ARRET No
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17 Avril 2019
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R No RG 18/00127 - No Portalis DBVE-V-B7C-BYYA
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Z... M...
C/
SARL E...
----------------------Décision déférée à la Cour du :
13 avril 2018
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'Ajaccio
F 17/00322
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COUR D'APPEL DE BASTIA
CHAMBRE SOCIALE
ARRET DU : DIX SEPT AVRIL DEUX MILLE DIX NEUF
APPELANT :
Monsieur Z... M... autorisé par décret en date du 21 mars 2018 à changer de nom de R... en M...
[...]
[...]
Représenté par Me Cécile PANCRAZI-LANFRANCHI de la SCP LANFRANCHI PANCRAZI, avocat au barreau d'AJACCIO
INTIMEE :
SARL E..., prise en la personne de son représentant légal,
No SIRET : 392 447 686 00016
[...]
Représentée par Me Jean LUISI, avocat au barreau d'AJACCIO
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 12 février 2019 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme BETTELANI, Vice-présidente placée près Monsieur le premier président, faisant fonction de président, chargée d'instruire l'affaire,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Mme LORENZINI, Présidente de chambre,
M. EMMANUELIDIS, Conseiller
Mme BETTELANI, Vice-présidente placée près Monsieur le premier président
GREFFIER :
Mme COMBET, Greffier lors des débats.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aura lieu par mise à disposition au greffe le 17 avril 2019
ARRET
Contradictoire
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe.
Signé par Mme LORENZINI, Présidente de chambre faisant fonction de président et par Mme COMBET, Greffier présent lors de la mise à disposition de la décision.
***
EXPOSE DU LITIGE
Monsieur Z... R... a été embauché par la S.A.R.L. E... G... C etamp; TP Publics en qualité de chauffeur poids lourds, suivant contrat de travail à durée indéterminée à effet du 21 janvier 2010. Les rapports entre les parties étaient soumis à la convention collective nationale du bâtiment et des travaux publics.
Selon courrier en date du 31 octobre 2016, l'employeur a convoqué le salarié à un entretien préalable à un licenciement fixé au 15 novembre 2016, et celui-ci s'est vu notifier son licenciement pour cause réelle et sérieuse par lettre recommandée avec avis de réception adressée le 2 décembre 2016.
Monsieur Z... R... a saisi le Conseil de prud'hommes d'Ajaccio, par requête reçue le 27 janvier 2017, de diverses demandes.
Par jugement du 13 avril 2018, le Conseil de prud'hommes d'Ajaccio a :
- constaté le caractère abusif du licenciement intervenu,
- requalifié le licenciement en licenciement pour faute simple,
- condamné en denier ou quittance la S.A.R.L. E... G... Carrières et Travaux Publics à verser à Monsieur Z... R... la somme de 2 199,07 euros au titre des indemnités légales de licenciement pour faute simple,
- débouté Monsieur Z... R... de toutes ses autres demandes,
- débouté la S.A.R.L. E... G... Carrières et Travaux Publics de toutes ses demandes,
- condamné la S.A.R.L. E... G... Carrières et Travaux Publics aux entiers dépens de l'instance.
Par déclaration enregistrée au greffe le 14 mai 2018, Monsieur Z... R... a interjeté appel de ce jugement en chacune de ses
dispositions, sauf en ce qui concerne le caractère abusif du licenciement.
Aux termes des écritures de son conseil transmises au greffe en date du 10 juillet 2018 auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens de la partie, l'appelant a sollicité :
- de confirmer le jugement en ce qu'il a constaté le caractère abusif du licenciement,
- de l'infirmer pour le surplus,
- de dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- de condamner la S.A.R.L. E... à lui verser les sommes de :
* 40 000 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- de condamner la S.A.R.L. E... aux dépens.
Il a fait valoir :
- que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse, les faits invoqués n'étant pas étayés par des éléments objectifs et vérifiables, et l'employeur ne pouvant fonder un licenciement pour des faits survenus au sein et pour le compte d'une entreprise tierce, auprès de laquelle il avait effectué un prêt de main d'oeuvre illicite concernant Monsieur R...,
- qu'il ne pouvait lui être reproché l'utilisation d'un véhicule de l'entreprise à des fins personnelles, puisque ce véhicule appartenait à une entreprise tierce,
- qu'il n'a jamais reconnu les faits reprochés, contrairement à ce qu'affirmait l'employeur, et il ne pouvait être tiré argument des correspondances entre les parties, adressées par le salarié dans une période délicate au plan personnel,
- que des dommages et intérêts substantiels devaient dès lors lui être alloués, étant relevé qu'il n'avait jamais subi de sanctions disciplinaires préalables, qu'il était âgé de cinquante ans et subissait un licenciement abusif.
Aux termes des écritures de son conseil transmises au greffe en date du 26 juillet 2018 auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens de la partie, l'intimée a demandé :
- de dire juger régulier et justifié le licenciement pour cause réelle et sérieuse,
- de débouter Monsieur Z... R... de l'ensemble de ses demandes,
- de condamner Monsieur Z... R... au paiement de la somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre aux dépens.
Elle a exposé :
- que le licenciement était justifié, les faits reprochés au salarié étant avérés (ce que confirmaient les pièces produites par l'employeur) et reconnus par Monsieur R... lors de l'entretien préalable et au travers des correspondances adressées à l'employeur, et rendant impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, au vu de la perte évidente de confiance en découlant,
- que l'entreprise faisait partie du Groupe Rocca, et qu'aucun prêt de main d'oeuvre illicite n'étant existant, le contrat de travail prévoyant expressément que Monsieur R... pourrait être amené à travailler pour d'autres entités du groupe et à conduire tout véhicule poids-lourds confié dans le cadre de ses fonctions, y compris n'appartenant pas à la Société E...,
- qu'en l'occurrence, la Société Environnement Services avait prêté à l'entreprise un véhicule utilisé par Monsieur R..., sans donc de mise à disposition à une entreprise tierce ou de lien de subordination auprès d'une autre entreprise, cette clause contractuelle avait été appliquée et le salarié avait travaillé avec un véhicule appartenant à la Société Environnement Services, pour des missions confiées par la S.A.R.L. E..., dans le cadre de la relation de travail liant les parties,
- que l'attestation produite par le salarié, émanant de Monsieur T..., était de pure opportunité.
La clôture de l'instruction a été ordonnée le 4 décembre 2018, et l'affaire renvoyée à l'audience de plaidoirie du 12 février 2019.
Le 7 janvier 2019, le conseil de l'appelant a avisé la Cour de ce que Monsieur R... a été autorisé, par décret du 21 mars 2018, à changer son nom de R... en M....
A l'audience de plaidoirie du 12 février 2019, la décision a été mise en délibéré par mise à disposition au greffe au 17 avril 2019.
MOTIFS
Attendu qu'il y a lieu de procéder immédiatement à la rectification du jugement déféré, s'agissant du nom de l'employeur mentionné dans le dispositif, en ce qu'il s'agit de S.A.R.L. E... G... C etamp; TP Publics (suivant extrait Kbis) et non de la S.A.R.L. E... G... Carrières et Travaux Publics ;
1) Sur les limites de l'appel
Attendu qu'aux termes finaux de la déclaration d'appel, l'appel interjeté ne vise pas les dispositions du jugement du Conseil de prud'hommes d'Ajaccio , concernant le caractère abusif du licenciement ;
Que l'annulation du jugement entrepris n'est pas sollicitée, tandis qu'il n'est pas argué d'une indivisibilité de l'appel ;
Qu'aucun appel incident n'est intervenu ;
Que les dispositions du jugement du Conseil de prud'hommes d'Ajaccio du 13 avril 2018 (tenant à la constatation du caractère abusif du licenciement), non déférées à la Cour, sont devenues irrévocables et il n'y a pas lieu à statuer les concernant ;
2) Sur le licenciement
Attendu que l'article L 1232-1 du code du travail subordonne la légitimité du licenciement à une cause réelle et sérieuse ; qu'en application de l'article L 1235-1 du code du travail, lorsqu'il est saisi du bien fondé d'une mesure de licenciement, le juge se détermine au vu des éléments qui lui sont fournis par les parties, le doute devant profiter au salarié ; qu'il est néanmoins admis qu'il appartient à l'employeur d'établir de façon certaine la réalité des faits et de fournir au juge des éléments permettant de caractériser leur caractère suffisamment sérieux pour légitimer le licenciement ;
Attendu qu'il convient donc d'apprécier la réalité des faits énoncés par la lettre de licenciement fixant de manière irrévocable les limites du litige, puis le sérieux du motif invoqué ;
Attendu que la lettre de licenciement datée du 2 décembre 2016 mentionne :
"Monsieur,
Par courrier du 31 octobre 2016, nous vous avons convoqué à un entretien préalable à la sanction que nous envisagions de prendre à votre encontre.
Nous vous avons donc reçu le 15 novembre 2016 afin de recueillir vos explications sur les faits qui vous sont reprochés, à savoir d'avoir utilisé à des fins personnelles le véhicule de l'entreprise sans autorisation de votre hiérarchie, pour faire vos achats personnels et pour effectuer une livraison de matériel pour votre compte personnel.
Lors de l'entretien préalable, vous avez spontanément reconnu en présence de votre responsable M. A... avoir déjà utilisé fin octobre le camion de l'entreprise à des fins privées pendant votre temps de travail s'agissant d'une livraison de sable pour votre compter personnel, mais également pour vos "courses personnelles" du 28 octobre 2016 aux alentours de 10 heures, à MR BRICOLAGE.
Ce jour, une demie heure avant les faits et dans le plus total paradoxe, vous aviez vous-même sollicité un renfort auprès de votre responsable, car vous ne "parveniez pas à acheminer toutes vos bennes", renfort qui
vous avait été immédiatement accordé.
Ainsi que nous vous l'avons rappelé lors de l'entretien, l'utilisation des véhicules de l'entreprise à des fins privées, sans autorisation de votre hiérarchie, est strictement interdite. Le Règlement intérieur de l'entreprise précise par ailleurs cette interdiction :
"Dans ce cadre, il est par ailleurs interdit au personnel, à l'intérieur comme à l'extérieur de l'entreprise :
-d'emprunter et utiliser à des fins personnelles un outil, un matériel, un engin ou un véhicule de l'entreprise sans autorisation expresse et préalable de la direction ;"
Ainsi que nous vous l'avons exposé lors de l'entretien, de tels agissements ne sont pas acceptables et dénotent d'une totale désinvolture de votre part, tant à l'égard de vos missions quotidiennes que des engagements de l'entreprise souscrits auprès de nos clients institutionnels.
De plus, le caractère réitéré de votre comportement ne nous permet plus de vous accorder notre confiance, composante essentielle d'un chauffeur PL affecté à des marchés de commande publique par définition exigeants.
Par conséquent, et considérant que les faits ci-dessus rappelés contituent des manquements majeurs à vos obligations professionnelles, nous vous notifions par la présente votre licenciement pour cause réelle et sérieuse.
Votre contrat de travail sera donc rompu à l'issue de votre préavis de 2 mois courant à compter de la première présentation du présent courrier. Nous vous rappelons que pendant ce préavis, vous restez tenu à l'ensemble de vos obligations professionnelles.[...]" ;
Attendu qu'aux termes de cette lettre de licenciement, la S.A.R.L. E... G... C etamp; TP Publics, qui se place sur le terrain disciplinaire, émet un grief à l'égard du salarié, tenant à l'utilisation du véhicule de l'entreprise, sans autorisation de sa hiérarchie, à des fins personnelles (achats et livraison de matériel) ;
Attendu que le grief énoncé dans la lettre du licenciement, qui fixe les limites du litige, implique que l'employeur démontre que le salarié a utilisé un véhicule de l'entreprise ; Qu'or, comme le soulève de manière fondée le salarié, l'employeur échoue à faire une telle démonstration ; qu'en effet, au regard des indications émanant de l'employeur lui-même, la S.A.R.L. Environnement Services était le propriétaire du véhicule concerné, véhicule pour lequel n'est versé au dossier aucun document relatif à un prêt ou une détention juridiquement octroyée par la S.A.R.L. Environnement Services à la S.A.R.L. E... G... C etamp; TP Publics; que la clause du contrat de travail liant Monsieur R... à la S.A.R.L. E... G... C etamp; TP Publics précisant que "Monsieur R... Z... pourra être amené à la demande et sous l'autorité directe du chef d'entreprise [...] à travailler
pour d'autres entités du groupe Rocca et à conduire en conséquence tous véhicules PL confiés dans le cadre de ses fonctions, y compris ceux n'appartenant pas à la société E..." est incidence, puisque la lettre de licenciement vise explicitement l'utilisation du véhicule de l'entreprise, soit un véhicule de la S.A.R.L. E... G... C etamp; TP Publics, employeur ; Que dès lors, le grief énoncé dans la lettre de licenciement n'est pas établi sans qu'il y ait besoin d'aller plus en avant dans l'examen des autres moyens développés par les parties à ces égards ;
Que par suite, le licenciement sera dit dépourvu de cause réelle et sérieuse, le jugement entrepris étant infirmé en ce qu'il a requalifié le licenciement en licenciement pour faute simple ; qu'il sera également infirmé en ce qu'il a condamné l'employeur à verser à Monsieur R... une somme de 2199,07 euros au titre d'indemnités légales de licenciement pour faute simple, étant observé que Monsieur R... sollicitait uniquement devant les premiers juges (comme en cause d'appel) des dommages et intérêts réparant le préjudice né du licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Qu'au moment de la rupture du contrat de travail, le salarié avait plus de deux ans d'ancienneté dans la société, qui comptait onze salariés et plus ; qu'en l'absence de réintégration envisagée, et au regard de son ancienneté, de son âge, d'absence de justificatifs produits sur sa situation postérieure, Monsieur R... devenu Monsieur M... se verra allouer des dommages et intérêts à hauteur de 11970 euros et sera débouté du surplus de sa demande, faute de rapporter la preuve d'un plus ample préjudice ; que le jugement entrepris sera infirmé à cet égard ;
Que par application de l'article L 1235-4 du Code du travail, sera ordonné d'office le remboursement par l'employeur des indemnités de chômage éventuellement versées par Pôle emploi dans la limite de six mois ;
3) Sur les autres demandes
Attendu que la S.A.R.L. E... G... C etamp; TP Publics, succombant principalement à l'instance, sera condamnée aux dépens de première instance (le jugement entrepris étant confirmé sur ce point) et aux dépens de l'instance d'appel ;
Que l'équité ne commande pas de prévoir de condamnation sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de première instance (le jugement entrepris étant confirmé à cet égard) et d'appel ;
Que les parties seront déboutées de leurs demandes plus amples ou contraires à ces égards ;
PAR CES MOTIFS
L A C O U R,
Statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition au greffe,
Statuant dans les limites de l'appel,
CONSTATE que l'annulation du jugement entrepris n'est pas sollicitée, tandis qu'il n'est pas argué d'une indivisibilité de l'appel,
CONSTATE qu'aucun appel incident n'est intervenu,
DIT dès lors que les dispositions du jugement du Conseil de prud'hommes d'Ajaccio du 13 avril 2018 (tenant à la constatation du caractère abusif du licenciement), qui n'ont pas été déférées à la Cour, sont devenues irrévocables et qu'il n'y a pas lieu à statuer les concernant,
INFIRME le jugement rendu par le Conseil de prud'hommes d'Ajaccio le 13 avril 2018, tel que déféré, sauf en ce qu'il a :
- débouté les parties de leur demande sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamné la S.A.R.L. E... G... Carrières et Travaux Publics aux dépens de première instance, sous la seule réserve de correction du nom de l'employeur en ce qu'il s'agit de la S.A.R.L. E... G... C etamp; TP Publics,
Et statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
DIT que le licenciement dont Monsieur Z... R... a été l'objet de la part de la S.A.R.L. E... G... C etamp; TP Publics est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
CONDAMNE la S.A.R.L. E... G... C etamp; TP Publics, prise en la personne de son représentant légal, à verser à Monsieur Z... R... devenu Monsieur Z... M... la somme de 11970 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
ORDONNE, par application de l'article L 1235-4 du Code du travail, le remboursement par l'employeur des indemnités de chômage
éventuellement versées par Pôle emploi à Monsieur Z... R... devenu Monsieur Z... M... dans la limite de six mois,
DÉBOUTE les parties de leurs demandes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles d'appel,
CONDAMNE la S.A.R.L. E... G... C etamp; TP Publics, prise en la personne de son représentant légal, aux dépens de l'instance d'appel,
DEBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
LE GREFFIER LE PRESIDENT