ARRET N°
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12 Juin 2024
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N° RG 23/00043 - N° Portalis DBVE-V-B7H-CGHN
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[E] [D]
C/
S.A.R.L. KO CONSTRUCTION
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Décision déférée à la Cour du :
21 mars 2023
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BASTIA
22/00045
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Copie exécutoire délivrée le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE BASTIA
CHAMBRE SOCIALE
ARRET DU : DOUZE JUIN DEUX MILLE VINGT QUATRE
APPELANT :
Monsieur [E] [D]
[Adresse 3]
[Adresse 3]
[Localité 1]
représenté par Me Gilles ANTOMARCHI, avocat au barreau de BASTIA substitué par Me Stéphanie ANTOMARCHI, avocat au barreau de BASTIA
INTIMEE :
S.A.R.L. KO CONSTRUCTION prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié es-qualité audit siège,
N° SIRET : 819 128 356
[Adresse 4]
[Localité 2]
représentée par Me Laura VEGA, avocat au barreau de BASTIA substitué par Me Jean-Pierre RIBAUT-PASQUALINI de la SCP RIBAUT-PASQUALINI, avocat au barreau de BASTIA
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 12 mars 2024 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame BETTELANI, conseillère chargée du rapport,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Monsieur BRUNET, président de chambre,
Madame BETTELANI, conseillère
Mme ZAMO, conseillère
GREFFIER :
Madame CARDONA, greffière lors des débats.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aura lieu par mise à disposition au greffe le 12 juin 2024
ARRET
- Contradictoire
- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
- Signé par Monsieur BRUNET, président de chambre et par Madame CARDONA, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
Monsieur [E] [D] a été embauché par la S.A.R.L. KO Construction en qualité de maçon, suivant contrat de travail à durée indéterminée à compter du 6 avril 2016.
Les rapports entre les parties étaient soumis à la convention collective nationale des ouvriers employés par les entreprises du bâtiment visées par le décret du 1er mars 1962 (c'est à dire occupant jusqu'à 10 salariés).
Monsieur [E] [D] a saisi le conseil de prud'hommes de Bastia, par requête reçue le 6 avril 2022, de diverses demandes (dont une demande de résiliation de son contrat de travail).
Par jugement du 21 mars 2023, le conseil de prud'hommes de Bastia a :
-rejeté la demande de résiliation judiciaire de Monsieur [E] [D],
-prononcé le maintien de Monsieur [E] [D] dans les effectifs de la S.A.R.L. KO Construction,
-condamné la S.A.R.L. KO Construction à payer à Monsieur [E] [D] la somme de 2.000 euros à titre de dommages et intérêts pour le retard apporté dans l'adhésion au Service de la santé du travail,
-débouté Monsieur [E] [D] de ses autres demandes,
-débouté la S.A.R.L. KO Construction, de sa demande au titre des dispositions de l'article 700 du CPC,
-dit que chaque partie conservera la charge de ses propres dépens.
Par déclaration du 13 avril 2023 enregistrée au greffe, Monsieur [E] [D] a interjeté appel du jugement en ce qu'il a : rejeté la demande de résiliation judiciaire de Monsieur [E] [D],
prononcé le maintien de Monsieur [E] [D] dans les effectifs de la S.A.R.L. KO Construction, débouté Monsieur [E] [D] de ses autres demandes.
Aux termes des dernières écritures de son conseil transmises au greffe en date du 12 septembre 2023, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens de la partie, Monsieur [E] [D] a sollicité :
-de recevoir Monsieur [E] [D] en son appel régulier en la forme,
au fond et y faisant droit,
-d'infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions contestées et le confirmer pour le surplus,
-de débouter la SARL KO Construction de toutes ses demandes, fins et conclusions,
-de prononcer la résiliation judiciaire du contrat liant les parties aux torts exclusifs de l'employeur pour manquement à ses obligations,
-de condamner en conséquence la Société KO Construction à payer à Monsieur [E] [D] les sommes de :
*3.354,16 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
*3.35,41 euros au titre des congés afférents,
*2.515,50 euros au titre de l'indemnité de licenciement,
*11.739 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive,
*2.000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi consécutivement au défaut d'adhésion au service de la santé au travail,
-de la condamner encore au paiement d'une somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens,
-de rappeler que les créances indemnitaires portent intérêts au taux légal à compter du jour du prononcé du jugement et que les créances salariales portent intérêts au taux légal a compter de la réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation, ordonner la capitalisation des intérêts en application de l'article 1154 du code civil.
Aux termes des dernières écritures de son conseil transmises au greffe en date du 4 décembre 2023, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens de la partie, la S.A.R.L. KO Construction a demandé :
-à titre principal :
*d'infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Bastia le 21 mars 2023 en ce qu'il a condamné la SARL KO Construction à payer à Monsieur [E] [D] la somme de 2.000 euros au titre de dommages et intérêts pour le retard apporté dans l'adhésion au Service de la santé du travail,
*d'infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Bastia le 21 mars 2023 en ce qu'il a débouté la SARL KO Construction de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
*de le confirmer en ce qu'il a : rejeté la demande de résiliation judiciaire de Monsieur [E] [D], prononcé le maintien de Monsieur [E] [D] dans les effectifs de la SARL KO Construction, rejeté la demande d'article 700 de Monsieur [E] [D],
-à titre subsidiaire : de confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Bastia le 21 mars 2023 dans toutes ses dispositions,
-à titre infiniment subsidiaire: de constater que la SARL KO Construction s'en rapporte à sagesse s'agissant de l'indemnité compensatrice de préavis, de l'indemnité des congés afférents et de l'indemnité de licenciement, de réduire l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse à 2.515,62 euros, de débouter Monsieur [E] [D] de sa demande de dommages et intérêts au titre du défaut d'adhésion au service de la santé au travail, de réduire à de plus justes proportions la demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La clôture de l'instruction a été ordonnée le 5 mars 2024, et l'affaire fixée à l'audience de plaidoirie du 12 mars 2024, où la décision a été mise en délibéré par mise à disposition au greffe au 12 juin 2024.
MOTIFS
La recevabilité des appels, formés à titre principal et incident, n'est pas contestée et les éléments du dossier ne conduisent pas la cour à le faire d'office. Ces appels seront donc déclarés recevables, tel que sollicité.
La S.A.R.L. KO Construction critique le jugement en ce qu'il l'a condamnée à payer à Monsieur [D] une somme de 2.000 euros à titre de dommages et intérêts pour le retard apporté dans l'adhésion au service de la santé du travail.
Toutefois, contrairement à ce qu'expose cette appelante, les premiers juges ont exactement caractérisé l'existence d'un préjudice, subi par Monsieur [D], du fait de l'adhésion très tardive de l'employeur au service de santé au travail (en avril 2022). En effet, ce salarié, non-objet des visites obligatoires, a été arrêté à plusieurs reprises courant 2021, puis en début d'année 2022, et n'a pu bénéficier de visite de reprise en temps utile auprès de la médecine du travail, tandis que l'affirmation de l'employeur suivant laquelle le salarié a bénéficié d'un rendez-vous auprès de la médecine du travail n'est pas étayée par pièce visée au dossier.
Dès lors, le jugement entrepris sera confirmé en ses dispositions querellées sur ce point et les demandes en sens contraire rejetées.
Monsieur [D] querelle quant à lui le jugement en ce qu'il a rejeté sa demande de résiliation judiciaire et demandes subséquentes et a prononcé son maintien dans les effectifs de l'entreprise.
Il convient de rappeler qu'en cas d'inexécution de ses obligations contractuelles par l'employeur, le salarié peut solliciter la résiliation judiciaire de son contrat aux torts de l'employeur.
Lorsque les manquements sont établis et sont d'une gravité suffisante pour empêcher la poursuite du contrat de travail, la résiliation judiciaire est prononcée aux torts de l'employeur et produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, ouvrant droit à toutes les indemnités de rupture, indemnité compensatrice de préavis y compris, peu important que le salarié ait été en arrêt de travail au moment de la rupture.
En revanche, si les manquements invoqués par le salarié ne sont pas établis ou ne présentent pas un caractère de gravité suffisante, le juge doit purement et simplement débouter le salarié de sa demande.
A l'appui de ses demandes liées à une résiliation judiciaire du contrat de travail, Monsieur [D] invoque divers manquements de l'employeur, au titre d'une absence d'affiliation du salarié à un service de santé au travail avant avril 2022 et d'une absence de visite médicale d'embauche et de visites périodiques, d'un non-respect des dispositions conventionnelles relatives à la couverture maladie des salariés, d'une non transmission de l'attestation de salaire permettant la perception des indemnités journalières, d'un non respect par l'employeur du maintien de salaire, d'une violation des dispositions conventionnelles sur la prime de vacances.
Au regard des éléments soumis à l'appréciation de la cour :
-des manquements de l'employeur au titre d'une absence d'affiliation du salarié à un service de santé au travail avant avril 2022 et d'une absence de visite médicale d'embauche et de visites périodiques ne sont pas contestables,
-un non respect des dispositions conventionnelles relatives à la couverture maladie des salariés est mis en évidence, en l'état d'une résiliation à effet du 15 mai 2023 du contrat liant l'employeur à Axa (couverture complémentaire santé obligatoire), sans qu'il soit justifié d'une couverture collective ultérieure souscrite par l'employeur,
-s'agissant d'une non transmission d'une attestation de salaire permettant la perception des indemnités journalières ce manquement est caractérisé sur la période antérieure au 25 mai 2022, où l'attestation de salaire dans le cadre d'un arrêt de travail se prolongeant au-delà de six mois a été finalement délivrée, alors que l'arrêt de travail a débuté le 30 septembre 2021,
-pour ce qui est du maintien de salaire, il n'est pas justifié d'un respect de son obligation en la matière par l'employeur, alors que le salarié a été en arrêt maladie du 1er au 10 juillet 2021, puis à compter du 30 septembre 2021 durant plusieurs mois,
-en revanche, concernant les dispositions conventionnelles sur les primes de vacances sur la période de 2017 à 2022, un manquement de l'employeur n'est pas caractérisé.
Au regard de ce qui précède, la cour considère, s'agissant des seuls manquements, antérieurs à la rupture du contrat de travail, dont la réalité est établie :
-que les manquements de l'employeur au titre d'une absence d'affiliation du salarié à un service de santé au travail avant avril 2022 et d'une absence de visite médicale d'embauche et de visites périodiques, un non respect des dispositions conventionnelles relatives à la couverture maladie des salariés à partir du 15 mai 2023, une non transmission d'une attestation de salaire permettant la perception des indemnités journalières sur la période antérieure à mai 2022, n'ont manifestement pas empêché la poursuite du contrat de travail et ne sont pas d'une gravité suffisante pour fonder une résiliation judiciaire du contrat de travail,
-que par contre, le manquement relatif au maintien de salaire, imputable à l'employeur, constitue un manquement d'une gravité suffisante pour empêcher la poursuite du contrat de travail et fonder une résiliation judiciaire dudit contrat aux torts de l'employeur, étant rappelé que l'ancienneté d'un manquement n'est pas de nature à empêcher le prononcé d'une résiliation judiciaire du contrat de travail si la juridiction saisie estime que sa gravité est suffisante, tandis que le fait que Monsieur [D] soit un associé non majoritaire de la société n'est pas un obstacle à une telle résiliation.
Dans ces conditions, après infirmation du jugement, utilement critiqué à cet égard, il y a lieu de prononcer la résiliation judiciaire, aux torts de l'employeur, du contrat de travail liant Monsieur [D] à la S.A.R.L. KO Construction qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Cette résiliation doit produire effet normalement au jour du présent arrêt.
Au regard de son ancienneté au moment de la rupture (huit années complètes), de son âge (pour être née en 1982) des conditions dans lesquelles la rupture est intervenue et de son aptitude à retrouver un emploi, des plafonds minimal et maximal en mois de salaire brut, Monsieur [D], qui ne démontre pas, par pièces produites aux débats, d'un plus ample préjudice se verra allouer des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à hauteur de 8.500 euros et sera débouté du surplus de sa demande, non fondée. Après infirmation du jugement à cet égard, la S.A.R.L. KO Construction sera condamnée à verser à Monsieur [D] une somme de 8.500 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Cette somme sera assortie des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, compte tenu de sa nature indemnitaire. Les demandes en sens contraire seront rejetées.
Compte tenu de la résiliation judiciaire du contrat de travail, après infirmation du jugement sur ces points, Monsieur [D] se verra également octroyer les sommes suivantes :
-3.354,16 euros, somme exprimée nécessairement en brut, à titre d'indemnité compensatrice de préavis (correspondant à deux mois de préavis), cette indemnité compensatrice de préavis étant due en matière de résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur,
-335,41 euros, somme exprimée nécessairement en brut, au titre des congés payés sur indemnité compensatrice de préavis,
-2.515,50 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement, en vertu des articles L1234-9 et R1234-1 et suivants du code du travail.
Ces sommes seront assorties des intérêts au taux légal à compter du 8 avril 2022, date de convocation effective de l'employeur devant le bureau de conciliation et d'orientation.
Les demandes en sens contraire seront rejetées.
Après infirmation du jugement à cet égard, les intérêts sur les sommes allouées (au titre de l'indemnité de licenciement, du préavis et des congés pays sur préavis) seront capitalisés dans les conditions de l'article 1154 du code civil, dans sa version applicable aux données de l'espèce, étant précisé que cette capitalisation est réservée pour les intérêts dus pour au moins une année entière et Monsieur [D] sera débouté du surplus de sa demande de ce chef.
La S.A.R.L. KO Construction, succombant principalement, sera condamnée aux dépens de première instance (le jugement entrepris étant infirmé à cet égard) et de l'instance d'appel.
Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a débouté la S.A.R.L. KO Construction de sa demande au titre des frais irrépétibles de première instance.
L'équité commande de prévoir la condamnation de la S.A.R.L. KO Construction à verser à Monsieur [D] une somme totale de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance (après infirmation du jugement sur ce point) et d'appel, sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Les parties seront déboutées de leurs demandes plus amples ou contraires à ces égards.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe le 12 juin 2024,
DECLARE recevables les appels, formés à titre principal et incident,
INFIRME le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Bastia le 21 mars 2023, tel que déféré, sauf :
-en ce qu'il a condamné la S.A.R.L. KO Construction à payer à Monsieur [E] [D] la somme de 2.000 euros à titre de dommages et intérêts pour le retard apporté dans l'adhésion au Service de la santé du travail,
-en ce qu'il a débouté la S.A.R.L. KO Construction de sa demande au titre des dispositions de l'article 700 du CPC, au titre des frais irrépétibles de première instance,
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
PRONONCE la résiliation judiciaire, aux torts de l'employeur, du contrat de travail liant Monsieur [E] [D] à la S.A.R.L. KO Construction, ce à effet du présent arrêt et DIT que cette résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
CONDAMNE la S.A.R.L. KO Construction, prise en la personne de son représentant légal, à verser à Monsieur [E] [D] les sommes suivantes :
- 8.500 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,
- 3.354,16 euros brut, à titre d'indemnité compensatrice de préavis, avec intérêts au taux légal à compter du 8 avril 2022,
- 335,41 euros brut, au titre des congés payés sur préavis, avec intérêts au taux légal à compter du 8 avril 2022,
- 2.515,50 euros à titre d'indemnité légale de licenciement, avec intérêts au taux légal à compter du 8 avril 2022,
DIT que les intérêts sur les sommes allouées (au titre de l'indemnité de licenciement, du préavis et des congés pays sur préavis) seront capitalisés dans les conditions de l'article 1154 du code civil, dans sa version applicable aux données de l'espèce,
CONDAMNE la S.A.R.L. KO Construction, prise en la personne de son représentant légal, à verser à Monsieur [E] [D] une somme totale de 3.000 euros, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel,
CONDAMNE la S.A.R.L. KO Construction, prise en la personne de son représentant légal, aux dépens de première instance et d'appel,
DEBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT