Chambre civile
Section 2
ARRÊT n°
du 11 MAI 2022
n° RG 20/573
n° Portalis DBVE-V- B7E-B7P2 JJG - C
Décision déférée à la cour :
ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire d'Ajaccio, décision attaquée du 23 octobre 2020, enregistrée sous le n° 18/73
[B]
C/
S.A.R.L. CASA DI L'ORTU
Copies exécutoires délivrées aux avocats le
COUR D'APPEL DE BASTIA
CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU
ONZE MAI DEUX-MILLE-VINGT-DEUX
APPELANT :
M. [L], [P] [B]
né le 15 septembre 1935 à [Localité 5] (Corse)
camping [7]
lieudit [Localité 6]
[Localité 1]
Représenté par Me Philippe JOBIN de la SCP RENÉ JOBIN PHILIPPE JOBIN, avocat au barreau de BASTIA, Me Laétitia MARICOURT BALISONI, avocate au barreau d'AJACCIO plaidant en visioconférence
INTIMÉE :
S.A.R.L. CASA DI L'ORTU
agissant poursuites et diligences de son représentant légal en exercice domicilié ès qualités audit siège
Chez M. [W] [R]
[Adresse 3]
lieudit [Localité 4]
[Localité 2]
Représentée par Me Olivier PELLEGRI, avocat au barreau de BASTIA
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 3 mars 2022, devant Jean-Jacques GILLAND, président de chambre, chargé du rapport, les avocats ne s'y étant pas opposés.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Jean-Jacques GILLAND, président de chambre
Judith DELTOUR, conseillère
Stéphanie MOLIES, conseillère
GREFFIER LORS DES DÉBATS :
Françoise COAT.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 11 mai 2022.
ARRÊT :
Contradictoire,
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Jean-Jacques GILLAND, président de chambre, et par Françoise COAT, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DES FAITS
Par requête devant le juge de la mise en état de la chambre civile du tribunal judiciaire d'Ajaccio, M. [L] [B] a, dans le cadre du litige l'opposant à la S.A.R.L. Casa di l'ortu, soulevé l'incompétence du tribunal judiciaire au profit du tribunal paritaire des baux ruraux, et sollicité la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ordonnance du 23 octobre 2020, le juge de la mise en état de la chambre civile du tribunal judiciaire d'Ajaccio a :
'Vu l'article 771 et 776 du code de procédure civile,
Rejeté l'exception d'incompétence ;
Condamné Monsieur [B] [L] [P] à payer à la S.A.R.L. CASA DI L'ORTU la somme de Mille cinq cents euro (1.500) on application des dispositions de l'article 700 du code de Procédure Civile.
Renvoyé à l'audience de la mise en état du six janviers 2021 pour les conclusions de Monsieur [B] [L] [P] ;
Laissé les dépens à la charge Monsieur [B] [L] [P].'
Par déclaration au greffe du 23 novembre 2020, M. [L] [B] a interjeté appel de l'ordonnance prononcée en ce qu'elle a statué sur la compétence.
Par requête datée du 23 novembre 2020, déposée le même jour au greffe, M. [L] [B] a demandé au premier président de la cour d'appel d'être autorisé à faire assigner, dans le cadre d'une procédure à jour fixe, la S.A.R.L. Casa di l'ortu à comparaître devant le chambre civile à l'audience du jeudi 4 mars 2021 à 8 heures 30.
Par ordonnance du 11 décembre 2021, le premier président de la cour d'appel de Bastia a autorisé M. [L] [B] à faire assigner la S.A.R.L. Casa di l'ortu devant le chambre civile de la cour pour l'audience du 4 mars 2021.
Par acte d'huissier du 12 janvier 2021, M. [L] [B] a fait assigner la S.A.R.L. Casa di l'ortu aux fins de :
'INFIRMER l'ordonnance en date du 23 Octobre 2020 rendue par Monsieur le Juge de la Mise en Etat qui a :
- Rejeté l'exception d'incompétence ;
- Condamné Monsieur [B] [L] [P] à payer à la S.A.R.L. CASA DI L'ORTU
la somme de Mille cinq cents euro (1.500) en application des dispositions de l'article
700 du code de Procédure Civile.
- Renvoyé à 1'audience de la mise en état du six janviers 2021 pour les conclusions de
Monsieur [B] [L] [P] ;
- Laissé les dépens a la charge Monsieur [B] [L] [P] ;
En tout état de cause :
SE DÉCLARER incompétent au bénéfice du Tribunal Paritaire des baux ruraux d'AJACCIO,
CONSTATER que la Société CASA DI L'ORTU exerce l'activité de pépiniériste qui constitue une activité agricole au sens de l'article L 311-I du Code Rural,
CONDAMNER la société CASA DI L'ORTU à payer à1 Monsieur [L] [B] la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
CONDAMNER La Société CASA DI L'ORTU aux entiers dépens,
SOUS TOUTES RÉSERVES.'
Par conclusions déposées au greffe le 15 février 2022, la S.A.R.L. Casa di l'ortu a demandé à la cour de :
'Au visa de l'article 771-1 du CPC,
Au visa des articles L 311-1 et L 411-1 Code rural et de la pêche maritime
CONFIRMER en tous points l'ordonnance de Monsieur le Juge de la mise en état du 23 octobre 2020 en ce qu'elle a rejeté l'exception d'incompétence au profit du Tribunal paritaire des baux ruraux d'AJACCIO
DÉBOUTER Monsieur [B] de son appel, fins et conclusions
RENVOYER la présente instance devant Monsieur le Juge de la mise en état près le Tribunal judiciaire d'AJACCIO
CONDAMNER Monsieur [B] aux entiers dépens ainsi qu'à une somme de 3.500 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du CPC
SOUS TOUTES RÉSERVES.'
Par conclusions déposées au greffe le 21 février 2022, M. [L] [B] a demandé à la cour de :
'Vu les articles susvisés,
Vu les pièces susvisées,
CONSTATER que l'intimée a conclu le 15 Février 2022 soit le dernier jour du délai imparti, ne permettant pas à l'appelant de répliquer dans les délais impartis, contrevenant au principe du contradictoire,
ADMETTRE les présentes écritures signifiées par l'appelant en date du 21 Février 2022,
INFIRMER l'ordonnance en date du 23 Octobre 2020 rendue par Monsieur le Juge de la Mise en Etat qui a :
- Rejeté l'exception d'incompétence ;
- Condamné Monsieur [B] [L] [P] à payer à la S.A.R.L. CASA DI L'ORTU
la somme de Mille cinq cents euro (1.500) en application des dispositions de l'article
700 du code de Procédure Civile.
- Renvoyé à l'audience de la mise en état du six janvier 2021 pour les conclusions de
Monsieur [B] [L] [P] ;
- Laissé les dépens à la charge Monsieur [B] [L] [P] ;
AVANT DIRE DROIT :
ORDONNER la production des pièces suivantes :
- Le relevé parcellaire effectué auprès la Chambre d'Agriculture sur lesquelles apparaissent l'ensemble des parcelles exploitées par la SARL CASA DI L'ORTU, et par Monsieur [W] [R],
- Demandes d'autorisations de construire auprès des services compétents, mais également auprès de Monsieur [B],
- Les autorisations de constructions obtenues par les services compétents mais également par Monsieur [B],
- Autorisation d'ouverture de son commerce,
VOIR ASSORTIR cette communication de pièces d'une astreinte de 200 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir
En tout état de cause :
JUGER que la Société CASA DI L'ORTU exerce l'activité de pépiniériste qui constitue une activité agricole au sens de l'article L 311-1 du Code Rural,
JUGER que la SARL CASA DI L'ORTU ne remplit pas les conditions requises pour bénéficier d'un bail commercial,
JUGER que la SARL CASA DI L'ORTU exerce des travaux agricoles au sens de l'article L 311-1 du Code Rural,
SE DÉCLARER incompétent au bénéfice du Tribunal Paritaire des baux ruraux d'AJACCIO,
CONDAMNER la société CASA DI L'ORTU à payer à Monsieur [L] [B] la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
CONDAMNER La Société CASA DI L'ORTU aux entiers dépens,
SOUS TOUTES RÉSERVES.'
Le 3 mars 2022, la présente procédure a été mise en délibéré pour être rendue par mise à disposition au greffe le 11 mai 2022.
La cour, pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, fait, en application de l'article 455 du code de procédure civile, expressément référence à la décision entreprise ainsi qu'aux dernières conclusions notifiées par les parties.
SUR CE
Pour statuer comme il l'a fait le premier juge a considéré qu'il appartenait à la partie qui soulevait l'incompétence de la juridiction civile de droit commun de justifier de l'activité agricole de son adversaire, ce qu'elle ne ferait pas, la production d'un projet de contrat de bail rural n'étant pas en soi suffisante.
* Sur la compétence matérielle
M. [L] [B] fait valoir que, le contrat qui le liait à la S.A.R.L. Casa di l'ortu, jusqu'au 18 avril 2017, était un contrat de bail rural et non un contrat de bail commercial, sa locataire ayant une activité agricole, commercialisant des plants qu'elle produisait elle-même.
Pour appuyer sa démarche, il fait valoir que l'intimée a exercé une activité de pépiniériste, que son objet social portait sur tous travaux agricoles, travaux de paysage, d'élagage, de débroussaillage, de démaquisage et de prévention contre l'incendie avec la production de factures y afférentes, qu'elle possède un code APE d'agriculteur, qu'un projet de contrat de bail rural a été établi entre eux, que le terrain sur lequel elle était implantée est inconstructible, sans autorisation d'ouverture d'un commerce, qu'aucune des conditions d'un bail commercial n'était remplie, qu'elle était inscrite à la mutualité sociale agricole en qualité d'exploitante agricole, s'étant toujours revendiquée comme agricultrice participant aux trois étapes du cycle biologique par le biais de l'installation, sans aucune autorisation, de trois serres.
En l'espèce, la procédure a été introduite par la S.A.R.L. Casa di l'ortu qui s'est prévalue de l'existence d'un contrat de bail commercial alors que les parties ne sont liées que par un contrat de bail verbal dont la nature n'a pas été explicitée.
Il appartient donc à la locataire de démontrer qu'elle bénéficie du bail commercial revendiqué et non comme l'a écrit le premier juge, en inversant la charge de la preuve, à M. [L] [B] de démontrer l'existence d'un contrat de bail rural.
Pour se faire la S.A.R.L. Casa di l'ortu produit un extrait kbis de son inscription au registre du commerce en qualité de société commerciale, un avis de valeur d'un fonds de commerce à Propriano, un courrier émanant de la préfecture de la Corse-du-Sud dans lequel son activité est qualifiée de commerciale -pièce n°12- et diverses factures d'achat et de revente de plantes s'étalant du mois d'octobre 2011 à décembre 2015 pour les premières et de mars 2012 à octobre 2013, et ce, pour une activité ayant cessé le 18 avril 2017 sur Propriano.
Il est constant qu'une activité commerciale consiste à acheter des biens pour la revente ou la vente de certains services et qu' une activité agricole correspond aux activités d'élevage animal ou de production végétale, en ce compris la transformation, la vente, etc.. de la production réalisée.
De plus, une société est commerciale par sa forme, comme en l'espèce, et est, conformément à l'article L. 311-1 du code rural et de la pêche maritime, réputée agricole quand les activités exercées sont dans le prolongement de l'acte de production ou ont pour support l'exploitation ; quand une société exerce une activité mixte, à la fois commerciale et agricole, il y a lieu de rechercher si celle-ci est commerciale à titre principal ou si les actes de commerce ne sont que l'accessoire de l'activité agricole principale.
Cette appréciation ne peut être faite qu'au cas par cas, s'agissant d'une pure question de fait.
Or, en application de l'article L. 311-1 du code rural, l'activité des entreprises pépiniéristes et d'horticulture est réputée de nature agricole et civile, ce qui l'exclut en principe du champ d'application du régime de l'autorisation d'exploitation commerciale. Néanmoins, la vente par les horticulteurs et pépiniéristes de produits accessoires de leur activité (outillage, matériel de jardinage...) ou de produits végétaux qui ne sont pas issus de leur exploitation présente un caractère purement commercial, et se trouve en conséquence soumise à autorisation dans les conditions du droit commun,
Il est constant qu'un pépiniériste est un professionnel qui cultive, sélectionne, développe les plants dans une pépinière. La pépinière est l'endroit destiné à la multiplication de tous les végétaux d'une manière simple en utilisant le semi ou le marcottage. Dans la pépinière, les plants sont cultivés durant environ deux ans avant d'être vendus ; c'est dans cet endroit que l'on cultive les nouvelles pousses dans le but de les vendre par la suite.
A l'opposé, une jardinerie est l'endroit où on trouve des plantes en pot, mais également de nombreux autres produits, notamment tous les accessoires nécessaires pour cultiver le jardin -bâches, pelles, sécateurs, engrais, plantes à offrir- produits très variés, mais sans aucune plantes qui y a été cultivée directement
Ainsi, une pépinière est uniquement destinée à la vente de pousses qui ont été cultivées dans les serres, alors que le jardinerie vend des plantes qui proviennent d'ailleurs et qui n'ont pas été directement cultivées en son sein.
Cette définition posée, il y a lieu de relever que la S.A.R.L. Casa di l'ortu, qui se revendique jardinerie, a toute sa signalétique en tant que pépinière, qu'elle ne produit aucunement sa comptabilité permettant de vérifier que l'activité de jardinerie revendiquée est majoritaire dès l'origine de la relation contractuelle et que celle de pépiniériste n'est qu'accessoire, alors qu'il lui appartient de démonter que le contrat de bail la liant à M. [L] [B] est commercial et non rural.
De plus, M. [L] [B] produit, en pièce n°32, une analyse des composantes du chiffre d'affaires de la S.A.R.L. Casa di l'ortu de 2009 à 2015 démontrant que lors de la concrétisation du lien contractuel entre les parties la majorité du chiffre d'affaires de l'intimée provenait de la vente de sa production, cela allant même jusqu'à 80 % pour l'année 2012.
De même, il n'est nullement contesté qu'en 2009, lors de la conclusion du contrat de bail entre les parties, le bien loué était un terrain nu, -ce que confirme M. [V] [F], dans son attestation du 21 septembre 2000 dans laquelle il rapporte que le terrain loué à «un agriculteur pépiniériste» portait sur «une parcelle nettoyée et vierge de détritus et de toute construction»- alors que l'article 145-1 du code de commerce relatif au bail commercial précise que le contrat de bail doit porter sur un immeuble ou un local dans lequel est exploité un fonds de commerce, l'immeuble mentionné étant en l'espèce, une construction et non simplement un simple fonds immobilier.
Certes, des constructions ont été édifiées par le suite sur l'espace loué -serres, chalets, etc.- mais encore faut-il démontrer que ces constructions ont été bâties avec le consentement exprès du bailleur, charge de la preuve reposant sur la locataire, la seule invocation de la connaissance de ces constructions par le bailleur n'est pas suffisante pour prouver un consentement que le code de commerce qualifie d'exprès.
Ce consentement exprès ne peut être constitué par une simple connaissance des édifications s'inscrivant dans le cadre d'une simple tolérance et non pas d'un accord formalisé expressément, de plus sur un terrain inconstructible situé en zone inondable.
Ainsi, il est clairement établi, qu'en 2009, les parties ont conclu un contrat de bail rural, et ce, quand bien même par la suite à compter de l'année 2013 la S.A.R.L. Casa di l'ortu a transformé cette activité majoritairement agricole de pépiniériste en activité commerciale de prestataire de services.
Aussi, sans nécessité de s'appesantir plus longuement sur les arguments développés, notamment sur le montant du loyer qui, dans le cadre d'un contrat de bail rural, pour une surface de moins d'un hectare, est libre, il convient de retenir que la relation contractuelle ayant existé entre les parties étaient un contrat de bail rural et que tout litige portant sur son exécution relève de la compétence du tribunal paritaire des baux ruraux et non pas de la juridiction civile de droit commun.
Il convient donc d'infirmer l'ordonnance entreprise selon les modalités définies dans le dispositif de la présente décision et sans nécessité aucune, dans le cadre d'un arrêt avant-dire droit, d'accueillir la demande de production de pièces développée par M. [L] [B].
* Sur les demandes fondées sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile
S'il est équitable de laisser à la S.A.R.L. Casa di l'ortu la charge des frais irrépétibles qu'elle a engagée, il n'en va pas de même pour M. [L] [B] ; en conséquence, il
convient de débouter l'intimée de sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et d'allouer à l'appelant la somme de 3 000 euros à ce titre.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Infirme l'ordonnance querellée en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
Déclare le tribunal judiciaire incompétent ratione materiae pour statuer sur les demandes présentées par la S.A.R.L. Casa di l'ortu à l'encontre de M. [L] [B] au profit du tribunal paritaire des baux ruraux d'Ajaccio,
Déboute M. [L] [B] de sa demande avant-dire droit,
Déboute la S.A.R.L. Casa di l'ortu de l'ensemble de ses demandes,
Condamne la S.A.R.L. Casa di l'ortu à payer à M. [L] [B] la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la S.A.R.L. Casa di l'ortu au paiement des entiers dépens tant ceux de première instance qu'en cause d'appel.
LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT