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16/01/2019 | FRANCE | N°18/000014

France | France, Cour d'appel de Bastia, 04, 16 janvier 2019, 18/000014


ARRET No
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16 Janvier 2019
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R No RG 18/00001 - No Portalis DBVE-V-B7C-BXW6
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AA... T...
C/
SAS SOCIETE CORSE DE DISTRIBUTION – SO.CO.DI.

----------------------Décision déférée à la Cour du :
07 décembre 2017
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'AJACCIO
F 17/00169
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COUR D'APPEL DE BASTIA

CHAMBRE SOCIALE

ARRET DU : SEIZE JANVIER DEUX MILLE DIX NEUF

APPELANTE :

Madame AA... T...
[...]
[...]
Représentée par M

e LIONS, substituant Me Cécile PANCRAZI-LANFRANCHI de la SCP LANFRANCHI PANCRAZI, avocat au barreau d'AJACCIO, plaidant en visioconférence...

ARRET No
-----------------------
16 Janvier 2019
-----------------------
R No RG 18/00001 - No Portalis DBVE-V-B7C-BXW6
-----------------------
AA... T...
C/
SAS SOCIETE CORSE DE DISTRIBUTION – SO.CO.DI.

----------------------Décision déférée à la Cour du :
07 décembre 2017
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'AJACCIO
F 17/00169
------------------

COUR D'APPEL DE BASTIA

CHAMBRE SOCIALE

ARRET DU : SEIZE JANVIER DEUX MILLE DIX NEUF

APPELANTE :

Madame AA... T...
[...]
[...]
Représentée par Me LIONS, substituant Me Cécile PANCRAZI-LANFRANCHI de la SCP LANFRANCHI PANCRAZI, avocat au barreau d'AJACCIO, plaidant en visioconférence depuis Ajaccio,

INTIMEE :

SAS SOCIETE CORSE DE DISTRIBUTION – SO.CO.DI. agissant poursuites et diligences de son représentant légal en exercice domicilié ès qualités audit siège, [...]
Représentée par Me Olivier PELLEGRI, avocat au barreau de BASTIA

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 novembre 2018 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme LORENZINI, Présidente de chambre, faisant fonction de président, chargée d'instruire l'affaire,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Mme LORENZINI, Présidente de chambre,
M. EMMANUELIDIS, Conseiller
Mme BETTELANI, Vice-présidente placée près Monsieur le premier président

GREFFIER :

Mme COMBET, Greffier lors des débats.

Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aura lieu par mise à disposition au greffe le 16 janvier 2019

ARRET

Contradictoire
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe.
Signé par Mme LORENZINI, Présidente de chambre faisant fonction de président et par Mme COMBET, Greffier présent lors de la mise à disposition de la décision.

***
EXPOSE DU LITIGE

Madame AA... T... a été embauchée par la S.A.S. Société Corse de Distribution (So.co.di) en qualité d'employé vendeur boutique niveau II, suivant contrat de travail à durée déterminée, pour la période du 18 septembre au 18 décembre 2012, renouvelé jusqu'au 18 mars 2013. La relation de travail s'était poursuivie au travers d'un contrat à durée indéterminée, à effet du 19 mars 2013, la salariée occupant, suivant avenant du 20 mars 2013, les fonctions de responsable point de vente niveau IV, poste auquel elle a définitivement affectée à compter du 31 août 2013.

Les rapports entre les parties étaient soumis à la convention collective nationale des commerces de détail non alimentaires.

Selon courrier en date du 28 décembre 2015, la S.A.S. Société Corse de Distribution (So.co.di) a convoqué la salariée à un entretien préalable à un licenciement fixé au 12 janvier 2016. Madame AA... T... s'est vue notifier son licenciement pour cause réelle et sérieuse par lettre recommandée avec avis de réception adressée le 20 janvier 2016.

Madame AA... T... a saisi par requête le Conseil de prud'hommes d'Ajaccio, de diverses demandes.

Selon jugement du 7 décembre 2017, le Conseil de prud'hommes d'Ajaccio a :
- dit que le licenciement de Madame AA... T... était justifié sur le fond et sur la forme,
- débouté Madame AA... T... de l'ensemble de ses demandes,
- débouté la S.A.S. Société Corse de Distribution (So.co.di) de sa demande reconventionnelle au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné Madame AA... T... aux dépens et dit qu'ils seront recouvrés conformément aux textes régissant l'aide juridictionnelle.

Par déclaration enregistrée au greffe le 3 janvier 2018, Madame AA... T... a interjeté appel de ce jugement en chacune de ses dispositions.

Aux termes des dernières écritures de son conseil transmises au greffe en date du 24 mai 2018, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens de la partie, Madame AA... T... a sollicité l'infirmation du jugement en toutes ses dispositions et statuant à nouveau:
- d'annuler les sanctions prononcées à l'égard de la salariée et notamment les avertissements notifiés les 2 décembre 2014 et 9 juin 2015,
- de condamner l'intimée à lui verser les sommes suivantes :
* 15 000 euros de dommages et intérêts pour harcèlement moral,
* 15 000 euros d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens,
- de débouter l'intimée de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions.

Elle a fait valoir :
- que les avertissements du 2 décembre 2014 et du 9 juin 2015 avaient un caractère abusif et n'avaient pas été prononcés sur la base de règles précises,
- que le premier avertissement était intervenu alors que la salariée était en arrêt maladie et n'était pas fondé sur un motif sérieux,
- que concernant le deuxième avertissement, portant sur des fais non précisément datés, aucune fiche de poste n'avait été remise à la salariée, permettant de connaître la tenue des tâches dévolues, de sorte que la sanction était injustifiée,
- qu'elle avait subi un harcèlement moral de son employeur, au travers de nombreuses remontrances et réprimandes infondées de celui-ci (traduites par sept courriers en l'espace de six mois), de pression constante et d'une charge de travail de plus en plus lourde, sans pouvoir bénéficier de congés alors qu'elle était souvent seule sur site, comme en témoignait le nombre important de congés et RTT non pris, éléments ayant altéré son état de santé,
- que licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse, les faits reprochés (comportement non adapté, mise à mal de l'équilibre financier de l'entreprise par des attitudes laxistes) étant soit prescrits (s'agissant des faits du 7 novembre 2015), soit injustifiés ou ne lui étant pas imputables, ce que reflétait le retard de l'employeur dans la mise en oeuvre de la procédure disciplinaire,
- que les pièces produites par l'employeur étaient peu probantes ou émanaient de personnes sous lien de subordination avec celui-ci, tandis qu'elle même versait aux débats des éléments justifiant de la qualité de son travail.

Aux termes des écritures de son conseil transmises au greffe en date du 3 avril 2018 auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens de la partie, la S.A.S. Société Corse de Distribution (So.co.di) a demandé :
- de confirmer le jugement rendu par le le Conseil de prud'hommes d'Ajaccio,
- de dire et juger le licenciement de Madame AA... T... justifié,
- de débouter Madame AA... T... de l'intégralité de ses demandes,
- de condamner Madame AA... T... à lui verser la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens.

Elle a exposé que :
- plusieurs avertissement avaient dû être adressés à la salariée,
- le licenciement, consécutif à plusieurs sanctions disciplinaires, était fondé sur une cause réelle et sérieuse, les faits reprochés (comportement managerial inapproprié , comportement discourtois vis à vis de la clientèle, négligences fautives et manquements de la salariée à ses obligations), non prescrits à la date de convocation à l'entretien préalable, étant établis au regard des divers pièces produites au dossier,
- la salariée ne justifiait d'aucun préjudice et ne versait pas d'élément concernant sa situation professionnelle actuelle,
- la salariée ne produisait aucun élément de nature à établir des faits laissant présumer l'existence d'un harcèlement moral.

La clôture de l'instruction a été ordonnée le 3 juillet 2018, avec appel de l'affaire à l'audience de plaidoirie du 13 novembre 2018, où la décision a été mise en délibéré par mise à disposition au greffe le 16 janvier 2019.

MOTIFS

1) Sur l'annulation de sanctions

Attendu qu'en vertu de l'article L 1333-2 du Code du travail, la juridiction prud'homale peut annuler une sanction irrégulière en la forme, ou injustifiée ou disproportionnée à la faute commise ;

Attendu que Madame T... sollicite l'annulation des sanctions prononcées à son égard et notamment des avertissements notifiés les 2 décembre 2014 et 9 juin 2015, demande à laquelle s'oppose l'employeur ;

Qu'à titre liminaire, il y a lieu d'observer qu'exclusion faite du licenciement dont l'annulation n'est pas sollicitée, ne sont pas mises en évidence de sanctions disciplinaires autres que les avertissements précités, les autres courriers étant des courriers de rappel ; que la demande d'annulation sera donc examinée uniquement s'agissant des avertissements du 2 décembre 2014 et du 9 juin 2015;

Que le premier avertissement sanctionne l'omission par la salariée de remise des clés de local suite à son arrêt de travail pour maladie, tandis que le second avertissement sanctionne une modification de planning d'une salariée le 2 juin 2015, l'absence de mentions de prix sur chaque référence accessoire et l'absence de réassortiment d'accessoires en date du 3 juin 2015;

Que force est de constater que l'employeur ne produit aucun élément pour justifier de la réalité des faits reprochés et caractériser leur sérieux ;

Que dès lors, les avertissements des 2 décembre 2014 et 9 juin 2015 ne peuvent être considérés comme fondés sur cause réelle et sérieuse et seront annulés, la salariée étant déboutée du surplus de sa demande ;

Que le jugement entrepris sera infirmé sur ce point ;

2) Sur le licenciement

Attendu qu'en application de l'article L1332-4 du Code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu, à lui seul, à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales ;

Que toutefois, une faute ancienne de plus de deux mois pourra être sanctionnée, si, dans l'intervalle, l'employeur a engagé des poursuites pénales, ou si cette faute s'inscrit dans un phénomène répétitif, la dernière faute devant, elle, se situer à moins de deux mois ;

Attendu que l'article L 1232-1 du code du travail subordonne la légitimité du licenciement à une cause réelle et sérieuse ; qu'en application de l'article L 1235-1 du code du travail, lorsqu'il est saisi du bien fondé d'une mesure de licenciement, le juge se détermine au vu des éléments qui lui sont fournis par les parties, le doute devant profiter au salarié ; qu'il est néanmoins admis qu'il appartient à l'employeur d'établir de façon certaine la réalité des faits et de fournir au juge des éléments permettant de caractériser leur caractère suffisamment sérieux pour légitimer le licenciement ;

Attendu qu' il convient donc d'apprécier la réalité des faits énoncés par la lettre de licenciement fixant de manière irrévocable les limites du litige, puis le sérieux du motif invoqué ;

Attendu que sur le fond, la lettre de licenciement datée du 20 janvier 2016 mentionne :
"Madame,
Vous avez été régulièrement convoquée par lettre datée du 28/12/2015, à un entretien préalable qui s'est déroulé le 12/01/2016.
Vos observations n'ont pas été de nature à modifier mon analyse de la situation.
Après un nouvel examen attentif de votre dossier, je suis au regret de vous licencier pour fautes, d'autant que vous avez fait l'objet, précédemment à la présente procédure, de plusieurs sanctions et lettres de cadrage qui sont manifestement restées sans effet.
Les motifs de ma décision sont les suivants :
A. Exécution fautive de vos missions :
1. Des négligences fautives sur le plan commercial :
De nombreux clients se sont plaints auprès des vendeurs du magasin de votre comportement négligent et discourtois, notamment au niveau de l'accueil.
Au lieu d'essayer de comprendre leur problème, vous les orientez directement vers le No1023, numéro SFR, ce qui leur complique la tâche, mais de plus vous adoptez un ton ou une attitude manifestant une absence totale d'implication. De ce fait, avant de rentrer dans la boutique, certains clients d'assurent que vous n'êtes pas présente, pour pouvoir être accueillis dignement et trouver une solution à leurs demandes.
TB..., l'une de vos subordonnées, a porté à ma connaissance que certains clients de Sartène et Propriano préfèrent aller à Porto Vecchio, plutôt que de venir dans notre boutique, car ils sont mécontents de votre accueil et de vos services.
Cette situation caractérise une entorse inacceptable à votre obligation de loyauté et notamment du devoir inhérent à votre fonction de fidélisation de la clientèle, ce qui est d'autant plus préjudiciable à la société dans un environnement concurrentiel très fort.
2. Des négligences fautives sur le plan financier :
Par différents comportements laxistes, vous mettez à mal les équilibres économiques de l'entreprise.
-Ainsi le samedi 19/12/15, dernier samedi avant Noël, et donc une des journées les plus importantes de l'année, vous avez pris votre service à 9h40 au lieu de 9h30. Ce retard ne vous a pas permis de calculer votre "reste à faire" en termes d'objectifs pour cette même journée. Or, vous n'étiez pas sans savoir qu'un responsable de point de vente doit obligatoirement connaître ses objectifs et le reste à réaliser avant le début de la journée. Cette information est d'une nécessité absolue pour pouvoir optimiser notre rémunération auprès de SFR.
-Pour la journée du 07/11/15, la caisse dont vous aviez l'entière responsabilité comportait une erreur, soit un déficit de 33,49 euros. Vous avez clôturé les opérations de caisse ce jour là. Votre "z" de caisse indiquait 973,49 euros. Vous remise en banque dans l'enveloppe indiquait 940 euros. Cette somme n'a jamais été retrouvée, pas même dans le fonds de caisse du lendemain. Votre faute réside dans le défaut d'information auprès de la direction et le manque de diligence pour tenter de résoudre le problème.
-Pire encore, le 07/01/2016, vous avez demandé à KA..., une des employées, un remboursement partiel de cette erreur, soit la somme de 11 euros.
B. Comportement managérial inapproprié occasionnant des souffrances au travail de collaborateurs:
A la suite de remontées d'informations parcellaires, nous avons pris attache auprès de plusieurs collaborateurs travaillant sous votre subordination pour mesurer leurs ressenti et envisager les mesures correctives utiles.
Nous avons eu la surprise de découvrir une situation très détériorée : ainsi il s'avère que vous rabaissez régulièrement vos collègues devant les clients. Vous allez même jusqu'à les discréditer, en "sabotant" leur travail lorsqu'ils développent des arguments de vente.
-En dernière date, alors que Mme J... tendait de vendre une assurance à une cliente, vous avez dit à cette dernière, que cela n'était pas nécessaire de prendre la garantie, car je vous cite: "le fils allait faire attention au téléphone et qu'il n'allait pas le casser". Ceci constitue un double manquement: d'abord, une perte sèche de chiffre d'affaires, ce qui est le comble pour une responsable de point de vente d'un négoce, d'autre part, une attitude déstabilisante pour Mme J... qui remplissait pour sa part sa mission avec loyauté.
-Une autre de nos salariés, TB..., s'est plainte de subir régulièrement de votre part des attitudes vexatoires, à savoir remontrances devant les clients et un ton inapproprié lorsque vous vous adressez à elle.
Dans le cadre de mon obligation absolue de sécurité au travail, je suis contrainte de mettre un terme à de tels agissements qui altèrent la santé morale des salariés placés sous votre autorité.
Les fautes décrites ci-dessus constituent une cause réelle et sérieuse de licenciement disciplinaire.
Votre préavis de 2 mois que nous vous dispensions d'effectuer, débutera à la date de première présentation à votre domicile de la présente lettre, au terme duquel vous ne ferez plus partie du personnel de l'entreprise. [...] " ;

Attendu qu'aux termes de cette lettre de licenciement, la S.A.S. Société Corse de Distribution (So.co.di), qui se place sur le terrain disciplinaire, émet des griefs de divers ordres à l'égard de Madame AA... T...;

Qu'il ne peut être invoqué de prescription des faits invoqués par l'employeur concernant les faits du 7 novembre 2015, puisque les faits reprochés sont datés de moins de deux mois avant l'engagement des poursuites disciplinaires, qui est intervenue le 28 décembre 2015 (courrier de convocation à l'entretien préalable au licenciement) ;

Que l'employeur produit, au soutien des griefs invoqués, les pièces suivantes : attestation de Monsieur QV... A..., chef des ventes du 26 janvier 2017, courriel de Madame TB... E... (salariée de l'entreprise) du 31 décembre 2015 adressé à Monsieur A... ayant comme objet "Ressentis sur la boutique de Propriano", attestations de Madame DP... V... du 9 février 2016 et Madame QY... B... du 22 février 2016, bordereaux de demandes de sanctions disciplinaires émanant de Monsieur A... et de Madame AQ... U... afférent, pour l'un, à des faits du 19 décembre 2015 à 9h40 et, pour l'autre, à des faits du 19 décembre à 9h57 ;

Qu'il convient de constater en premier lieu que :
- l'"attestation" de Monsieur A... ne comporte pas de pièce d'identité jointe et ne pourra être prise en compte par la Cour, faute de certitude sur son auteur ;
- l'attestation de Madame B... du 22 février 2016, est relative à une ouverture de ligne par la responsable SFR Propriano à son nom sans justificatif et sans demande préalable de sa part, faits non visés dans la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige ;
Qu'ensuite, au regard des autres pièces produites par l'employeur, il y a lieu d'observer que :
- s'agissant de la série de griefs intitulé "négligences fautives sur le plan financier", la réalité des faits du 7 novembre 2015 et 7 janvier 2016 n'est aucunement démontrée ; que concernant les faits du 19 décembre 2015, les bordereaux de demandes de sanctions permettent d'établir leur réalité (retard de dix minutes et absence de calcul du reste à faire à 9h57, alors que la boutique est ouverte) , mais ces faits ne peuvent être considérés comme suffisamment sérieux pour fonder un licenciement, en l'absence de toute conséquence démontrée sur le résultat financier de la boutique pour cette journée ;
- s'agissant de la série de griefs intitulé "négligences fautives sur le plan commercial", au travers de plaintes de nombreux clients sur le comportement de Madame T... et d'un manquement de la salariée à l'obligation de loyauté vis à vis de son employeur, sont certes versés par l'employeur le courrier de Madame V..., cliente, se plaignant de l'attitude de la responsable "AA...", ainsi qu'un courriel de Madame E..., salariée de l'entreprise, évoquant des plaintes de clients, dont certains ne venant plus à la boutique de Propriano ; que toutefois, à rebours, la salariée verse notamment au dossier neuf écrits de clients (Messieurs KT... Y..., FJ... I... , FJ... VU... , Mesdames HP... R..., KY... MN..., ZN... W..., IX... K..., FM... N..., CO... SI...) accompagnés de leurs pièces d'identité, ainsi qu'une attestation de Madame TQ... SG... (ancienne salariée de l'entreprise) du 15 avril 2018, afférents au professionnalisme de Madame T..., décrite comme très appréciée par les clients; que consécutivement, après avoir rappelé que la doute profite au salarié, cette série de griefs doit être considéré comme insuffisamment établie ;
- concernant le comportement managérial inapproprié occasionnant des souffrances au travail de collaborateurs, l'employeur ne verse au dossier que le courriel de Madame E..., qui relate son ressenti relationnel négatif avec Madame T...; que l'employeur ne produit pas d'attestations ou d'écrits émanant de KA... J... ou de Madame JT... X..., autres employées dans la boutique, ni aucun élément afférent aux faits reprochés à l'égard de Madame J... ; que Madame T... produit quant à elle l'attestation précitée de Madame SG... évoquant les qualités de responsable de boutique de Madame T... et une très bonne ambiance de travail ; qu'au vu de ces éléments, à nouveau contradictoires, ce grief sera considéré comme insuffisamment établi, étant rappelé que la doute doit profiter au salarié ;

Attendu qu'au regard de ce qui précède, du caractère non établi, insuffisamment établi ou insuffisamment sérieux des griefs invoqués dans la lettre de licenciement, il convient de dire le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, le jugement entrepris étant infirmé à cet égard ;

Qu'au moment de la rupture du contrat de travail, Madame T... avait plus de deux ans d'ancienneté dans la société, qui comptait onze salariés et plus ; qu'en l'absence de réintégration envisagée, et au regard de son ancienneté, de son âge, Madame T... se verra allouer des dommages et intérêts à hauteur de 13800 euros et sera déboutée du surplus de sa demande, faute de rapporter la preuve d'un plus ample préjudice ; que le jugement entrepris sera infirmé à cet égard ;

Que par application de l'article L 1235-4 du Code du travail, sera ordonné d'office le remboursement par l'employeur des indemnités de chômage éventuellement versées par le Pôle emploi dans la limite de six mois ;

3) Sur le harcèlement moral

Attendu qu'en vertu de l'article L1152-1 du Code du travail, le harcèlement moral est constitué d'agissements répétés ayant pour objet ou pour effet de dégrader les conditions de travail du salarié susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ; qu'en application de l'article L1154-1 du code du travail, dans sa version applicable aux données de l'espèce, lorsque le salarié établit la matérialité de faits constituant selon lui un harcèlement moral, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments pris dans leur ensemble permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral; qu'au vu de ces éléments, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement, et que sa

décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement;

Attendu qu'en l'espèce, Madame T... se prévaut d'un harcèlement moral, à l'appui de sa demande de condamnation de l'employeur à lui verser une somme de 15 000 euros de dommages et intérêts ;

Que toutefois, il convient de constater qu'au regard des pièces versées aux débats (courriers de l'employeur des 11 mars et 15 septembre 2014, 19 janvier, 9 février, 1er septembre, 9 novembre 2015, avertissements des 2 décembre 2014 et 9 juin 2015, certificats médicaux du 9 février 2017 du Docteur M..., échange de courriels avec l'employeur du 7 novembre 2014, demande de congés adressée à l'employeur le 2 janvier 2015, bulletins de salaire), Madame T... n'établit pas la matérialité de faits permettant, pris dans leur ensemble, de présumer l'existence d'un harcèlement moral ;

Que par conséquent, elle sera déboutée de sa demande de ce chef, le jugement déféré étant confirmé à cet égard ;

4) Sur les autres demandes

Attendu que la S.A.S. Société Corse de Distribution (So.co.di), succombant principalement à l'instance, sera condamnée aux dépens de première instance (le jugement entrepris étant infirmé sur ce point) et de l'instance d'appel ;

Que l'équité ne commande pas de prévoir de condamnation sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles de première instance (le jugement entrepris étant confirmé sur ce point) et d'appel ;

Que les parties seront déboutées de leurs demandes plus amples ou contraires à ces égards ;

PAR CES MOTIFS

L A C O U R,

Statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition au greffe,

INFIRME le jugement rendu par le Conseil de prud'hommes d'Ajaccio le 7 décembre 2017 en ses dispositions querellées, sauf en ce en ce qu'il a :
- débouté Madame AA... T... de sa demande de condamnation de la S.A.S. Société Corse de Distribution (So.co.di) à lui verser une somme de 15000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,
- débouté la S.A.S. Société Corse de Distribution (So.co.di) de sa demande de condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Et statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

ANNULE les avertissements des 2 décembre 2014 et 9 juin 2015 adressés par l'employeur à Madame AA... T...,

DIT que le licenciement dont Madame AA... T... a été l'objet de la part de la S.A.S. Société Corse de Distribution (So.co.di) est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

CONDAMNE la S.A.S. Société Corse de Distribution (So.co.di), prise en la personne de son représentant légal, à verser à Madame AA... T... la somme de 13800 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

DIT que par application de l'article L 1235-4 du Code du travail, sera ordonné d'office le remboursement par l'employeur des indemnités de chômage éventuellement versées par le Pôle emploi dans la limite de six mois,

DEBOUTE les parties de leurs demandes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la S.A.S. Société Corse de Distribution (So.co.di), prise en la personne de son représentant légal, aux dépens de première instance et de l'instance d'appel,

DEBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bastia
Formation : 04
Numéro d'arrêt : 18/000014
Date de la décision : 16/01/2019
Sens de l'arrêt : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.bastia;arret;2019-01-16;18.000014 ?
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