ARRET No
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04 Novembre 2020
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R No RG 19/00246 - No Portalis DBVE-V-B7D-B46D
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E... H...
C/
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE LA HAUTE CORSE
----------------------Décision déférée à la Cour du :
14 août 2019
Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de BASTIA
19/00181
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COUR D'APPEL DE BASTIA
CHAMBRE SOCIALE
ARRET DU : QUATRE NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT
APPELANTE :
Madame E... H...
[...]
[...]
Représentée par Me Pasquale VITTORI, avocat au barreau de BASTIA
INTIMEE :
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE LA HAUTE CORSE - Service Contentieux
[...]
[...]
Représentée par Me Doris TOUSSAINT, avocat au barreau de BASTIA,
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 08 septembre 2020 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme COLIN, Conseillère, faisant fonction de présidente
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Mme COLIN, Conseillère, faisant fonction de présidente
Mme ROUY-FAZI, Conseillère
Mme BETTELANI, Vice-présidente placée près Monsieur le premier président
GREFFIER :
Mme COAT, Greffière lors des débats.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aura lieu par mise à disposition au greffe le 04 novembre 2020
ARRET
Contradictoire
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe.
Signé par Mme COLIN, Conseillère et par Mme COAT, Greffière présente lors de la mise à disposition de la décision.
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FAITS ET PROCEDURE
Le 27 août 2018, le supérieur hiérarchique de Mme E... H..., factrice, a établi une déclaration d'accident du travail au profit de cette dernière. Ce document fait état d'une "altercation verbale" survenue le même jour entre Mme H... et une cliente de la Poste, à la suite d'un litige relatif à la distribution d'un colis au cours d'une tournée.
Ce même 27 août 2018, Mme H... a déposé une main-courante auprès de la brigade territoriale autonome de St-Florent, dans laquelle elle décrit l'altercation avec la cliente évoquée dans la déclaration d'accident du travail.
En réponse au questionnaire adressé par la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Haute Corse, Mme H... a de nouveau évoqué l'altercation survenue le 27 août 2018 entre elle et la cliente de la Poste.
Ce même incident est mentionné par l'employeur de Mme H... le 1er avril 2019 dans le questionnaire qui lui a également été adressé.
Un certificat médical d'accident du travail, daté du 28 août 2018, fait état de "troubles anxieux sévères secondaires à [une] situation de harcèlement moral au travail".
Le 14 décembre 2018, la CPAM a notifié à Mme H... son refus de prendre en charge l'accident survenu le 27 août 2018 au titre de la législation relative aux risques professionnels.
Le 07 janvier 2019, Mme H... a contesté cette décision devant la commission de recours amiable de la caisse, en évoquant désormais un entretien conflictuel avec son supérieur hiérarchique le lendemain de l'altercation l'opposant à la cliente - soit le 28 août 2018.
La commission de recours amiable a implicitement confirmé la décision de rejet de la CPAM.
Par requête en date du 03 mai 2019, Mme H... a contesté ce nouveau refus devant le pôle social du tribunal de grande instance de Bastia.
Par jugement du 14 août 2019, celui-ci a :
- confirmé la décision de refus de prise en charge au titre de la législation sur les accidents du travail prise par la CPAM le 14 décembre 2018 ;
- condamné Mme H... aux dépens.
Le 09 septembre 2019, Mme H... a régulièrement interjeté appel de cette décision et les parties ont été convoquées à l'audience du 8 septembre 2020, à laquelle elles étaient non-comparantes mais représentées.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par conclusions écrites reprises oralement à l'audience, Mme H..., appelante, demande à la cour :
- d'infirmer le jugement du 14 août 2019 ;
- d'annuler la décision de la CPAM du 14 décembre 2018 refusant de prendre en charge l'accident déclaré au titre de la législation sur les risques professionnels ;
- de juger que les faits du 28 août 2018 constituent un accident du travail.
L'appelante fait notamment observer que son accident résulte d'une série d'événements survenus à des dates certaines, puis d'un événement soudain :
- le 11 novembre 2017, lorsque son supérieur hiérarchique lui a demandé d'assurer une tournée dans le Cap Corse malgré ses réticences, alors que les conditions météorologiques étaient défavorables et que plusieurs incidents géologiques et climatiques avaient émaillé cette même tournée deux ans auparavant ;
- en février 2018, au cours d'une réunion organisée, à la demande du médecin du travail, entre Mme H... et sa hiérarchie visant à évoquer ses craintes autour de cette même tournée, et durant laquelle Mme H... s'est sentie méprisée ;
- à Pâques 2018, lorsque son employeur lui a de nouveau demandé d'effectuer la tournée dans le Cap Corse, demande ayant justifié un arrêt de travail d'une semaine ;
- les 20, 25 et 27 août 2018, lors de tournées au cours desquelles Mme H... déclare avoir eu plusieurs différends et reçu des menaces de la part d'une cliente de la Poste à l'occasion de la distribution de colis ;
- le 28 août 2018, lorsque le supérieur hiérarchique de Mme H... a exigé, en usant selon elle d'un ton violent et sans lui apporter aucun soutien, qu'elle reprenne sa tournée en dépit du conflit l'opposant à ladite cliente, engendrant un choc émotionnel.
L'appelante fait également remarquer que la CPAM n'a pas versé aux débats les pièces ayant justifié sa décision de rejet et ne saurait s'appuyer sur la version mensongère de son employeur.
Au soutien de ses prétentions, Mme H... verse notamment aux débats :
- un certificat médical du 03 septembre 2018 établi par le Dr X..., médecin traitant, devant lequel elle a déclaré "être victime de harcèlement dans le cadre de son activité professionnelle", et qui a constaté qu'elle présentait, le 28 août 2018, "un état anxieux sévère avec pleurs, idées noires, perte de l'estime de soi, insomnies" ;
- une attestation de suivi psychologique établie le 11 janvier 2019 par Mme K..., psychologue, dont il résulte que Mme H... présente "un état d'épuisement physique, émotionnel et mental causé par une implication prolongée dans des situations professionnelles conflictuelles et trop exigeantes émotionnellement";
- un compte-rendu de consultation en cardiologie du 15 mai 2018 faisant état de son anxiété ;
- un certificat médical du Dr I..., médecin psychiatre, du 13 septembre 2019, attestant du suivi de Mme H... depuis décembre 2018 pour un "trouble anxieux dépressif et mixte" et concluant à une maladie professionnelle ;
- un courriel du médecin du travail du 27 septembre 2019, invitant la hiérarchie de Mme H... à réévaluer son poste de travail ;
- une attestation du 29 novembre 2019 de ce même médecin du travail certifiant le suivi de Mme H... depuis janvier 2018 ;
- une attestation de M. A... P..., membre élu du CHSCT courrier de la Poste de Corse.
Par conclusions écrites reprises oralement à l'audience, la CPAM de la Haute Corse, intimée, demande à la cour de confirmer le jugement du pôle social du 14 août 2019 ainsi que la décision de la caisse du 14 décembre 2018 refusant la prise en charge de l'accident déclaré par Mme H... au titre de la législation sur les risques professionnels.
La CPAM fait notamment valoir que le fait générateur d'un trouble psychosocial se définit par un événement brutal, imprévisible, exceptionnel et rompant avec le cours habituel des choses, ce que l'appelant ne démontre pas en faisant successivement état d'une altercation verbale avec une cliente - en l'absence de témoin - puis d'un entretien conflictuel avec son supérieur hiérarchique, tout en produisant un certificat et une attestation mentionnant une situation de harcèlement moral au travail et un épuisement professionnel lié à une accumulation de tensions au travail.
La CPAM en déduit que Mme H... ne rapporte pas la preuve de la survenance d'un fait accidentel le 27 août 2018.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions de la partie appelante, la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions et aux pièces déposées et soutenues à l'audience.
MOTIFS DE LA DECISION
- Sur le refus de prise en charge au titre de la législation sur les accidents de travail
Il résulte de l'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale qu'"Est considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d'entreprise".
Constitue un accident du travail un événement ou une série d'événements survenus à des dates certaines par le fait ou à l'occasion du travail, dont il est résulté une lésion corporelle, qu'elle soit d'ordre physique ou psychologique.
Si la lésion peut consister en des troubles psychologiques, ceux-ci doivent avoir été causés par un ou plusieurs événements graves présentant un caractère anormal.
En outre, lorsque la cause de la pathologie réside dans une série d'événements, la date d'apparition de la lésion est certes indifférente, mais il n'en demeure pas moins que l'apparition de cette lésion doit être soudaine et rattachable au fait accidentel.
La soudaineté est en effet le critère de distinction de l'accident du travail et de la maladie professionnelle. Ainsi, une pathologie dépressive, dès lors qu'elle survient de manière brutale et réactionnelle, consécutivement à un événement professionnel précis, peut être qualifiée d'accident du travail.
En l'espèce, la série d'événements évoqués par Mme H... ne répond pas aux critères susvisés.
L'ensemble de ces événements ne revêt en effet pas de date certaine puisque ceux de février et Pâques 2018 ne sont pas situés avec précision dans le temps.
Au surplus, le critère de la soudaineté fait défaut à plusieurs égards.
Ce constat résulte de la déclaration même d'accident du travail initiée par Mme H..., qui a d'abord évoqué une altercation avec une cliente avant de faire état, plus de quatre mois après, d'un entretien conflictuel avec son supérieur hiérarchique.
L'appelante ne démontre d'ailleurs pas la teneur exacte de l'entretien du 28 août 2018 - évoqué en des termes flous - et quand bien même la cour se contenterait des seules déclarations de l'appelante, il ne résulte pas de celles-ci que cet entretien se soit déroulé dans des conditions d'une particulière brutalité.
La chronologie des événements cités par Mme H..., remontant au 11 novembre 2017 - voire à l'année 2015 au cours de laquelle sont apparues les premières craintes autour d'une tournée postale - témoigne par elle-même du caractère progressif de la dégradation de son état de santé.
Le caractère évolutif de la pathologie de Mme H... résulte en outre d'autres pièces du dossier.
Ainsi, le Dr I..., médecin psychiatre soignant Mme H... depuis décembre 2018, énonce clairement, dans son certificat du 13 septembre 2019, que le tableau clinique présenté par sa patiente lui "paraît entrer dans le cadre d'une maladie professionnelle".
Le certificat médical d'accident du travail établi le 28 août 2018 par le Dr X... évoque une "situation de harcèlement moral au travail", la notion de "harcèlement" témoignant par nature d'un processus de dégradation des relations professionnelles exempt de soudaineté.
L'attestation de suivi psychologique établie le 11 janvier 2019 par Mme K..., psychologue, souligne "un état d'épuisement physique, émotionnel et mental causé par une implication prolongée dans des situations professionnelles conflictuelles et trop exigeantes émotionnellement".
M. P..., membre du CHSCT consulté par Mme H..., indique dans son attestation rédigée dans le cadre de la présente instance que "l'état d'anxiété et de stress"de Mme H..., à la suite de l'entretien avec son supérieur hiérarchique, "n'a fait que s'aggraver", ce dont il peut être déduit que cette dernière présentait une anxiété prééxistante à l'entretien du 28 août 2018.
En outre, tant la consultation d'un cardiologue en mai 2018 que le suivi initié dès janvier 2018 auprès du médecin du travail - soit bien antérieurement à la plupart des événements cités par Mme H... - attestent de l'état de souffrance psychique dans lequel celle-ci se trouvait déjà.
Il résulte de ces éléments que l'appelante n'apporte pas la preuve d'une apparition soudaine de sa pathologie, celle-ci s'étant au contraire progressivement installée au fil du temps.
Ainsi que les premiers juges l'ont à bon droit analysé, Mme H... présente incontestablement une souffrance psychique liée au travail, mais les événements évoqués ne constituent pas un accident au sens de la législation sur les risques professionnels.
Il ne saurait enfin être fait grief à la CPAM de s'être fondée sur les "déclarations mensongères" de l'employeur de Mme H..., la caisse ayant produit la déclaration d'accident de travail et le questionnaire renseignés par son supérieur hiérarchique. Or, celui-ci n'a fait que reprendre les termes de l'appelante relatifs à l'altercation du 27 août 2018 avec la cliente de la Poste.
Le jugement du 14 août 2019 sera donc confirmé dans toutes ses dispositions.
- Sur les dépens
L'article 696 alinéa 1 dispose que "la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie".
Mme H..., partie perdante, devra supporter la charge des dépens de la présente instance d'appel.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement et par décision contradictoire mise à disposition au greffe,
CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu le 14 août 2019 par le pôle social du tribunal de grande instance de Bastia dans l'instance opposant E... H... à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute Corse ;
CONDAMNE E... H... aux entiers dépens de l'appel.
Le greffier La présidente