ORDONNANCE N° 01
du 11 JUIN 2024
R.G : N° RG 22/00111 - N° Portalis DBVE-V-B7G-CEBR
[H]
C/
AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT
MINISTERE PUBLIC
COUR D'APPEL DE BASTIA
DECISION RENDUE EN MATIERE D'INDEMNISATION D'UNE DETENTION PROVISOIRE
DU
ONZE JUIN DEUX MILLE VINGT QUATRE
Audience publique tenue par Hélène DAVO, première présidente, assistée de Elorri FORTgreffier lors des débats et du prononcé,
ENTRE :
[P] [H]
né le [Date naissance 1] 1984 à [Localité 8]
[Adresse 5]
[Localité 4]
non comparant représenté par Me Antoine VINIER ORSETTI, avocat au barreau d'AJACCIO
ET :
AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT
[Adresse 6]
[Localité 7]
non comparant représenté par Me Josette CASABIANCA CROCE, avocat au barreau de BASTIA
MINISTERE PUBLIC
Cour d'Appel, Rond-point de Moro Giafferi
[Adresse 3]
comparant en la personne de François THEVENOT, avocat général
DEBATS :
A l'audience publique du 14 mai 2024,
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 11 juin 2024.
DECISION :
Contradictoire,
Prononcée publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signée par Hélène DAVO, première présidente, et par Elorri FORT, greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DES FAITS :
Le 06 février 2020, M. [P] [H] était mis en examen des chefs de participation à une association de malfaiteur, trafic de produits stupéfiants et blanchiment. Ce même jour, le juge des libertés et de la détention ordonnait son placement en détention provisoire.
Par décision du tribunal correctionnel de Bastia en date du 23 juin 2021, il était remis en liberté et placé sous contrôle judiciaire.
Par jugement en date du 12 avril 2022, il était relaxé par le tribunal correctionnel de Bastia.
Par requête reçue le 25 mai 2022, M. [P] [H] demande à la première présidente de la cour d'appel de Bastia l'indemnisation de sa détention.
Par arrêt en date du 14 novembre 2023, la première présidente de la cour d'appel de Bastia a ordonné la réouverture des débats aux fins de production du certificat de non-appel.
Les parties ont régulièrement été convoquées à l'audience du 14 mai 2024.
A l'audience, renvoyant à sa requête, M. [P] [H] demande à la première présidente de la cour d'appel de Bastia de :
« Vu les articles 149 et suivant du code de procédure pénale et les article 226 et suivant du même code,
ALLOUER à Monsieur [P] [H] au titre de la réparation intégrale de son préjudice moral découlant de son incarcération injustifiée la somme de 50 000 euros ;
ALLOUER à Monsieur [P] [H] au titre des frais engagés dans le cadre de sa détention injustifié la somme de 6 000 euros ;
ALLOUER la somme de 2 400 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
DIRE ET JUGER que les dépens de la présente procédure seront exclusivement mis à la charge du trésor public ».
Liminairement, il précise que la période de détention à indemniser est de 16 mois et 17 jours.
Pour justifier de l'importance de son préjudice moral, il expose que :
- l'affaire, particulièrement grave, a fait l'objet d'une médiatisation où il a publiquement été présenté comme coupable ;
- au moment de son placement en détention, l'enfant qu'il a eu avec son épouse, Mme [Z] [N], venait de naître ;
- il a été détenu des mois à [Localité 10], ce qui l'a coupé de sa famille.
Sur le préjudice matériel, il soutient qu'il a dû engager des frais de justice pour assurer sa défense et sortir de détention.
*
Par dernières conclusions reçues le 05 juillet 2023 et reprises à l'audience, l'agent judiciaire de l'État demande à la première présidente de la cour d'appel de Bastia de :
« Vu l'article 149 et suivants du code de procédure pénale,
DÉCLARER la requête recevable,
ALLOUER à M. [H] la somme de 24 000 euros en réparation de son préjudice moral,
DEBOUTER M. [H] de ses demandes au titre du préjudice matériel ;
ALLOUER une indemnité de 600 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
DIRE n'y avoir lieu d'ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir,
Statuer sur ce que de droit sur les dépens ».
Sur la période indemnisable, il considère qu'elle est de 15 mois et 17 jours en raison de l'exécution, de manière simultanée, d'une peine d'emprisonnement résultant d'une condamnation définitive du tribunal correctionnel de Batia concernant un délit de recel.
Sur le préjudice moral, il fait valoir que l'atteinte à la réputation n'a pas à être indemnisée car elle est en lien avec l'infraction et non avec la détention. Il ajoute que s'il faut tenir compte de la séparation familiale, il a bénéficié d'un soutien familial en bénéficiant de plusieurs visites et souligne qu'il est à l'origine de son transfert à [Localité 10] en raison d'incidents survenus au centre pénitentiaires de [Localité 9]. Enfin, il indique que le passé carcéral de M. [P] [H] doit conduire à diminuer son choc psychologique.
Sur le préjudice matériel, il déclare que M. [P] [H] ne justifie pas que les honoraires produits sont en lien avec le contentieux de la détention.
*
Par dernières conclusions reçues le 19 avril 2023, le procureur général demande à la première présidente de la cour d'appel de Bastia de :
« - déclarer la requête recevable, sous la réserve déjà évoquée, et faire droit au principe de l'indemnisation ;
- accorder l'indemnisation dans les termes et montants sollicités ».
Après avoir rappelé les faits, la procédure et la période de détention à considérer, il expose que :
- la période de détention est de 15 mois et un jour car il convient de déduire la peine de deux mois qu'il purgeait au titre d'une condamnation du tribunal correctionnel de Bastia en date du 28 février 2018 ;
- sur le préjudice moral, il souligne que la détention a été partiellement exécutée dans un établissement éloigné de son domicile, sur le continuent (15 octobre ' 11 avril 2021), tout en précisant que cet éloignement fait suite à des incidents en détention où il avait une part de responsabilité ;
- le préjudice matériel et les frais irrépétibles apparaissent conformes.
SUR CE,
Sur la recevabilité de la demande
L'article 149 du code de procédure pénale dispose que « sans préjudice de l'application des dispositions des articles L. 141-2 et L. 141-3 du code de l'organisation judiciaire, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive a droit, à sa demande, à réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention ».
Suite à la réouverture des débats, M. [P] [H] produit un certificat de non-appel de sorte que le jugement du tribunal correctionnel de Batia en date du 12 avril 2022 est définitif.
La requête sera déclarée recevable.
Sur la réparation des préjudices résultant de la détention
Aux termes de l'article 149 du code de procédure pénale, « sans préjudice de l'application des dispositions des articles L. 141-2 et L. 141-3 du code de l'organisation judiciaire, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive a droit, à sa demande, à réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention ».
Pour être indemnisable, le préjudice subi doit directement être lié à la détention.
Sur la période de détention
Le requérant déclare qu'il doit être indemnisé de la période allant du 06 février 2020 au 23 juin 2021, soit pendant 503 jours, 16 mois et 17 jours. L'agent judiciaire du trésor ainsi que le parquet général sollicitent que la période de détention, dans le cadre de l'exécution d'une condamnation à une peine d'emprisonnement de deux mois, soit déduite.
L'indemnisation ne pouvant porter que sur les préjudices résultant directement d'une détention injustifiée, la durée de la peine d'emprisonnement subie en exécution d'une condamnation prononcée pour une autre infraction, commise avant ou durant la période de détention provisoire, doit nécessairement être déduite.
En l'espèce, M. [P] [H] a été placé en détention provisoire du 6 février 2020 au 23 juin 2021, soit 16 mois et 17 jours.
Toutefois, sa fiche pénale montre que :
- par jugement en date du 28 février 2018, le tribunal correctionnel de Bastia l'a condamné à une peine d'emprisonnement de 2 mois pour recel de bien provenant d'un délit puni d'une peine n'excédant pas 5 ans d'emprisonnement. La peine a été exécuté à compter du 19 février 2020 ;
- il a bénéficié d'un crédit de réduction de peine de 14 jours, portant la fin de l'exécution de cette peine au 05 avril 2020.
Ainsi, la période de détention injustifiée s'étend du 6 février 2020 au 18 février 2020 et du 6 avril 2020 au 23 juin 2021, soit 15 mois et 1 jour correspondant au calcul suivant : 16 mois et 17 jours (période de détention totale) ' 47 jours (détention au titre de l'exécution d'une condamnation).
La période indemnisable est donc de 15 mois et un jour.
Sur le préjudice moral
En l'espèce, le principe de son droit à réparation n'est pas contesté.
[P] [H] sollicite 50 000 euros. Cependant, à l'inverse du parquet général, l'agent judicaire de l'État entend voir réduire le montant à 24 000 euros au motif, d'une part, que l'atteinte à l'honneur n'est pas indemnisable au titre de la détention injustifiée et, d'autre part, qu'il y a lieu de tenir compte du passé carcéral du prévenu.
Le préjudice moral résulte du choc carcéral ressenti par une personne brutalement et injustement privée de liberté. Elle peut être aggravée, notamment, par une séparation familiale et des conditions d'incarcération particulièrement difficiles. Elle peut, aussi, selon les circonstances, être minorée par l'existence d'un passé carcéral. D'autres circonstances sont, par contre, tenues pour inopérantes. Ainsi en est-il de l'atteinte à l'honneur qui ne peut être indemnisée que sur le fondement de l'article 9-1 du code civil et non au titre d'une détention injustifiée.
En l'espèce, M. [P] [H] était âgé de 36 ans au moment de sa détention et venait d'avoir un enfant, [S], née le [Date naissance 2] 2019.
Il se prévaut d'avoir été transféré à [Localité 10] ce qui a aggravé les conditions de sa détention en raison de l'éloignement familial. Si le parquet général comme l'agent judiciaire du trésor soutiennent que M. [P] [H] est à l'origine de ce transfert en raison d'incidents au sein du centre pénitentiaire de [Localité 9] pour lesquels il aurait une part de responsabilité, force est de constater, comme il le met en évidence, qu'il n'a fait l'objet d'aucune poursuites disciplinaires.
Enfin, il ne peut être ignoré que le bulletin numéro 1 de son casier judiciaire fait apparaître 16 condamnations depuis 2006, dont certaines à des peines d'emprisonnement déjà été exécutées.
Au regard de l'ensemble de ces éléments, il convient d'allouer à M. [P] [H] la somme de 28 000 euros au titre du préjudice moral.
Sur le préjudice matériel
En l'espèce, M. [P] [H] sollicite 6 000 euros au titre des frais engagés pour être mis en liberté. L'agent judiciaire de l'État s'oppose à toute indemnisation sur ce chef au motif qu'il n'est pas démontré que les honoraires visés concernent le contentieux de la détention. Le parquet général, pour sa part, les estime conformes.
Pour que les honoraires d'avocat soient indemnisés au titre du préjudice matériel, il est nécessaire de démontrer que les prestations réalisées par le conseil sont en lien direct avec le contentieux de la détention.
En l'espèce, M. [P] produit une facture 18/2020 intitulée « procédure pénale », laquelle ne fait effectivement pas état des prestations réalisées. Pour autant, cette facture étant datée du 13 février 2020 et M. [P] [H] ayant été placé en détention provisoire le 6 février 2020, il doit être considéré qu'un lien direct avec le contentieux de la détention est établi.
En conséquence, il sera alloué à M. [P] [H] la somme de 6 000 euros au titre du préjudice matériel, correspondant au frais d'avocat engagés pour le défendre dans le cadre du contentieux de la détention.
3) Sur les autres demandes
L'équité justifie d'accorder à M. [P] [H] la somme de 2 400 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Les dépens seront laissés à la charge du Trésor public
PAR CES MOTIFS,
Nous, Hélène DAVO, première présidente de la cour d'appel de Batia, statuant sur requête, publiquement et contradictoirement,
DECLARONS recevable la requête ;
ALLOUONS à M. [P] [H], à la charge du Trésor public, les sommes de :
28 000 euros au titre du préjudice moral ;
6 000 euros au titre du préjudice matériel ;
2 400 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile
DEBOUTONS les parties de toutes demandes plus amples ou contraires ;
LAISSONS les dépens à la charge du trésor public.
LE GREFFIER, LA PREMIERE PRESIDENTE,
Elorri FORT Hélène DAVO