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18/05/2022 | FRANCE | N°20/00691

France | France, Cour d'appel de Bastia, Chambre civile section 2, 18 mai 2022, 20/00691


Chambre civile

Section 2



ARRÊT N°



du 18 MAI 2022



N° RG 20/00691

N° Portalis DBVE-V-B7E-B7YZ

JD - C



Décision déférée à la Cour :

Jugement Au fond, origine Tribunal paritaire des baux ruraux d'AJACCIO, décision attaquée en date du 02 Décembre 2020, enregistrée sous le n° 51-1900004



COMMUNE D'[Localité 4]



C/



[M]









Copies exécutoires délivrées aux avocats le











COUR

D'APPEL DE BASTIA



CHAMBRE CIVILE



ARRÊT DU



DIX-HUIT MAI DEUX-MILLE-VINGT-DEUX







APPELANTE :



COMMUNE D'[Localité 4]

représentée par son maire en exercice M. [N] [E], domicilié en cette qualité

[Adresse 7]

[Adresse 7]

[L...

Chambre civile

Section 2

ARRÊT N°

du 18 MAI 2022

N° RG 20/00691

N° Portalis DBVE-V-B7E-B7YZ

JD - C

Décision déférée à la Cour :

Jugement Au fond, origine Tribunal paritaire des baux ruraux d'AJACCIO, décision attaquée en date du 02 Décembre 2020, enregistrée sous le n° 51-1900004

COMMUNE D'[Localité 4]

C/

[M]

Copies exécutoires délivrées aux avocats le

COUR D'APPEL DE BASTIA

CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU

DIX-HUIT MAI DEUX-MILLE-VINGT-DEUX

APPELANTE :

COMMUNE D'[Localité 4]

représentée par son maire en exercice M. [N] [E], domicilié en cette qualité

[Adresse 7]

[Adresse 7]

[Localité 4]

non comparante,

représentée par Me Marie COLOMBANI, avocate au barreau d'AJACCIO, plaidant en visioconférence, Me Xavier MATHARAN de la SELARL PARME AVOCATS, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉE :

Mme [V] [M]

[Adresse 8]

[Localité 5]

Représentée par Me Stéphanie LAURENT, avocate au barreau d'AJACCIO plaidant en visioconférence

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 10 mars 2022, devant Judith DELTOUR, conseillère, magistrat chargé d'instruire le dossier qui, après rapport oral de l'affaire, a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Jean-Jacques GILLAND, président de chambre

Judith DELTOUR, conseillère

Stéphanie MOLIES, conseillère

GREFFIER LORS DES DÉBATS :

Françoise COAT.

Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 18 mai 2022

ARRÊT :

Contradictoire,

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Jean-Jacques GILLAND, président de chambre, et par Françoise COAT, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

PROCÉDURE

Alléguant un bail rural accordé le 1er juin 2016 à Mme [V] [M] portant sur quatre parcelles situées lieu-dit [Localité 10] (Corse-du-Sud), cadastrées section CP n° [Cadastre 6] (16 ares 30 centiares), [Cadastre 3] (3 hectares 75 ares 50 centiares), [Cadastre 2] (86 hectares 69 ares 54 centiares) et section CR n°[Cadastre 1] (6 hectares 82 ares 54 centiares), expressément conclu en vue du développement d'une culture d'immortelles et de l'exploitation et la mise en valeur d'une oliveraie et le non-respect des obligations du contrat, la commune d'[Localité 4] a saisi le tribunal paritaire des baux ruraux le 13 juin 2019.

À défaut de conciliation, par jugement du 2 décembre 2020, le tribunal paritaire des baux ruraux a :

- condamné Mme [V] [M] à verser à la ville d'[Localité 4], la somme de 2565 euros au titre du loyer dû pour l'année 2019,

- condamné la ville d'[Localité 4] à verser à Mme [V] [M] la somme de 5000 euros de dommages et intérêts,

- condamné la ville d'[Localité 4] à verser à Mme [V] [M] la somme de 2000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la ville d'[Localité 4] au paiement des dépens,

- ordonné l'exécution provisoire,

- débouté la villle d'[Localité 4] du surplus de ses demandes.

Par déclaration reçue le 29 décembre 2020, la commune d'[Localité 4] a interjeté appel de la décision.

Par conclusions communiquées le 26 février 2021, la commune d'[Localité 4] a demandé au visa des articles 1764 et suivant du code civil, L 411-31 et L 411-27 du code rural et de la pêche maritime, de :

- réformer / infirmer le jugement rendu par le tribunal paritaire des baux ruraux en ce qu'il a rejeté sa demande de résiliation judiciaire du bail signé entre elle et Mme [M] en 2016, aux torts exclusifs de cette dernière et d'expulsion de Mme [M] et de tout occupant de son chef, des parcelles cadastrées section CP n° [Cadastre 6]p, [Cadastre 3]p, [Cadastre 2]p et section CR n° [Cadastre 1]p, situées au lieudit « [Localité 10] », [Adresse 9], l'a condamnée à payer à Mme [M] la somme de 5000 euros de dommages et intérêts, celle de 2000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et au paiement des dépens ;

Statuant à nouveau, de

- dire et juger que les manquements reprochés à Mme [M] sont de nature à compromettre la bonne exploitation du fonds et constituent également des violations aux clauses du bail notamment celles de l'article L 411-27 du code rural et de la pêche maritime de nature à justifier la résiliation judiciaire du bail,

- prononcer la résiliation judiciaire du bail signé avec Mme [M] pour l'exploitation des parcelles cadastrées section CP n° [Cadastre 6]p, [Cadastre 3]p, [Cadastre 2]p et section CR n°[Cadastre 1]p, situées [Adresse 9] lieudit « [Localité 10] »

- ordonner l'expulsion de Mme [M] et de tous occupants de son chef et ce avec l'assistance de la force publique s'il y a lieu, dans un délai de deux mois à compter de la

décision à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard,

- rejeter l'intégralité des demandes de Mme [M] dont la demande de dommages et intérêts,

- condamner Mme [M] à payer à la ville d'[Localité 4] la somme de 10 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens de la présente instance et ceux de première instance.

Elle a fait valoir la conclusion d'un bail à clauses environnementales le 1er juin 2016, le non-respect par le preneur de ses obligations, l'impossible radiation de l'appel en raison

de la consignation des sommes en vertu de l'exécution provisoire, les textes applicables et les manquements du preneur caractérisés par l'absence d'exploitation, l'utilisation de produits phytosanitaires, l'abattage d'arbres, l'activité d'élevage, la pratique de l'écobuage et la destruction consécutive d'espèces. Elle a soutenu l'absence de preuve de son manquement à ses obligations de bailleur, l'absence de preuve de l'impossibilité d'exploitation d'une ferme d'autant que le preneur n'a pas procédé à l'état des lieux prévu par le bail et le non-respect de la procédure, que le bail n'est pas en contradiction avec le classement en ZNIEFF et espace boisé naturel, que la demande reconventionnelle relative à la diminution de la superficie est nouvelle en appel et irrecevable, que le préjudice allégué n'est pas démontré, alors que le loyer n'est pas payé et qu'elle a supporté des frais.

Par conclusions communiquées le 21 mai 2021, Mme [M] a réclamé, vu les articles L411-1 et suivants, L. 411-27, L. 411-29, L411-31 3° et R. 411-9-11-1 du code rural et de la pêche maritime, 1353, 1709 1719, 1720, 1728, et 1766 du code civil, 515, 564 et suivants du code de procédure civile :

in limine litis,

- constater que la ville d'[Localité 4] n'a pas procédé à l'exécution provisoire des condamnations ordonnée par le jugement du 2 décembre 2020,

En conséquence,

- d'ordonner la radiation de la présente instance.

Au fond,

À titre principal, de

- confirmer dans toutes ses dispositions le jugement en date du 2 décembre 2020 rendu par

le Tribunal paritaire des baux ruraux d'Ajaccio.

En conséquence,

- débouter la ville d'[Localité 4] de l'ensemble de ses demandes,

- déclarer recevable et fondée la nouvelle demande reconventionnelle formulée pa Mme [M],

Y ajoutant, à titre de demande reconventionnelle et à titre principal,

- ordonner d'avoir à restituer à Mme [M] la superficie louée de 6ha 40ca indûment reprise en cours de bail, et ce, sous astreinte de 1000 euros /mois de retard à compter de la date de signification de l'arrêt à intervenir,

À titre de demande reconventionnelle et à titre subsidiaire,

- condamner la ville d'[Localité 4] à payer à Mme [M] la somme de 5000 euros à titre de dommages et intérêts,

- ordonner une diminution du fermage de 585 euros et fixer le montant du fermage annuel à 1980 euros à compter de l'année 2021,

À titre extraordinaire,

- débouter la ville d'[Localité 4] de sa demande de condamnation à la somme de 10 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

En tout état de cause,

- condamner la ville d'[Localité 4] à payer à Mme [V] [M] la somme de 2000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

Elle a fait valoir l'existence d'un état des lieux lors de la prise à bail, la découverte d'une occupation du terrain et l'inertie du bailleur, le non-respect consécutif de ses obligations, l'irrecevabilité du rapport d'expertise établi sur site sans son autorisation malgré les dispositions du bail, l'exploitation retardée par la faute du bailleur, l'absence de preuve des fautes alléguées, que l'élevage d'animaux de ferme jamais commencé, n'est pas interdit par le bail et ne met pas en péril l'exploitation, l'absence d'écobuage en l'état du refus de son bailleur, le gyro-broyage nécessaire préalablement à la mise en exploitation, l'absence de défrichement, l'occupation illégale du terrain par des tiers, l'absence de preuve de la coupe d'arbres typiques, eu égard au classement des parcelles, la protection du site ayant été mise en place après la signature du bail, l'absence de bornage et la violation des obligations du preneur et le comportement déloyal du bailleur. Elle a soutenu la recevabilité et la justesse de sa demande de restitution des terres indûment reprises au profit du "CEN de Corse" et fait valoir le paiement des fermages.

Les parties ont été convoquées à l'audience du 10 juin 2021. Les parties ont été avisées que l'affaire serait examinée suivant l'article 6 de l'ordonnance du 18 novembre 2020. L'intimée s'est opposée à la procédure sans audience. L'affaire a été renvoyée à l'audience du 25 novembre 2021. L'affaire a été renvoyée à la demande des parties représentées à l'audience du 10 mars 2022. À cette audience, les parties ont soutenu à l'oral les demandes et prétentions figurant dans les conclusions.

L'affaire a été mise en délibéré pour être rendu par mise à disposition au greffe le 18 mai 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Le tribunal a estimé que le manquement du preneur à ses obligations n'était pas démontré, en dépit d'un défrichement par gyro-broyeur, qu'il n'était pas établi que ce défrichement

avait eu pour conséquence l'abattage d'arbres typiques et la mort d'animaux, alors que sont implantés des cabanes de chasseurs, un terrain de moto cross sur des parcelles ni clôturées ni bornées "toutes autant d'occasion de potentielles coupes d'arbres ou destructions d'espèces protégées, sur un site dont le bailleur se fait pourtant fort, d'une part de vouloir garantir la protection eu regard de sa nature remarquable, d'autre part de veiller au respect par tous des règles d'urbanisme et d'environnement", que le bailleur avait contracté un bail à ferme dont l'objet était irréalisable en raison des réglementations, que le gyro-broyage est nécessaire pour lutter contre l'embroussaillement, que la preuve des manquements n'était pas rapportée, que le loyer n'était pas payé, que le preneur ne pouvait pas exploiter les parcelles, que la ville n'aurait pas dû conclure ce bail à ferme si l'exploitation des parcelles était rendue impossible par les réglementations d'urbanisme, ce qui justifiait sa condamnation au paiement de dommages et intérêts.

Sur la radiation

Mme [M], intimée avait dans ses premières conclusions sollicité la radiation pour défaut d'exécution. Cette demande n'est pas reprise dans les dernières conclusions et quoiqu'il en soit, elle n'aurait pas pu prospérer puisque la demande de radiation doit être faite au conseiller de la mise en état lorsqu'il est saisi, ce qui ne peut pas être le cas en matière de bail rural, ou au premier président saisi par assignation, ce qui n'a pas été fait.

Sur la résiliation du bail et la demande de dommages et intérêts

À titre préalable, il est nécessaire de relever que le projet de Mme [M] présenté en 2013, a été accepté en 2015 par la commune, que le bail a été signé suivant autorisation du 30 mai 2016, que la preneuse a été avisée de l'octroi de la dotation d'installation jeune agriculteur de 65 000 euros le 19 mai 2017, et que la réunion du 8 avril 2019, à l'initiative de Mme [L], la commune d'[Localité 4] excusée met en évidence qu'aucune exploitation du site n'est en cours. La bailleresse reproche ce défaut d'exploitation à la preneuse qui en impute la responsabilité aux manquements de sa co-contractante. Mme [M] ne produit même pas le bail litigieux mais un exemplaire non daté est versé aux débats par la commune d'[Localité 4] et les parties font état d'un bail du 1er juin 2016. Le bail porte sur un terrain lieudit [Localité 10] de 28,50 hectares, cadastré section CPN°[Cadastre 6]p, CPN°[Cadastre 2]p, CPN°[Cadastre 3]p et section CR N°[Cadastre 1]p, aux fins de développement de la culture d'immortelles et de la mise en valeur d'une oliveraie.

Le bail conclu avec une personne publique fait expressément référence au code rural et de la pêche maritime, aux arrêtés préfectoraux pour les points non prévus au contrat et aux "pratiques culturales respectueuses de l'environnement" au visa de "clauses environnementales". Il prévoit notamment l'obligation de créer et maintenir des surfaces en herbe au niveau de l'oliveraie, d'ouvrir les parcelles embroussaillées ou menacées de l'être et les maintenir débroussaillées, d'implanter et entretenir des couverts, de maintenir et améliorer et entretenir les terrasses ou murets et autres petits aménagements ruraux, de ne pas utiliser des apports en fertilisants chimiques et en produits phytosanitaires, de ne pratiquer ni l'écobuage ni le brûlage dirigé, de ne pas couper d'arbres typiques conférant

au site son aspect paysager caractéristique, sans consentement de la bailleresse. Le bail comporte en outre l'obligation de payer les fermages, de jouir du bien en bon et diligent père de famille, d'entretenir les terres en temps et saisons de manière à ne pas les détériorer, d'entretenir la lutte contre les adventices et plantes invasives et la xylella fastidiosa, d'utiliser les fumiers et engrais du bien loué pour son amendement, d'entretenir les cours, jardins, haies et clôtures naturelles, ruisseaux d'arrosages et fossés d'assainissement, abreuvoirs et chemins utiles à l'exploitation, de tailler les arbres en temps sans pouvoir "couper aucun arbre vivant sans le consentement du bailleur", de débroussailler et détruire les adventices et plantes invasives, de curer les rigoles d'amenée et d'évacuation, d'entretenir sommairement les chemins, pistes d'accès ou de desserte, de s'opposer à tout empiétement ou usurpation, de s'assurer, de rembourser à la bailleresse les impôts et taxes, de laisser un libre accès suffisant au public (chasseurs, utilisateurs du mur d'escalade, promeneurs, etc....) et ainsi qu'un libre accès à la source partagée.

Alors que le bail date du 1er juin 2016, Mme [L] a fait procéder à un état des lieux suivant constats d'huissier des 27 décembre 2017 et 10 janvier 2018, cette disposition est conforme aux prévisions du bail, de sorte qu'elle ne prête ni à conséquence, ni à discussion. Les parcelles ne sont pas bornées, elles ne l'étaient pas à la prise de possession et Mme [M] se plaint d'incursions ou d'occupation sur les parcelles louées. Elle n'est pas recevable à agir en bornage mais elle peut agir en responsabilité contre le propriétaire du fonds loué en cas de réduction de l'assiette de son droit de jouissance, ce qu'elle fait reconventionnellement dans la présente instance.

Le rapport de Mme [U] n'est pas contradictoire, pour avoir été réalisé à la seule demande de la commune d'[Localité 4], Mme [M] ne demande pas qu'il soit écarté des débats, puisqu'elle soutient qu'elle n'en redoute pas le contenu. Bien que non contradictoire, le rapport n'est pas irrecevable, il s'agit d'une pièce régulièrement soumise à la discussion des parties et débattue, dont le contenu peut être examiné, comme celui d'autres pièces.

Ce rapport identifie les parcelles CPN°4p, CPN°134p,CPN°164p et CRN°123p, précise leur situation physique et au regard de la réglementation en matière d'urbanisme, il mentionne que le projet d'exploitation d'une ferme (élevage et maraîchage) n'est pas prévu au bail. Il précise qu'il n'y a aucune culture en 2019, en dépit de la volonté manifestée de répondre aux conditions du bail environnemental.

Le constat de destruction d'espèces et habitats d'espèces protégées du Conservatoire des espaces naturels fait état d'un gyro-broyage destructeur des espèces (plantes endémiques, tortues, têtards, perdrix) et / ou de leur habitat et il précise que son contrôle a porté sur les parcelles CR [Cadastre 1] et CP[Cadastre 2].

Le rapport de la DREAL du 16 mars 2018, complété le 11 septembre 2018, fait état du déboisement des parcelles CPN°[Cadastre 2]p et CRN°[Cadastre 1]p sans demande d'évaluation préalable. Il est indiqué successivement que ce déboisement est effectué à la demande de M. [B], titulaire d'un bail, puis à la demande de Mme [M], mais qu'il est très important puisque réalisé sur une quinzaine d'hectares. Ces rapports ont été communiqués à la commune et les parties s'opposent sur la définition du déboisement, du gyro-broyage et du débroussaillage.

La demande d'autorisation d'urbanisme en vue de la construction de deux hangars de 1000 m² chacun formée par Mme [M] a été refusée par la commune le 1er juin 2018, au visa de l'absence d'information préalable de la bailleresse et de l'interdiction de construction sur les parcelles litigieuses eu égard au PLU. Cependant les améliorations prévues par le bail renvoient aux articles L411-28 et L411-73 du code rural et de la pêche maritime et précisent que sont assimilés aux améliorations les travaux ayant pour objet de permettre d'exploiter le bien loué en conformité avec la législation. Cette exigence de conformité des travaux avec la législation ou la réglementation interdit toutes les constructions en dehors des aménagements légers et elle a permis à la commune -autorité administrative- d'opposer un refus à la demande.

Le 8 avril 2019, à la demande de Mme [M] une réunion sur site a été organisée. Elle a mis en évidence, qu'elle n'avait pas respecté son obligation de solliciter l'autorisation préalable de coupe d'arbres. Au terme de ce rapport, "elle reconnaît que les travaux réalisés sont de son fait, que les parcelles font l'objet à la fois de son bail et de la convention ENGIE- commune d'[Localité 4]". Cependant, au-delà de la reconnaissance par Mme [M] de son propre manquement à ses obligations, cette réunion contradictoire a aussi mis en évidence que les travaux réalisés par Mme [M] n'étaient pas ceux limitativement prévus par les conditions environnementales du bail puisque l'utilisation "d'un bouteur chenillé muni d'une lame ayant servi à pousser les gros blocs de pierre et les carcasse de voitures a suivi celle d'un gyro-broyeur, ce qui a entraîné la formation d'andains" nécessitant une élimination par brûlage alors que "le brûlage des andains serait défavorable à tortue d'Hermann puisque ces derniers sont utilisés comme abri par cette espèce. Enfin la lame du bouteur et sans doute le poids de l'engin chenillé ont porté atteinte à un certain nombre d'individus de cette espèce".

Le recours à des apports en fertilisants chimiques et en produits phytosanitaires contraires aux clauses environnementales du bail seulement allégué, n'est pas démontré par les pièces. De même, le changement de destination par la création d'une ferme pédagogique, resté au stade de projet ne peut être considéré comme une faute du preneur. Ainsi en est-il du recours allégué à l'écobuage qui n'est pas démontré par les pièces.

En application des dispositions de l'article 564 du code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.

Or d'une part, l'article 563 du code de procédure civile autorise les parties à soumettre des moyens nouveaux, de nouvelles pièces et proposer de nouvelles preuves au soutien de leurs demandes. D'autre part, par exception, en application des dispositions de l'article 565, ne sont pas nouvelles en appel les demandes qui tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent.

En cause d'appel, la commune a fait valoir l'absence d'exploitation des parcelles en dépit des clauses du bail. Cette demande qui tend aussi la résiliation du bail, tend aux mêmes

fins que celles soumises au premier juge, elle ne peut être considérée comme nouvelle en appel. Elle est recevable.

À ce titre, Mme [M] soutient qu'elle exploite les parcelles mais aucune pièce n'est versée au soutien de cette affirmation, sauf à considérer que l'exploitation se limite à l'utilisation d'un gyro-broyeur et d'un bouteur chenillé pour pousser les gros blocs, dont il est démontré par les propres pièces de Mme [M] qu'elle n'est pas conforme aux exigences des conditions environnementales du bail. Elle ne produit aucune preuve d'une plantation, ou d'une récolte d'immortelles, aucune preuve d'une plantation ou d'une récolte d'olives, aucune preuve d'une exploitation de l'oliveraie, de réalisation de greffes, aucune facture d'achat de graines ou de plantations, aucune preuve d'un gain consécutif. En effet, l'oliveraie préexistait et, en 2019, la campagne de greffage annoncée et préconisée n'avait pas encore eu lieu.

Le non-respect de la condition environnementale du bail et le défaut d'exploitation des parcelles sont de nature à compromettre la bonne exploitation du fonds et sont constitutifs de faute. En effet, le gyro-broyage et le bulldozer ont provoqué la destruction d'espèces et de leur habitat, nécessitant "une cicatrisation de quelques années avant d'accueillir à nouveau des tortues" et il a été noté l'apparition d'une espèce végétale invasive qu'il est difficile de contenir (asparagus asparagoïde)..

Enfin, le rapport de Mme [U] a relevé le déboisement des parcelles données à bail CPN°[Cadastre 2]p et CRN°[Cadastre 1]p sans demande d'évaluation. Ce rapport est confirmé par le rapport de la DREAL du 16 mars 2018, complété le 11 septembre 2018, qui met en évidence le déboisement des parcelles données à bail CPN°[Cadastre 2]p et CRN°[Cadastre 1]p sans demande d'évaluation préalable sur une quinzaine d'hectares. La qualité des rédacteurs et les photographies jointes au rapport sont de nature à établir que "le débroussaillage" ou "le nettoyage obligatoire des parcelles" allégués par Mme [M] s'apparentaient davantage à une opération de défrichement ou de déboisement, ce qui est confirmé par la destruction d'espèces animales et par les photographies jointes. Sans qu'il soit besoin de prendre en considération l'éventuel reclassement des parcelles, ces pièces démontrent le non-respect par Mme [M] des obligations du preneur

La bailleresse a expressément repris cette critique à l'audience démontrée par les pièces et Mme [M] ne rapporte pas la preuve contraire, par des photographies ou un constat d'huissier.

L'allégation de Mme [M] suivant laquelle le bailleresse est responsable, par l'édiction de mesures administratives nouvelles lui imposant des contraintes inédites, du défaut d'exploitation ou du non-respect des conditions environnementales du bail n'est ni réaliste ni démontrée, à supposer, ce qui n'est pas prouvé, que les mesures administratives nouvelles soient applicables aux baux en cours. S'agissant de l'occupation alléguée des parcelles par des tiers, campeurs, chasseurs ou par un terrain de moto-cross, elle n'est pas sérieusement contestée par le bailleresse qui est, en revanche, responsable de l'absence de bornage et de l'absence de clôture des parcelles litigieuses. Pour autant, Mme [M]

n'allègue ni ne démontre que cette présence ponctuelle de tiers sur les parcelles dont elle est locataire l'a empêchée d'exploiter ; réciproquement l'exploitation des parcelles empêcherait ou au moins dissuaderait les tiers de s'installer sur le terrain, dont les constats démontrent qu'il était laissé à l'abandon.

Enfin, au moment où le premier juge a statué, les loyers n'étaient pas payés, de sorte qu'il ne pouvait pas considérer que les obligation du bail étaient respectées.

À titre surabondant, Mme [M] en dépit de ses écritures contraires ne prouve ni l'exploitation du fonds, ni l'entretien des parcelles et notamment de l'oliveraie envahie par le maquis.

En application des dispositions de l'article L411-1 du code rural et de la pêche maritime, les obligations du preneur relatives à l'utilisation du fonds pris à bail sont régies par les dispositions des articles 1766 et 1767 du code civil. L'article 1766 du code civil dispose : si le preneur d'un héritage rural ne le garnit pas des bestiaux et des ustensiles nécessaires à son exploitation, s'il abandonne la culture, s'il ne cultive pas raisonnablement, s'il emploie la chose louée à un autre usage que celui auquel elle a été destinée, ou, en général, s'il n'exécute pas les clauses du bail, et qu'il en résulte un dommage pour le bailleur, celui-ci peut, suivant les circonstances, faire résilier le bail.

Étant établi que Mme [M] n'a pas respecté certaines des charges du bail, le paiement du loyer, l'obligation d'exploiter et celle de respecter les clauses environnementales, le bailleur doit démontrer un dommage consécutif.

Or, le paiement du loyer ayant été effectué, le dommage consécutif au non-respect par le preneur de ses obligations allégué par la bailleresse est la destruction du site et la destruction consécutive d'espèces végétales et animales. Ainsi, dès lors que ce sont les pratiques de Mme [M], qui sont en contradiction à la fois avec les clauses environnementales du bail et les obligations de la preneuse et qu'elles ont porté atteinte à la bonne exploitation du fonds, la résiliation du bail doit être prononcée. Elle emporte expulsion de la preneuse si nécessaire avec l'assistance de la force publique et sous astreinte dans les conditions fixées au dispositif.

Sur la demande reconventionnelle

Les demandes reconventionnelles sont recevables en cause d'appel, par exception au principe fixé par l'article 564 du code de procédure civile déjà cité, selon lequel les prétentions nouvelles sont irrecevables en appel. L'article 566 du même code dispose que les parties peuvent expliciter les prétentions qui étaient virtuellement comprises dans les demandes et défenses soumises au premier juge et ajouter à celles-ci toutes les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément.

Or, la demande reconventionnelle tend à obtenir un avantage autre que le simple rejet de la prétention adverse et doit pour être recevable se rattacher aux prétentions originaires par un lien suffisant.

En l'espèce, la demande originaire est celle d'une résiliation du bail rural aux torts de la preneuse et par la demande reconventionnelle Mme [M] prétend obtenir restitution d'une partie d'une des parcelles objets du bail dont elle aurait été dépossédée et la réduction consécutive du montant du fermage. Cette demande qui ne vise pas à répondre à la demande initiale, pour formuler une prétention autonome, excède l'objet du litige fixé par l'acte introductif d'instance et les conclusions en défense. Elle ne présente pas un lien suffisant avec la demande originaire, elle est irrecevable.

Surabondamment, elle concerne d'autres parties qui ne sont pas dans la cause. Quoiqu'il en soit, ces demandes sont en contradiction avec l'absence d'exploitation effective et elles se heurtent à l'impossibilité dans laquelle les parties, notamment l'intimée, se trouvent de prouver la dépossession même partielle alléguée, puisque le terrain n'est ni borné ni clôturé.

Le jugement est infirmé en ce qu'il a statué sur les dépens et les demandes en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. En cause d'appel, Mme [M] succombe, elle est condamnée au paiement des dépens et de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

LA COUR :

- Infirme le jugement, sauf en ce qu'il a condamné Mme [V] [M] à verser à la ville d'[Localité 4], la somme de 2 565 euros au titre du loyer dû pour l'année 2019,

Statuant de nouveau,

- Prononce la résiliation judiciaire du bail signé avec Mme [M] pour l'exploitation des parcelles cadastrées section CP n° [Cadastre 6]p, [Cadastre 3]p, [Cadastre 2]p et section CR n°[Cadastre 1]p, situées [Adresse 9] lieudit « [Localité 10] »,

- Ordonne l'expulsion de Mme [V] [M] et de tout occupant de son chef, et ce, avec l'assistance de la force publique s'il y a lieu, dans un délai de deux mois à compter de la signification de l'arrêt, sous astreinte de 50 euros par jour de retard, et pendant une durée de six mois,

- Déboute Mme [V] [M] de ses demandes, y compris celle en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Y ajoutant,

- Déclare irrecevable la demande reconventionnelle de Mme [V] [M],

- Condamne Mme [V] [M] au paiement des dépens de première instance et d'appel,

- Condamne Mme [V] [M] à payer à la commune d'[Localité 4] la somme de

2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRELE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bastia
Formation : Chambre civile section 2
Numéro d'arrêt : 20/00691
Date de la décision : 18/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-18;20.00691 ?
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