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30/04/2010 | FRANCE | N°09/02399

France | France, Cour d'appel de Besançon, Chambre sociale, 30 avril 2010, 09/02399


ARRET N°

VLC/IH



COUR D'APPEL DE BESANCON

- 172 501 116 00013 -

ARRET DU 30 AVRIL 2010



CHAMBRE SOCIALE





Contradictoire

Audience publique

du 23 février 2010

N° de rôle : 09/02399



S/appel d'une décision

du Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de LONS-LE-SAUNIER

en date du 17 septembre 2009

Code affaire : 89A

Demande de prise en charge au titre des A.T.M.P. ou en paiement de prestations au titre de ce risque





SA FROMAGERIE BELr>
C/

[O] [U]

CPAM DU JURA





PARTIES EN CAUSE :



S.A. FROMAGERIE BEL, ayant son siège social [Adresse 1]



APPELANTE



REPRESENTEE par Me Alain DUMAS, avocat au barreau de LYON

...

ARRET N°

VLC/IH

COUR D'APPEL DE BESANCON

- 172 501 116 00013 -

ARRET DU 30 AVRIL 2010

CHAMBRE SOCIALE

Contradictoire

Audience publique

du 23 février 2010

N° de rôle : 09/02399

S/appel d'une décision

du Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de LONS-LE-SAUNIER

en date du 17 septembre 2009

Code affaire : 89A

Demande de prise en charge au titre des A.T.M.P. ou en paiement de prestations au titre de ce risque

SA FROMAGERIE BEL

C/

[O] [U]

CPAM DU JURA

PARTIES EN CAUSE :

S.A. FROMAGERIE BEL, ayant son siège social [Adresse 1]

APPELANTE

REPRESENTEE par Me Alain DUMAS, avocat au barreau de LYON

ET :

Madame [O] [U], demeurant [Adresse 3]

INTIMEE

REPRESENTEE par Me Marie-Laure LE GOFF, avocate au barreau de LONS-LE-SAUNIER

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU JURA, ayant son siège social [Adresse 2]

PARTIE INTERVENANTE

REPRESENTEE par Me Karine DE LUCA, avocate au barreau de DOLE substituée par Me François BOUCHER, avocat au barreau de BESANCON

COMPOSITION DE LA COUR :

lors des débats du 23 Février 2010 :

PRESIDENT DE CHAMBRE : Monsieur Jean DEGLISE

CONSEILLERS : Madame Hélène BOUCON et Madame Véronique LAMBOLEY-CUNEY

GREFFIER : Mademoiselle Ghyslaine MAROLLES

Lors du délibéré :

PRESIDENT DE CHAMBRE : Monsieur Jean DEGLISE

CONSEILLERS : Madame Hélène BOUCON et Madame Véronique LAMBOLEY-CUNEY

Les parties ont été avisées de ce que l'arrêt serait rendu le 30 mars 2010 et prorogé au 4 mai 2010 par mise à disposition au greffe, l'arrêt ayant finalement pu être rendu le 30 avril 2010.

**************

Le 20 octobre 2004 vers 6 heures M. [F] [U] âgé de 52 ans, salarié de la société Fromagerie Bel depuis 1976 et employé en qualité de préparateur-cuiseur, a été victime d'un accident du travail : alors qu'il soulevait à main nue un pain de fromage de 80 kg il a chuté en arrière, et a ressenti des douleurs intenses au niveau du dos et de l'épaule gauche, avec des blessures consistant en des lombalgies, sciatalgies, et des scapulalgies. Il a été placé en arrêt de travail, au titre de la législation professionnelle jusqu'au 16 janvier 2006, puis au titre de la maladie à compter de cette date. Il est décédé (suicide par pendaison) le 30 avril 2007, sans avoir repris son travail.

La caisse d'assurance maladie du Jura a par décision du 5 novembre 2007 refusé la prise en charge du décès au titre de la législation professionnelle, puis a le 25 février 2008 notifié une nouvelle décision de prise en charge du décès de M. [U] au titre de la législation relative aux risques professionnels.

Avant son décès, M. [F] [U] a saisi le tribunal aux affaires de sécurité sociale du Jura de deux procédures.

La première procédure fait suite à la décision de la caisse de la prise en charge à compter du 16 janvier 2006 des prolongations d'arrêts de travail non plus au titre de l'accident du travail mais au titre de la maladie. Selon jugement avant-dire droit en date du 12 avril 2007 une expertise médicale de M. [U] a été ordonnée, mais la disparition de l'intéressé est intervenue quelques jours après le prononcé.

La seconde procédure a été introduite par requête en date du 26 septembre 2006 pour faute inexcusable de l'employeur, procédure reprise par l'épouse de M. [U] après son décès.

Par jugement en date du 17 septembre 2009, le tribunal des affaires de sécurité sociale du Jura a retenu que le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat est constitutif d'une faute inexcusable, en considérant que l'employeur n'a pas mis à la disposition du salarié des moyens mécaniques de manutention, et que l'employeur ne pouvait ignorer cette obligation, qu'il a d'ailleurs assumée après l'accident. Le tribunal a condamné l'employeur à payer à Mme [O] [U] les sommes de 40 000 € (préjudice de M. [U] avant son décès) et 30 000 € (préjudice de Mme [O] [U]), a dit et jugé que le capital représentatif de la majoration de rente s'élève à la somme de 114 460,85 euros, a condamné la société Fromagerie Bel à payer à Mme [O] [U] la somme de 1500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et dit que les préjudices attribués à Mme [O] [U] ainsi que la majoration de la rente allouée lui seront versés directement par la caisse primaire d'assurance maladie du Jura, à charge pour celle-ci d'en récupérer les montants auprès de la société Fromagerie Bel.

Par lettre reçue au greffe de la cour le 20 octobre 2009, la société Fromagerie Bel a interjeté appel de cette décision qui lui a été notifiée le 28 septembre 2009.

Dans ses conclusions déposées le 17 février 2010 et reprises par son avocat à l'audience, la société appelante demande la réformation du jugement rendu et le débouté de Madame [O] [U] au regard de sa carence dans la charge de la preuve de la faute inexcusable qui lui incombe, et subsidiairement de dire que ses droits seront limités aux conséquences directes de l'accident du travail et appréciés en fonction du préjudice démontré.

Elle fait valoir à titre principal :

- que M. [U] a pris la regrettable initiative de déplacer seul en dépit du poids excédant manifestement les possibilités d'un homme seul un pain d'emmental, sans avoir reçu d'ordre en ce sens ;

- qu'il suffisait à M. [U] de demander durant quelques secondes l'aide de son collègue présent M. [B], pour déplacer cette charge ;

- des transpalettes manuelles à ciseaux avec levée électrique de marque Jungheinrich ont été commandées le 16 février 2004, et étaient à la disposition de M. [U] le jour de l'accident ;

- les consignes données à l'ensemble des salariés de l'atelier ''grand mélange'' par la hiérarchie de M. [U] étaient que la manipulation des meules devait se faire avec un collègue, et ce dès lors que la grille de manutention n'était pas en service ;

- M. [U] qui avait 27 ans d'ancienneté connaissait son métier et les gestes nécessaires à la manutention du fromage. Les autres salariés ont attesté en toute bonne foi qu'ils n'ont jamais été obligés de soulever ou porter des meules entières d'emmental et de comté et qu'il y a toujours eu à la disposition du personnel pour le transfert, le levage et la mise à hauteur, des tables élévatrices.

- l'employeur qui confie à son salarié une tâche dans la limite de ses compétences et dont le matériel fonctionne normalement, ne peut avoir conscience d'un danger.

A titre subsidiaire la société Fromagerie Bel soutient qu'il n'existe aucune présomption d'imputabilité du suicide et son lien avec l'accident initial doit être prouvé. En l'espèce la preuve n'est pas rapportée par Mme [U] de ce que le suicide de son époux survenu à son domicile deux ans et demi plus tard, a un lien avec l'accident du travail, notamment au regard d'une dépression grave réactionnelle et progressive comme a pu le retenir la jurisprudence dans des situations similaires.

A titre infiniment subsidiaire, dans la mesure où le décès n'est pas imputable à l'employeur, l'action successorale se réduit aux droits que pouvait avoir M. [U] au 30 avril 2007, et l'employeur n'est pas à l'origine du veuvage de Mme [U]. Aussi seule une expertise sur pièces serait en mesure de déterminer l'importance du pretium doloris, et le préjudice d'agrément jusqu'à janvier 2006.

Au cours des débats, la société Fromagerie Bel a demandé, conformément à ses écrits préalables, la jonction de la procédure avec celle relative à sa contestation de l'opposabilité à son égard de la prise en charge du suicide au titre de l'accident du travail.

Dans ses conclusions déposées le 15 février 2010 auxquelles son représentant s'est rapporté lors des débats, la CPAM du Jura demande, en cas de retenue de la faute inexcusable de l'employeur, de dire et juger que le capital représentatif de la majoration de rente s'élève à la somme de 114 460,85 €, de dire et juger que les indemnités allouées seront mises à la charge de la caisse à charge pour elle d'en récupérer le montant auprès de l'employeur.

Dans ses conclusions déposées le 17 février 2010 et développées par son conseil lors de l'audience, Mme [O] [U] s'oppose à la jonction des procédures, et demande confirmation du jugement, outre une somme de 2000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle soutient que l'employeur avait été alerté à plusieurs reprises par les délégués du personnel sur le danger que présentait l'obligation de porter des pains d'emmental sans aucune aide mécanique, et sur le dysfonctionnement du système de ventouse, inutilisable depuis plus d'un an ; les délégués du personnel avaient demandé la mise en place d'un système mécanique de levage. De plus M. [U] avait déjà préalablement été victime d'un accident du travail au regard du port de charges.

Elle indique qu'il n'existait au moment de l'accident aucune aide mécanique, alors que le poste de travail de M. [U] nécessitait de sa part de soulever des meules d'emmental de 80 kg, et qu'il n'avait pas été déclaré apte par la médecine du travail à soulever des charges de 55 kg (article R 4541-5 du code du travail).

Elle souligne que la consigne verbale de ne pas porter seul des meules est insuffisante, de même que l'absence de contrainte pour le salarié ; de plus M. [U] était seul à son poste de travail, et son collègue travaillait à l'autre bout de l'atelier, il était hors de question de le solliciter pour participer au déplacement des meules. Les attestations établies en 2008 dont se prévaut l'employeur et qui émanent de salariés qui indiquent que des moyens mécaniques existent pour éviter le port des meules ne précisent nullement depuis quelle date ces moyens sont effectifs.

Mme [U] réclame indemnisation pour son préjudice moral consécutif au décès de son mari, et indemnisation du préjudice subi par ce dernier jusqu'à sa mort.

SUR CE, LA COUR

Attendu qu'il n'y a pas lieu d'ordonner la jonction de la présente procédure avec celle relative à la contestation par la société Fromagerie Bel de la décision du 25 février 2008 de la caisse primaire d'assurance maladie du Jura de prise en charge du décès de M. [F] [U] au titre de la législation relative aux risques professionnels, Madame [O] [U] n'étant pas partie à cette deuxième procédure, qui ne concerne que l'employeur et la caisse primaire d'assurance maladie du Jura ;

Attendu qu'aux termes de l'article L 452-1 du code de la sécurité sociale lorsque l'accident est dû à la faute inexcusable de l'employeur ou de ceux qu'il s'est substitués dans la direction, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire dans les conditions définies aux articles L 452-2 et suivants ;

Attendu que l'employeur est tenu envers le salarié à une obligation de sécurité de résultat ; que le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour en préserver son salarié ;

Attendu que M. [U] qui travaillait à l'atelier ''grand mélange'' avait pour tâche d'alimenter les mélangeurs en cubes de fromage, et procédait pour ce faire au déballage des pains de fromage arrivant sur palettes, puis les plaçait sur la trancheuse ; que c'est en déplaçant la dernière meule d'emmenthal de 80 kg que M. [U] a été blessé le 20 octobre 2004 vers 6 heures du matin, alors qu'il avait pris son poste dès 4 heures ;

Attendu que, comme le précise l'employeur, la situation présumée dangereuse doit être appréciée avant l'accident pour en déduire les obligations patronales ;

Attendu qu'à l'appui de la démonstration de la conscience du danger et de l'absence de mise en 'uvre des mesures nécessaires imputable à l'employeur, Mme [U] soutient que son époux ne bénéficiait au moment de l'accident d'aucun moyen mécanique mis à sa disposition pour soulever les meules de fromage, et que l'employeur en avait une parfaite connaissance ;

Que l'employeur paraît reconnaître la nécessité de déplacer les meules à main nue, puisqu'il soutient que des consignes orales avaient été données pour ne pas effectuer de manipulations seul ; que l'employeur s'appuie en ce sens sur une attestation collective signée le 24 juin 2006 par quatre agents de maîtrise (sa pièce numéroté 15) complétée par des attestations établies dans les mêmes termes individuellement par chaque agent de maîtrise (ses pièces numérotées 23-1 à 23-4) qui indiquent de concert «avoir informé oralement la totalité des salariés travaillant à l'atelier ''grand mélange'' que la manipulation des meules de fromage ne devait pas se faire seul, mais avec l'aide d'un collègue.» ;

Que la société Fromagerie Bel soutient toutefois, de façon contradictoire ou pour le moins ambigüe, que des transpalettes manuelles à ciseaux avec levée électrique de marque Jungheinrich ont été commandées le 16 février 2004, et que ce matériel « était à la disposition de M. [U] au jour de l'accident » (sic) ; qu'elle produit des documents à l'appui de ses allégations, consistant en un document ''détails ot-historique'' (sic) relatif à un chariot porte palan (sa pièce numéro 20) et une facture Jungheinrich du 30 avril 2004 indiquant une livraison du même jour de transpalettes manuelles à ciseaux avec levée électrique ; que dans le même sens, l'employeur produit une attestation émanant de M. [X] [D], responsable de l'atelier central de novembre 2003 à septembre 2006 (sa pièce numéro 22) qui soutient le 8 janvier 2009, en contradiction avec les indications des quatre agents de maîtrise, « que des moyens de manutention ont toujours été à disposition du personnel pour le transfert, le levage et la mise à hauteur de table, des meules de fromage emmental. » ;

Que la société Fromagerie Bel retient cependant, dans ses conclusions et dans ses cotes (22), qu'il aurait suffi à M. [U] « de demander durant quelques secondes l'aide de M. [B] de la même manière que ce dernier aurait pu solliciter M. [U] pour un simple coup de main » ; qu'en ce sens elle se prévaut des attestations de collègues de M. [U], notamment d'une attestation établie le 11 août 2008 par M. [E] [B], préparateur (sa pièce numéro 17), seul collègue de M. [U] présent au moment de l'accident, qui ne donne aucune précision quant aux circonstances de l'accident du travail dont son collègue a été victime mais indique « que mon employeur ne m'a jamais obligé à soulever des meules de quatre vingt kilos environ. J'avais à ma disposition des tables élévatrices pour faciliter la manipulation des fromages.» (sic), et des témoignages écrits de Messieurs [P] (affecté au service fabrication), [G] (préparateur) et [S] (affecté au service fabrication) qui indiquent également ne jamais avoir été obligés ou contraints à soulever seuls des meules d'emmental (ses pièces cotées 16, 18 et 19) ;

Que l'absence de moyens mécaniques mis à disposition de M. [F] [U] au moment de l'accident du travail ressort clairement du procès-verbal de réunion du comité d'établissement du 27 octobre 2004 versé aux débats par Mme [O] [U] (sa pièce cotée 15) ; que le syndicat UNSA (dont M. [U] était le représentant) a évoqué lors de cette réunion le fait que depuis le changement de place de la guillotine à la cave, un palan devait être implanté pour permettre de soulever les pains d'emmental sous film d'environ 80 kg, et qu'un grave accident aurait ainsi pu être évité ; que le président a reconnu qu' « il y avait un dysfonctionnement. Cette question a été traitée au CHSCT. Il annonce que le palan est reçu, et la griffe arrive la semaine prochaine. En semaine 46 cette nouvelle installation sera validée par le CHSCT. » (sic) ; que face au rappel de l'ancienneté de ce problème évaluée à 2 ans par le syndicat UNSA, le président a répondu qu'il était conscient des problèmes rencontrés et qu'actuellement différents aménagements étaient en cours ; que dans le procès-verbal de réunion du comité d'établissement du 23 décembre 2004 versé aux débats par Mme [O] [U] (sa pièce cotée 11),  le président a d'ailleurs expliqué que le tapis avait été déplacé sans décaler le palan, et a reconnu que la mise en 'uvre pour y remédier avait été trop longue, indiquant qu'il n'avait pas été le seul à n'avoir pas réagi, et qu'à présent le palan était en place ;

Que ces éléments relatifs à l'absence de mise à disposition de moyens mécaniques de levage au moment de l'accident et à la parfaite connaissance de cette situation par l'employeur sont confirmés par les attestations émanant de collègues de M. [U] (M. [A] [I], M. [C] [Y], M. [L] [W] ' pièces cotées 12, 17, 18) ; qu'au surplus les témoignages des collègues de M. [U] dont se prévaut l'employeur indiquent qu'ils n'étaient pas obligés de soulever des meules, et non qu'ils n'ont pas manipulé seuls ces meules ;

Que si l'employeur invoque la consigne verbale donnée par les agents de maîtrise aux ouvriers de ne pas porter seuls les meules, et soutient par ailleurs de façon pour le moins cynique et en tout cas peu réaliste au regard des conditions de travail de M. [U] qui travaillait seul, et qui aurait été censé pour exécuter son travail aller déranger à 6 heures son seul collègue présent, M. [B], qui tenait un poste à l'autre bout de l'atelier pour partager ponctuellement le poids d'une meule, d'ailleurs ''réduit'' à une charge encore importante de 40 kg, Mme [U] rappelle avec pertinence les dispositions du code du travail, qui visent expressément en ses article R 4541-1 et suivants à éviter le risque de port manuel de charges lourdes comportant des risques notamment dorso-lombaires en raison des caractéristiques de la charge ou des conditions ergonomiques défavorables, l'article R 4541-9 prévoyant qu'un travailleur ne peut être admis à porter de façon habituelle des charges de plus de 55 kg qu'après y avoir été reconnu apte par le médecin du travail ;

Qu'il est donc incontestable d'une part que la société Fromagerie Bel avait une parfaite conscience du danger auquel étaient exposés ses salariés au moment de l'accident du travail dont M. [U] a été victime, puisqu'ils étaient amenés à devoir soulever à main nue des meules de plus de 50 kg conditionnées sous emballage plastique pour accomplir leur travail, et ce au regard de l'absence depuis plusieurs mois de tout système de manutention mécanique opérationnel, et de ce que l'employeur n'a pendant de longs mois pas pris les mesures nécessaires pour préserver ses salariés de ce danger, en omettant de mettre à leur disposition un système de manutention mécanique ;

Que le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a retenu que le manquement de la société Fromagerie Bel à son obligation de sécurité de résultat a bien le caractère d'une faute inexcusable au sens de l'article L 452-1 du code de la sécurité sociale ;

Attendu que la société Fromagerie Bel conteste le jugement déféré en ce qu'il a évalué le préjudice de M. [U] et de son épouse au regard du décès du salarié, en soutenant que le lien de causalité entre l'accident du travail et le suicide par pendaison de M. [U] survenu à son domicile plus de deux années plus tard n'est pas établi ;

Que le docteur [M], médecin traitant de M. [U], indique dans un certificat médical du 6 août 2007 que les conséquences médicales de l'accident du travail du 20 octobre 2004 ont été marquées par une capsulite de l'épaule gauche et des douleurs du cou et du rachis cervical, des lésions de la région lombaire avec syndrome de la queue de cheval, incontinence urinaire inconstante et probable syndrome irritatif de la moelle épinière ; que le docteur [M] complète ses constatations par un deuxième certificat du 21 novembre 2007, au terme duquel il précise « j'ajoute qu'il a fini par se suicider par pendaison le 30 avril 2007. On peut considérer qu'il existe un rapport avec l'accident du travail par le biais des douleurs lombaires et des membres inférieurs qu'il considérait comme insupportables » ;

Qu'il est en effet avéré que M. [U] a été traité pour la douleur à partir de juillet 2005 par le docteur [Z] (pièce cotée 7 de la partie intimée) ;

Qu'en ce qui concerne la souffrance et la dégradation de l'état psychologique de M. [U], le docteur [Z] mentionne dans un courrier du 6 janvier 2006 « il n'y a pas véritablement d'amélioration de la symptomatologie algique ni du syndrome dépressif de M. [U] qui est à mon avis un facteur important dans l'expression des douleurs actuellement » (pièce cotée 8 de Mme [U]) ;

Que le lien de causalité entre l'accident du travail et le suicide de M. [U] est d'autant plus évident que le salarié n'a jamais pu reprendre son travail après son arrêt consécutif à l'accident, qui est à l'origine de sa déchéance physique puis psychologique ; que l'existence d'une pathologie antérieure n'a jamais été, en l'état des éléments communiqués aux débats, à l'origine de périodes de suspension du contrat de travail de M. [U] pour cause de maladie avant l'accident du travail du 20 octobre 2004, étant observé qu'il est évoqué un accident du travail antérieur dont M. [U] a été victime, et dû à un port de charge dont aucun élément n'est produit afin d'en préciser la réalité ;

Qu'il est enfin à souligner que M. [U] s'est suicidé exactement le dernier jour de versement d'indemnités journalières, la caisse lui ayant fait connaître par courrier daté du 10 avril 2007 que son état était considéré comme stabilisé à compter du 1er mai 2007 et que l'étude de ses droits administratifs en vue de l'obtention d'une pension d'invalidité serait effectuée ;

Que ces éléments de fait permettent de démontrer le lien de causalité entre l'accident du travail et le suicide de M. [U] ;

Attendu, au regard des capacités physiques et des souffrances endurées par M. [U] au cours d'une période de deux ans et demi allant du jour de son accident du travail jusqu'à son suicide, qu'il y a lieu de fixer le préjudice subi par M. [U], sans qu'il soit nécessaire de recourir à une expertise médicale sur pièces,  à 20 000 € ;

Attendu que le préjudice moral de Mme [O] [U] sera justement réparé à hauteur de la somme de 20 000 € ;

Que le jugement déféré sera infirmé en ce qui concerne les montants de ces indemnisations ; qu'il sera confirmé pour ce qui est du capital représentatif de la majoration de la rente ;

Attendu qu'il n'y a pas lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile en faveur des parties ;

P A R C E S M O T I F S

La cour, chambre sociale, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu l'avis d'audience adressé au directeur régional des affaires de sécurité sociale de Franche-Comté,

Dit l'appel de la société Fromagerie Bel recevable,

Confirme le jugement rendu le 17 septembre 2009 par le tribunal des affaires de sécurité sociale du Jura en toutes ses dispositions à l'exception des sommes allouées en réparation des préjudices subis par M. [F] [U] et par Mme [O] [U] ;

Statuant à nouveau sur ces chefs,

Condamne la société Fromagerie Bel à payer à Mme [O] [U] la somme de vingt mille euros (20 000 €) au titre du préjudice subi par M. [F] [U] et la somme de vingt mille euros (20 000 €) au titre du préjudice moral de Mme [O] [U] ;

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile en faveur des parties.

Ledit arrêt a été prononcé par mise à disposition au greffe le trente avril deux mille dix et signé par Monsieur Jean DEGLISE, président de chambre et Mademoiselle Ghyslaine MAROLLES, greffier.

LE GREFFIER,LE PRESIDENT DE CHAMBRE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Besançon
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 09/02399
Date de la décision : 30/04/2010

Références :

Cour d'appel de Besançon 03, arrêt n°09/02399 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2010-04-30;09.02399 ?
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