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22/01/2010 | FRANCE | N°09/00165

France | France, Cour d'appel de Besançon, Chambre sociale, 22 janvier 2010, 09/00165


ARRET N°

VLC/CM



COUR D'APPEL DE BESANCON

- 172 501 116 00013 -

ARRET DU 22 JANVIER 2010



CHAMBRE SOCIALE



Contradictoire

Audience publique

du 06 novembre 2009

N° de rôle : 09/00165



S/appel d'une décision

du conseil de prud'hommes de Dole

en date du 05 janvier 2009

Code affaire : 80A

Demande d'indemnités liées à la rupture du contrat de travail CDI ou CDD, son exécution ou inexécution





[R] [N]

C/

SA FRUITIERE DU MASSIF JUR

ASSIEN





PARTIES EN CAUSE :





Monsieur [R] [N], demeurant [Adresse 2]



(bénéficiant d'une aide juridictionnelle totale numéro 2009/000433 du 27/02/2009 accordée par le bureau d'aide ju...

ARRET N°

VLC/CM

COUR D'APPEL DE BESANCON

- 172 501 116 00013 -

ARRET DU 22 JANVIER 2010

CHAMBRE SOCIALE

Contradictoire

Audience publique

du 06 novembre 2009

N° de rôle : 09/00165

S/appel d'une décision

du conseil de prud'hommes de Dole

en date du 05 janvier 2009

Code affaire : 80A

Demande d'indemnités liées à la rupture du contrat de travail CDI ou CDD, son exécution ou inexécution

[R] [N]

C/

SA FRUITIERE DU MASSIF JURASSIEN

PARTIES EN CAUSE :

Monsieur [R] [N], demeurant [Adresse 2]

(bénéficiant d'une aide juridictionnelle totale numéro 2009/000433 du 27/02/2009 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de Besançon)

APPELANT

COMPARANT EN PERSONNE assisté par Me Bernard CHARMONT, avocat au barreau de DOLE

ET :

SA FRUITIERE DU MASSIF JURASSIEN, ayant son siège social, [Adresse 1]

INTIMEE

REPRESENTEE par Me Alexandra CAVEGLIA, avocat au barreau de BESANCON

COMPOSITION DE LA COUR :

lors des débats 06 Novembre 2009 :

CONSEILLERS RAPPORTEURS : Monsieur J. DEGLISE, Président de chambre, en présence de Madame V. LAMBOLEY-CUNEY, Conseiller, conformément aux dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, avec l'accord des conseils des parties

GREFFIER : Mademoiselle G. MAROLLES

lors du délibéré :

Monsieur J. DEGLISE, Président de chambre, et Madame V. LAMBOLEY-CUNEY, Conseiller, ont rendu compte conformément à l'article 945-1 du code de procédure civile à Madame M.F BOUTRUCHE, Conseiller.

Les parties ont été avisées de ce que l'arrêt serait rendu le 11 décembre 2009 et prorogé au 22 janvier 2010 par mise à disposition au greffe.

**************

M. [R] [N] a été engagé le 15 juin 1988 en qualité de caviste à temps complet par la société Fruitière du Massif Jurassien (F.M.J.) qui compte une quarantaine de salariés et qui est spécialisée dans la fabrication et l'affinage de comté au lait cru des terroirs du Haut-Jura.

Par lettre recommandée en date du 13 mai 2005 M. [N], mis à pied à titre conservatoire depuis le 2 mai 2005, date de la lettre de convocation à entretien préalable, a été licencié pour faute grave, suite à des accusations infondées de harcèlement moral proférées par lui, et au regard d'un comportement injurieux, agressif et menaçant à l'égard de collègues et du dirigeant de la société, M. [X].

M. [N] a saisi le conseil de prud'hommes de Dole le 15 juin 2005 d'une demande de dommages-intérêts pour licenciement abusif à hauteur de 43 200 € et pour harcèlement à hauteur de 21 600 €, d'une demande en paiement d'une indemnité de licenciement à hauteur de 5 760 €, outre d'une indemnité compensatrice de préavis à hauteur de 3600 €, de demandes de rappel de primes de rendement depuis 2002 (à calculer), de rappel de salaire du 2 au 15 mai à hauteur de 900 euros, et enfin d'une demande au titre de ses frais irrépétibles à hauteur de 3000 €.

Par jugement en date du 5 janvier 2009 le conseil de prud'hommes de Dole a débouté M. [N] de ses demandes de dommages-intérêts, et a condamné la société F.M.J. à lui payer la somme de 4677,41 euros au titre de rappel sur paiement de la prime de rendement, outre aux dépens.

Par courrier adressé le 19 janvier 2009 au greffe, M. [N] a régulièrement interjeté appel de cette décision qui lui a été notifiée le 8 janvier 2009.

Dans ses conclusions déposées le 8 septembre 2009 et reprises par son avocat à l'audience, M. [N] conclut à l'infirmation partielle du jugement rendu, à la nullité de son licenciement, à la condamnation de la société F.M.J. à lui payer 43 200 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul et subsidiairement abusif et 21 600 € de dommages-intérêts pour harcèlement, 7 344 € à tire d'indemnité de licenciement, 3 600 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 360 € au titre des congés payés sur préavis, 1 201,39 € à titre de rappel d'heures supplémentaires, 900 € à titre de rappel de salaires, et 2000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Il fait valoir que son travail consistait à retourner quotidiennement des meules de plus de 50 kilos.

À trois reprises dans le cadre de visites en août 2002, février 2003, et février 2004, le médecin du travail a préconisé l'assistance d'un autre caviste.

M. [N] s'est rendu auprès de l'inspection du travail pour dénoncer des difficultés rencontrées dans ses conditions travail, plus particulièrement après un accident du travail survenu le 10 mars 2005. L'employeur n'a procédé à aucune enquête contradictoire malgré l'interpellation de l'inspecteur du travail.

À l'issue de son arrêt de travail, le 2 mai et avant toute visite de reprise, M. [N] a été mis à pied à titre conservatoire pour 15 jours. Après un entretien préalable qui a eu lieu le 10 mai 2005, il a été licencié pour faute grave.

Parallèlement, le 11 mai 2005, il a été convoqué pour la visite de reprise et le médecin du travail a préconisé une reprise sur un poste aménagé.

M. [N] soutient :

- que la procédure de licenciement a été engagée avant la fin de la période de suspension, avant la visite médicale de reprise,

- qu'il n'a jamais été destinataire des deux avertissements du 7 avril 2002 et du 18 juin 2004 dont l'employeur se prévaut pour la première fois dans le cadre de la présente procédure,

- que ses conditions de travail se sont dégradées, avec le refus de prendre en considération l'avis du médecin du travail à partir de 2002, d'où une attitude discriminatoire de l'employeur dans le paiement de sa rémunération avec une suppression unilatérale de la prime de rendement à compter de 2003, et une absence d'information sur ses droits en matière de repos compensateur,

- que la société F.M.J. ne rapporte pas la preuve qu'elle s'est conformée aux préconisations du médecin du travail relatives à l'assistance d'un autre caviste,

- que le seul harcèlement dont il est accusé est infondé, les témoignages recueillis par l'employeur étant de complaisance,

- que les griefs évoqués par l'employeur (lors d'un entretien préalable au cours duquel la présence d'un compatriote a été refusée et où M. [N] s'est retrouvé seul) constituent une atteinte grave à sa dignité.

Dans ses conclusions déposées le 10 novembre 2009 dont son conseil s'est prévalu à l'audience, la société F.M.J. forme appel incident et conclut à la confirmation du jugement dans toutes ses dispositions sauf celles relatives à la prime de rendement, et au débouté de M. [R] [N] de l'ensemble de ses prétentions. Elle réclame 3000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle fait valoir que le contrat de travail de M. [N] a été ponctué de divers avertissements et mises en garde, notamment les 7 août 2002 et 18 juin 2004.

Le 10 mars 2005 il a déclaré avoir été victime d'un accident du travail, après avoir glissé dans la cour de l'entreprise.

Il a demandé à rencontrer le dirigeant, M. [X], et lui a indiqué notamment que s'il était augmenté il déchirerait la feuille d'accident du travail, ce que M. [X] a refusé, décidant de déposer une main courante à la gendarmerie de [Localité 3].

Quelques jours plus tard, la F.M.J. a reçu un courrier de l'inspection du travail qui souhaitait connaître sa position sur des accusations de harcèlement moral et de non paiement de primes de rendement formulées par M. [N].

Après enquête interne, il s'est avéré que c'est en fait M. [N] qui avait une attitude de harcèlement, et des réponses en ce sens ont été adressées à l'inspection du travail le 8 avril 2005.

Après saisine du conseil de prud'hommes, M. [N] a sollicité un sursis à statuer jusqu'à ce que la juridiction pénale ait statué sur sa constitution de partie civile des chefs de faux et usage de faux ; une ordonnance de non-lieu a été rendue le 7 avril 2008, après audition des salariés auteurs d'attestations dans le cadre de la présente procédure, et après audition de M. [X] P.D.G..

S'agissant des demandes à titre de rappel de salaire :

- les rappels d'heures supplémentaires : M. [N] se prévaut d'un décompte établi par l'inspection du travail. Or aucune de ses pièces ne correspond à un tel décompte et il n'a produit aucun élément de nature à étayer sa demande. Au surplus le repos compensateur de remplacement est privilégié par la convention collective des industries laitières appliquées par la société F.M.J.. Les bulletins de paie font régulièrement apparaître le repos compensateur acquis à ce titre. Cette pratique du repos compensateur est parfaitement connue dans l'entreprise, à tel point qu'aucune demande n'a jamais été enregistrée à ce sujet, émanant de M. [N]. En outre l'inspection du travail a, dans un courrier du 5 août 2004, mentionné l'application de ce repos compensateur.

- La demande de primes de rendement : la suppression de cette prime date de janvier 2003, étant observé que l'inspection du travail a interpellé l'employeur sur ce point le 16 mars 2005. Cette suppression fait suite à un accord entre les parties relatif à la suppression de cette prime, avec augmentation du salaire de plus de 13 % à compter du mois de février 2003, couvrant ainsi largement la prime de rendement. Par ailleurs la charge globale de travail a diminué depuis 2002 - 2003, mais surtout M. [K] [P] assistait bien M. [N] de 3 à 4 heures par jour selon les besoins. Une modification de l'organisation est intervenue en 2002 - 2003, étant précisé qu'avant 2002 chacun des cavistes traitait 1557 meules par semaine, et que depuis 2003 ils en traitent 1170 par semaine. Par ailleurs le critère relatif à la généralité (outre celui de la constance et de la fixité) n'est pas rempli, puisque la prime de rendement était propre à M. [N]. Au surplus la prime de rendement sollicitée ne saurait en aucun cas atteindre la somme réclamée, puisque Monsieur [N] a eu des absences au cours des années 2003, 2004 et 2005.

S'agissant du bien-fondé du licenciement pour faute grave, il ressort de nombreuses attestations versées aux débats que M. [N] n'a jamais été la cible ni de propos déplacés à caractère vexatoire et injurieux, ni de menaces.

Plusieurs salariés ont au contraire dénoncé le comportement grossier, agressif, provocateur, contestataire de M. [N], et ont confirmé leurs écrits dans le cadre d'une commission rogatoire, certains n'étant par ailleurs plus salariés de la F.M.J..

Ce comportement menaçant a été également confirmé le 2 mai 2005 à l'encontre du P.D.G. de la société.

M. [N] a été par le passé destinataire de deux avertissements, les fautes commises avant le 17 mai 2002 ayant été amnistiées par la loi du 6 août 2002. Comme M. [N] conteste avoir été destinataire de ces avertissements, il est produit les accusés de réception des lettres d'avertissement.

M. [N] a été licencié alors que son contrat de travail n'était plus suspendu, et il est admis qu'un licenciement pour faute grave peut intervenir y compris pendant la période de suspension du contrat de travail d'un salarié accidenté du travail.

SUR CE, LA COUR,

Sur les demandes de Monsieur [R] [N] au titre du licenciement pour faute grave et au titre du harcèlement moral

Attendu qu'en vertu de l'article L 1226-9 du code du travail (ancien article L 122-32-2) « Au cours des périodes de suspension du contrat de travail, l'employeur ne peut rompre ce dernier que s'il justifie soit d'une faute grave de l'intéressé, soit de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à l'accident ou à la maladie. » ; qu'en application de l'article L 1226-8 du code du travail la suspension du contrat ne prend fin qu'avec la visite médicale de reprise ;

Que ces dispositions n'interdisent pas l'engagement d'une procédure de licenciement au cours de la période de suspension, et que le licenciement notifié après la période de suspension ne peut être annulé au motif que la procédure de licenciement a été engagée pendant la suspension du contrat ;

Qu'en l'espèce si la procédure de licenciement a été engagée à l'issue de l'arrêt de travail de M. [N] et avant la visite de reprise, cette dernière est intervenue le 11 mai 2005, soit avant que la lettre de licenciement ne soit notifiée à l'appelant ;

Qu'en conséquence M. [N] ne peut valablement soutenir que son licenciement est nul ;

Attendu que la lettre de licenciement notifiée à Monsieur [R] [N] le 13 mai 2005, et qui fixe les limites du litige, énonce les griefs suivants :

« A la suite de vos accusations de harcèlement moral, j'ai effectué une enquête dans l'entreprise qui a établi qu'en fait c'était vous qui faisiez du harcèlement moral à l'égard de vos collègues de travail.

Dans ce cadre, je vous ai rencontré dans l'entreprise le 2 mai 2005. Cette rencontre et les circonstances de son déroulement m'ont contraint de vous signifier une mise à pied à titre conservatoire de 15 jours sans maintien de salaire.

Je vous ai alors signifié, par lettre RAR datée du 2 mai 2005, une convocation à un entretien préalable pour le mardi 10 mai 2005 à 14 h 30 dans les locaux de l'entreprise, afin de vous expliquer sur les faits reprochés. J'étais accompagné de M. [U] [D], votre supérieur hiérarchique, et de Mme [I] [V], responsable des affaires sociales dans l'entreprise.

Vous vous êtes présenté à cet entretien accompagné de M. [Z] [Y] que vous avez présenté comme un « copain turc ». Cette personne ne faisant pas partie de l'entreprise et n'étant pas inscrite sur la liste établie par le préfet, j'ai refusé sa présence.

Je vous ai demandé de vous expliquer :

- sur votre plainte pour harcèlement moral et en particulier, ce que vous avez subi et qui en est (ou en sont) l'auteur.

- sur les témoignages de membres du personnel de l'entreprise s'étant plaints à votre égard d'injures, d'avoir été molestés, de subir des pressions morales'.

Je n'ai pu obtenir des explications de votre part à l'exception de considérations politiques ou religieuses qui ne concernent pas l'entreprise.

Votre attitude rend votre maintien dans l'entreprise impossible et après mûre réflexion, j'ai décidé de licencier pour faute grave. » ;

Attendu qu'il appartient à l'employeur d'établir la réalité des griefs allégués qualifiés par lui de faute grave ;

Qu'en ce sens, la société F.M.J. produit aux débats les témoignages écrits de salariés, à savoir :

- [H] [F], qui indique (pièce 15) « [R] [N] a souvent des propos vulgaires à l'encontre des salariés de l'entreprise. En cas de désaccord, même minime avec les salariés et ses supérieurs hiérarchiques il devient rapidement agressif n'hésitant pas à bousculer, insulter et menacer les gens. Dans l'entreprise depuis 16 ans, j'effectue du travail en cave et le frottage des meules. Je pense que ces dernières années nos conditions de travail se sont améliorées grâce à l'acquisition de plusieurs robots. » -

- [C] [L], qui précise (pièce 16) « que M. [N] n'a jamais été harcelé par ses supérieurs. Au contraire, pour moi ce monsieur est un provocateur qui n'hésite pas à être grossier avec ses collègues de travail ainsi qu'avec son responsable et nie ensuite les faits. À plusieurs reprises, j'ai assisté à des altercations violentes entre lui et le personnel. De ce fait, il faisait régner un climat de crainte autour de lui. » ;

- [M] [S] (pièce 17) qui déclare (en substance) « que M. [N] [R] a des comportements agressifs avec les ouvriers et s'en prend à tout le monde. Il m'a même agressé une fois en me tirant par le bras. J'en ai rendu compte à M. [D] qui a dû intervenir. En outre je pense que M. [D] a toujours été de bonne foi. Quand il faut partir un peu plus tôt ou prendre une demi-journée il n'a jamais refusé à qui que ce soit. » ;

- [A] [T], qui écrit (pièce 18) « 'que M. [N] tenait des propos déplacés envers ses collègues de travail. À ce titre il a traité Mme [O] de putain et cela sans raison. C'est une personne très susceptible qui peut devenir agressif pour le moindre détail. Il ne cesse de répéter qu'il fait le travail de deux personnes alors que les autres cavistes travaillent seuls. Je conclus en affirmant que M. [N] est quelqu'un de très malin qui comprend le français. » ;

- [J] [O], qui précise (pièce 19) « que début mars 2005 M. [R] [N] avec qui je travaille m'a traitée de « putain » en passant devant moi alors que je ne lui avais rien fait et devant d'autres collègues. » ;

- [U] [D], qui témoigne (pièce 20) « que M. [X] m'a informé avoir reçu le 16 mars 2005 un courrier de l'inspection du travail lui faisant part que M. [N] se plaignait de harcèlement moral, étant son supérieur hiérarchique M. [N] ne m'a jamais fait part de telles accusations. Jamais au cours des heures de travail je n'ai vu quelqu'un lui tenir des propos racistes ou déplacés. En revanche il est vrai qu'il s'emporte facilement dès qu'on fait une remarque concernant son travail et qu'il a l'arrêt de travail facile. Le 10 mars 2005, suite à une chute sans témoin, à l'entrée des vestiaires M. [N] s'est rendu dans le bureau de M. [X] et en ma présence lui a tenu ces propos « si moi avoir augmentation, moi déchirer feuille accident » ;

Que la société F.M.J. produit en outre aux débats l'ordonnance de non lieu du 7 avril 2008 rendue par le juge d'instruction de Dole (sa cote 35) suite à la plainte avec constitution de partie civile de M. [N] des chefs d'établissement d'attestations inexactes et usage de faux, qui mentionne que M. [N] a, à l'appui de sa plainte, fait état de la dégradation progressive de ses conditions de travail, avec une perte de primes et une surcharge de travail, un changement d'horaires, d'insultes à caractère raciste et du comportement violent de ses collègues à son égard ;

Que le magistrat instructeur motive son ordonnance de non lieu en mentionnant que les auteurs des attestations ont, lors de leurs auditions sur commission rogatoire, confirmé le contenu de leurs attestations respectives, décrivant « [R] [N] comme un homme grossier, agressif, provocateur, contestataire, ayant une passion pour le jeu et, profiteur. Pour autant tous reconnaissaient qu'[R] était quelqu'un de travailleur mais dont le comportement créait une très mauvaise ambiance dans l'entreprise. Aucune des personnes entendues ne confirmait le fait qu'[R] [N] ait pu faire l'objet d'un harcèlement moral de la part de ses supérieurs. En revanche, il était décrit comme une personne qui se sentait persécutée en permanence et sans raison. » ;

Que la force probante de ces témoignages des collègues de M. [N] qui dénoncent une attitude agressive, menaçante, insultante habituelle de l'appelant à leur égard, avec notamment des faits d'insultes proférés à l'encontre de sa collègue Mme [O] quelques jours avant son arrêt pour accident du travail, ne peut être niée par l'appelant ; que celui-ci se contente d'alléguer une attitude de complaisance de ses anciens collègues, qui ont cependant maintenu et complété leurs attestations dans le cadre d'une procédure pénale ;

Que l'illustration par la société F.M.J., dans le cadre de la présente procédure, de ces griefs relatifs au comportement fautif de M. [N] par des avertissements antérieurs notifiés par lettres du 7 août 2002 et du 18 juin 2004, révèle un caractère irascible récurrent de M. [N], et ce d'autant plus qu'il a prétendu dans le cadre de la présente procédure, avec un aplomb pour le moins singulier, qu'il n'avait pas été destinataire de ces courriers, d'où la production des accusés de réception par la société F.M.J. à hauteur d'appel (cote 39) ;

Que l'avertissement du 18 juin 2004 faisait état de faits d'insubordination, vis-à-vis d'abord de son supérieur hiérarchique puis du président de la société, M. [X], indiquant « vous avez fait irruption dans mon bureau et vous m'avez agressé verbalement en hurlant devant une partie de vos collègues. Vous avez émis le souhait d'être licencié. Ces propos m'ont paru déplacés et témoignent de la réalité de votre état d'esprit. » (cote 2) ;

Que la société F.M.J. produit en outre aux débats la copie de la plainte de son dirigeant M. [X], suite à l'attitude d'insubordination de M. [N] du 2 mai 2005 au matin, à sa reprise de travail, et lors de sa mise à pied à titre conservatoire ; que M. [X] précise qu'il « s'est emporté. Il a levé le poing sur moi mais s'est ravisé. Il m'a dit vouloir aller à la gendarmerie et à l'inspection du travail. Il m'a menacé d'aller chercher un fusil. Il m'a dit que de toute façon on se retrouverait. » ;

Que s'agissant des faits de harcèlement moral évoqués par M. [N] auprès de l'inspection du travail, cette dernière, dans un courrier adressé à l'employeur le 16 mars 2005 (cote 7 de l'appelant) a indiqué que M. [N] s'était plaint de propos déplacés à caractère vexatoire et injurieux, comme de menaces de la part de plusieurs membres de sa hiérarchie, et ce de manière régulière depuis 2002, et d'un traitement particulièrement blessant le 10 mars 2005 ;

Qu'aucun élément n'a permis de confirmer ces allégations de M. [N], notamment au travers des diligences faites dans le cadre de la procédure pénale introduite à son initiative, étant au surplus observé qu'au regard des dates de visites de M. [N] à l'inspection du travail, soit les 11 mai 2004, 16 mars 2005, 2 mai 2005 et 3 juin 2005 (sa cote 6), l'appelant n'a pas estimé utile, lors de sa première visite, d'évoquer de tels faits auprès de l'inspection du travail qui a, lors de sa seconde visite, fait diligence le jour même de sa visite, en adressant une interpellation écrite à l'employeur ;

Que M. [N] maintient encore à hauteur d'appel avoir été victime de faits de harcèlement moral, au regard notamment de ses conditions de travail et d'une perte de rémunération ; que l'employeur produit des éléments sur la baisse d'activité des frotteurs de meule (sa cote 13), outre des attestations mentionnant que les conditions de travail des ouvriers se sont améliorées au regard de la robotisation et d'une baisse d'activité, et que M. [N] était aidé dans ses tâches de frottage des meules conformément aux avis du médecin du travail ( attestation de Monsieur [F] ' attestation de M. [P] en cote 12) ;

Que si les faits de harcèlement moral invoqués par M. [N] ne sont nullement établis, en revanche les griefs retenus à son encontre par la société F.M.J. sont au contraire bien réels ;

Qu'en conséquence le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes de dommages-intérêts de M. [N] pour licenciement abusif et pour harcèlement moral;

Attendu que la faute grave implique que les manquements du salarié à ses obligations soient tels qu'ils ne permettent pas d'envisager son maintien dans l'entreprise ; qu'en l'espèce l'employeur fait lui-même état d'un comportement difficile récurrent de M. [N], avant même les griefs ayant donné lieu à la procédure de licenciement ; que l'employeur fait également lui-même un rapprochement entre l'insubordination ayant justifié un avertissement presque un an avant la procédure de licenciement, et celle manifestée par le salarié alors que sa mise à pied lui était verbalement notifiée ;

Qu'il est clair que l'attitude irascible de M. [N], tant à l'égard de sa hiérarchie qu'à l'égard de ses collègues, n'était pas nouvelle, et qu'elle n'empêchait nullement son maintien dans l'entreprise ;

Que le comportement fautif de Monsieur [E] constitue une cause réelle et sérieuse, mais non une faute grave ; que le jugement déféré sera réformé à ce titre ;

Qu'il sera donc fait droit aux prétentions de l'appelant au titre des indemnités de licenciement, de préavis et au titre de la mise à pied ;

Que s'agissant du montant de l'indemnité de licenciement, la convention nationale de l'industrie laitière prévoit que le montant de cette indemnité est égal à 1/5 du salaire mensuel par année d'ancienneté pour les salariés ayant une ancienneté égale ou supérieure à 5 ans, et que sauf dans le cas où il y a versement d'une allocation de préretraite à l'occasion du licenciement, l'indemnité est majorée de 20 % à partir de 50 ans révolus et jusqu'au 55e anniversaire ; que le montant pris en compte est le 1/12 de la rémunération des 12 derniers mois précédant la rupture du contrat de travail ou, selon la formule la plus avantageuse pour l'intéressé, 1/3 des 3 derniers mois ;

Que le salaire brut à retenir est, non pas de 1 800 € comme le prétend M. [N] (en reconstituant un « salaire type » avec notamment des heures supplémentaires), mais, au regard des fiches de salaires produites par le salarié, de 1396,82 € (moyenne des salaires de février, mars et avril) :

Que l'indemnité de licenciement est donc de (1392,82 X 1 : 5) X 17 = 4735,59 + 20 % (947,11) = 5682,70 € ;

Que l'indemnité de préavis due à M. [N] est de 2 X 1 396,82 = 2793,64 € brut, outre 279,36 € brut d'indemnité de congés payés sur préavis ;

Que la rémunération due au titre de la mise à pied sera fixée à 698, 41 € brut ;

Que la société F.M.J. sera donc condamnée au paiement de ces montants ;

Sur les demandes de Monsieur [R] [N] au titre des heures supplémentaires et du rappel de prime de rendement

Attendu que Monsieur [N] réclame d'une part une somme de 1 201,39 € au titre d'heures supplémentaires effectuées, en prétendant qu'il n'a jamais bénéficié du paiement de la majoration des heures supplémentaires par le repos compensateur dont fait état l'employeur ;

Que les mentions figurant sur ses bulletins de paie indiquent cependant clairement l'application du repos compensateur, par un état mensuel des droits acquis au titre de ce repos compensateur ;

Qu'au surplus M. [N] ne donne aucune indication quant au chiffrage qu'il réclame, ses cotes de plaidoirie renvoyant à sa pièce 5 ( ') qui correspond à une fiche d'aptitude ;

Attendu que M. [N] réclame d'autre part une somme de 4 677,41 € au titre d'un rappel d'une prime de rendement supprimée à partir de février 2003 par l'employeur ;

Qu'une prime présente le caractère juridique d'un salaire lorsque son versement résulte d'un usage d'entreprise avec la réunion de trois critères, soit la généralité, la constance et la fixité ;

Que M. [N] ne conteste absolument pas que cette prime de rendement n'était versée qu'à lui seul, et non aux autres ouvriers cavistes, et que son paiement était en outre conditionné par sa présence dans l'entreprise ; qu'il ne conteste pas plus avoir bénéficié, en compensation de cette suppression, d'une augmentation de son salaire de base de 1 124,81 € à 1 272,81 €, plus avantageuse pour lui puisque constante ;

Que cette prime ne peut dès lors être valablement considérée comme un élément du salaire ; que le jugement déféré sera donc infirmé de ce chef, et que les prétentions formées à ce titre par M. [N] seront rejetées ;

Sur les frais irrépétibles et sur les dépens

Attendu qu'il ne paraît contraire à l'équité de laisser à la charge de chacune des parties les frais irrépétibles qu'elle a exposés à hauteur d'appel, étant observé que M. [N] bénéficie de l'aide juridictionnelle totale ; que les prétentions formées à ce titre seront rejetées ;

Attendu que chacune des parties assumera ses dépens ;

PAR CES MOTIFS

La cour, chambre sociale, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Dit l'appel principal de Monsieur [R] [N] recevable et partiellement fondé,

Confirme le jugement rendu le 05 janvier 2009 par le conseil de prud'hommes de Dole, en ce qu'il a déclaré que le licenciement de Monsieur [R] [N] repose sur une cause réelle et sérieuse, et en ce qu'il a rejeté les demandes de dommages-intérêts de M. [R] [N],

L'infirme pour le surplus,

Requalifie le licenciement pour faute grave de M. [R] [N] en licenciement pour cause réelle et sérieuse,

Condamne la société F.M.J. à payer à Monsieur [R] [N] :

- la somme de cinq mille six cent quatre vingt deux euros et soixante dix centimes (5682,70 €) à titre d'indemnité de licenciement ;

- la somme de deux mille sept cent quatre vingt treize euros et soixante quatre centimes (2793,64 €) brut à titre d'indemnité de préavis ;

- la somme de deux cent soixante dix neuf euros et trente six centimes (279,36 €) brut à titre d'indemnité de congés payés sur préavis ;

- la somme de six cent quatre vingt dix huit euros et quarante et un centimes (698, 41 €) brut au titre de la mise à pied ;

Rejette les autres prétentions des parties, y compris au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Laisse à la charge de chacune des parties ses dépens.

Ledit arrêt a été prononcé par mise à disposition au greffe le vingt deux janvier deux mille dix et signé par Monsieur J. DEGLISE, Président de chambre, et Mademoiselle G. MAROLLES, Greffier.

LE GREFFIER, LE PRESIDENT DE CHAMBRE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Besançon
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 09/00165
Date de la décision : 22/01/2010

Références :

Cour d'appel de Besançon 03, arrêt n°09/00165 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2010-01-22;09.00165 ?
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