant de calculer les déductions à effectuer de salaires reconstitués en brut, hors cotisations sociales salariales, il est légitime de prendre en compte la rémunération de l'exploitant, hors cotisations sociales personnelles, étant observé que les cotisations sociales en cause ont donné ou donneront lieu à une contrepartie sous forme de prestations d'assurance-maladie ou d'assurance vieillesse, de sorte que la société intimée ne saurait être tenue de les restituer à Mme [R], seules lui incombant les cotisations sociales afférentes à la rémunération brute qu'elle restera devoir à celle-ci.

Il convient en conséquence d'entériner purement et simplement les conclusions de l'expert quant au montant des salaires bruts dus à Mme [R], soit la somme de 137 080,33 € brut.

Sur la participation

Le montant de 5 210,43 € déterminé par l'expert ne fait pas l'objet de contestation. Il y a lieu de faire droit à la demande sur ce point.

Sur les indemnités dues au titre de la rupture du contrat de travail

L'expert a chiffré l'indemnité conventionnelle de licenciement à la somme de 5 607,78 €, montant non contesté par les parties.

S'agissant de la réparation du préjudice résultant pour Mme [R] de la perte de son emploi, celui-ci doit certes être évalué en considération du fait qu'elle a été privée de toute indemnisation au titre du chômage pendant le temps nécessaire à la recherche d'un nouvel emploi, mais également du montant du salaire qu'elle aurait pu continuer à percevoir si la société Thevenin et Ducrot l'avait rémunérée conformément à ses obligations légales et conventionnelles.

Compte tenu de son âge à la date de la rupture des relations contractuelles (39 ans), de son ancienneté dans l'entreprise (7 ans), du montant de sa rémunération moyenne mensuelle, telle que reconstituée par l'expert, eu égard à sa qualification et à la durée du travail fourni (4 248,32 €) et de ses possibilités de réinsertion professionnelle, il y a lieu de lui allouer en réparation de son préjudice une indemnité de 38 000 € toutes causes confondues et de la débouter du surplus de ses demandes à ce titre, tendant au versement de deux indemnités distinctes.

Sur la demande de dommages-intérêts pour défaut d'affiliation au régime de retraite pour la période du 1er avril 1995 au 31 mars 1997

Mme [R] soutient à l'appui de cette demande que la prescription quinquennale en matière de salaires ne peut lui être opposée concernant le préjudice subi par elle du fait de sa non-immatriculation au régime général des salariés, celui-ci étant soumis à la prescription trentenaire selon un arrêt de la cour de cassation en date du 28 mai 2008.

Il résulte certes de cet arrêt que l'obligation de l'employeur d'affilier son personnel à un régime de retraite et de régler les cotisations qui en découlent est soumise à la prescription trentenaire.

Ce principe a toutefois été énoncé à propos d'un cas d'espèce tout à fait différent, concernant un salarié détaché à l'étranger, qui demandait la condamnation de l'employeur à régulariser sa situation au regard du régime de retraite de base de la sécurité sociale française et du régime de retraite complémentaire obligatoire des salariés, au titre de salaires qui lui avaient été versés par l'employeur.

Or Mme [R] a été régulièrement affiliée pour la période du 1er avril 1995 au 31 mars 1996 à un régime obligatoire de sécurité sociale en qualité d'exploitante d'un fonds de commerce et acquis des droits à pension de retraite correspondant à la durée d'assurance (4 trimestres) et aux revenus perçus par elle. Elle a ensuite été affiliée à compter du 1er avril 1996 au régime général des salariés.

Le préjudice dont elle demande réparation ne découle pas d'une absence d'affiliation à un régime de retraite obligatoire, mais de ce que l'intégralité de la rémunération qu'elle aurait dû percevoir pendant la période en cause ne sera pas prise en compte pour le calcul de sa retraite.

Or ce préjudice est la conséquence directe de l'application de la prescription quinquennale en matière de salaires, qui lui a interdit toute demande de rappel de salaires, susceptible de donner lieu au versement de cotisations sociales au titre de la période en cause.

Le préjudice dont elle fait état revêt au surplus un caractère purement éventuel sinon hypothétique, en ce qu'il est évalué sur la base de 17 années d'espérance de vie après un départ en retraite à taux plein à 67 ans.

Il y a lieu en conséquence de rejeter la demande.

Sur les intérêts de retard et l'anatocisme

Conformément aux dispositions de l'article 1153 du code civil, les intérêts de retard au taux légal sont dus sur les rappels de salaire et accessoires de salaires (participation indemnité conventionnelle de licenciement) à compter de la demande en justice formée le 2 avril 2002 devant le conseil de prud'hommes de Vesoul, ce qui n'est pas contesté par la société intimée.

En revanche, la créance de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ne peut porter intérêts qu'à compter de la date du présent arrêt qui en a liquidé le montant en fonction des justificatifs produits, conformément aux dispositions de l'article 1153-1 du code civil.

En vertu de l'article 1154 du même code, les intérêts échus des capitaux peuvent produire des intérêts, ou par une demande judiciaire ou par une convention spéciale pourvu que, soit dans la demande, soit dans la convention, il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière.

En vertu d'une jurisprudence constante le point de départ de la capitalisation des intérêts ne peut être antérieur à la demande.

Au vu des pièces du dossier de procédure, la demande de capitalisation des intérêts dus sur les créances de nature salariale et l'indemnité de licenciement a été formulée devant la juridiction prud'homale par conclusions du 2 mai 2002 reprises à l'audience du 28 mars 2003, puis à l'audience de départage du 17 juillet 2003.

La capitalisation des intérêts échus sur lesdites créances s'opérera donc chaque année à compter du 2 avril 2003.

Elle ne pourra s'opérer en revanche en ce qui concerne la créance de dommages et intérêts, que pour les intérêts dus pour une année entière à compter de la date du présent arrêt.

Sur la demande complémentaire de dommages-intérêts pour préjudice distinct

En vertu de l'article 1153 alinéa 3 du code civil, le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages et intérêts distincts des intérêts moratoires de la créance.

Mme [R] soutient que la société Thevenin et Ducrot a délibérément violé la loi du travail qu'elle savait applicable à ses exploitants de station-service, que les sommes importantes qu'elle aurait dû percevoir en contrepartie du travail fourni pour le compte de ladite société lui ont fait gravement défaut et l'ont contrainte avec son mari à solliciter des crédits bancaires à partir de 2005 qui ont été à l'origine de frais financiers pour un montant de 68 700 €, frais non compensés par le versement des intérêts au taux légal.

La situation ainsi décrite ne caractérise pas un préjudice indépendant du retard de paiement, réparé par les intérêts au taux légal conformément aux dispositions de l'alinéa premier de l'article 1153 du code civil.

Il convient en conséquence de rejeter cette demande.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

La société Thevenin et Ducrot qui succombe pour la majeure part supportera les dépens de première instance et d'appel, en ce compris les frais d'expertise comptable, taxés à la somme de 11 948,04 €.

Il apparaît en outre inéquitable de laisser à la charge de Mme [R] l'intégralité des frais irrépétibles qu'elle a exposés dans l'instance.

Il convient de lui allouer à ce titre une indemnité de 15 000 €.

P A R C E S M O T I F S

La cour, chambre sociale, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu l'arrêt en date du 8 septembre 2009,

Vu le rapport d'expertise de Mr [Z] [N] en date à son dépôt du 27 septembre 2010,

Dit n'y avoir lieu de surseoir à statuer sur la liquidation des droits de l'appelante,

Condamne la société Thevenin et Ducrot à payer à Mme [M] [R] les sommes suivantes, sous réserve de déduction de la provision de 60 000 € déjà allouée :

- cent trente sept mille quatre vingt euros et trente trois centimes (137 080,33 €) brut à titre de rappels de salaires pour la période du 1er avril au 31 décembre 1997 et du 1er janvier 2008 au 31 mars 2002

- cinq mille deux cent dix euros et quarante trois centimes (5 210,43 €) à titre de participation aux fruits de l'expansion

- cinq mille six cent sept euros et soixante dix huit centimes (5 607,78 €) à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement

lesdites sommes augmentées des intérêts au taux légal à compter du 2 avril 2002, capitalisés chaque année à compter du 2 avril 2003

Condamne également la société Thevenin et Ducrot à payer à Mme [M] [R] une somme de trente huit mille euros (38 000 €) à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt et capitalisation annuelle,

Dit non fondées et rejette les demandes de dommages et intérêts complémentaires de Mme [M] [R],

Condamne la société Thevenin et Ducrot aux entiers dépens, en ce compris les frais d'expertise judiciaire taxés à la somme de onze mille neuf cent quarante huit euros et quatre centimes (11 948,04 €) et à payer à Mme [M] [R] une indemnité de quinze mille euros (15 000,00 €) en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Ledit arrêt a été prononcé par mise à disposition au greffe le quatre mars deux mille onze et signé par Monsieur Jean DEGLISE, président de chambre et Mademoiselle Ghyslaine MAROLLES, greffier.

LE GREFFIER,LE PRESIDENT DE CHAMBRE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Besançon
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 08/00847
Date de la décision : 04/03/2011

Références :

Cour d'appel de Besançon 03, arrêt n°08/00847 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2011-03-04;08.00847 ?
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