Chambre civile
Section 2
ARRÊT N°
du 5 JUIN 2024
N° RG 23/451
N° Portalis DBVE-V-
B7H-CGYH JJG-J
Décision déférée à la cour : ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Bastia, décision attaquée du 23 juin 2023, enregistrée sous le n° 22/506
SOCIÉTÉ CIVILE DE MOYENS KINÉ LES TAMARIS
C/
[X]
Copies exécutoires délivrées aux avocats le
COUR D'APPEL DE BASTIA
CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU
CINQ JUIN DEUX-MILLE-VINGT-QUATRE
APPELANTE :
SOCIÉTE CIVILE DE MOYENS KINÉ LES TAMARIS
Société au capital social de 1 000 euros
agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié ès qualités audit siège.
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentée par Me Claude CRETY, avocat au barreau de BASTIA
INTIMÉ :
M. [M] [X]
né le 2 décembre 1945 à [Localité 2] (Gironde)
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représenté par Me Valérie TABOUREAU de l'AARPI TOMASI VACCAREZZA BRONZINI DE CARAFFA TABOUREAU GENUINI LUISI BENARD-BATTESTI, avocate au barreau de BASTIA
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 21 mars 2024, devant Jean-Jacques GILLAND, président de chambre, chargé du rapport, les avocats ne s'y étant pas opposés.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Jean-Jacques GILLAND, président de chambre
Thierry BRUNET, président de chambre
Guillaume DESGENS, conseiller
GREFFIER LORS DES DÉBATS :
Vykhanda CHENG.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 5 juin 2024
ARRÊT :
Contradictoire,
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Jean-Jacques GILLAND, président de chambre, et par Cécile BORCKHOLZ, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DES FAITS
Par conclusions d'incident du 10 janvier 2023, la S.C.M. Kiné les Tamaris a saisi le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Bastia aux fins de :
- nul ne plaidant par procureur, déclarer M. [X] irrecevable à solliciter le coût de la remise en état des locaux donnés à bail par la SCI E3c,
- relever qu'il ne peut réclamer l'application de la clause de non réinstallation puisqu'il n'est plus associé, qu'il en va de même en ce qui concerne la restitution des biens en application de l'article 2224 du code civil,
- l'entendre condamner à lui payer la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ordonnance du 23 juin 2023, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Bastia a :
Déclaré irrecevables les demandes de M. [X] en lien avec l'existence de dégradations ou la clause de non réinstallation.
Rejeté toutes autres demandes.
Invité M. [X] à conclure pour l'audience du 7 septembre 2023.
Dit que les dépens suivront le sort de ceux de l'instance principale.
Par déclaration au greffe du 30 juin 2023, la S.C.M. Kiné les Tamaris a interjeté appel de l'ordonnance prononcée en ce qu'il a rejeté le moyen d'irrecevabilité tiré de la prescription de la demande de M. [M] [X] tendant à obtenir la restitution des biens apportés par lui à la S.D.F. Cabinet médical les Tamaris.
Par conclusions déposées au greffe le 23 octobre 2023, M. [M] [X] a demandé à la cour de :
Vu l'article 31 du code de procédure civile,
Vu l'article 1341-1 du code civil,
Vu l'article 2254 du code civil,
Vu les pièces produites,
Sur l'appel principal :
- Confirmer l'ordonnance du 23 juin 2023 en ce qu'elle a déclaré recevable car non prescrite la demande de M. [M] [X] tendant à obtenir la restitution du matériel et des biens ;
Sur l'appel incident :
- Infirmer l'ordonnance du 23 juin 2023 en ce qu'elle a déclaré irrecevables les demandes de M. [X] liées à la remise en état des locaux données à bail et l'application de la clause de non-réinstallation ;
Et statuant à nouveau :
- Juger recevables les demandes de M. [X] liées à la remise en état des locaux données à bail et l'application de la clause de non-réinstallation ;
- Condamner la SCM Kiné les Tamaris à payer à M. [M] [X] la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner la SCM Kiné les Tamaris aux entiers dépens ;
Sous toutes réserves.
Par conclusions déposées au greffe le 1er décembre 2023, la S.C.M. Kiné les Tamaris a demandé à la cour de :
- Infirmer partiellement l'ordonnance du juge de la mise en état du 23 juin 2023 en ce qu'il
a rejeté le moyen d'irrecevabilité tiré de la prescription de la demande de M. [M] [X] tendant à obtenir la restitution des biens apportés par lui à la SDF Cabinet medical les Tamaris.
- Confirmer l'ordonnance entreprise pour le reste des demandes de M. [M] [X].
Et statuant de nouveau :
- Juger irrecevable la demande de M. [M] [X] tendant à la restitution des biens apportés en 2004 à la SDF, ou à défaut au paiement de leur contre-valeur estimée à la somme de 80 000 euros car prescrite ;
- Rejeter l'intégralité de ses moyens de défense et d'appel incident ;
- Le condamner aux entiers dépens d'instance, ainsi qu'au paiement de la somme de 4 000,00 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Sous toutes réserves.
Par ordonnance du 24 janvier 2024, la procédure a été clôturée et fixée à plaider au 21 mars 2024.
Le 21 mars 2024, la présente procédure a été mise en délibéré pour être rendue par mise à disposition au greffe le 5 juin 2024.
La cour, pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, fait, en application de l'article 455 du code de procédure civile, expressément référence à la décision entreprise ainsi qu'aux dernières conclusions notifiées par les parties.
SUR CE
Pour statuer comme il l'a fait le premier juge a considéré que la demande présentée au titre des réparations locatives était irrecevable en raison du défaut d'intérêt à agir de l'intimé qui n'est pas partie au contrat de bail, qui n'a pas plus d'intérêt par rapport à sa demande relative à la clause de non-installation adoptée dans le cadre de la S.D.F. les Tamaris mais, qu'en revanche, il était bien en droit de réclamer la restitution de meubles confiés à l'appelante, son action n'étant pas prescrite, le litige les concernant ayant commencé en 2020 à la suite du déménagement de cette société.
* Sur la prescription de l'action en revendication du mobilier
M. [M] [X] fait valoir qu'il est toujours resté propriétaire du mobilier mis à
disposition de l'activité de kinésithérapie de la société de fait installée dans les locaux loués par la S.C.I. E3c, que cela ressort clairement du procès-verbal signé le 4 janvier 2006 et qu'il a été informé de l'appropriation de ses biens par l'appelante uniquement le 2 septembre 2020, intentant une action le 25 avril 2022 en deçà du délai de prescription quinquennal de l'article 2224 du code civil. La S.C.M. Kiné les Tamaris fait valoir que l'action de l'intimé est prescrite à défaut d'accord tacite de mise à disposition du mobilier objet du litige et qu'en fait de meuble possession vaut titre, tout en mettant en doutant la véracité du procès-verbal produit en cause d'appel par son adversaire, qui ne serait signé que de lui-même.
Par sa pièce n° 12, M. [M] [X] justifie de la tenue d'une assemblée générale de la société de fait le 4 janvier 2006 à 19 heures 30 -la date initiale du 14 décembre 2005 étant biffée et la nouvelle date indiquée de manière manuscrite accompagnée de la signature du gérant.
Cette pièce est contestée par l'appelante qui s'étonne de ce qu'une seule signature y figure, celle de M. [M] [X] et non celle des autres membres de la société de fait qui n'a pas de personnalité morale.
Or, la S.C.M. Kiné les Tamaris n'était pas membre de la société de fait et n'a pas qualité pour contester au stade la mise en état la véracité d'un document porteur, certes, d'une unique signature, celle du gérant, ce qui est tout à fait habituel dans le cadre d'un procès-verbal d'assemblée générale, ce dernier étant le garant des résolution de l'assemblée, l'appelante confondant ce procès-verbal avec la feuille de présence émargée par les sociétaires.
A ce stade, la cour n'a aucun élément permettant de douter de l'authenticité de ce document qui, en 2005, a défini le statut du mobilier apporté par M. [M] [X] et que ce dernier revendique actuellement.
Dans ce procès-verbal en point «c», il est écrit : «Il est demandé à Monsieur [M] [X] de bien vouloir intégrer le matériel professionnel et le mobilier dans la SDF Les Tamaris en contrepartie du loyer dans la mesure où ce dernier accepte de lier matériel et local, notamment en cas de départ de la SDF Les Tamaris de sa part. Solution acceptée par M. [X]...». M. [M] [X] se fonde sur cette clause pour considérer que les biens meubles lui ont toujours appartenu, qu'il les avait simplement mis à disposition de la société de fait, société qui n'a été dissoute que le 30 décembre 2021 à la suite de la dénonciation, selon le courrier recommandé qu'il a envoyé le 6 décembre 2020 aux autres sociétaires de fait -pièce n° 7 de l'intimé.
En effet, selon les statuts de la société de fait -pièce n° 1 de l'appelante- si la durée de vie de cette société était de un an par tacite reconduction, sa dissolution, selon son article 20, ne pouvait être prononcée que par décision collective en assemblée générale extraordinaire des associés, ce qui n'est nullement justifié ; selon l'article 5 des statuts la reconduction peut être dénoncée aux «parties par lettre recommandée 3 mois avant l'arrivée du terme»,
terme fixé au 30 septembre de chaque année.
Le fait que, dans le cadre d'une assemblée générale tenue le 2 février 2011, il a été indiqué -pièce n° 4 de l'appelante- qu'«il a été décidé à l'unanimité, de créer une SCM,. Les formalités, les conditions générales seront définies lors de la prochaine réunion prévue le 15 février 2011», ne justifie pas de cette dissolution revendiquée et retenue à tort par le premier juge, à défaut de formalisation de ce qui reste une annonce.
La cour tient pour authentique et probant, en l'absence de contradiction valable, ce procès-verbal d'assemblée générale. En conséquence, seuls les membres de la société de fait peuvent contester les résolutions de cette assemblée générale, s'ils sont encore dans les délais, et celles-ci permettent de comprendre que le mobilier de la société de fait a été remis par M. [M] [X] ; ce dernier estimant que cela était à titre de simple mise à disposition contrairement à l'appelante qui qualifie cette remise d'apport.
Ce n'est qu'en septembre 2020, quand il a voulu récupérer le mobilier, que M. [M] [X], quelque soit la qualité invoquée, propriétaire ou associé de fait- s'est vu opposer par l'appelante que ce dernier lui appartenait, lui ayant été transmis à la suite de la société de fait.
Aussi l'action de M. [M] [X] ayant été intentée le 25 avril 2022, la prescription revendiquée n'est pas acquise.
Il convient de confirmer l'ordonnance querellée sur ce point.
* Sur la qualité à agir de M. [M] [X] au titre du paiement des réparations locatives
M. [M] [X] revendique avoir qualité à agir en tant qu'associé majoritaire de la S.C.I. E3c, ayant avec son épouse souscrit le prêt immobilier finançant l'achat des locaux loués, fondant son action sur les dispositions des articles 31 du code de procédure civile et 1341-1 du code civil, ce que conteste la S.C.M. Kiné les Tamaris.
Si tout cela est vrai, il convient de relever que la demande de condamnation à ce titre est présentée au nom de M. [M] [X] et non pas à celui de la S.C.I. E3c qui est pourtant la seule bailleresse et, à ce titre, la seule à pouvoir percevoir une indemnisation au titre des dégradations revendiquées sur le local loué.
Retenir une autre solution, en considérant que M. [M] [X] est propriétaire du bien loué, en sa qualité d'associé majoritaire de la société civile immobilière, revient à nier la personnalité morale et juridique de celle-ci ; la création d'une société civile immobilière, souvent pour des raisons d'optimisation fiscale, a aussi comme contrepartie de créer une séparation entre les patrimoines des différents associés et de la personne morale elle-même qui est seule propriétaire du bien acheté, comme l'illustre d'ailleurs la souscription d'un prêt immobilier au nom de celle-ci -pièce n° 14 de l'appelant incident-,
même si c'est ce dernier qui déclare l'honorer, tout en intégrant ce crédit, sans aucun doute, au passif fiscal de cette société.
Il convient donc de confirmer l'ordonnance entreprise sur ce chef de la demande.
* Sur la clause de non-installation
M. [M] [X] fait valoir l'existence d'une clause de non-installation dans les statuts de la S.D.F. les Tamaris pour réclamer à la S.C.M. Kiné les Tamaris une somme de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de la dite clause. La S.C.M. Kiné les Tamaris fait valoir qu'elle n'est pas tenue par les engagements pris dans le cadre de la société de fait, l'obligation pesant sur les sociétaires de celle-ci n'ayant pu lui être transférée, que M. [M] [X] n'étant plus membre depuis 2011, selon elle, de la société de fait, il ne peut plus agir en invoquant cette clause des statuts d'une société de fait qui n'aurait plus d'existence depuis plus de douze ans.
Il résulte des pièces produites -pièce n° 8 de M. [X]- que, lors de l'assemblée générale de la société de fait les Tamaris du 24 janvier 2007, a été adoptée une résolution 1 en ces termes «Clause de non réinstallation. Il est convenu entre les membres de la SDF Les Tamaris qu'en cas de désaccord de l'un ou plus de ses membres, aucune installation ne pourra se faire à moins d'un kilomètre du cabinet actuel. Bien entendu, tout membre désireux de quitter le cabinet pourra s'installer sur [Localité 4] à condition de respecter cette clause».
M. [M] [X] a, selon le procès-verbal du 3 février 2011, arrêté son activité à cette date, M. [Y] [C] a récupéré ses parts et possédait «désormais une part entière», ce qui sous-entend que M. [X] n'en avait plus et n'était plus sociétaire.
D'ailleurs, dès 2007, selon le compte rendu de l'assemblée générale du 24 janvier 2007, dans son point 4 -pièce n° 8 de l'appelant incident- il était indiqué que «M. [Y] [C] rentre dans la SDF Les Tamaris en remplacement de [M] [X] sur la...», la suite restant inconnue à défaut de sa production par les parties, mais cela est suffisant pour créer un doute quand à la qualité de M. [X].
Ces différents éléments permettent d'affirmer que M. [M] [X] n'était apparemment plus membre de la société de fait à compter du 2011 mais cette société, en application de ses statuts n'a été dissoute qu'en fin 2021, et ce, à l'initiative de M. [M] [X] lui-même, celui-ci estimant même que ladite clause s'appliquait aussi aux anciens sociétaires.
Cette qualité contestée de sociétaire est une question de fond qui doit être tranchée par le juge de la mise en état en application des dispositions de l'article 789 du code de procédure civile. Cependant, M. [M] [X] fait valoir que la clause peut aussi être invoquée par les anciens sociétaires et, à ce titre, le débat porte non plus sur sa qualité à agir en tant que sociétaire ou non, mais sur les conditions d'application de la clause elle-
même tant envers la S.C.M. Kiné les Tamaris qu'au profit d'un sociétaire ou d'un ancien sociétaire, tel que M. [X] se revendique dans ses dernières écritures, ce qui ne peut être assimilé à une fin de non-recevoir au sens de l'article 122 du code de procédure civile.
En conséquence, il convient sur ce point de réformer l'ordonnance entreprise et de déclarer la demande présentée, au titre de la clause de non-réinstallation, recevable.
* Sur les demandes fondées sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile
Il est équitable de laisser à chaque partie la charge de ses frais irrépétibles ; en conséquence, il y a lieu de les débouter de leur demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Il y a lieu dans le même souci d'équité de laisse à chacune des parties la charge de ses propres dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme l'ordonnance entreprise, sauf en ce qu'elle a déclaré irrecevable la demande de M. [M] [X] en lien avec la clause de non-réinstallation,
Statuant à nouveau,
Rejette la fin de non-recevoir relative à la demande portant sur la clause de non-réinstallation,
Y ajoutant,
Laisse à chaque parties la charge de ses propres dépens,
Déboute M. [M] [X] et la S.C.M. Kiné les Tamaris de leurs demandes fondées sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT