La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

17/04/2024 | FRANCE | N°21/00901

France | France, Cour d'appel de Bastia, Chambre civile section 1, 17 avril 2024, 21/00901


Chambre civile

Section 1



ARRET N°



du 17 AVRIL 2024



N° RG 21/00901 - N° Portalis DBVE-V-B7F-CCXQ MAB-J





Décision déférée à la Cour :

Jugement Au fond, origine TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de BASTIA, décision attaquée en date du 18 Novembre 2021, enregistrée sous le n° 20/00608



S.A. ALLIANZ IARD



C/



[L]

CPAM DE LA HAUTE CORSE











Copies exécutoires délivrées aux avocats le





COUR

D'APPEL DE BASTIA



CHAMBRE CIVILE



ARRET DU



DIX-SEPT AVRIL DEUX-MILLE-VINGT-QUATRE





APPELANTE :



S.A. ALLIANZ IARD

prise en son établissement sis [Adresse 4], lui-même pris en la personne de son représentant ...

Chambre civile

Section 1

ARRET N°

du 17 AVRIL 2024

N° RG 21/00901 - N° Portalis DBVE-V-B7F-CCXQ MAB-J

Décision déférée à la Cour :

Jugement Au fond, origine TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de BASTIA, décision attaquée en date du 18 Novembre 2021, enregistrée sous le n° 20/00608

S.A. ALLIANZ IARD

C/

[L]

CPAM DE LA HAUTE CORSE

Copies exécutoires délivrées aux avocats le

COUR D'APPEL DE BASTIA

CHAMBRE CIVILE

ARRET DU

DIX-SEPT AVRIL DEUX-MILLE-VINGT-QUATRE

APPELANTE :

S.A. ALLIANZ IARD

prise en son établissement sis [Adresse 4], lui-même pris en la personne de son représentant légal en exercice y domicilié ès qualités

[Adresse 3]

[Adresse 3]

[Localité 7]

Représentée par Me Christian FINALTERI, avocat au barreau de BASTIA, substitué par Me Lauréva BERNARDI, avocat au barreau de BASTIA, et par Me Jean-michel ROCHAS de la SCP DAYDE - PLANTARD - ROCHAS & VIRY, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

INTIMES :

M. [P] [L]

né le [Date naissance 1] 1972 à [Localité 7]

[Adresse 8]

[Adresse 8]

[Localité 7]

Représenté par Me Laurence GAERTNER DE ROCCA SERRA, avocat au barreau de BASTIA, et par Me Soumahoro-Djeneba SOUMAHORO JOCKMANS, avocat au barreau de BASTIA

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE LA HAUTE CORSE

prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié ès qualités audit siège

[Adresse 6]

[Localité 7]

Défaillante

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 11 décembre 2023, devant Marie-Ange BETTELANI, conseillère, chargée du rapport, les avocats ne s'y étant pas opposés.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Thierry JOUVE, président de chambre

Marie-Ange BETTELANI, conseillère

Emmanuelle ZAMO, conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Graziella TEDESCO

en présence de Mme Manon DAL COMPARE, greffière stagiaire

Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 17 avril 2024

ARRET :

Réputé contradictoire,

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Thierry JOUVE, président de chambre, et par Cécile BORCKHOLZ, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Monsieur [P] [L] a été victime le 2 juin 2017 d'un accident de la circulation, dans lequel était impliqué un véhicule assuré auprès de la Compagnie Allianz Iard.

Par ordonnance du 20 mars 2019, le juge des référés du tribunal de grande instance de Bastia a ordonné une expertise judiciaire, confiée au Docteur [Y], qui a déposé son rapport le 27 juillet 2019.

Suivant actes d'huissier des 22 et 29 juin 2020, Monsieur [P] [L] a assigné devant le tribunal judiciaire de Bastia la Compagnie d'Assurance Allianz Iard et la Caisse Primaire d'Assurance Maladie (C.P.A.M.) de la Haute-Corse aux fins notamment d'obtenir réparation de son préjudice corporel.

Par jugement réputé contradictoire du 18 novembre 2021, le tribunal judiciaire de Bastia a:

- fixé à la somme de 649 215,83 euros le montant du préjudice corporel subi par Monsieur [P] [L] découlant de l'accident du 2 juin 2017,

- fixé à 503 040,31 euros le montant de l'indemnisation revenant à Monsieur [P] [L] en réparation de son préjudice corporel après imputation des débours exposés par la CPAM et de la rente versée par cette dernière selon décompte arrêté au 31 août 2020,

- constaté le paiement des provisions pour un montant total de 7 000 euros,

- condamné la compagnie d'assurance Allianz Iard à payer à Monsieur [P] [L] la somme de 496 040,31 euros,

- dit que l'offre d'indemnisation de la compagnie d'assurance Allianz Iard notifiée par conclusions du 13 janvier 2021 portera intérêts conformément à l'article L211-11 du code des assurances pour la période du 27 décembre 2019 au 13 janvier 2021,

- condamné la compagnie d'assurance Allianz Iard à régler à Monsieur [P] [L] la somme de 3 600 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la compagnie d'assurance Allianz Iard aux entiers dépens de l'instance et de la procédure de référé dont distraction au profit de Maître Laurence Gaertner de Rocca Serra,

- déclaré le présent jugement opposable à la CPAM de Haute-Corse,

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Par déclaration du 31 décembre 2021 enregistrée au greffe, la S.A. Allianz Iard a interjeté appel de ce jugement, en ce qu'il a : fixé à la somme de 649 215,83 euros le montant du préjudice corporel subi par Monsieur [P] [L] découlant de l'accident du 2 juin 2017, fixé à 503 040,31 euros le montant de l'indemnisation revenant à Monsieur [P] [L] en réparation de son préjudice corporel après imputation des débours exposés par la CPAM et de la rente versée par cette dernière selon décompte arrêté au 31 août 2020, condamné la compagnie d'assurance Allianz Iard à payer à Monsieur [P] [L] la somme de 496 040,31 euros, condamné la compagnie d'assurance Allianz Iard à régler à Monsieur [P] [L] la somme de 3 600 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, condamné la compagnie d'assurance Allianz Iard aux entiers dépens de l'instance et de la procédure de référé dont distraction au profit de Maître Laurence Gaertner de Rocca Serra, débouté la Compagnie Allianz Iard de ses demandes plus amples ou contraires (à savoir : déclarer satisfactoire l'offre décrite aux motifs, s'agissant des postes suivants : assistance tierce personne : 13 euros/heure soit une indemnité de 390 euros, pertes de gains professionnels futurs : à titre principal, voir purement et simplement débouter Monsieur [L] de ses prétentions ; uniquement à titre subsidiaire, voir l'indemnisation sollicitée réduite de 50 % eu égard aux éléments exposés, frais divers : 500 euros, pertes de gains professionnels actuels : 4 435,64 euros, déficit fonctionnel temporaire : 1 466,25 euros, préjudice esthétique temporaire : 500 euros,

incidence professionnelle : 10 000 euros, souffrances endurées : 3 600 euros, déficit fonctionnel permanent : 8 190 euros).

Aux termes des dernières écritures de son conseil transmises au greffe en date du 26 mai 2023 auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens de la partie, la S.A. Allianz Iard a sollicité :

- d'infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Bastia en date du 18 novembre 2021 en ce qu'il a fixé à la somme de 649 215,83 euros le montant du préjudice corporel subi par Monsieur [L] suite à l'accident du 2 juin 2017, en ce qu'il a fixé à 503 040,31 euros le montant de l'indemnisation revenant à Monsieur [L] et en ce qu'il a condamné la compagnie Allianz à lui payer la somme de 496 040,31 euros, outre la somme de 3 600 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Et statuant à nouveau,

- de fixer à la somme de 3 188,16 euros la réparation du préjudice de perte de gains professionnels actuels de Monsieur [L], fixer à la somme de 2 150 euros la réparation du préjudice d'agrément de Monsieur [L], de débouter Monsieur [L] de ses demandes relatives à la perte de gains professionnels futurs et à l'incidence professionnelle,

- à titre infiniment subsidiaire, si par impossible et extraordinaire la cour envisageait l'application d'une capitalisation viagère de la rente, sommation sera faite à Monsieur [L] de produire un état financier ainsi que des simulations de retraite caractérisant l'existence du préjudice allégué de perte de droits à la retraite,

- en tout état de cause, de débouter Monsieur [L] de toutes ses demandes, fins et conclusions plus amples et contraires, de juger qu'il n'y a pas lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de Monsieur [L], l'équité ne le commandant pas, de juger que les dépens de la présente instance seront laissés à la charge de Monsieur [L] pour les mêmes raisons.

Aux termes des dernières écritures de son conseil transmises au greffe en date du 24 mai 2023 auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens de la partie, Monsieur [P] [L] a demandé :

- de confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a alloué à Monsieur [P] [L] et porté condamnation de la Compagnie d'Assurance Allianz au règlement : au titre des PGPA : d'une indemnité de 6 158,16 euros sur la base d'un salaire mensuel moyen de 1 395 euros, au titre de préjudice d'agrément : d'une indemnité de 20 000 euros,

- au titre des PGPF et de l'IP, de réformer la décision entreprise, sur le quantum alloué et en ce qu'elle a alloué à Monsieur [P] [L] au titre des PGPF : un capital de 444 302,15 euros, au titre de l'incidence professionnelle : une indemnité de 20 000 euros,

- d'infirmer la décision entreprise en ce qu'elle a rejeté la demande d'anatocisme et d'intérêts moratoires, d'infirmer la décision entreprise en ce qu'elle a jugé que «l'offre d'indemnisation de la Compagnie d'Assurance Allianz notifiée par conclusions le 13 janvier 2021 portera intérêts conformément à l'article L211-11 du code des assurances pour la période du 27 décembre 2019 au 13 janvier 2021»,

- statuant à nouveau, de condamner la Compagnie d'Assurance Allianz à régler à Monsieur [P] [L] les sommes comme suit : au titre des PGPF : au principal de

231 330,65 euros, au subsidiaire de 173 498 euros ; au titre de l'incidence professionnelle : au principal de 30 000 euros, au subsidiaire de 97 832,66 euros, d'ordonner que les sommes dues, telles que fixées judiciairement, porteront, en application de l'article 211-9 du code des assurances, intérêts au double du taux légal, avec capitalisation des intérêts, à compter du 2 février 2018 (délai qui est le plus favorable à Monsieur [P] [L]) et ce jusqu'à la décision devenue définitive, par conséquent, d'ordonner la capitalisation des intérêts et faire droit à la demande d'anatocisme, de débouter la Compagnie Allianz de ses demandes,

- de condamner la Compagnie d'Assurance Allianz à verser à Monsieur [P] [L] la somme de 4 000 euros HT, soit 4 800 euros au titre de l'article 700 du CPC, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance dont distraction au profit de Maitre Laurence Gaertner de Rocca Serra.

La C.P.A.M. de Haute-Corse, intimée défaillante, auprès de laquelle la S.A. Allianz Iard a fait signifier ses déclaration d'appel (signification à personne morale) et conclusions, n'a pas constitué avocat.

La clôture de l'instruction a été ordonnée de manière différée au 1er juin 2023 et l'affaire fixée à l'audience de plaidoirie du 19 juin 2023, où décision a été mise en délibéré par mise à disposition au greffe au 11 octobre 2023.

Selon arrêt avant dire droit du 11 octobre 2023, la cour a :

- ordonné la réouverture des débats,

- enjoint aux parties constituées de rencontrer un médiateur en la personne de Madame [E] [S], demeurant [Adresse 5] (n° tél. [XXXXXXXX02]), pour recevoir une information sur l'objet et le déroulement d'une mesure de médiation,

- dit que le médiateur aura pour mission de convoquer les parties, séparément ou ensemble, afin de les informer sur l'objet et le déroulement de la mesure de médiation,

- dit que l'information des parties sur l'objet et le déroulement de la médiation devra se faire dans un délai maximum de deux mois à compter de la réception de la présente décision,

- dit que l'affaire sera rappelée à l'audience de la chambre sociale du 11 décembre 2023 à 14 heures pour recueillir l'accord des parties sur une éventuelle médiation, la présente décision valant convocation des parties à l'audience,

- dit que copie de la présente décision devra être transmise, pour information, au médiateur que les parties sont enjointes de rencontrer,

- réservé les dépens.

A l'audience du 11 décembre 2023, l'affaire a été appelée et n'a pu être recueilli d'accord concordant des parties pour une médiation. La décision a été mise en délibéré par mise à dispositions au greffe au 17 avril 2024.

MOTIFS

Sur les demandes afférentes à la réparation du préjudice corporel

Concernant les préjudices patrimoniaux temporaires :

- N'est pas développé de moyen de critique du jugement s'agissant de l'appréciation effectuée par le premier juge au titre du poste de dépenses de santé actuelles, retenant une somme de 2 961,33 euros, dont 735 euros restés à la charge de Monsieur [L]. En l'absence de moyen relevé d'office, le jugement n'a donc pas lieu d'être réformé sur ce poste.

- Concernant le poste des frais divers, l'appréciation du tribunal n'est pas remise en cause par les parties s'agissant de ces frais, fixés au total à un quantum de 1 430 euros, de sorte que le jugement n'a pas lieu d'être réformé sur ce point.

- Pour ce qui est de la perte de gains professionnels actuels, sur la période, visée par la demande de Monsieur [L], soit du 10 août 2017 jusqu'à la consolidation, intervenue le 8 mars 2019, le jugement est vainement querellé par la société appelante, en ce qu'il a retenu un revenu mensuel de 1 395 euros, montant qui correspond bien à un montant net, hors incidence fiscale, le tribunal ayant pu, au cas d'espèce, valablement se fonder sur les bulletins de paie de janvier à mai 2017, pour parvenir à ce montant (sans excéder le montant net mensuel revendiqué par Monsieur [L]), n'étant pas obligé de se référer nécessairement, pour son calcul, au montant net, hors incidence fiscale, de décembre 2016 de 1 230 euros, tel qu'affirmé par la société appelante. L'existence d'une perte totale de revenus du 10 août 2017 jusqu'à la consolidation n'étant pas contestée, pas plus que le montant des indemnités servies par la C.P.A.M. (18 951,84 euros) devant être déduites, le jugement sera confirmé en ce qu'il a chiffré, de manière fondée, la somme revenant à Monsieur [L] au titre de la perte de gains professionnels actuels, à 6 158,16 euros (25 110 euros - 18 951,84 euros).

- Concernant les préjudices patrimoniaux permanents :

- Concernant la perte de gains professionnels futurs, il ressort des pièces produites que Monsieur [L], né en 1972, travaillant jusqu'à l'accident comme chauffeur V.L. - manutentionnaire, s'est d'abord vu reconnaître, suivant courrier de la C.P.A.M. du 4 décembre 2019, le statut d'invalide catégorie 2, avec attribution à compter du 1er janvier 2020 d'une pension d'invalidité temporaire, puis a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement fin mars 2020, la médecine du travail ayant fait état d'une 'inaptitude définitive à son poste de travail'. Comme cela est admis en cette matière, la victime n'étant pas tenue de minimiser son préjudice au profit de la personne tenue à indemnisation, le moyen développé par l'assureur s'agissant de la réparation des pertes de gains professionnels futurs, relatif au refus par Monsieur [L] du poste de reclassement offert par son employeur avant son licenciement, est inopérant.

Il ressort des pièces produites que Monsieur [L], bénéficiaire d'une R.Q.T.H. courant du 1er avril 2020 au 31 mars 2025, a pu reprendre une activité professionnelle, en qualité d'attaché de direction à temps partiel, dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 25 avril 2022, avec un revenu mensuel net, hors incidence fiscale, de 711 euros. Il n'est pas contestable, au regard des éléments soumis à l'appréciation de la cour, que l'état de santé de Monsieur [L] ne lui interdit pas d'exercer toute activité professionnelle à l'avenir, mais seulement de façon restreinte, étant observé, en outre, que le taux de déficit fonctionnel permanent est de 7 %. Dans le même temps, il ne peut être reproché au tribunal d'avoir estimé que le préjudice économique subi par Monsieur [L] était en lien avec l'accident du 2 juin 2017, sans imputabilité à un état antérieur venant réduire le droit à indemnisation. Dans ces conditions, la réalité de la perte de gains professionnels futurs ne peut être contestée en son principe, et la société appelante ne peut soutenir que seule une perte de chance doit être indemnisée.

En revanche, le jugement est critiqué de manière partiellement opérante, en ce qu'il a, en premier lieu, statué ultra petita en excédant le quantum sollicité par Monsieur [L] au titre de la P.G.P.F., et, en second lieu, s'est fondé sur des modalités de calcul, pour partie erronées.

En effet, si le jugement est vainement querellé par la société appelante, en ce qu'il a retenu un revenu mensuel de 1 395 euros, montant qui correspond bien à un montant net, hors incidence fiscale, le tribunal ayant pu ici valablement se fonder sur les bulletins de paie de janvier à mai 2017, pour parvenir à ce montant (sans excéder le montant net mensuel revendiqué par Monsieur [L]), en revanche, il ne pouvait, tout en constatant que Monsieur [L], compte tenu de son âge et de son état de santé n'était pas inapte à tout emploi et pouvait trouver une situation professionnelle adaptée à ses séquelles, effectuer un calcul sur une P.G.P.F. correspondant en réalité à une perte de gains totale et définitive, sans, en outre, mettre en évidence l'existence d'une incidence sur les droits à la retraite de l'intéressé.

Comme soutenu de manière fondée par la société appelante, un calcul sur un euro de rente viager n'est pas adapté, dans la mesure où les éléments produits par Monsieur [L] ne permettent pas à la cour de conclure à l'existence d'une différence entre la retraite qu'aurait perçu cette victime si le dommage ne s'était pas réalisé et la retraite qu'elle percevra réellement. Il n'est pas effectivement mis en lumière de perte de droits à la retraite, soit inhérente à la mise en invalidité de la victime, ayant depuis repris une activité à temps partiel, ni inhérente à la modification de l'activité professionnelle, à même de justifier d'un calcul avec un euro de rente viager. Un calcul fondé sur la règle dite du quart n'est pas davantage justifié.

La perte de gains professionnels futurs de la date de consolidation, jusqu'au jour de la décision doit ainsi être évaluée par la cour, comme suit :

-16 740 euros (1 395 euros x 12) par an de la consolidation jusqu'au 24 avril 2022, soit 52 312,50 euros,

-8 208 euros (1 395 - 711 euros x 12) par an du 25 avril 2022 jusqu'à la date de l'arrêt, soit 16 251,84 euros,

soit un total de 68 564,34 euros.

Pour la période postérieure à la décision, au regard des données du litige, de l'âge de Monsieur [L] (51 ans au jour de la décision), du retour à l'emploi, dans le cadre précité,

la perte de gains professionnels futurs doit être évaluée à 8 208 euros par an, jusqu'à une retraite à l'âge de 62 ans (âge de retraite non remis en cause par Monsieur [L] dans ses écritures), soit 8 208 euros x 10,632 [suivant le barème de capitalisation 2022 0 % de la Gazette du Palais, que la cour applique au présent litige], ce qui correspond à une somme de 87 267,46 euros.

La perte de gains professionnels futurs s'élève donc au total à 155 831,80 euros. De cette somme, doit être déduite la pension d'invalidité versée par la C.P.A.M. (même si celle-ci n'exerce pas son recours, comme c'est le cas en l'espèce), pour un montant de 124 997,35 euros.

Par suite, la perte de gains professionnels futurs revenant à la victime s'élève à un montant de 30 834,45 euros, Monsieur [L] étant débouté du surplus de sa demande à titre principal, ou subsidiaire sur ce point, non fondé. Le jugement entrepris, qui a conclu à tort à une somme de 444 302,15 euros devant revenir à Monsieur [L] au titre de la P.G.P.F., sera réformé à cet égard.

- Concernant l'incidence professionnelle, poste de préjudice recouvrant l'ensemble des conséquences dommageables ayant trait à la sphère professionnelle de Monsieur [L], mais qui se distinguent de la perte de gains professionnels futurs, les pièces soumises à l'appréciation de la cour (notamment les conclusions du rapport d'expertise judiciaire) permettent de conclure, non à une dévalorisation sociale au titre d'une exclusion définitive du marché du travail, ou au titre d'une errance sociale, tel qu'allégué par Monsieur [L] (sans en justifier), mais à l'existence d'une dévalorisation sur le marché du travail. Parallèlement, une perte de droits à la retraite, comme invoquée à titre subsidiaire par Monsieur [L], n'est pas mise en lumière, dans la mesure où les éléments produits par celui-ci ne permettent pas à la cour de conclure à l'existence d'une différence entre la retraite qu'aurait perçu cette victime si le dommage ne s'était pas réalisé et la retraite qu'elle percevra réellement. Dès lors, à rebours de ce qu'énonce la société appelante, la cour considère qu'une incidence professionnelle au titre d'une dévalorisation sur le marché du travail peut être retenue, chiffrée à hauteur de 20 000 euros, le jugement entrepris étant confirmé sur ce point.

Concernant les préjudices extra-patrimoniaux temporaires :

- Concernant le déficit fonctionnel temporaire, les dispositions du jugement (ayant fixé celui-ci à une somme de 2 415 euros) ne sont pas critiquées par Monsieur [L], ni par la société appelante. Le jugement n'a pas lieu d'être réformé sur ce poste.

- Pour ce qui est des souffrances endurées, les dispositions du jugement (ayant évalué ce poste à une somme de 6 000 euros) ne sont pas critiquées par Monsieur [L], ni par la société appelante. Le jugement n'a pas lieu d'être réformé sur ce point.

- S'agissant du préjudice esthétique temporaire, le jugement n'est pas remis en cause en qu'il a retenu au titre d'un taux de 2/7, une réparation à hauteur de 1 000 euros, de sorte qu'il n'a pas lieu d'être réformé sur ce poste.

Concernant les préjudices extra-patrimoniaux permanents :

- Au vu des éléments du débat, notamment des conclusions du rapport d'expertise judiciaire, avec le déficit fonctionnel permanent évalué à 7 %, évaluation qui sera retenue, une somme de 12 600 euros doit être considérée comme opérant une juste réparation, ce qui n'est pas contesté par les parties, le jugement n'ayant ainsi pas lieu d'être réformé à cet égard.

- S'agissant du préjudice d'agrément, visant à réparer l'impossibilité pour la victime de continuer à pratiquer régulièrement une activité spécifique, sportive ou de loisirs, mais également la limitation de la pratique antérieure de telle activité, le jugement est querellé par la société appelante en ce qu'il a alloué une somme de 20 000 euros à ce titre, en lien avec un abandon d'une activité sportive de handball. S'il est exact que les éléments du débat ne permettent pas de retenir l'abandon de toute activité en lien avec le handball, par Monsieur [L], dans le cadre de fonctions de dirigeant, ou d'entraîneur, en revanche, l'exercice d'une activité de joueur, telle qu'effectuée avant son accident, n'est plus possible.

Dans ces conditions, un préjudice d'agrément est existant, qui sera chiffré par la cour, à hauteur de 5 000 euros, et non de 2 150 euros comme proposé par la société appelante alors que cette somme est insuffisante à assurer une réparation intégrale du préjudice subi. Le jugement entrepris, qui a conclu à tort à une somme de 20 000 euros devant revenir à Monsieur [L] au titre du préjudice d'agrément, sera réformé à cet égard et Monsieur [L] débouté du surplus de sa demande sur ce point, non justifié.

- Pour ce qui est du préjudice esthétique permanent, évalué dans les conclusions de l'expert judiciaire à 1/7 (modéré), le premier juge a fait une exacte appréciation des données de l'espèce, en constatant que ce poste de préjudice était établi et en évaluant celui-ci à une somme de 1 000 euros, quantum non contesté par les parties, le jugement n'ayant ainsi pas lieu d'être réformé sur ce point.

Au regard de tout ce qui précède, le total des postes de préjudice corporel, subi par Monsieur [L], lié à l'accident du 2 juin 2017 (hors imputation et hors déduction des provisions versées) s'élève à un montant de 233 078,13 euros, le jugement entrepris étant infirmé sur ce point s'agissant du quantum retenu.

Sur cette somme totale, après déduction des prestations et arrérages C.P.A.M., une somme totale de 86 902,61 euros revient à Monsieur [L], le jugement entrepris étant infirmé sur ce point s'agissant du quantum retenu.

Dès lors, après déduction des provisions déjà versées (soit 7 000 euros), la S.A. Allianz Iard sera condamnée à verser à Monsieur [L] une somme de 79 902,61 euros au titre de la réparation de préjudice corporel subi par celui-ci, le jugement entrepris étant infirmé sur ce point s'agissant du quantum retenu.

Les demandes en sens contraire à ces égards seront rejetées.

Concernant les intérêts, le jugement est querellé par Monsieur [L], en ce qu'il a dit que l'offre d'indemnisation de la compagnie d'assurance Allianz Iard notifiée par conclusions

du 13 janvier 2021 portera intérêts conformément à l'article L211-11 du code des assurances pour la période du 27 décembre 2019 au 13 janvier 2021.

Il sera utilement rappelé qu'aux termes de l'article L211-9 du code des assurances, une offre d'indemnité, comprenant tous les éléments indemnisables du préjudice, doit être faite à la victime qui a subi une atteinte à sa personne dans le délai maximal de 8 mois à compter de l'accident. Cette offre peut avoir un caractère provisionnel lorsque l'assureur n'a pas, dans les trois mois de l'accident comme en l'espèce, été informé de la consolidation de l'état de la victime. L'offre définitive doit alors être faite dans un délai de 5 mois suivant la date à laquelle l'assureur a été informé de cette consolidation. En tout état de cause, le délai le plus favorable à la victime s'applique.

À défaut d'offre dans les délais impartis par l'article L211-9 du code des assurances, le montant de l'indemnité offerte par l'assureur ou allouée par le juge, produit, en vertu de l'article L211-13 du même code, des intérêts de plein droit au double du taux de l'intérêt légal à compter de l'expiration du délai et jusqu'au jour de l'offre ou du jugement devenu définitif. Le juge dispose da la faculté, et non de l'obligation, de réduire cette pénalité, mais non de la supprimer, si l'assureur démontre qu'il n'a pu faire une offre en raison de circonstances qui ne lui sont pas imputables.

Or, la S.A. Allianz Iard ne justifie pas d'une offre provisionnelle, ni d'une offre définitive dans les délais requis par l'article L211-9 précité, conforme aux exigences textuelles, c'est à dire complète et non manifestement insuffisante, étant rappelé que le versement de provision ne dispense pas l'assureur de faire une offre.

Les différentes offres entre le 9 octobre 2017 et le 17 août 2018, évoquées par la société appelante, ne constituent aucunement ni des offres provisionnelles complètes, ni des offres provisionnelles manifestement suffisantes.

L'offre évoquée par la S.A. Allianz Iard, datée du 13 janvier 2021, par voie de conclusions, à hauteur de 35 846,89 euros (hors provision versée) n'est, en outre, ni complète, ni manifestement suffisante (y compris au regard des éléments d'expertise, dont l'assureur disposait alors), ce qui équivaut à une absence d'offre.

Dans le même temps, l'assureur ne démontre pas de l'existence de circonstances qui ne lui soient pas imputables, justifiant de prévoir une réduction (et non une suppression) de cette pénalité, les termes de la convention IRCA (et ses conséquences sur la titularité initiale du mandat) ne constituant pas une telle circonstance.

Par suite, il y a lieu de prévoir, après infirmation du jugement sur ce point, que la pénalité du doublement des intérêts :

- s'applique à compter de l'expiration du délai imparti à l'assureur pour faire une offre, soit en l'espèce le 2 février 2018, délai le plus favorable à la victime (sans que le fait qu'elle n'ait pas été consolidée à cette date soit un obstacle), jusqu'au jour où la décision judiciaire est devenue définitive,

- et a pour assiette le montant de l'indemnité allouée par le juge avant déduction de créances des tiers payeurs et déduction des provisions versées, soit 233 078,13 euros.

Le jugement entrepris est, de plus, utilement critiqué en ce qu'il a rejeté la demande de capitalisation des intérêts.

En effet, il est désormais admis que L211-13 du code des assurances ne déroge pas aux dispositions d'ordre public de l'article 1343-2 du code civil, qui s'appliquent de manière générale aux intérêts moratoires.

Il sera donc dit que les intérêts seront capitalisés dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil.

Les demandes en sens contraire à ces égards seront rejetées.

L'arrêt sera dit opposable à la C.P.A.M. de la Haute-Corse.

N'est pas développé, par la S.A. Allianz Iard, de moyen de critique du jugement à même de justifier d'une infirmation en ses dispositions afférentes aux dépens de première instance. En l'absence de moyen relevé d'office, le jugement entrepris ne pourra qu'être confirmé à cet égard.

La S.A. Allianz Iard, succombant principalement, sera condamnée aux dépens d'appel. Maître Laurence Gaertner de Rocca Serra sera autorisée, sur le fondement de l'article 699 du code de procédure civile, à recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont elle a fait l'avance sans en recevoir provision.

Le jugement entrepris, vainement querellé sur ce point, sera confirmé en ses dispositions querellées au titre des frais irrépétibles de première instance.

L'équité commande de prévoir en sus la condamnation de la S.A. Allianz Iard à verser à Monsieur [L] une somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d'appel

Les parties seront déboutées de leurs demandes plus amples ou contraires à ces égards.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire, mis à disposition au greffe le 17 avril 2024,

CONFIRME le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Bastia le 18 novembre 2021, tel que déféré à la cour, sauf :

- s'agissant du montant total du préjudice subi par Monsieur [L] découlant de l'accident du 2 juin 2017, ainsi que du montant de l'indemnisation revenant à Monsieur [L] en réparation de son préjudice corporel, en l'état d'une réformation sur le quantum des postes de perte de gains professionnels futurs, du préjudice d'agrément,

- s'agissant du montant de la condamnation de la S.A. Allianz Iard à l'égard de Monsieur [L] au titre du préjudice corporel subi,

- en ce qu'il a dit que l'offre d'indemnisation de la compagnie d'assurance Allianz Iard notifiée par conclusions du 13 janvier 2021 portera intérêts conformément à l'article L211-11 du code des assurances pour la période du 27 décembre 2019 au 13 janvier 2021,

- en ce qu'il a débouté Monsieur [L] de sa demande de capitalisation des intérêts,

Et statuant à nouveau des dispositions infirmées et y ajoutant,

FIXE, comme suit, les sommes revenant à Monsieur [P] [L] :

- 30 834,45 euros au titre du poste perte de gains professionnels futurs,

- 5 000 euros au titre d'un préjudice d'agrément,

FIXE à la somme totale de 233 078,13 euros le montant du préjudice corporel, subi par Monsieur [P] [L], lié à l'accident du 2 juin 2017 (hors imputation et hors déduction des provisions versées),

FIXE à la somme totale de 86 902,61 euros le montant de l'indemnisation revenant à Monsieur [P] [L], en réparation de son préjudice corporel, lié à l'accident du 2 juin 2017,

CONDAMNE la S.A. Allianz Iard, prise en la personne de son représentant légal, à verser à Monsieur [P] [L], au titre de la réparation de préjudice corporel subi par celui-ci, une somme de 79 902,61 euros, après déduction des provisions déjà versées (soit 7 000 euros),

DIT que sera appliqué, en vertu de l'article L211-13 du code des assurances, le doublement des intérêts au taux légal, sur la période du 2 février 2018 jusqu'au jour où la décision judiciaire est devenue définitive, sur la somme de 233 078,13 euros,

DIT que les intérêts seront capitalisés dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil,

DIT l'arrêt opposable à la C.P.A.M. de la Haute-Corse,

CONDAMNE la S.A. Allianz Iard, prise en la personne de son représentant légal, à verser à Monsieur [P] [L] une somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d'appel,

CONDAMNE la S.A. Allianz Iard, prise en la personne de son représentant légal, aux dépens de l'instance d'appel, et DIT que Maître Laurence Gaertner de Rocca Serra sera autorisée, sur le fondement de l'article 699 du code de procédure civile, à recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont elle a fait l'avance sans en recevoir provision,

DEBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

LA GREFFIÈRE

LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bastia
Formation : Chambre civile section 1
Numéro d'arrêt : 21/00901
Date de la décision : 17/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 23/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-17;21.00901 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award