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08/06/2022 | FRANCE | N°21/00112

France | France, Cour d'appel de Bastia, Chambre sociale, 08 juin 2022, 21/00112


ARRET N°

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08 Juin 2022

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N° RG 21/00112 - N° Portalis DBVE-V-B7F-CBCI

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S.A.S. [W] FILS

C/

[G] [T]





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Décision déférée à la Cour du :



07 avril 2021

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BASTIA

21/00018

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COUR D'APPEL DE BASTIA



CHAMBRE SOCIALE



ARRET DU : HUIT JUIN DEUX MILLE VINGT DEUX





APPELANTE :



S.A.S. [W] FILS prise en la personne de son Président en exercice, M. [P] [W]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Aimée MAMBERTI, avocat au barreau de BASTIA





INTIME :



Monsieur [G] ...

ARRET N°

-----------------------

08 Juin 2022

-----------------------

N° RG 21/00112 - N° Portalis DBVE-V-B7F-CBCI

---------------------

S.A.S. [W] FILS

C/

[G] [T]

----------------------

Décision déférée à la Cour du :

07 avril 2021

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BASTIA

21/00018

------------------

COUR D'APPEL DE BASTIA

CHAMBRE SOCIALE

ARRET DU : HUIT JUIN DEUX MILLE VINGT DEUX

APPELANTE :

S.A.S. [W] FILS prise en la personne de son Président en exercice, M. [P] [W]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Aimée MAMBERTI, avocat au barreau de BASTIA

INTIME :

Monsieur [G] [T]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représenté par Me Martine CAPOROSSI POLETTI, avocat au barreau de BASTIA

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 08 mars 2022 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame BETTELANI, Vice-présidente placée auprès Monsieur le premier président, chargée du rapport,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Monsieur JOUVE, Président de chambre,

Madame COLIN, Conseillère

Madame BETTELANI, Vice-présidente placée auprès Monsieur le premier président

GREFFIER :

Madame CARDONA, Greffière lors des débats.

Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aura lieu par mise à disposition au greffe le 01 juin 2022 et a fait l'objet d'une prorogation au 08 juin 2022

ARRET

- CONTRADICTOIRE

- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe

- Signé par Madame BETTELANI, vice-présidente placée auprès M. Le premier président, pour Monsieur JOUVE, Président de chambre empêché et par Madame CARDONA, Greffière présente lors de la mise à disposition de la décision.

***

EXPOSE DU LITIGE

Monsieur [G] [T] a été lié à la S.A.S. [W] Fils, dans le cadre d'une relation de travail à effet du 2 janvier 2003, en qualité d'attaché commercial.

Les rapports entre les parties étaient soumis à la convention collective nationale des entreprises de la maintenance, distribution et location de matériels agricoles, de travaux publics, de bâtiment, de manutention, de motoculture de plaisance et activités connexes.

Suite à convocation du 6 juin 2019 à un entretien préalable au licenciement fixé le 17 juin 2019, Monsieur [T] s'est vu notifier son licenciement pour faute grave par lettre recommandée avec avis de réception adressée le 3 juillet 2019.

Monsieur [G] [T] a saisi au fond le conseil de prud'hommes de Bastia, par requête reçue le 31 juillet 2019, de diverses demandes.

Selon jugement du 7 avril 2021, le conseil de prud'hommes de Bastia a :

-dit le licenciement de Monsieur [T] [G] sans cause réelle et sérieuse,

-condamné la SAS [W] Fils à verser à Monsieur [T] [G] les sommes suivantes :

*100 euros à titre d'indemnité pour atteinte à la vie privée,

*15.841,29 euros brut à titre d'indemnité pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

*30.211,11 euros brut à titre d'indemnité de licenciement,

*10.560,86 euros à titre d'indemnité de préavis,

-débouté Monsieur [T] [G] de sa demande d'indemnité à titre de perte de chance de percevoir une retraite complémentaire,

-débouté Monsieur [T] [G] de sa demande d'indemnité pour l'absence et pour la perte de formation professionnelle,

-débouté Monsieur [T] [G] de sa demande pour harcèlement moral,

-débouté Monsieur [T] [G] de sa demande de remise des fiches de paie conformes sous astreinte,

-dit ne pas faire application de l'article 700 du code de procédure civile aux deux parties,

-dit n'y avoir lieu au prononcé de l'exécution provisoire,

-dit que chaque partie conservera la charge de ses propres dépens.

Par déclaration du 20 mai 2021 enregistrée au greffe, la S.A.S. [W] Fils a interjeté appel de ce jugement en ce qu'il a : dit le licenciement de Monsieur [T] [G] sans cause réelle et sérieuse, condamné la SAS [W] Fils à verser à Monsieur [T] [G] les sommes suivantes : 100 euros à titre d'indemnité pour atteinte à la vie privée, 15.841,29 euros brut à titre d'indemnité pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, 30.211,11 euros brut à titre d'indemnité de licenciement, 10.560,86 euros à titre d'indemnité de préavis, et en ce qu'il a débouté la S.A.S. [W] Fils de sa demande de condamnation de Monsieur [T] au paiement de la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du CPC, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

Aux termes des dernières écritures de son conseil transmises au greffe en date du 19 août 2021 auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens de la partie, la S.A.S. [W] Fils a sollicité :

-d'infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Bastia le 7 avril 2021 en ce qu'il a : dit le licenciement de Monsieur [T] [G] sans cause réelle et sérieuse, condamné la SAS [W] Fils à verser à Monsieur [T] [G] les sommes suivantes : 100 euros à titre d'indemnité pour atteinte à la vie privée, 15.841,29 euros brut à titre d'indemnité pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, 30.211,11 euros brut à titre d'indemnité de licenciement, 10.560,86 euros à titre d'indemnité de préavis, et en ce qu'il a débouté la S.A.S. [W] Fils de sa demande de condamnation de Monsieur [T] au paiement de la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du CPC, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

En conséquence, statuant a nouveau :

-de débouter Monsieur [T] de ses demandes tendant à la reconnaissance du caractère réel et sérieux du licenciement, et à l'atteinte de sa vie privée, ainsi que de ses demandes indemnitaires subséquentes,

-y ajoutant de condamner Monsieur [T] au paiement de la somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du CPC, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Aux termes des dernières écritures de son conseil transmises au greffe en date du 8 septembre 2021, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens de la partie, Monsieur [T] a demandé :

-de débouter la S.A.S. [W] Fils de son appel,

-de rejeter l'intégralité de ses demandes, de juger que le licenciement de Monsieur [G] [T] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

-de confirmer le jugement du conseil de prud'hommes du 7 février 2021 en ce qu'il a condamné la S.A.S. [W] Fils à régler à Monsieur [G] [T], au titre de l'indemnité de préavis la somme de 10.560,86 euros, au titre de l'indemnité de licenciement la somme de 30.211,11 euros,

-de réformer le jugement du conseil de prud'hommes du 7 février 2021 en ce qu'il a alloué à Monsieur [G] [T] à titre de dommages-intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse une somme de 15.841,29 euros, et condamner la S.A.S. [W] Fils à régler, à ce titre, à Monsieur [G] [T], la somme de 92.488,76 euros,

-de réformer le jugement du conseil de prud'hommes du 7 février 2021 en ce qu'il a alloué à Monsieur [G] [T] une somme de 100 euros à titre de dommages-intérêts pour atteinte à la vie privée et condamner la S.A.S. [W] Fils à régler, à ce titre, à Monsieur [G] [T] une somme de 10.000 euros,

-de réformer le jugement du conseil de prud'hommes du 7 février 2021 en ce qu'il a débouté Monsieur [G] [T] de la demande présentée au titre du harcèlement moral, et condamner la S.A.S. [W] Fils à régler à Monsieur [G] [T], à ce titre, la somme de 39.626,04 euros,

-de réformer le jugement du conseil de prud'hommes du 7 février 2021 en ce qu'il a débouté Monsieur [G] [T] de la demande présentée au titre de la perte de chance de percevoir une retraite complémentaire, et condamner la S.A.S. [W] Fils à régler à Monsieur [G] [T] à ce titre, la somme de 26.425,36 euros,

-de réformer le jugement du conseil de prud'hommes du 7 février 2021 en ce qu'il a débouté Monsieur [G] [T] de la demande présentée au titre de l'absence et de la perte de formation professionnelle, et condamner la S.A.S. [W] Fils à régler à Monsieur [G] [T], à ce titre, la somme de 6.606,34 euros,

-de réformer le jugement du Conseil de Prud'hommes du 7 février 2021 en ce qu'il a débouté Monsieur [G] [T] de la demande présentée au titre de la remise de fiches de paie conformes à l'article R 3243-1 du Code du travail, et condamner la S.A.S. [W] Fils, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, à la remise desdites fiches de paie,

-de condamner la S.A.S. [W] Fils à régler à Monsieur [G] [T] une indemnité de

5.000 euros, condamner la S.A.S. [W] Fils aux entiers dépens.

La clôture de l'instruction a été ordonnée le 7 décembre 2021, et l'affaire fixée à l'audience de plaidoirie du 8 mars 2022, où la décision a été mise en délibéré par mise à disposition au greffe au 1er juin 2022, prorogé au 8 juin 2022.

MOTIFS

La S.A.S. [W] Fils critique en premier lieu le jugement en ce qu'il l'a condamnée à verser à Monsieur [T] une somme de 100 euros à titre d'indemnité pour atteinte à la vie privée, tandis que Monsieur [T] forme un appel incident relatif au quantum indemnitaire fixé par le conseil de prud'hommes.

Force est de constater que l'appelante principale ne démontre pas du bien fondé de sa demande d'infirmation du jugement. En effet, contrairement au déroulé des faits allégués dans ses écritures d'appel, la lettre de licenciement fait clairement état de ce que 'Le 29 mai 2019, lors de l'ouverture de cet ordinateur portable en vue de le remettre au nouveau commercial nous avons constaté la présence de fichiers 'personnels' que nous avons ouverts afin de décider s'ils devaient ou non être supprimés.'. S'agissant de fichiers personnels (ce que l'employeur reconnaît lui-même) d'un salarié, qui ne pouvaient être que ceux de Monsieur [T], détenteur de l'ordinateur portable professionnel avant sa restitution à l'entreprise (restitution ne pouvant être considérée comme valant consentement implicite du salarié à toute sorte de contrôle par l'employeur, y compris de fichiers personnels), l'employeur ne pouvait procéder à leur ouverture sans avoir dûment appelé Monsieur [T] le 29 mai 2019, étant observé que la S.A.S. [W] Fils ne justifie aucunement d'un risque ou événement particulier permettant à l'employeur, le 29 mai 2019, comme il l'a fait, d'ouvrir ces fichiers personnels hors la présence du salarié, non dument appelé ; dans le même temps, il n'est pas mis en évidence par l'employeur qu'au moment de l'ouverture des fichiers personnels le 29 mai 2019, hors présence du salarié, non appelé, le contrôle était justifié et proportionné au but recherché au sens des dispositions de l'article L1121-1 du code du travail.

Dès lors, il ne peut être reproché aux premiers juges d'avoir conclu à une atteinte de la vie privée du salarié. Monsieur [T] ne démontrant pas d'un préjudice, causé par cette atteinte à la vie privée, supérieur à celui exactement retenu par les premiers juges à hauteur de 100 euros, le jugement entrepris sera confirmé en ses dispositions querellées et les demandes en sens contraire des parties rejetées.

S'agissant des demandes afférentes au harcèlement moral, il sera utilement rappelé qu'en vertu de l'article L1152-1 du code du travail, le harcèlement moral est constitué d'agissements répétés ayant pour objet ou pour effet de dégrader les conditions de travail du salarié susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Suivant l'article L1154-1 du code du travail dans sa version applicable à compter du 10 août 2016, lorsque survient un litige relatif à l'application de l'article L1152-1 du code du travail, le salarié présente des éléments de fait, pris dans leur ensemble, laissant supposer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Monsieur [T] sollicite la réformation du jugement en son chef relatif au débouté de sa demande au titre d'un harcèlement moral.

Il se prévaut, pour ce faire, de diverses pièces (des statistiques globales afférentes aux chiffres d'affaires 2016-2019 ; un projet de document contractuel ; des bulletins de paie ; un tableau d'amortissement d'un emprunt ; des attestations de Messieurs [I] et [S] ; des pièces médicales, dont le certificat médical du Docteur [Z] du 25 avril 2019 ; des arrêts de travail à compter du 21 février 2019 et une notification de la C.P.A.M. du 29 mai 2019 de refus de prise en charge au titre d'une maladie non prévue par les tableaux de maladies professionnelles ; un courrier de Contrôle médical service du 7 juin 2019 adressé à Monsieur [T] relatif à une contre-visite médicale à l'initiative de l'employeur ; des documents de fin mars-début avril 2019 afférent à la publication d'offre d'emploi de la S.A.S. [W] Fils). Parmi celles-ci, les deux attestations de Monsieur [I] et l'attestation de [S] (dont le fait que certaines d'entre elles ne répondent pas intégralement au formalisme exigé par l'article 202 du code de procédure civile n'empêche pas toutefois qu'en soit apprécié le contenu) ne peuvent être prises en compte par la cour, qui apprécie souverainement la valeur et la portée des éléments qui lui sont soumis, faute de certitude sur l'impartialité de ces attestants, l'un ayant quitté l'entreprise S.A.S. [W] Fils avant de rejoindre celle créée par Monsieur [T] après son licenciement, tandis que l'autre, au vu des termes mêmes de son attestation se plaignant d'un 'comportement indigne' de l'employeur à son égard, ne peut être considéré comme pleinement impartial.

Pris dans leur globalité, ces éléments transmis (hors ceux précités, non pris en compte par la cour) sont insuffisants pour retenir un exercice irrégulier par l'employeur de ses pouvoirs (tel celui de proposition d'une modification contractuelle) ainsi que de ses obligations propres à l'égard de Monsieur [T], tandis qu'une imposition par l'employeur d'une modification de son contrat, puis des brimades de l'employeur, humiliations, surveillance constante, discrédit devant ses collègues et clients -courant février 2019 suite à un refus réitéré d'une telle modification par Monsieur [T], ou le fait que l'employeur cherchait dès mars 2019 à le remplacer (les documents afférents à la publication d'offre d'emploi ne permettant pas de déterminer s'il s'agit du poste de Monsieur [T]), ne ressortent pas des éléments objectifs dont se prévaut Monsieur [T] à l'appui de sa demande au titre du harcèlement moral.

Il convient donc de constater, à l'examen des pièces dont se prévaut Monsieur [T], que celui-ci n'établit pas la matérialité de faits permettant, pris dans leur ensemble, de supposer l'existence d'un harcèlement moral, étant rappelé qu'un harcèlement moral implique l'existence d'agissements répétés et non d'un fait unique, sauf s'il était relié à une discrimination prohibée, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

Consécutivement, il y a lieu de confirmer le jugement en son chef querellé à cet égard et de rejeter les demandes en sens contraire.

Concernant le licenciement, l'article L1232-1 du code du travail subordonne la légitimité du licenciement à une cause réelle et sérieuse. En application de l'article L1235-1 du code du travail, lorsqu'il est saisi du bien fondé d'une mesure de licenciement, le juge se détermine au vu des éléments qui lui sont fournis par les parties, le doute devant profiter au salarié. Il est néanmoins admis qu'il appartient à l'employeur d'établir de façon certaine la réalité des faits et de fournir au juge des éléments permettant de caractériser leur caractère suffisamment sérieux pour légitimer le licenciement.

Il convient donc, en premier lieu, d'apprécier la réalité des faits énoncés par la lettre de licenciement, précisée le cas échéant par l'employeur, fixant de manière irrévocable les limites du litige, puis le sérieux du motif invoqué. Ce n'est que dans un second temps, lorsque la légitimité du licenciement est tenue pour acquise que l'employeur peut chercher à s'exonérer des indemnités de rupture en invoquant la faute grave du salarié, étant précisé que la charge de la preuve de la gravité de la faute incombe exclusivement à l'employeur. La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations du contrat de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise même pendant la durée du préavis.

La lettre de licenciement, datée du 3 juillet 2019, ne sera pas reprise in extenso dans le présent arrêt, compte tenu de sa longueur.

Aux termes de cette lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige (faute d'avoir fait usage de la possibilité d'en préciser les motifs en application de l'article R1232-13 du code du travail), la S.A.S. [W] Fils, qui se place sur le terrain disciplinaire, reproche à Monsieur [T] une violation de son obligation de loyauté, au travers de deux documents rédigés par Monsieur [T] figurant dans des fichiers personnels contenus sur l'ordinateur portable professionnel confié à Monsieur [T] avant sa restitution, ouverts le 29 mai 2019 par l'employeur, documents dans lesquels est affichée une intention de détournement de la clientèle existante, et d'où ressort le fait que Monsieur [T] a procédé à des manoeuvres de débauchage du personnel de la S.A.S. [W] Fils, notamment Monsieur [K].

Il convient de rappeler à titre préalable qu'il est constant qu'au moment des faits reprochés Monsieur [T] était en arrêt de travail, générant une suspension de son contrat de travail, de sorte que durant cette période de suspension, seule une commission de faits constitutifs d'un manquement du salarié à son obligation de loyauté pouvait lui être reprochée par l'employeur.

La lettre de licenciement fixant les limites du litige, des faits afférents à des actes de débauchage d'autres salariés de l'entreprise ou à l'embauche de salariés précédemment liés à la S.A.S. [W], faits intervenus postérieurement au licenciement de Monsieur [T], n'ont pas à être examinés par la cour.

A l'appui du grief énoncé, la S.A.S. [W] Fils se réfère essentiellement au procès-verbal de constat d'huissier de Maître [L] en date du 19 juin 2019, relatif à des opérations informatiques portant un ordinateur portable et notamment sur des fichiers personnels, en l'occurrence deux documents -également produits- consistant en des projets de distribution par 'Corse matériels services', outre des éléments afférents à la constitution par Monsieur [T] et Monsieur [K] d'une S.A.S. Corse matériels services le 16 septembre 2019, et immatriculée le 2 octobre 2019 suivant extrait Kbis, Monsieur [T] en étant le dirigeant.

Monsieur [T] conteste la production aux débats du procès-verbal de constat d'huissier et des documents consistant en des projets de distribution, extraits de fichiers personnels de Monsieur [T], ouverts par l'employeur sans respect des formes, créant ainsi une atteinte à sa vie privée. Toutefois, il est désormais admis, notamment au visa des dispositions de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, des articles 9 du code civil et 9 du code de procédure civile, que l'illicéité ou la déloyauté d'un moyen de preuve n'entraîne pas nécessairement son rejet des débats, le juge devant apprécier si l'utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie personnelle d'un salarié à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi. En l'occurrence, si les éléments de preuve litigieux n'ont pas été obtenus par stratagème, il n'en reste pas moins qu'ils sont illicites, ayant été obtenus dans le cadre d'une atteinte à la vie privée du salarié. Pour autant, la production de ces éléments probatoires portant atteinte à la vie privée du salarié est indispensable à l'exercice du droit à la preuve (constituant les seuls éléments à même de véritablement soutenir le grief énoncé dans la lettre de licenciement) et proportionnée au but poursuivi, soit la défense de l'intérêt légitime de l'employeur, au travers de la préservation de ses intérêts commerciaux par une absence d'actes déloyaux de salarié, de sorte que l'utilisation de ces éléments de preuve ne porte pas atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble. Ces éléments de preuve ne seront donc pas écartés des débats.

Dans le même temps, une manipulation par l'employeur du contenu des documents litigieux (consistant en des projets de distribution par 'Corse matériels services') n'est pas mise en évidence par Monsieur [T] et ne peut donc être retenue par la cour.

Sur le fond, au travers des éléments soumis à l'appréciation de la cour, il n'est pas démontré d'un manquement de Monsieur [T] à son obligation de loyauté durant la suspension de son contrat de travail. En effet, au moment des faits reprochés, la création de la Société Corse matériels services (ayant pour activité, suivant l'extrait Kbis transmis, les vente, location et service après vente de matériels pour le bâtiment, travaux publics et industries) par Monsieur [T] n'était pas encore intervenue, étant postérieure de plusieurs mois au licenciement de Monsieur [T] (en l'état d'une constitution le 16 septembre 2019 et d'une immatriculation le 2 octobre 2019), et la seule intention du salarié, manifestée par les projets litigieux, de création à terme de sa société n'est pas suffisante pour caractériser un manquement à son obligation de loyauté, faute de mise en oeuvre effective au cours de la relation de travail liant Monsieur [T] et la S.A.S. [W] Fils d'une activité concurrente de celle de la S.A.S. [W] Fils. De plus, il convient de constater que les documents litigieux, constitutifs de simples projets informatisés (non signés) ne comportent pas un affichage clair d'une intention de détournement d'une clientèle existante de l'employeur, tel qu'énoncé dans la lettre de licenciement, la S.A.S. [W] n'étant pas citée, ni nommément visée par Monsieur [T] -si ce n'est pour évoquer le fait qu'il y ait travaillé- dans ces documents, au contraire d'autres structures. L'existence de manoeuvres de débauchage du personnel de la S.A.S. [W] Fils n'est pas davantage justifiée, la seule mention de Monsieur [K] dans les documents litigieux (ne constituant que des projets informatisés et ne comportant aucune signature) ne permettant à la cour de déduire, de manière certaine, qu'il avait été d'ores et déjà objet d'un débauchage par Monsieur [T] à la date des faits reprochés. De même, n'est pas soumis à la cour d'éléments suffisants pour permettre de conclure que ces documents constitutifs de projets démontrent d'une utilisation par le salarié de moyens obtenus dans le cadre de son travail, pour la mise en place d'une structure destinée à concurrencer son employeur.

Par suite, les faits objets du grief ne peuvent être considérés comme établi.

Dès lors, au vu de tout ce qui précède, de l'absence d'établissement de faits de nature à fonder un licenciement disciplinaire de Monsieur [T], le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a dit le licenciement de Monsieur [T] sans cause réelle et sérieuse. Les demandes en sens contraire seront rejetées.

Les dispositions de l'article L1235-3 du code du travail dans leur version issue de l'ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017, modifié par la loi n°2018-217 du 29 mars 2018, sont normalement applicables au litige.

Au regard de son ancienneté (seize années complètes), de son âge (pour être né en 1973), des conditions dans lesquelles la rupture est intervenue et de son aptitude à retrouver un emploi, des justificatifs sur sa situation ultérieure (notamment des documents Pôle emploi, dont un relevé de situation au 28 juillet 2021 faisant état d'une indemnisation depuis le 11 septembre 2019; attestation d'un cabinet d'expertise comptable du 30 août 2021 oeuvrant pour le compte de la S.A.S. Corse Matériels Service), du barème de l'article L1235-3 du code du travail, dans sa version applicable aux données de l'espèce, relatif aux montants minimal et maximal (en mois de salaire brut) d'indemnisation, Monsieur [T] se verra allouer des dommages et intérêts à hauteur de 15.841,29 euros et sera débouté du surplus de sa demande, faute de rapporter la preuve d'un plus ample préjudice, le jugement entrepris étant confirmé à cet égard.

Le licenciement étant sans cause réelle et sérieuse et l'inexécution du préavis étant imputable à l'employeur, le jugement entrepris sera confirmé en ses dispositions afférentes à la condamnation de la S.A.S. [W] Fils au versement à Monsieur [T] de diverses sommes à titre d'indemnité compensatrice de préavis et d'indemnité de licenciement, dont les modalités de calcul ne sont pas critiquées en elles-même par la société appelante, ni ne font l'objet d'un appel incident de Monsieur [T].

Les demandes en sens contraire seront rejetées.

Monsieur [T] appelant à cet égard, sollicite la réformation du jugement en ce qu'il l'a débouté de sa demande d'indemnité pour perte de chance de recevoir une retraite complémentaire.

Toutefois, il ne démontre pas de la privation d'une potentialité, présentant un caractère de probabilité raisonnable, de survenance d'un événement positif ou de non survenance d'un événement négatif, au travers d'une perte ou d'une minoration de ses droits à retraite.

Le jugement entrepris sera donc confirmé en ses dispositions querellées à cet égard et les demandes en sens contraire rejetées.

Concernant les demandes afférentes à une indemnité pour absence et perte de formation professionnelle, telle que visée dans le dispositif des écritures de Monsieur [T] énonçant les prétentions sur lesquelles la cour est tenue de statuer au visa de l'article 954 du code de procédure civile, ne ressort pas des éléments produits aux débats de préjudice, distinct de celui déjà réparé au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse, causé par un manquement de l'employeur à ses obligations en matière de formation professionnelle. Par suite, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a débouté Monsieur [T] [G] de sa demande d'indemnité pour absence et perte de formation professionnelle et les demandes en sens contraire seront rejetées.

Parallèlement, Monsieur [T], également appelant sur ce point, ne justifie pas du bien fondé de sa demande de réformation du jugement en ses dispositions l'ayant débouté de sa demande de remise des fiches de paie conformes sous astreinte, demande que Monsieur [T] motive par une absence de mention de la convention collective applicable. Toutefois, au regard des éléments produits aux débats, la cour ne peut conclure à une non conformité des bulletins de paie, qui font bien mention de la convention collective applicable. Le jugement entrepris sera confirmé sur ce point et les demandes en sens contraire rejetées.

Compte tenu des succombances respectives, chaque partie conservera la charge de ses propres dépens de première instance (le jugement entrepris étant confirmé à cet égard) et d'appel.

L'équité ne commande pas de prévoir de condamnation sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de première instance (le jugement entrepris étant confirmé en ses dispositions querellées sur ce point) et d'appel.

Les parties seront déboutées de leurs demandes plus amples ou contraires à ces égards.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe le 8 juin 2022,

CONFIRME le jugement rendu le 7 avril 2021 par le conseil de prud'hommes de Bastia, tel que déféré,

Et y ajoutant,

DEBOUTE les parties de leurs demandes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles d'appel,

DIT que chaque partie conservera la charge de ses propres dépens en cause d'appel,

DEBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

LA GREFFIERE PO/ LE PRESIDENT EMPECHE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bastia
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 21/00112
Date de la décision : 08/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-08;21.00112 ?
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