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19/06/2019 | FRANCE | N°17/003314

France | France, Cour d'appel de Bastia, 04, 19 juin 2019, 17/003314


ARRET No
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19 Juin 2019
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R No RG 17/00331 - No Portalis DBVE-V-B7B-BXOZ
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Y... T... R...
C/
SAS CABINET W...
----------------------Décision déférée à la Cour du :
02 novembre 2017
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BASTIA
16/00069
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COUR D'APPEL DE BASTIA

CHAMBRE SOCIALE

ARRET DU : DIX NEUF JUIN DEUX MILLE DIX NEUF

APPELANTE :

Madame Y... T... R...
[...]
représentée par Me Stéphanie LEONETTI, avocat au barreau d

e BASTIA

INTIMEE :

SAS CABINET W... prise en la personne de son représentant légal
[...]
Représentée par Me Lucie LE COMTE DES F...

ARRET No
-----------------------
19 Juin 2019
-----------------------
R No RG 17/00331 - No Portalis DBVE-V-B7B-BXOZ
-----------------------
Y... T... R...
C/
SAS CABINET W...
----------------------Décision déférée à la Cour du :
02 novembre 2017
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BASTIA
16/00069
------------------

COUR D'APPEL DE BASTIA

CHAMBRE SOCIALE

ARRET DU : DIX NEUF JUIN DEUX MILLE DIX NEUF

APPELANTE :

Madame Y... T... R...
[...]
représentée par Me Stéphanie LEONETTI, avocat au barreau de BASTIA

INTIMEE :

SAS CABINET W... prise en la personne de son représentant légal
[...]
Représentée par Me Lucie LE COMTE DES FLORIS, substituant Me Nicole LAFFUE, avocats au barreau de MARSEILLE, et Me Benjamin GENUINI, avocat au barreau de BASTIA

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 16 avril 2019 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme BETTELANI, Vice-présidente placée près Monsieur le premier président, faisant fonction de président, chargée d'instruire l'affaire,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Mme LORENZINI, Présidente de chambre,
M. EMMANUELIDIS, Conseiller
Mme BETTELANI, Vice-présidente placée près Monsieur le premier président

GREFFIER :

Mme COMBET, Greffier lors des débats.

Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aura lieu par mise à disposition au greffe le 19 juin 2019

ARRET

Contradictoire
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe.
Signé par Mme BETTELANI, Vice-présidente placée près Monsieur le premier président pour le président empêché et par Mme COMBET, greffier présent lors de la mise à disposition de la décision.
***
EXPOSE DU LITIGE

Madame Y... T... R... a été embauchée par la S.A.S. Cabinet W... en qualité de collaboratrice comptable, suivant contrat de travail à durée indéterminée à effet du 17 mai 2010, modifié par avenant du 3 novembre 2014.

Les rapports entre les parties étaient soumis à la convention collective nationale des cabinets d'experts comptables et de commissaires aux comptes.

Madame T... R... a adressé à son employeur un courrier, daté du 15 mars 2016, aux fins de prise d'acte de la rupture de son contrat de travail.

Madame Y... T... R... a saisi le Conseil de prud'hommes de Bastia, par requête reçue le 21 mars 2016, pour obtenir notamment la requalification de la prise d'acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Selon jugement du 2 novembre 2017, le Conseil de prud'hommes de Bastia a :
- dit que les griefs invoqués par Madame Y... T... R... étaient dépourvus d'une gravité suffisante pour prononcer la prise d'acte de la rupture aux torts de l'employeur,
- dit que la prise d'acte de Madame Y... T... R... devait s'analyser en une démission,
- condamné la S.A.S. Cabinet W... à payer à Madame Y... T... R... la somme de 1 226,22 euros au titre de l'indemnité de congés payés,
- débouté Madame Y... T... R... de ses autres chefs de demande,
- condamné Madame Y... T... R... à rembourser à la S.A.S. Cabinet W... la somme de 4 867,83 euros au titre des indemnités journalières perçues,
- débouté la S.A.S. Cabinet W... de son autre chef de demande reconventionnelle,
- dit que chaque partie conservera la charge de ses propres dépens.

Par déclaration enregistrée au greffe le 1er décembre 2017, Madame Y... T... R... a interjeté appel de ce jugement en chacune de ses dispositions, hormis celle ayant débouté la S.A.S. Cabinet W... de son autre chef de demande reconventionnelle.

Aux termes des écritures de son conseil transmises au greffe en date du 27 février 2019 auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens de la partie, Madame Y... T... R... a sollicité :
- d'accueillir Madame T... en son appel et l'y dire bien fondée,
- d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions à l'exception de celle condamnant la S.A.S. W... à payer la somme de 1 226,22 euros au titre du solde de congés payés, et statuant à nouveau :
* de re qualifier la prise d'acte de rupture du 15 mars 2016 en un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* de condamner la S.A.S. W... à lui payer les sommes suivantes :
2 454 euros net au titre de l'indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement,
20 000 euros au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
3 088 euros net au titre de l'indemnité légale de licenciement,
6 629,14 euros au titre des heures supplémentaires,
3 968,61 euros net au titre des indemnités kilométriques,
- de condamner la S.A.S. W... à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, outre aux entiers dépens.

Elle a fait valoir :
- que par avenant du 3 novembre 2014, elle avait accepté sa mutation sur l'Ile-Rousse, mutation non motivée par une volonté de déménager sur l'Ile-Rousse, malgré les indications données dans l'avenant, et il était convenu qu'elle gérerait un portefeuille de vingt dossiers dans un premier temps, ce qui n'avait pas été respecté, en l'état de trente-deux dossiers confiés, soit une charge de travail de dossiers identique à la précédente, sauf que lui étaient confiées de nouvelles attributions de développement économique du cabinet qu'elle ne bénéficiait plus des moyens matériels et humains précédents,
- que la prise d'acte de la rupture devait être re qualifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse pour être motivée par des manquements graves et répétés de l'employeur, ayant empêché la poursuite du contrat de travail, dans la mesure où :
* elle avait dû subir un harcèlement moral de l'employeur, compte tenu d'une dégradation de ses conditions de travail (déménagement de son bureau effectué seule dans les jours précédant sa prise de poste à l'Ile-

Rousse, le 3 novembre 2014, mutation qu'elle n'avait pas demandé à l'origine ; surcharge de travail liée à sa prise d'un nouveau poste, avec gestion d'un portefeuille de dossiers supérieur à celui indiqué dans l'avenant et sans aide d'autres personnels pour assurer l'ensemble des missions confiées dont la gestion de clientèle et la saisie de l'ensemble des écritures comptables au même titre qu'une aide comptable ; absence de matériel [logiciels indispensables, photocopieur] suffisant contrairement aux autres salariés, seule une imprimante scanner feuille par feuille étant prévue), les agissements de son employeur (reproches non fondés, un seul dossier ayant du être rectifié, la salariée ayant du interrompre ses congés pour cela à la demande de son employeur ; réprimandes ; sarcasmes) ayant pour but de porter atteinte à sa dignité et d'altérer sa santé mentale,
* l'employeur n'avait pas respecté le droit de la salariée à bénéficier d'un congé principal d'au moins douze jours ouvrables continus, compris entre deux jours de repos hebdomadaire, conformément à l'article L3141-18 du code du travail,
* de plus, deux jours de congés avant le 31 octobre lui ont été refusés par l'employeur, sans motif légitime, celui-ci lui demandant de prendre ses congés en dehors de la période légale visée aux articles L3141-13 et suivants de code du travail,
* après sa reprise de travail fin août 2015, un arrêt de travail était intervenu à compter du 22 septembre 2015, au vu d'un état anxiodépressif réactionnel directement lié aux conditions de travail et attitude de l'employeur, et que dès lors la poursuite du contrat était impossible,
* le délai écoulé entre l'arrêt maladie et la prise d'acte de la rupture n'impliquait pas que les griefs invoqués ne permettaient pas de faire obstacle à la poursuite du contrat, mais découlait uniquement de sa volonté de trouver une solution amiable de rupture (rupture conventionnelle) de son contrat de travail,
- que consécutivement, outre des indemnités de rupture (indemnité légale de licenciement, de congés payés) des dommages et intérêts conséquents pour licenciement sans cause réelle et sérieuse devaient lui être alloués, au vu des circonstances de la rupture, malgré son investissement et dévouement dans l'entreprise, et du préjudice subi, ainsi que des dommages et intérêts pour non-respect de la procédure de licenciement,
- qu'elle étayait de manière précise sa demande au titre des heures supplémentaires non réglées par l'employeur au travers du décompte produit (ne visant aucunement des périodes de congés payés ou jours fériés, contrairement aux assertions adverses), tandis que parallèlement l'employeur ne justifiait pas des heures accomplies par la salariée ; que la jurisprudence admettait, pour permettre au salarié de fonder sa demande en paiement, que l'accord de l'employeur puisse être implicite ou qu'il soit établi que la réalisation des heures ait été rendue nécessaire par les tâches confiées,

- que s'agissant des frais de déplacement sur la période du 1er novembre 2014 au 31 janvier 2015, la clause contractuelle fixant un forfait de remboursement n'était licite qu'à condition que le salarié perçoive une rémunération, pour son travail, au moins égale au salaire minimum ; qu'or, avec les frais de déplacements réels engagés sur la période de novembre 2014 à janvier 2015, la salariée ne percevait pas le montant du SM.I.C. ; que dès lors, des indemnités kilométriques devaient lui être versées, correspondant à la différence entre la rémunération qu'elle aurait dû percevoir pour son travail et le montant du salaire minimum.

Aux termes des écritures de son conseil transmises au greffe en date du 4 mars 2019 auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens de la partie, la S.A.S. Cabinet W... a demandé :
- de confirmer le jugement en ce qu'il a :
* requalifié la prise d'acte de la rupture du contrat de travail de Madame T... R... en démission et l'a déboutée de ses demandes afférentes,
* débouté Madame T... R... de ses demandes au titre des heures supplémentaires, au titre des indemnités kilométriques, et du surplus de ses demandes,
* condamné la salariée à rembourser la somme de 4867,83 euros indûment perçue au titre des indemnités journalières,
- d'infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la S.A.S. Cabinet W... à verser à Madame T... R... la somme de 1226,22 euros au titre de l'indemnité de congés payés,
- de condamner Madame T... R... au paiement de la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Elle a exposé :
- que la salariée avait signé l'avenant à son contrat de travail formalisant sa mutation à l'Ile-Rousse, mutation découlant de l'intérêt exprimé par Madame T... R... pour ce poste, suite appel à recrutement, en lien avec le fait que le compagnon de Madame T... allait installer ses bureaux à l'Ile-Rousse ; que cet avenant ne précisait aucunement que la salariée n'avait à traiter que vingt dossiers ;
- que la prise d'acte de la rupture devait produire les effets d'une démission, en l'absence de démonstration de manquements graves et répétés de l'employeur, ayant empêché la poursuite du contrat de travail, puisque :
* l'employeur n'avait commis aucune faute et les faits invoqués n'étaient pas établis, ce dont témoignaient les changements incessants d'argumentation développée par la salariée à cet égard au cours de l'instance prud'homale,

* concernant le harcèlement moral, la salariée se contentait de procéder par simples affirmations, n'apportant pas d'éléments venant étayer ses griefs, et ne pouvait ignorer qu'en demandant son transfert à l'Ile -Rousse elle devrait accomplir certaines tâches acceptées par avance, en l'absence de secrétariat ou stagiaire sur place, tâches accomplies dans un local de 100m2 équipé des logiciels (hors un problème temporaire ayant empêché son accès à un logiciel, comme les autres salariés de l'entreprise) et du matériel adéquats (ordinateur fixe, portable, scanner, imprimante scanner et copieur), sa demande pour un matériel plus puissant (photocopieur) ayant été entendue ; que les dossiers traités au bureau d'Ile-Rousse étaient moins complexes que ceux de Bastia ou Corte, ce que confirmaient les attestations remises, et en nombre équivalent à sa précédente affection, car elle gérait 26 dossiers à Bastia représentant 88245 euros de chiffre d'affaires, tandis qu'à l'Ile-Rousse, elle traitait 22 dossiers, représentant 70 052 euros de chiffre d'affaires ; que la liste versée par la salariée comportait des dossiers qui n'étaient pas à sa charge, ne représentaient que peu d'écritures, et une charge de travail limitée, étant précisé que pour remplacer Madame T... un temps de travail d'au total 24 heures hebdomadaires avait suffi ; que l'employeur avait simplement exercé son pourvoir de contrôle, en interrogeant la salariée sur des dossiers (sans jamais user de termes dégradants ou agressifs), permettant d'éviter des erreurs et d'en corriger certaines ; que la demande réalisée auprès de la salariée d'intervenir à une reprise en dehors de son temps de travail, en août 2015, était exceptionnelle et due à une erreur grossière de la salariée, nécessitant une correction urgente ; que le refus par l'employeur de la prise de deux jours de congés fractionnés s'expliquait par des impératifs de travail ; que les arrêts maladie, ainsi que les certificats médicaux produits ne faisant que rapporter les dires de patiente, n'étaient pas décisifs dans la démonstration d'un harcèlement moral ou burn out ; qu'aucun reproche ne pouvait être valablement adressé à l'employeur s'agissant de la prise des congés payés, l'employeur ayant été souple en la matière et la seule interruption démontrée étant intervenue en août 2015 pour un motif justifié,
* les faits reprochés par la salariée n'avaient pas empêché la poursuite de son contrat pendant plusieurs mois, le départ à l'Ile-Rousse étant intervenu en novembre 2014, soit plus d'un an et demi avant sa prise d'acte, et l'interruption des congés étant intervenue en août 2015, soit plus de sept mois avant,
- que les demandes indemnitaires de la salariée étaient dès lors injustifiées, et la demande de dommages et intérêts pour licenciement irrégulier ne pouvait prospérer s'agissant d'une prise d'acte ; qu'en tout état de cause, la salariée ne justifiait d'aucun préjudice, pour avoir été embauchée le 18 avril 2016, soit un mois après sa prise d'acte,
- que Madame T... avait été remplie de ses droits concernant l'indemnité de congés payés, les absences maladies n'étant pas assimilées à du temps de travail effectif pour l'acquisition des droits à congés payés, sauf dispositions conventionnelles plus favorables, et la convention collective ne prévoyant l'assimilation des absences maladies professionnelles à du temps de travail effectif que dans la limite d'un mois,
- que la demande de Madame T... au titre des heures supplémentaires, dont le quantum avait doublé en cause d'appel (malgré la production de pièces identiques), n'était pas justifiée (au vu des heures comptabilisées) et la salariée n'avait pas averti l'employeur de la réalisation de ces heures, ni n'en avaient réclamé le paiement,
- que l'employeur avait accordé à la salariée un avantage en lui remboursant temporairement une partie des frais engagés par celle-ci pour se rendre à son ancien domicile à son nouveau lieu de travail (dans la localité où elle allait installer son nouveau domicile) et que les demandes de remboursement des frais engagés à titre personnel par Madame T... ne pouvait prospérer,
- que Madame T... avait eu un trop perçu de salaire, à hauteur de 4 867,83 euros, ayant perçu à la fois son salaire et les indemnités journalières pendant plusieurs mois, sans régularisation postérieure.

La clôture de l'instruction a été ordonnée le 5 mars 2019, et l'affaire renvoyée à l'audience de plaidoirie du 16 avril 2019, où la décision a été mise en délibéré par mise à disposition au greffe au 19 juin 2019.

MOTIFS

1) Sur la recevabilité de l'appel

Attendu que la recevabilité de l'appel n'est pas discutée ; que Madame T... R... sera déclarée recevable en son appel ;
Qu'il convient en sus d'observer que la recevabilité de l'appel incident de la S.A.S. Cabinet W... n'est pas contestée ;

2) Sur les demandes afférentes à la prise d'acte

Attendu que la prise d'acte est un mode de rupture du contrat de travail par le biais duquel le salarié met un terme à son contrat en se fondant sur des griefs qu'il impute à son employeur ;

Que cette rupture produit les effets, si les faits invoqués la justifiaient, d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ou d'un licenciement nul (notamment si elle est fondée sur des faits de harcèlement moral), soit, dans le cas contraire, d'une démission ;

Que les faits invoqués par le salarié doivent, non seulement être établis, mais constituer des manquements suffisamment graves, de nature à empêcher la poursuite du contrat, pour caractériser une rupture imputable à l'employeur ;

Que pour apprécier du caractère justifié de la prise d'acte, le juge n'est pas lié par le courrier du salarié qui la notifie à l'employeur et qu'il doit examiner les manquements invoqués devant lui par le salarié, même si celui-ci ne les a pas mentionnés dans le courrier de prise d'acte ;

Qu'en vertu de l'article L1152-1 du code du travail, le harcèlement moral est constitué d'agissements répétés ayant pour objet ou pour effet de dégrader les conditions de travail du salarié susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ;

Qu'en application de l'article L1154-1 du code du travail, dans sa version applicable aux données de l'espèce, lorsque le salarié établit la matérialité de faits constituant selon lui un harcèlement moral, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments pris dans leur ensemble permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral ; qu'au vu de ces éléments, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement, et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ;

Attendu qu'en l'espèce, Madame T... R... fonde sa demande de prise d'acte aux torts de l'employeur, sur un harcèlement moral et l'irrespect de ses droits en matière de congés ;

Qu'au soutien de ses énonciations, Madame T... vise les pièces suivantes, produites par ses soins : l'avenant au contrat de travail en date du 3 novembre 2014, le listing des dossiers en charge, le justificatif de domicile de Monsieur B..., la lettre de mission entre Monsieur B... et la S.A.S. Cabinet W... du 10 octobre 2014, les courriels entre elle-même et son employeur, en date des 1er et 2 mars 2015, le courrier entre elle-même et Monsieur M... du 2 avril 2015, le courriel reçu de Monsieur W... le 6 avril 2015, l'attestation de Fiduciaire Ile de France Méditerranée du 6 mai 2015, le planning de congés de juin 2015, le listing des appels émis du téléphone de Madame T... R... en juin 2015, son courriel du 8 juin 2015, l'attestation de Madame J..., le courriel reçu de Monsieur W... le 10 août 2015, l'échange de textos avec Monsieur W... du même jour, l'avis fiscal avec possibilité de rectification, le planning de congés d'août 2015, l'échange de textos avec le Docteur X..., client de l'entreprise, du 14 août 2015 et le texto adressé à Monsieur W... le 14 août 2015, le courriel du 2 septembre 2015 adressé à Monsieur W..., l'échange de courriels des 18 et 21 septembre 2015 entre Monsieur W... et elle-même, la photographie d'une imprimante, l'attestation de suivi de Madame I... du 3 novembre 2015, psychologue, le certificat du Docteur P..., psychiatre du 15 mars 2016, le certificat du Docteur Q... du 25 mars 2016 ;

Que concernant le harcèlement moral évoqué, il n'est pas mis en évidence une mutation imposée par l'employeur à la salariée, l'avenant au contrat de travail signé par les parties, à effet du 1er novembre 2014, révélant a contrario le plein accord de celle-ci, dans le cadre d'une "mutation volontaire" pour exercer ses fonctions dans le bureau secondaire de l'Ile-Rousse, localité où la salariée avait "l'intention de rapprocher son domicile à compter de février 2015" ; qu'au travers de cet avenant, il convient de constater que Madame T... R... , qui connaissait parfaitement l'entreprise, dans laquelle elle était intégrée depuis plus de quatre années, a accepté l'intégralité des fonctions confiées, y compris la partie liée au développement du bureau secondaire, pour laquelle une prime par nouveau client était définie ; que s'agissant du nombre de dossiers confiés, la charge de travail avait été fixée dans le cadre de l'avenant comme suit "Le portefeuille de Madame R... comporte actuellement 20 dossiers dont la liste est annexé au présent avenant. L'objectif est d'atteindre un volume de 50 dossiers au terme de 3ème année de présence pour un chiffre d'affaires oscillant entre 130 KE et 150 KE minimum. En fonction du chiffre d'affaires réalisé par le bureau de l'Ile Rousse, la direction pourra envisager l'embauche d'un(e) aide comptable à temps partiel dans un premier temps" ; que le listing des dossiers produit par Madame T... ne permet pas de retenir une surcharge de travail par rapport aux stipulations contractuelles ; qu'aucune pièce n'est versée s'agissant du déménagement de bureau avant son entrée en fonctions ; que l'absence de matériels indispensables à son activité dans le bureau de l'Ile Rousse ne ressort pas des éléments produits, étant observé que la photographie de l'imprimante n'est pas datée, ni le lieu déterminé ; que parallèlement, les échanges de courriels avec d'autres membres de l'entreprise et avec Monsieur W..., s'ils sont assez directs, voire très directs dans leur formulation, ne révèlent pas un exercice véhément, ou irrégulier par l'employeur de son pouvoir disciplinaire ou de contrôle à l'égard de la salariée et plus globalement de ses pouvoirs propres (par exemple en matière de fixation de congés) ainsi que de ses obligations propres, notamment en matière d'obligation de sécurité de résultat au sein de l'entreprise ; que les courriers de la salariée ne font que retracer ses dires, de même que les certificats médicaux produits, dont deux sont postérieurs à la rupture contractuelle ; que l'interruption (sur une journée le 14 août 2015) des congés d'août 2015 de la salariée, pour régler une situation comptable, a un caractère ponctuel et inhabituel, en l'absence d'autres interruptions mises en évidence ; que parallèlement, le sujet de l'appel téléphonique du 24 juin 2015 de Monsieur W... à Madame T... R... , appel relaté par une attestation de J... (dont la pièce d'identité est fournie et qui ne répond pas intégralement au formalisme exigé par l'article 202 du Code de procédure civile, ce qui n'empêche pas toutefois qu'en soit apprécié le contenu), n'est aucunement

précisé, étant rappelé que la salariée et Monsieur W... avait précédemment des relations amicales, ce que chacune des parties reconnaît sans difficulté aux débats ;

Qu'il convient de constater, à l'examen attentif des pièces versées aux débats par ses soins, que Madame T... R... n'établit pas la matérialité de faits permettant, pris dans leur ensemble, de présumer l'existence d'un harcèlement moral ;

Que dans le même temps, le refus opposé par l'employeur à la prise de deux jours de congés les 25 septembre et le 22 octobre 2015 ne révèle pas de violation par l'employeur de ses obligations, celui-ci étant libre d'accorder ou non les congés sollicités et le refus étant lié aux contraintes de l'entreprise ; que les dispositions des articles L3141-13 et suivants du code du travail n'ont pas été violé par ce refus, l'intégralité des congés n'ayant pas à être prise entre le 1er mai et le 31 octobre de chaque année ;

Que concernant le retour de la salariée dans l'entreprise le 14 août 2015, alors qu'elle était normalement en congés payés depuis le 3 août 2015, congés repris à l'issue de cette journée du 14 août jusqu'au 25 août 2015, et le non-respect, dans ce cadre, du délai de congé principal d'au moins 12 jours ouvrables continus, compris entre deux jours de repos hebdomadaire, dont l'employeur ne nie pas la réalité, ce seul fait, isolé, ne constitue pas un manquement suffisamment grave, de nature à empêcher la poursuite du contrat, contrat qui a d'ailleurs perduré plus de sept mois, la prise d'acte étant datée du 15 mars 2016 ;

Que dès lors, en l'absence de manquement suffisamment grave, de nature à empêcher la poursuite du contrat, et caractériser ainsi une rupture imputable à l'employeur, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a dit que la prise d'acte doit produire les effets d'une démission et débouté Madame T... R... de ses demandes :
* de requalifier la prise d'acte de rupture du 15 mars 2016 en un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* de condamner la S.A.S. W... à lui payer les sommes suivantes : 2454 euros net au titre de l'indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement, 20000 euros au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 3088 euros net au titre de l'indemnité légale de licenciement ;

3) Sur la demande au titre des heures supplémentaires

Attendu qu'en vertu de l'article L 3171-4 du code du travail, la preuve des heures de travail effectuées n'incombe spécialement à aucune des parties ; que si l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisées par le salarié, il appartient cependant au salarié de fournir préalablement au juge des éléments de nature à étayer sa demande ;

Attendu qu'il est admis en outre que le juge ne peut pas extrapoler sur les données fournies par le salarié ; que celui-ci ne peut pas fournir d'éléments relatifs à une période déterminée pour demander le paiement d'heures effectuées au cours d'une autre période, sans apporter d'éléments relatifs à cette dernière période ;

Attendu que le juge forme sa conviction au vu des éléments du débat relatif aux heures effectuées, après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles ;

Attendu qu'en l'espèce, Madame T... R... expose avoir effectué des heures supplémentaires au cours des années 2014 et 2015, non réglées par l'employeur, et sollicite à ce titre une somme de 6 629,14 euros ;

Que pour étayer sa demande, Madame T... R... produit, en dehors de ses bulletins de salaire, une pièce intitulée "temps du collaborateur E... par dossier", relative au temps passé sur chaque dossier par ses soins au cours des années visées ; que cette pièce ne comporte pas de mention relative aux horaires journaliers de début et de fin de travail, ni de décompte jour par jour des heures effectuées, ni de décompte comptabilisant les heures supplémentaires alléguées dont le paiement est sollicité ;

Que dès lors, la Cour ne peut que constater que ces éléments ne sont de nature à étayer, de manière suffisamment précise, ses prétentions et à permettre ainsi à l'employeur de répondre en fournissant ses propres éléments ;

Que consécutivement, Madame T... R... sera déboutée de sa demande de ce chef, le jugement entrepris étant confirmé à cet égard ;

4) Sur la demande au titre du reliquat d'indemnité de congés payés

Attendu qu'il résulte de l'article L3141-5 du code du travail, dans sa version applicable aux données de l'espèce, sauf dispositions conventionnelles plus favorables, ne sont pas considérées comme période de travail effectif pour la détermination des droits à congés, les périodes d'absences du salarié pour maladie, hors périodes de suspension du contrat de travail pour maladie professionnelle ou accident de travail ;

Que la convention collective applicable dispose en son article 7 que "sont assimilées à un temps de travail effectif au sens de la présente convention collective les absences pour maladies non professionnelles dans la limite de 1 mois par année de référence", étant précisé que la période de référence s'étend du 1er juin au 31 mai ;

Qu'en l'espèce, il est constant au dossier que les arrêts de travail pour maladie de Madame T... R... sur la période du 22 septembre 2015 au 15 mars 2016, n'étaient pas des arrêts pour maladies professionnelles ou accident de travail ; que dès lors, après avoir rappelé que les mentions portées sur les bulletins de paie n'ont qu'une valeur informative et ne valent que simple présomption pouvant être écartée par la preuve contraire, il convient de constater qu'au regard des règles textuelles susvisées, l'employeur justifie du caractère erroné du décompte des congés payés figurant sur les derniers bulletins de paie, puisque ne pouvaient être retenus des droits à congés payés d'un total de 12,5 jours pour la période d'arrêt maladie ordinaire du 22 septembre 2015 au 15 mars 2016 ; que parallèlement, l'employeur démontre avoir réglé à la salariée une somme de 3004,26 euros brut au titre de l'indemnité de congés payés (24,5 jours) subsistants réellement au jour de la rupture ;

Que par suite, Madame T... R... sera déboutée de sa demande de ce chef, le jugement entrepris étant infirmé à cet égard ;

5) Sur la demande au titre de frais de déplacement

Attendu que Madame T... R... sollicite la condamnation de l'employeur à lui verser une somme de 3968,61 euros au titre de frais de déplacement, sur la période de novembre 2014 à janvier 2015 ;

Qu'au vu des pièces produites, ont été respectées les dispositions contractuelles liant les parties (article 2 de l'avenant à effet du 1er novembre 2014 relatif à la prise en charge provisoire des frais de déplacement professionnels quotidiens), étant observé que la clause de remboursement forfaitaire des frais prévue à cet article 2 est licite, puisque la salariée a perçu une rémunération, pour son travail proprement dit, au moins égale au S.M.I.C. ou au minimum conventionnel ; que Madame T... R... n'argue pas d'autre moyen au soutien de sa demande, notamment celui d'une disproportion manifeste ;

Que consécutivement, Madame T... R... sera déboutée de sa demande de ce chef ; que le jugement entrepris sera confirmé à cet égard ;

6) Sur la demande reconventionnelle de remboursement

Attendu que Madame T... R... ne développe pas de moyen au soutien de sa demande d'infirmation sur ce point ; que le jugement entrepris ne pourra qu'être confirmé à cet égard ;

7) Sur les autres demandes

Attendu que le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a dit que chaque partie conservera la charge de ses propres dépens de première instance ;

Que Madame T... R... sera condamnée aux dépens de l'instance d'appel, à laquelle elle succombe principalement ;

Que sa demande de condamnation sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, sera rejetée au titre des frais irrépétibles de première instance (le jugement entrepris étant confirmé à cet égard) et d'appel ;

Que l'équité ne commande pas de condamner Madame T... R... à verser à la S.A.S. Cabinet W... au titre des frais irrépétibles d'appel ;

Que les parties seront déboutées de leurs demandes plus amples ou contraires à ces égards ;

PAR CES MOTIFS

L A C O U R,

Statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition au greffe,

DIT Madame Y... T... R... recevable en son appel principal,

CONSTATE que la recevabilité de l'appel incident de la S.A.S. Cabinet W... n'est pas contestée,

Statuant dans les limites de l'appel,

CONFIRME le jugement rendu par le Conseil de prud'hommes de Bastia le 2 novembre 2017, tel que déféré, sauf en ce qu'il a :
- condamné la S.A.S. Cabinet W... à payer à Madame Y... T... R... la somme de 1226,22 euros au titre de l'indemnité de congés payés,

Et statuant à nouveau du chef infirmé et y ajoutant,

DEBOUTE Madame Y... T... R... de sa demande de condamnation de la S.A.S. Cabinet W... à lui verser une somme de 1 226,22 euros au titre du reliquat d'indemnité de congés payés,

DÉBOUTE Madame Y... T... R... de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles d'appel,

DEBOUTE la S.A.S. Cabinet W... de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles d'appel,

CONDAMNE Madame Y... T... R... aux dépens de l'instance d'appel,

DEBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bastia
Formation : 04
Numéro d'arrêt : 17/003314
Date de la décision : 19/06/2019
Sens de l'arrêt : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.bastia;arret;2019-06-19;17.003314 ?
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