Chambre civile
Section 2
ARRT N°
du 25 MAI 2022
N° RG 21/00292
N° Portalis DBVE-V-B7F-CAZC SM - C
Décision déférée à la Cour :
Jugement Au fond, origine TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de BASTIA, décision attaquée en date du 06 Avril 2021, enregistrée sous le n° 19/01408
Société SCCV [7]
C/
[F]
[G]
Copies exécutoires délivrées aux avocats le
COUR D'APPEL DE BASTIA
CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU
VINGT-CINQ MAI DEUX-MILLE-VINGT-DEUX
APPELANTE :
Société SCCV [7]
prise en la personne de son gérant en exercice, M. [A] [T], demeurant ès qualités audit siège
[Adresse 3]
[Localité 5]
Représentée par Me Josette CASABIANCA CROCE, avocate au barreau de BASTIA
INTIMÉS :
M. [H], [U] [F]
né le 10 Avril 1960 à CASABLANCA (MAROC)
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représenté par Me Charles-Eric TALAMONI, avocat au barreau de BASTIA
Mme [S], [N] [G] épouse [F]
née le 16 Novembre 1964 à [Localité 9] ([Localité 8])
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentée par Me Charles-Eric TALAMONI, avocat au barreau de BASTIA
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 17 mars 2022, devant Stéphanie MOLIES, conseillère, chargée du rapport, les avocats ne s'y étant pas opposés.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Jean-Jacques GILLAND, président de chambre
Judith DELTOUR, conseillère
Stéphanie MOLIES, conseillère
GREFFIER LORS DES DÉBATS :
Françoise COAT.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 25 mai 2022.
ARRÊT :
Contradictoire,
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Jean-Jacques GILLAND, président de chambre, et par Françoise COAT, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS CONSTANTS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS
Par acte authentique reçu le 3 décembre 2013 par Me [E], notaire à [Localité 5] (Haute-Corse), M. [H] [F] et Mme [S] [G] ont acquis, auprès de la S.C.C.V. [7], le lot n°18 situé dans un ensemble immobilier soumis au régime de copropriété en cours d'édification, situé à Oletta, lieu-dit Campighone, dénommé Résidence [7] et cadastré section B n°[Cadastre 1] et [Cadastre 6].
Suivant acte d'huissier du 20 novembre 2019, M. [H] [F] et Mme [S] [G] son épouse, ont fait citer la S.C.C.V. [7] devant le tribunal de grande instance de Bastia aux fins de voir :
- condamner la société [7] à payer aux époux [F] la somme de 27 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de la privation de jouissance qui leur a été occasionnée par le retard de livraison du bien immobilier litigieux,
- condamner la société [7] à leur payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner enfin la société [7] aux entiers dépens de l'instance.
Par décision du 6 avril 2021, le tribunal judiciaire de Bastia a :
- condamné la société [7] à payer à M. et Mme [F] la somme de 21 500 euros avec intérêts au taux légal à compter du présent jugement,
- condamné la société [7] à payer à M. et Mme [F] la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société [7] aux dépens.
Suivant déclaration enregistrée le 19 avril 2021, la S.C.C.V. [7] a interjeté appel de la décision susvisée en ce qu'elle a :
Condamné la SCCV [7] à payer à Monsieur et Madame [F] la somme de 21500 € avec intérêts au taux légal à compter du jugement correspondant à l'indemnisation de leur préjudice de jouissance suite à la livraison avec retard de leur appartement. Rejeté la demande de la SCCV [7] tendant au rejet du préjudice de jouissance en raison de causes légitimes de retard de livraison tenant à la liquidation judiciaire de la SARL BATI CORSICA, et l'abandon de chantier de la SAS SML BTP, aux dommages dus aux intempéries de février 2015, ayant suspendu le délai de livraison jusqu'à fin juillet 2015, en application de la clause de prorogation des délais de livraison « DELAI D'ACHEVEMENT DES TRAVAUX ET DE LIVRAISON » prévue à l'acte de vente du 3.12.2013. Rejeté la demande de la SCCV [7] tendant au rejet du préjudice de jouissance pour la période du 1° juillet 2014 à fin septembre 2015, en raison de la mise à disposition gratuite d'un appartement T3 dans le bâtiment A, au profit des époux [F], à compter de la date contractuelle de livraison, soit de juillet 2014 à fin septembre 2015. Rejeté la demande de la SCCV [7] tendant à voir juger que les intempéries d'octobre 2015 et mars 2016 ont constitué des cas de force majeure, et à tout le moins des causes légitimes de suspension du délai de livraison. Rejeté la demande de la SCCV [7] tendant à voir juger que les désordres graves liés aux intempéries et aux travaux, la désignation d'experts, la saisine du juge des référés avec les délais de convocation d'expertise, la réalisation des devis et des travaux conservatoires urgents, ont constitué des causes légitimes de suspension du délai de livraison. Rejeté la demande de la SCCV [7] tendant à voir juger que ces causes légitimes ont différé la date de livraison de l'appartement des époux [F], d'un temps égal, soit au 17.06.2017. A titre subsidiaire, a rejeté la demande de la SCCV CLOS D'OLETTA tendant à la compensation du préjudice né du retard de livraison avec des prestations offertes par la SCCV CLOS D'OLETTA d'une valeur de 20619€, à laquelle il convient d'ajouter l'attribution gratuite d'une partie de jardin (non chiffrée), la végétalisation du jardin, la prise en charge de la consommation d'eau et d'électricité, et les prestations supplémentaires chiffrées à 8019€. A titre subsidiaire, a rejeté la demande de la SCCV CLOS D'OLETTA tendant à la déduction de la somme de 20619€, de la somme allouée
au titre du retard de livraison A rejeté la demande de la SCCV CLOS D'OLETTA, en paiement de la somme de 5000€ au titre des frais irrépétibles. Condamné la SCCV [7] à payer à Monsieur et Madame [D] la somme de 3 000 € en
application de l'article 700 du code de procédure civile. Condamné la SCCV [7] aux dépens.
Par dernières conclusions régulièrement notifiées le 12 janvier 2022, la S.C.C.V. [7], prise en la personne de son gérant, a demandé à la cour de :
INFIRMER le jugement rendu le 6.04.2021 par le tribunal judiciaire de BASTIA.
ET STATUANT A NOUVEAU,
- Pour la période du 1.07.2014 à fin septembre 2015
Débouter les époux [F] de leur demande en réparation du préjudice de jouissance, suite au retard de livraison de leur appartement, du 1° juillet 2014 à fin septembre 2015,en raison de la survenance d'événements justifiant l'application de la clause contractuelle «DELAI D'ACHEVEMENT DES TRAVAUX ET DE LIVRAISON», prévue au contrat de vente du 3.12.2013, ayant prorogé le délai de livraison jusqu'à fin septembre 2015.
En tout état de cause,
Les débouter de leur demande en réparation du préjudice de jouissance du 1° juillet 2014 à fin septembre 2015, en raison de la mise à disposition gratuite d'un appartement T3 dans le bâtiment A, de manière permanente durant cette période.
- Pour la période du 1.10.2015 au 17.06.2017
Débouter les époux [F] de leur demande en réparation du préjudice de jouissance, suite au retard de livraison de leur appartement du 1.10.2015 au 17.06.2017, en raison de la survenance d'événements justifiant l'application de la clause contractuelle «DELAI D'ACHEVEMENT DES TRAVAUX ET DE LIVRAISON», prévue au contrat de vente du 3.12.2013, ayant prorogé le délai de livraison jusqu'au 17.06.2017.
Subsidiairement, en cas de condamnation de la SCCV CLOS D'OLETTA à payer une indemnité pour privation de jouissance,
Infirmer le jugement
Réduire le montant de l'indemnité au titre de la privation de jouissance.
Condamner les époux [F] à payer à la SCCV CLOS D'OLETTA la somme de 20619€ au titre d'un enrichissement sans cause » ou « injustifié ».
Compenser l'indemnité due au titre du préjudice de jouissance avec l'indemnité due par les époux [F] au titre de l'enrichissement sans cause d'un montant de 20619€.
Débouter les époux [F] de toutes leurs fins et demandes.
Infirmer le jugement
Débouter les époux [F] de leur demande au titre des frais irrépétibles en première instance.
Les condamner à payer une indemnité de 5000€ au titre des frais irrépétibles en première instance.
Débouter les époux [F] de leur demande de frais irrépétibles en appel.
Les condamner à payer une indemnité de 5000€ au titre des frais irrépétibles, exposés par la SCCV CLOS D'OLETTA en cause d'appel, ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.
Par dernières conclusions régulièrement notifiées le 26 janvier 2022, M. [H] [F] et Mme [S] [G] ont demandé à la juridiction d'appel de :
Confirmer le jugement entrepris en ce que le tribunal a :
Condamné la société [7] à réparer le préjudice de jouissance des époux [F]
Condamné la société [7] à payer 3000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance
Réformer ce jugement en ce qui concerne le quantum de la condamnation principale et condamner la société [7] à payer aux époux [F] la somme de 24 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de la privation de jouissance qui leur a été occasionnée par le retard de livraison du bien immobilier litigieux,
Débouter la SCCV [7] de toutes ses demandes, fins et conclusions,
Condamner la SCCV [7] à payer la somme de 5000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile relativement à la procédure d'appel,
Condamner cette société aux entiers dépens d'appel.
Par ordonnance du 2 février 2022, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de la procédure et fixé l'affaire à plaider devant le conseiller rapporteur au 17 mars 2022 à 8 heures 30.
Le 17 mars 2022, la présente procédure a été mise en délibéré pour être rendue par mise à disposition au greffe le 25 mai 2022.
La cour, pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, fait expressément référence à la décision entreprise ainsi qu'aux dernières conclusions notifiées par les parties.
SUR CE
La société appelante relève que les époux [F]/[G] sollicitent un préjudice de jouissance pendant 32 mois, soit du 30 juin 2014 -date contractuelle de livraison- au 17 juin 2017 -date effective de livraison-, déduction faite de quatre mois correspondant à la mise à disposition gratuite d'un T3 en juillet et août 2014 et 2015.
Elle souligne néanmoins que l'acte de vente comporte une clause de majoration des délais de livraison listant certains événements, outre des cas de force majeure et de cause légitime de suspension.
Elle affirme que la S.A.R.L. Bati Corsica, qui était chargée du gros 'uvre, a été placée en liquidation judiciaire le 11 juin 2013 ; cette situation aurait généré un retard de quatre mois sur le calendrier des travaux, le temps de trouver une entreprise pour lui succéder. Elle observe que la clause de majoration des délais de livraison ne distingue pas selon que l'événement s'est produit avant ou après la date d'acquisition et a vocation à s'appliquer durant le chantier. Elle reproche au tribunal d'avoir ajouté une condition qui n'était pas prévue contractuellement.
La S.C.C.V. [7] ajoute que la S.A.S. SML BTP, qui a pris a suite de la S.A.R.L. Bati Corsica a eu une activité chaotique à partir du mois de juin 2014, avant d'abandonner le chantier totalement à partir de janvier 2015. Elle produit les comptes-rendus de chantier du 31 juillet 2014 au 13 février 2015, qui montreraient que la société n'a plus assisté aux réunions à compter du mois de juillet 2014 au moins, et qu'elle aurait fait savoir, dès le mois de décembre 2014, qu'elle interviendrait 'si son autre chantier le permettait'.
Elle précise avoir réagi face à cette défaillance, en notifiant la résiliation du marché pour abandon du chantier par courrier du 27 avril 2015.
La société appelante explique avoir ensuite fait appel à M. [W] [C], architecte, pour réorganiser le chantier. Ce dernier aurait fait établir un procès-verbal de constat le 15 mai 2015, faisant état de nombreux désordres et malfaçons.
Elle estime que le retard qui est résulté de ces deux événements doit être évalué à neuf mois. Elle insiste sur le fait que la défaillance de l'entreprise de gros 'uvre a commencé avant la date contractuelle de livraison, et souligne qu'un événement postérieur à la livraison peut conduire à aggraver le retard de livraison. Cette cause extérieure, indépendante de la volonté du maître de l'ouvrage, devrait s'analyser comme une cause légitime de majoration du délai de livraison.
Elle fait valoir que des pluies diluviennes sont survenues les 15, 16 et 17 février 2015, provoquant de graves désordres au niveau de la toiture et des appartements.
Elle soutient que l'appartement était prêt à être livré fin septembre 2015, ainsi que cela résulterait de l'attestation du maître d''uvre et de l'appel de fonds envoyé.
La société appelante estime que malgré l'ensemble de ces événements, les époux [O] n'ont subi aucun préjudice en raison de la mise à disposition gratuite et permanente d'un appartement de type T3 d'une valeur locative de 900 euros par mois, entre le mois de juillet 2014 et la fin du mois de septembre 2015.
Elle affirme que les époux [F]/[G] avaient installé leurs meubles dans le T3, dans l'attente de la livraison de leur appartement T2. Le déménagement de leur mobilier serait intervenu le 22 décembre 2015 aux frais de la S.C.C.V. [7]. Elles
estime dès lors qu'il importe peu que les époux [F]/[G] n'aient pas utilisé cet appartement de manière continue, alors que cet appartement était mis gracieusement à leur disposition et qu'ils pouvaient en jouir quand bon leur semblait.
La société appelante explique également que de violentes intempéries sont survenues les 1er et 2 octobre 2015 alors que les appartements étaient achevés et prêts à être livrés, ce qui aurait donné lieu à un arrêté du 1er février 2016 portant reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle. Cet événement grave aurait engendré un retard de travaux nécessitant l'intervention d'un expert pour constater les dégâts et établir les causes du sinistre, ainsi que des mesures conservatoires, différant la date d'achèvement d'un temps égal. De nouveaux désordres auraient par ailleurs été provoqués par d'autres intempéries de mars 2016.
Ces deux sinistres consécutifs -qu'elle qualifie de cas de force majeure ou à tout le moins de cause légitime de suspension- auraient engendré un retard de livraison entre les mois d'octobre 2015 et mars 2016, soit six mois.
Elle reproche au premier juge d'avoir ajouté une condition à la clause contractuelle en exigeant que la cause de suspension soit survenue avant la fin du chantier, alors même que les événements rapportés ont eu des répercussions sur le déroulement du chantier.
Elle relève que des désordres graves, entraînant une impropriété à destination de l'ouvrage ont été relevés dans l'appartement des époux [F]/[G].
Elle explique avoir dû faire déposer la toiture avant de poser une nouvelle toiture conforme aux règles de l'art afin de sécuriser la charpente et éviter de nouveaux dommages lors de prochaines intempéries. L'ensemble de ces mesures aurait provoqué un retard supplémentaire de trois mois.
A titre subsidiaire, la société appelante sollicite la minoration de l'indemnité allouée pour privation de jouissance et la compensation de ce préjudice avec les prestations en nature réalisées par ses soins, sans contrepartie financière.
Elle conteste la valeur locative retenue par le tribunal, estimant que la somme mensuelle de 500 euros serait plus appropriée pour un T2 de 48 m² ; elle ajoute que l'appartement n'étant pas destiné à la location, il n'existerait aucun manque à gagner correspondant à des loyers perdus.
Elle rappelle avoir mis à la disposition des époux [F]/[G] un appartement T3 situé dans le bâtiment A à partir de la date prévue de livraison, jusqu'au mois de septembre 2015, soit un avantage total évalué à 12 600 euros en retenant une valeur locative de 900 euros. Elle aurait également pris en charge les consommations d'eau et d'électricité des époux [F]/[G] pendant cette mise à disposition. La société appelante leur aurait également attribué une partie de jardin végétalisée, offert des prestations supplémentaires dans leur salle de bains, déménagé le mobilier en septembre 2015 et agrandi leur terrasse, le tout représentant un avantage évalué à 8 019 euros.
Elle affirme n'avoir jamais eu l'intention de faire un don dès lors que ces prestations avaient pour cause les désagréments imputables au retard de livraison. Or elle soutient que les époux [F]/[G] ne peuvent être indemnisés deux fois pour le même préjudice, et relève que son patrimoine s'est appauvri tandis que corrélativement, celui des époux [F]/[G] s'est enrichi.
En réponse, les époux [F]/[G] observent que la livraison des locaux est intervenue le 19 juin 2017, soit trois années après l'expiration du délai contractuellement prévu.
Ils auraient ainsi subi un préjudice de jouissance dont ils sollicitent l'indemnisation sur la base d'une attestation de valeur à hauteur de 750 euros mensuels, déduction faite d'une durée de quatre mois au cours de laquelle ils ont bénéficié de la mise à disposition gracieuse d'un appartement.
Ils soutiennent que l'impossibilité de jouir de leur bien, que ce soit en exerçant eux-mêmes cette jouissance ou en la concédant en contrepartie d'un loyer, est certaine et ne peut relever d'une perte de chance ; la contestation de l'attestation de valeur établie par un professionnel ne reposerait par ailleurs que sur de simples allégations.
Ils estiment que le tribunal a fait une mauvaise interprétation de la clause de majoration des délais de livraison insérée au contrat, la 'cause légitime de suspension' évoquée au dernier alinéa renvoie aux clauses précédemment énumérées et définies par ladite clause. La jurisprudence considérerait en effet que ces clauses, qui confèrent un avantage considérable au promoteur, doivent être interprétées de manière restrictive.
Ils relèvent que la liquidation judiciaire de la société Bati Corsica a été prononcée huit mois avant la signature de l'acte de vente, alors que seuls des événements futurs par rapport au contrat de vente et à l'engagement pris par le vendeur de livrer le bien dans un certain délai seraient de nature à suspendre ce délai.
Ils soulignent que l'abandon de chantier n'est pas prévu par la clause de prolongation alors qu'il ne pourrait s'agir d'un cas de force majeure, faute d'imprévisibilité et d'irrésistibilité. Cet événement serait, en tout état de cause, postérieur à la date prévue de livraison. Ils affirment que les comptes-rendus de chantier n'établissent pas l'abandon du chantier alors que la plupart des entreprises était non comparantes. En outre, ces documents seraient relatifs au deuxième semestre 2014 ainsi qu'au début de l'année 2015. Le procès-verbal du 16 février 2015 établirait par ailleurs que la S.A.S. SML intervenait toujours sur le chantier au début du mois de février 2015.
Ils font valoir que la jurisprudence ne retient que les causes de suspension antérieures à la date prévue de livraison, un événement postérieur ne pouvant suspendre un délai déjà arrivé à expiration.
Ils soulignent qu'aucune attestation portant sur les journées d'intempéries n'est versée au débat contrairement aux prescriptions de la clause contractuelle : le promoteur ne pourrait donc s'en prévaloir. L'arrêté de catastrophe naturelle -qui ne viserait pas la commune d'Oletta- ne permettrait pas de caractériser un cas de force majeure selon une jurisprudence constante.
Ils ajoutent que le rapport d'expertise judiciaire de M. [B] met en lien les dégâts occasionnés par les intempéries avec un défaut de mise en 'uvre et de surveillance des travaux. Dans ces conditions, les intempéries ne pourraient constituer des causes légitimes de suspension.
Les intimés font valoir par ailleurs que la désignation d'experts pour faire constater les désordres n'est pas une des causes de suspension du délai de livraison visée par le contrat et ne peut être considérée comme un cas de force majeure, alors qu'un tel événement est fréquent sur un chantier. En tout état de cause, cet événement serait postérieur à la date de livraison contractuellement prévue.
Ils relèvent que la société appelante attribue une durée de retard de manière arbitraire, permettant de couvrir l'intégralité du retard de livraison.
Ils soutiennent que la mise à disposition d'un appartement n'a été effective que quatre mois, soit un T2 au cours des mois de juillet et août 2014 et un T3 au cours des mois de juillet et août 2015. Ils estiment que la valeur locative de ces appartements ne saurait excéder 750 euros et indiquent avoir tenu compte de cette compensation dans leur demande d'indemnisation.
Ils remettent en cause la valeur probante des justificatifs versés à ce titre par la société appelante et rappellent notamment que l'architecte n'est intervenu sur le chantier qu'à partir du 20 mai 2015, de sorte qu'il ne pourrait témoigner pour la période antérieure. Ils font valoir que leur résidence principale se trouve à [Localité 8] (Bouches-du-Rhône), et qu'ils ne sont pas restés en vacances à [Adresse 10] entre les mois de septembre 2014 et juin 2015 inclus.
S'agissant des autres avantages en nature allégués par le promoteur, les époux [O] contestent le fait qu'ils constitueraient la contrepartie du retard de livraison. Ils relèvent que la facture versée au débat n'est ni tamponnée, ni signée, qu'elle ne correspond pas à l'objet de l'entreprise, et qu'elle porte le numéro 2, ce qui laisserait penser que l'entreprise aurait émis une seule facture avant elle, sur la période du 1er janvier 2015 au 22 décembre 2015.
Ils observent par ailleurs que l'extrait de comptabilité versé au débat a été certifié conforme par M. [T], expert-comptable qui ne serait autre que le gérant de la S.C.C.V. [7], de sorte que ce document serait dénué de force probante.
L'acte de vente du 3 décembre 2013 comporte, en page 17, un paragraphe 'Délai d'achèvement des travaux et de livraison' rédigé comme suit :
'Le vendeur devra achever les travaux de telle manière que les locaux vendus et les éléments d'équipement nécessaires à l'utilisation des biens vendus soient livrés au cours du 2ème trimestre de l'année 2014.
Toutefois, ce délai sera, le cas échéant, majoré des journées d'intempéries prises en compte au sens de la réglementation du travail sur les chantiers du bâtiment. Ces jours seront dûment constatés par une attestation de l'architecte ou du bureau d'études auquel les parties conviennent de se rapporter à cet égard, et les interruptions de chantier résultant de l'état du terrain par suite de pluies, inondations ou remontées d'eau.
Le délai sera également majoré des jours de retard consécutifs :
- à la grève, qu'elle soit générale, particulière au bâtiment et à ses industries annexes ou à ses fournisseurs ou spéciale aux entreprises travaillant sur le chantier ;
- à la déclaration de cessation de paiement, au dépôt de bilan, au redressement judiciaire ou à la liquidation judiciaires des ou de l'une des entreprises effectuant les travaux ;
- aux concessionnaires de service public, sauf si ce retard est imputable aux négligences du vendeur,
- aux difficultés d'approvisionnement du chantier en matériels et matériaux, consécutives à un désordre du marché à l'échelle nationale ou régionale ;
- aux injonctions administratives ou judiciaires de suspendre ou d'arrêter les travaux, à moins que lesdites injonctions ne soient fondées sur des fautes ou négligences imputables au vendeur ;
- aux troubles résultant d'hostilités, révolutions, cataclysmes ou accidents de chantier ;
- au retard dans le paiement des fractions du prix et intérêts éventuels payables à termes ;
Et, de manière générale, en cas de force majeur ou, d'une cause légitime de suspension
du délai de livraison, l'époque prévue pour l'achèvement sera différée d'un temps égal à celui pendant lequel l'événement considéré aura mis obstacle directement ou par ses répercussions à la poursuite des travaux.
Il ressort de l'état des lieux versé au débat que la livraison, prévue contractuellement au cours du 4ème trimestre 2014, est intervenue le 19 juin 2017.
Sur la liquidation judiciaire de la S.A.R.L. Bati Corsica
Il résulte de l'extrait K-bis versé au débat que la S.A.R.L. Bati Corsica a été placée en liquidation judiciaire par jugement du 11 juin 2013.
Cet événement était donc connu de la S.C.C.V. [7] au moment de la vente du 3 décembre 2013, et il lui appartenait de le prendre en compte pour fixer la date de livraison annoncée aux acquéreurs.
En l'état, la société appelante ne démontre pas le lien de causalité existant entre la liquidation judiciaire de la S.A.R.L. Bati Corsica préexistante à l'acte de vente et le retard de livraison.
Cette cause de suspension ne sera donc pas prise en compte.
Sur l'abandon de chantier de la S.A. SML BTP
En premier lieu, il convient de relever que l'abandon de chantier ne figure pas dans les causes de suspension expressément énumérées à l'acte de vente.
Un tel événement ne peut par ailleurs être qualifié de force majeure dès lors qu'il ne revêt pas un caractère imprévisible et irrésistible : les abandons de chantier surviennent en effet régulièrement et il appartient au promoteur de pallier cette difficulté en mandatant une nouvelle entreprise.
D'autre part, à l'instar du premier juge et eu égard à la formulation de la clause reproduite ci-dessus, il sera considéré que les parties ont entendu ajouter des causes légitimes de suspension soumises à l'appréciation du tribunal aux causes de suspension expressément énoncées, dès lors qu'aucun renvoi n'a été opéré et que les parties ont employé le terme 'Et' pour débuter la phrase.
Un abandon de chantier ne peut toutefois être qualifié de cause légitime de suspension dès lors que le choix de l'entreprise a été opéré par le promoteur, qui supervise le chantier et se doit, le cas échéant, de mettre fin au contrat et trouver une nouvelle entreprise pour poursuivre le chantier dans les meilleurs délais.
En l'espèce, si la S.C.C.V. [7] se prévaut d'une activité chaotique de la S.A. SML BTP dès le mois de juin 2014 et d'un abandon de chantier à compter du mois de janvier 2015, il sera observé qu'elle n'a dénoncé le contrat les liant que suivant courrier recommandé avec accusé de réception du 27 avril 2015.
En outre, il résulte du procès-verbal de chantier du 5 décembre 2015 versé au débat que la S.C.C.V. [7] a mandaté la société SML BTP pour 'pallier la défaillance du carreleur prévu. Une équipe démarre le 7 janvier 2015'.
Ainsi, malgré les difficultés alléguées, la S.C.C.V. [7] a décidé de confier un nouveau chantier à la S.A. SML BTP à compter du mois de janvier 2015.
Il sera au surplus souligné que les procès-verbaux de chantier versés au débat ne font état d'aucune difficulté dans l'exécution des travaux par la S.A. SML BTP avant le document du 16 février 2015.
La société venderesse ne justifie d'ailleurs d'aucun courrier ou mise en demeure adressée à la S.A. SML BTP, absente de la plupart des réunions de chantier - comme quasiment tous les autres entrepreneurs ainsi que le souligne la S.C.C.V. [7] elle-même dans les procès-verbaux.
Au regard de ces éléments, et notamment des propres carences de la S.C.C.V. [7], l'abandon de chantier ne peut être considéré comme une cause légitime de suspension du délai de livraison.
Sur les intempéries de l'année 2015
Les parties ont contractuellement prévu de suspendre le délai de livraison en cas d'intempéries, tout en indiquant qu'elles devaient être constatées par une attestation de l'architecte ou du bureau d'études, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.
En outre, il convient d'observer qu'en tout état de cause, les intempéries alléguées sont postérieures à la date de livraison initialement prévue et ne peuvent dès lors être prises en compte.
En effet, seule la faute du vendeur ayant tardé à livrer le bien vendu est à l'origine du préjudice subi du fait des intempéries survenues ultérieurement.
Les intempéries survenues au cours de l'année 2015 ne seront donc pas retenues comme une cause légitime de suspension du délai de livraison.
Sur la désignation d'experts pour faire constater les désordres
Le délai nécessaire à la désignation d'experts pour faire constater les désordres ne peut davantage être analysé comme une cause de suspension légitime du délai de livraison dès lors qu'il est la conséquence d'une demande faite par la S.C.C.V. [7] pour préserver ses droits et qu'il ne peut, par suite, être opposé à l'acquéreur.
Il ne peut davantage être qualifié de force majeure faute d'imprévisibilité et d'irrésistibilité alors que ce genre d'événement est fréquent sur un chantier de cette importance.
En outre, l'intervention des experts a eu lieu postérieurement à la date de livraison contractuellement prévue.
Sur les travaux réalisés pour remédier aux désordres constatés
Les travaux ainsi allégués ont trait à la dépose de la toiture et à la pose d'ne nouvelle couverture conforme aux règles de l'art, et font suite aux intempéries de l'année 2015.
Ces travaux postérieurs à la date de livraison contractuellement prévus ne peuvent être analysés en un cas de force majeure ou une cause légitime de suspension du délai de livraison pour les raisons exposées ci-dessus.
Il n'en sera donc pas tenu compte.
Sur le préjudice de jouissance
Il est établi que les époux [F]/[G] ont été privés de la jouissance du bien acquis, pour une occupation personnelle ou locative, entre le mois de juin 2014-la livraison étant prévue au cours du deuxième trimestre 2014- et le 19 juin 2017 pour des raisons qui ne leur sont pas imputables.
Ils peuvent donc se prévaloir d'un préjudice de jouissance pendant 35 mois et 19 jours.
Sur la mise à disposition gracieuse d'un logement
L'attestation de M. [J] -artisan maçon plombier étant intervenu sur le chantier- produite par la société appelante est relativement imprécise dès lors qu'elle mentionne la mise à disposition d'un appartement T3 en 2014 et 2015.
Ce témoignage ne permet pas d'écarter, en toutes hypothèses, les allégations des époux [O] quant à une mise à disposition pendant quatre mois seulement, soit les mois de juillet et août des années 2014 et 2015.
La S.C.C.V. [7] produit, par ailleurs, un courriel de M. [W] [C], architecte, du 10 décembre 2020.
Il ne saurait être fait grief à ce document de ne pas respecter le formalisme imposé par l'article 202 du code de procédure civile dès lors qu'il s'agit d'un courriel et non d'une attestation de témoin.
Il en résulte que, lors de la prise de fonction de M. [W] [C], M. [F] était logé avec ses meubles dans le bâtiment A, ces derniers ayant été déménagés 'au sein de son logement dans le bâtiment juste avant le sinistre de toiture'.
Il est donc établi que les époux [F]/[G] ont pu profiter de la mise à disposition gracieuse d'un appartement -tant pour eux-mêmes que pour leurs meubles- entre le 20 mai
2015 et quelques jours avant les intempéries des 1er et 2 octobre 2015, soit une période de quatre mois, à laquelle il convient d'ajouter la période de deux mois correspondant aux mois de juillet et août 2014.
Dès lors qu'il n'est pas contesté que cette mise à disposition a eu pour objet de compenser le préjudice de jouissance lié au retard de livraison, les époux [F]/[G] ne pourront percevoir une indemnisation de ce chef sur cette période.
Ainsi, si les parties s'opposent sur la valeur locative de l'appartement mis à disposition des époux [F]/[G], il ne saurait être question d'imputer la somme mensuelle de 900 euros sur le préjudice de jouissance subi par les parties intimées, mais de limiter la période d'indemnisation du préjudice de jouissance à 29 mois et 19 jours en lieu et place de 35 mois et 19 jours.
Sur les autres avantages
D'autre part, aucun justificatif n'est produit au titre du règlement par la S.C.C.V. [7] des factures d'eau et d'électricité des époux [F]/[G] pendant la mise à disposition de l'appartement. Il n'en sera donc pas tenu compte.
Aucun agrandissement du jardin acquis par les époux [F]/[G] n'est par ailleurs établi en l'état des pièces versées au débat, faute de preuve d'une modification du règlement de copropriété quant à la répartition des tantièmes pour tenir compte du transfert de propriété qui serait intervenu.
L'agrandissement de la terrasse, contesté par les époux [F]/[G] n'est pas davantage démontré en l'état du plan non coté versé au débat et de la facture émise par l'entreprise ICCSER, faisant état d'une dalle d'un m² alors que l'acte de vente du 3 décembre 2013 mentionne une terrasse couverte de 13,20 m² et une terrasse non couverte de 4,93 m².
S'agissant des prestations supplémentaires dans la salle de bains, de la végétalisation du jardin et du déménagement du mobilier d'un immeuble à l'autre, il sera relevé que les deux factures produites par la S.C.C.V. [7] ne comportent pas la mention 'payé'.
Malgré la sommation de communiquer portant sur la preuve bancaire du paiement, la société appelante n'a versé qu'un extrait de compte faisant état d'un virement de la somme totale des deux factures à l'entreprise AB rénovation Farid.
Or cet extrait de compte est certifié conforme par M. [A] [T], expert-comptable qui est par ailleurs le gérant de la S.C.C.V. [7].
Faute d'élément objectif permettant de conforter cet élément de preuve fait à soi-même, le paiement par la S.C.C.V. [7] des prestations facturées par l'entreprise ICCSER n'est pas démontré.
Aucun enrichissement sans cause ne pourra dès lors être retenu au profit des époux [O], faute de preuve d'un appauvrissement corrélatif du patrimoine de la S.C.C.V. [7].
En outre, à l'instar des parties intimées, il sera observé que la majorité des prestations facturées n'entrent pas dans l'objet social de l'entreprise décrit comme 'chauffage sanitaire énergies renouvelables', alors que les factures ne comportent aucun tampon ou signature de l'entreprise afin d'attester de leur authenticité.
La facture du 22 décembre 2015 est par ailleurs contestable en ce qu'elle applique des charges non détaillées à hauteur de 23 %.
Enfin, certaines des prestations ainsi facturées étaient nécessairement incluses dans le prix de vente en raison de leur nature -pose de colonne de douche, bande d'évacuation de l'eau usée et de paroi de douche notamment- alors que le prix de la prestation 'salle de bains' n'est pas individualisé.
En toutes hypothèses, aucun justificatif ne permet de déterminer les prestations non prévues initialement dont les époux [F]/[G] auraient finalement bénéficié, alors que ces derniers affirment par ailleurs que la prestation a évolué en contrepartie du changement de fournisseur et non du retard de livraison.
Au regard de l'ensemble de ces paramètres, la S.C.C.V. [7] ne démontre pas que la somme de 8 019 euros doit être déduite du préjudice de jouissance subi par les époux [F]/ [G].
Enfin, aucun élément ne permet de remettre en cause la valeur locative retenue par l'agence Laforêt au terme d'une attestation du 14 avril 2016.
Le préjudice de jouissance subi par les époux [F]/[G] sera donc fixé à la somme mensuelle de 750 euros pendant 29 mois et 19 jours, soit une somme totale de
22 225 euros.
Le jugement entrepris sera infirmé sur ce point.
Sur les autres demandes
Il n'est pas équitable de laisser aux époux [F]/[G] les frais irrépétibles non compris dans les dépens ; la S.C.C.V. [7] sera par conséquent condamnée à leur payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
En revanche, la S.C.C.V. [7] sera déboutée de la demande présentée sur ce fondement.
Enfin, la société appelante, qui succombe, sera condamnée au paiement des dépens.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Confirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a condamné la société [7] à payer à M. et Mme [F]/[G] la somme de 21 500 euros avec intérêts au taux légal à compter du présent jugement,
Statuant à nouveau du chef infirmé,
Condamne la S.C.C.V. [7] à payer à M. [H] [F] et Mme [S] [G] la somme de 22 225 euros au titre du préjudice de jouissance, outre intérêts au taux légal à compter de la présente décision,
Y ajoutant,
Condamne la S.C.C.V. [7] à payer à M. [H] [F] et Mme [S] [G] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute les parties du surplus de leurs demandes,
Condamne la S.C.C.V. [7] au paiement des dépens.
LA GREFFIÈRELE PRÉSIDENT