ARRÊT No
BG / MD
-172 501 116 00013-
CHAMBRE DES APPELS D'EXPROPRIATION
Audience publique du 20 mars 2008 No de rôle : 07 / 01542
S / appel d'une décision du juge de l'expropriation du TERRITOIRE DE BELFORT en date du 13 juin 2007 RG No 07 / 00256 Code affaire : 70 H Demande de fixation de l'indemnité d'expropriation
SOCIETE D'EQUIPEMENT DU TERRITOIRE DE BELFORT C / Monique X..., Yacine Y...
Mots clés : expropriation, fixation des indemnités, immeuble en copropriété, estimation lot par lot, estimation au prix d'achat (non), accords amiables, biens non comparables, charge de la preuve
PARTIES EN CAUSE :
SOCIETE D'EQUIPEMENT DU TERRITOIRE DE BELFORT dont le siège est 1, rue de Morimont-90000 BELFORT
APPELANTE
Ayant Me Jean- Michel ECONOMOU pour Avoué et Me Laurence- Louise MOREL- RAGER pour Avocat
ET :
Madame Monique X... demeurant...
INTIMÉE
Ayant la SCP LEROUX pour Avoué et la SCP GEHANT- SAIAH- GAROT pour Avocat
Monsieur Yacine Y... demeurant...
INTIMÉ
Ayant Me Armand TENESSO pour Avocat
EN PRÉSENCE DE :
Monsieur le commissaire du Gouvernement représenté par Monsieur MARMIER
COMPOSITION DE LA COUR :
lors des débats :
PRÉSIDENT : Monsieur B. GAUTHIER, Conseiller, désigné en qualité de Président par ordonnance de Monsieur le Premier Président de la Cour d'appel de Besançon en date du 15 janvier 2007.
ASSESSEURS :
Monsieur J. L. DOMINJON, Président du tribunal de grande instance de Vesoul, désigné par ordonnance de Monsieur le Premier Président de la Cour d'appel de Besançon en date du 17 octobre 2007 (articles L. 13-1 et R. 13-2 du code de l'expropriation)
Madame Cl. RUARD, Vice- Présidente au tribunal de grande instance de Lons- le- Saunier, désignée par ordonnance de Monsieur le Premier Président de la Cour d'appel de Besançon en date du 1er septembre 2005 (articles L. 13-1 et R. 13-2 du code de l'expropriation)
GREFFIER : Madame M. DEVILLARD, Greffier.
lors du délibéré :
PRÉSIDENT : Monsieur B. GAUTHIER, Conseiller, faisant fonction de Président de chambre.
ASSESSEURS : Monsieur J. L. DOMINJON et Madame Cl. RUARD, assesseurs.
L'affaire, plaidée à l'audience du 20 mars 2008, a été mise en délibéré au 30 avril 2008. Les parties ont été avisées qu'à cette date l'arrêt serait rendu par mise à disposition au greffe.
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FAITS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par jugement en date du 13 juin 2007, auquel la Cour se réfère expressément pour l'exposé des faits et de la procédure, le juge de l'expropriation du département du TERRITOIRE DE BELFORT a :
- ordonné la jonction des instances RG no 07 / 00256 et RG no 07 / 00289 ;
- fixé à la somme de 94. 503 € le montant de l'indemnité consécutive à l'expropriation des biens immobiliers sis,..., consistant dans les lots 15, 16, 19, 71, 72, 75, appartenant à Monique X..., soit 83. 846 €, à titre d'indemnité principale, et 10. 657 €, à titre d'indemnité de remploi ;
- fixé à la somme de 110. 854 € le montant de l'indemnité consécutive à l'expropriation des biens immobiliers sis,..., consistant dans les lots 24, 25, 26, 27, 28, 76, 77, 78, 79, 80, appartenant à Yacine Y..., soit 99. 092 €, à titre d'indemnité principale, et 11. 762 €, à titre d'indemnité de remploi ;
- condamné la SODEB à verser à Monique X... une indemnité de 1. 500 € pour frais irrépétibles ;
- dit que les dépens de l'instance seront supportés par la SODEB.
La société anonyme d'économie mixte SOCIÉTÉ D'ÉQUIPEMENT DU TERRITOIRE DE BELFORT, " SODEB ", a régulièrement interjeté appel de cette décision.
Elle demande à la Cour de l'annuler, pour le moins de la réformer ; de fixer l'indemnité principale due à Monique X..., à la somme de 41. 418 €, de fixer l'indemnité de remploi correspondante à la somme de 5. 266 € ; de fixer l'indemnité principale due à Yacine Y..., à la somme de 59. 970 €, de fixer l'indemnité de remploi correspondante à la somme de 7. 122 € ; et de condamner Monique X... et Yacine Y... à lui régler 3. 000 €, au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle fait valoir que le jugement déféré est dépourvu de base légale, la méthode d'évaluation retenue par le premier juge étant contraire à la loi, au code de l'expropriation, et à la jurisprudence ; que la consistance des biens expropriés ne peut être appréciée à la date d'acquisition de ceux- ci ; qu'en l'espèce, il s'agit de biens situés aux 10ème et 11ème étages de la..., sans ascenseur, et en état médiocre.
Elle ajoute que les accords amiables doivent être pris pour base d'indemnisation, les deux conditions de l'article L. 13-16 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique étant réunies ; que le premier juge a inversé la charge de la preuve, alors que la preuve du bon état des biens expropriés reposait sur Monique X... et Yacine Y....
Monique X... demande à la Cour de confirmer le jugement déféré, en toutes ses dispositions ; et de condamner la SODEB au paiement d'une indemnité de 4. 000 €, par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle fait valoir que la date de référence, fixée selon les dispositions des articles L. 213-4 et L. 213-6 du code de l'urbanisme, est constituée par le 30 mai 2005, date à laquelle la copropriété était habitée ; que toutes les cessions amiables sont intervenues postérieurement à cette date, entre le 9 mai et le 29 décembre 2006, les ascenseurs ne fonctionnant plus depuis plusieurs mois ; que la justification des accords amiables fournis par l'autorité expropriante démontre l'absence de tout élément de comparaison et la plus grande disparité des bases de fixation des indemnités principales.
Yacine Y... demande à la Cour de réformer le jugement déféré ; de fixer l'indemnité principale à la somme de 233. 350 €, l'indemnité de remploi à la somme de 14. 000 € ; et de condamner la SODEB au paiement d'une indemnité de 3. 000 € pour frais irrépétibles.
Il fait valoir que l'interprétation faite par la SODEB, des principes énoncés par le code de l'expropriation, ne saurait en aucun cas être admise ; que le juge de l'expropriation n'est pas lié, dans la fixation de l'indemnité, par les accords amiables ; que la SODEB n'a pas joué la transparence.
Il ajoute qu'il a été constaté, lors du transport sur les lieux, que l'état de ses biens était passé de dégradation à celui de délabrement général ; que selon le journal " CAPITAL ", de septembre 2006, le prix du mètre carré d'un immeuble situé dans la commune d'OFFEMONT varie entre 910 et 1. 200 € le mètre carré.
Le commissaire du Gouvernement forme appel incident ; et conclut à la fixation des indemnités de dépossession aux sommes suivantes :
biens ayant appartenu à Monique X... : 46. 684 €, biens ayant appartenu à Yacine Y... : 67. 092 €.
Il fait valoir que 91, 30 % des propriétaires expropriés ont consenti des accords amiables, représentant 80, 48 % du nombre d'appartements et de caves, ou 85, 35 % de la surface habitable expropriée, 100 % du nombre de garages et de parkings ayant fait également l'objet d'accords amiables ; que la juridiction de l'expropriation doit prendre pour base ces accords amiables ; que la valeur vénale au mètre carré des appartements varie habituellement selon l'état d'entretien du logement et, en l'absence d'ascenseur, redescend au fur et à mesure que l'on s'approche des étages supérieurs.
Il ajoute que les appartements de Monique X..., situés au dixième étage, et les appartements de Yacine Y..., situés au onzième étage, étaient en état médiocre ; que les indemnités doivent être fixées d'après la valeur des biens, à la date de la décision de première instance.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Attendu que l'opération d'expropriation concerne un immeuble en copropriété de onze étages, dénommé..., situé dans le quartier de ... (Territoire de Belfort), concerné par une opération de réhabilitation éligible au programme " Grand Projet de Ville " ;
Attendu que le 17 décembre 2004, le président du tribunal de grande instance de BELFORT a prononcé l'état de carence de l'immeuble en cause, après avoir constaté que celui- ci était dangereux, insalubre, sans assurance, et qu'il ne répondait plus aux normes de sécurité et d'hygiène ;
Attendu qu'un article paru dans le quotidien " L'Est Républicain " du 29 septembre 2005, indique que les ascenseurs sont tombés en panne en 2003 et que le syndic des copropriétaires ne peut pas payer les réparations ; qu'à la date de parution de l'article, l'immeuble présente des déficiences pour la sécurité de ses occupants, les vols et le vandalisme ayant aggravé cette situation ;
Attendu que Monique X... était propriétaire de trois appartements situés au 10ème étage : lots no 71 (43, 24 m ²), no 72 (66, 94 m ²), no 75 (43, 22 m ²), et de trois caves : lots 15, 16, 19 ;
Attendu que Yacine Y... était propriétaire de cinq appartements situés au 11ème étage : lots no 76 (43, 88 m ²), no 77 (57 m ²), no 78 (57 m ²), no 79 (31, 59 m ²), no 80 (43, 88 m ²), et de cinq caves : lots 24, 25, 26, 27, 28 ;
Sur les principes applicables à la fixation des indemnités d'expropriation
Attendu qu'il n'existe aucune discussion quant à l'appréciation de la date de référence ; que celle- ci doit être fixée au 30 mai 2005, date de publication du plan local d'urbanisme révisé de la commune d'OFFEMONT, conformément aux dispositions des articles L. 213-6 et L. 213-4 du code de l'urbanisme ;
Attendu qu'à la date de référence, l'immeuble en cause était situé en zone UBa du plan local d'urbanisme et était affecté à l'habitation ;
Attendu qu'en application des dispositions de l'article L. 13-14, alinéa 1er, du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, la juridiction fixe le montant des indemnités d'après la consistance des biens à la date de l'ordonnance portant transfert de propriété ;
Attendu, en l'espèce, que l'ordonnance d'expropriation a été rendue le 18 août 2006 ;
Attendu qu'en application des dispositions de l'article L. 13-16, alinéa 1er, du code précité, la juridiction doit prendre pour base les accorts réalisés lorsqu'ils ont été conclus avec au moins la moitié des propriétaires intéressés et portant sur les deux tiers au moins des superficies concernées ou lorsqu'ils ont été conclus avec les deux tiers au moins des propriétaires et portent sur la moitié au moins des superficies concernées ;
Attendu, en l'espèce, qu'il n'est pas contesté que 91, 30 % des propriétaires expropriés, soit 21 sur 23, ont consenti des accords amiables, portant sur 85, 35 % de la surface habitable expropriée, et 80, 48 % du nombre d'appartements et de caves ;
Attendu que ces accords ont été conclus sur la base d'une grille d'évaluation du mètre carré habitable, caves comprises, prenant en compte l'état des appartements et leurs niveaux dans la tour ;
Attendu qu'il est normal que la valeur du mètre carré décroisse en fonction de l'étage des appartements concernés, dès lors que l'immeuble en cause était dépourvu d'ascenseurs depuis 2003 ;
Attendu que si la prise pour base d'estimation des accords amiables est contestée par l'exproprié, au motif que les biens cédés à l'amiable ne sont pas comparables à ceux dont il est dépossédé, c'est à ce dernier qu'il appartient d'établir cette démonstration (Cass. 3o civ, 17 juin 1998) ;
Attendu, en l'espèce, que Monique X..., qui conteste que ses biens aient été comparables à ceux ayant fait l'objet des accords amiables, ne démontre pas que ses lots n'étaient pas en état médiocre, ni bien évidemment qu'ils étaient situés entre le 1er et le 5ème étages ;
Attendu que Yacine Y... ne rapporte pas non plus la preuve précitée ;
Attendu que les accords amiables doivent dès lors servir de base au calcul des indemnités revenant aux intimés ;
Attendu, en conséquence, que le jugement déféré, qui a indemnisé ceux- ci, en fixant les indemnités principales aux prix d'achat des biens expropriés, doit être infirmé ;
Sur l'indemnité de dépossession revenant à Monique X...
Attendu que la grille d'évaluation appliquée lors de la conclusion des accords amiables retient une valeur de 270 € le mètre carré habitable, caves comprises, pour des appartements situés au 10ème étage, en état médiocre ;
Attendu que la surface habitable expropriée appartenant à Monique X... représente 153, 40 mètres carrés ;
Attendu que l'indemnité principale doit ainsi être fixée à :
153, 40 m ² x 270 € = 41. 418 € ;
Attendu que l'indemnité de remploi doit être calculée, conformément à la jurisprudence de la Cour, suivant un taux dégressif :
7. 500 € à 20 % = 1. 500, 00 € 7. 500 € à 15 % = 1. 125, 00 € 26. 418 € à 10 % = 2. 641, 80 €
5. 266, 80 € arrondi à 5. 270 € ;
Attendu que l'indemnité globale de dépossession revenant à Monique X... doit ainsi être fixée à la somme de :
41. 418 € + 5. 270 € = 46. 688 €.
Sur l'indemnité de dépossession revenant à Yacine Y...
Attendu que la grille d'évaluation appliquée lors de la conclusion des accords amiables retient une valeur de 257 € le mètre carré habitable, caves comprises, pour des appartements situés au 11ème étage, en état médiocre ;
Attendu que la surface habitable expropriée appartenant à Yacine Y... représente 233, 35 m ² ;
Attendu que l'indemnité principale doit ainsi être fixée à :
233, 35 m ² x 257 € = 59. 970, 95 €, arrondi à 59. 971 € ;
Attendu que l'indemnité de remploi doit être calculée, conformément aux principes précités, suivant un taux dégressif :
7. 500 € à 20 % = 1. 500, 00 € 7. 500 € à 15 % = 1. 125, 00 € 44. 971 € à 10 % = 4. 497, 10 €
7. 122, 10 € arrondi à 7. 125 € ;
Attendu quel'indemnité globale de dépossession revenant à Yacine Y... doit ainsi être fixée à la somme de :
59. 971 € + 7. 125 € = 67. 096 € ;
Sur les demandes accessoires
Attendu qu'il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, au bénéfice de la SODEB ;
Attendu que les intimés succombent sur le recours de la SODEB, Yacine Y... succombant au surplus sur son propre recours ; qu'il convient de les débouter de leurs demandes fondées sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, aux titres des procédures de première instance et d'appel ; et de les condamner in solidum aux dépens d'appel ;
PAR CES MOTIFS
LA COUR, statuant par arrêt contradictoire, après débats en audience publique et après en avoir délibéré ;
DÉCLARE les appels recevables en la forme ;
DIT l'appel principal bien fondé, l'appel incident formé par le commissaire du Gouvernement bien fondé, l'appel incident formé par Yacine Y... non fondé ;
INFIRME le jugement rendu, le 13 juin 2007, par le juge de l'expropriation du département du TERRITOIRE DE BELFORT, à l'exception de sa disposition relative à la charge des dépens de première instance ;
Statuant à nouveau ;
FIXE l'indemnité principale à la somme de 41. 418 €, et l'indemnité de remploi à la somme de 5. 270 €, à la suite de l'expropriation des lots appartenant à Monique X... ;
CONDAMNE la société d'économie mixte SOCIETE D'EQUIPEMENT DU TERRITOIRE DE BELFORT à payer à Monique X... la somme de 46. 688 € (QUARANTE SIX MILLE SIX CENT QUATRE VINGT- HUIT EUROS), à titre d'indemnité globale de dépossession ;
FIXE l'indemnité principale à la somme de 59. 971 €, et l'indemnité de remploi à la somme de 7. 125 €, à la suite de l'expropriation des lots appartenant à Yacine Y... ;
CONDAMNE la société d'économie mixte SOCIETE D'EQUIPEMENT DU TERRITOIRE DE BELFORT à payer à Yacine Y... la somme de 67. 096 € (SOIXANTE SEPT MILLE QUATRE- VINGT- SEIZE EUROS), à titre d'indemnité globale de dépossession ;
DÉBOUTE les parties pour le surplus ;
CONDAMNE in solidum Monique X... et Yacine Y... aux dépens d'appel.
LEDIT ARRET a été signé par Monsieur B. GAUTHIER, Magistrat ayant participé au délibéré et Madame M. DEVILLARD, Greffier.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT DE CHAMBRE,