Ch. civile A
ARRET No634
du 30 NOVEMBRE 2016
R. G : 14/ 00246 FL-C
Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Tribunal de Grande Instance d'AJACCIO, décision attaquée en date du 27 Janvier 2014, enregistrée sous le no 08/ 01085
Consorts Y...Y...Z...
C/
X... LE PREFET DE REGION DE CORSE
COUR D'APPEL DE BASTIA
CHAMBRE CIVILE
ARRET DU
TRENTE NOVEMBRE DEUX MILLE SEIZE
APPELANTS :
M. Jean Dominique Y... né le 01 Octobre 1920 à BASTELICA ...20000 AJACCIO
assisté de Me Anne Marie LEANDRI de la SCP LEANDRI LEANDRI, avocat au barreau d'AJACCIO plaidant en visioconférence
Mme Madeleine Y... veuve Z... née le 03 Mai 1926 à BASTELICA (20119) ...20000 AJACCIO
assistée de Me Anne Marie LEANDRI de la SCP LEANDRI LEANDRI, avocat au barreau d'AJACCIO plaidant en visioconférence
INTIMES :
M. Pierre Toussaint X... ...20000 AJACCIO
assisté de Me Joseph SAVELLI, avocat au barreau d'AJACCIO plaidant en visioconférence
M. LE PREFET DE REGION DE CORSE Assigné en intervention Palais Lantivy 20000 AJACCIO
défaillant
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 22 septembre 2016 en audience publique, Mme Françoise LUCIANI, Conseiller, ayant fait le rapport prescrit par l'article 785 du code de procédure civile, devant la Cour composée de :
Mme Christine LORENZINI, Présidente de chambre Mme Françoise LUCIANI, Conseiller Mme Judith DELTOUR, Conseiller
qui en ont délibéré.
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme Nelly CHAVAZAS.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 30 novembre 2016.
ARRET :
Réputé contradictoire,
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Mme Christine LORENZINI, Présidente de chambre, et par Mme Nelly CHAVAZAS, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Jean Dominique Y... et Madeleine Y... veuve Z... sont propriétaires d'une parcelle de terre cadastrée CW 7, autrefois 523, sur la commune d'Ajaccio à proximité de la plage de Capo di Feno. Cette parcelle ne borde pas la mer ; elle en est séparée par la parcelle CW9 appartenant à une société Pisinale.
Faisant valoir qu'en 1980 M. Pierre Toussaint X... a obtenu une autorisation d'occupation temporaire du domaine public maritime sur ladite plage mais qu'il a étendu son exploitation sur la parcelle CW7, y édifiant des constructions et y opérant des dégradations, les consorts Y... ont saisi une première fois le tribunal de grande instance d'Ajaccio en 1996 pour obtenir la libération des lieux et la destruction des installations.
Un jugement confirmé par arrêt du 4 novembre 2003 les a déboutés au motif que la preuve de l'empiétement sur la parcelle CW7 n'était pas rapportée.
Sur la base d'un rapport d'expertise judiciaire de M. B..., obtenu devant le tribunal d'instance, et homologué par celui-ci par jugement du 6 janvier 2009, ils ont à nouveau saisi le tribunal de grande instance d'Ajaccio aux mêmes fins ainsi que pour obtenir le versement d'une indemnité d'occupation.
Suivant jugement du 1er octobre 2009 le tribunal a déclaré l'action recevable mais sursis à statuer sur l'ensemble des demandes jusqu'à ce que soit la préfecture de Corse-du-Sud soit saisie d'une procédure en délimitation du domaine public maritime de la zone considérée, soit le tribunal administratif se soit prononcé sur les questions préjudicielles tenant à la situation des parcelles concernées sur le domaine public maritime.
Suivant jugement du 14 avril 2011, la juridiction a ordonné un nouveau sursis à statuer sur l'ensemble des demandes formées jusqu'à ce qu'une décision définitive soit rendue par la juridiction administrative après épuisement des voies de recours.
Le conseil d'État, par arrêt du 8 février 2012, a annulé le jugement du tribunal administratif de Bastia du 10 juin 2010, et a déclaré :
que la parcelle CW9 dans sa totalité, ainsi qu'une partie de la parcelle CW7, sur laquelle est implanté l'établissement de M. X..., sont incluses dans le domaine public maritime, d'autre part que les limites du domaine public maritime concernant les parcelles CW 10, CW8, CW16 et CW9 sont celles qui résultent de l'arrêté préfectoral du 21 janvier 1980.
Suivant jugement contradictoire du 27 janvier 2014 le tribunal de grande instance d'Ajaccio a :
• déclaré recevables les demandes d'expulsion de M. X... et de destruction de la paillote construite sur une partie de la parcelle cadastrée CW7 formées devant le tribunal de grande instance d'Ajaccio par les consorts Y..., la décision prononcée le 8 février 2012 par le conseil d'État n'étant pas revêtue de l'autorité de chose jugée à l'égard de ces demandes ;
• débouté les consorts Y... de leur demande d'expulsion et de libération des lieux formée sous astreinte à l'encontre de M. X..., ainsi que de leur demande d'indemnité d'occupation ;
• débouté M. X... de sa demande d'indemnisation au titre de l'abus de procédure ;
• débouté M. X... de sa demande d'indemnisation du préjudice matériel ;
• condamné les consorts Y... à payer à M. X... la somme de 12 000 euros en indemnisation du préjudice moral subi par ce dernier ainsi que la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
• débouté les parties du surplus de leurs demandes ;
• condamné les consorts Y... aux dépens de l'instance.
Les consorts Y... ont formé appel de la décision le 24 mars 2014.
Ils ont fait assigner en intervention devant la cour d'appel par acte du 19 mai 2015 le Préfet de la région Corse.
Les deux procédures ont été jointes par ordonnance du conseiller de la mise en état du 15 décembre 2015.
Dans leurs dernières conclusions déposées le 25 février 2016, Jean Dominique Y... et Madeleine Y... veuve Z... demandent à la cour de :
• dire recevable et bien fondée la demande d'intervention du représentant de l'État,
• d'infirmer la décision déférée,
• d'ordonner l'expulsion de M. X... de la parcelle CW7,
• dire que celui-ci devra libérer les lieux de toute occupation dans le délai d'un mois suivant le prononcé de la décision après avoir remis cette parcelle dans son état initial, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard dès le prononcé de la décision à intervenir,
subsidiairement :
• d'ordonner l'expulsion de M. X... de la partie de la parcelle CW 7 non incluse dans le DPM tel qu'il résulte de l'arrêté préfectoral du 21 janvier 1980,
• de le condamner en outre à verser une indemnité d'occupation de 10 000 euros en compensation du préjudice subi par les requérants ainsi qu'une indemnité d'occupation de 2 000 euros par mois jusqu'à la libération effective des lieux,
• de le débouter de l'ensemble de ses demandes,
• de le condamner au paiement de la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'en tous les dépens.
Dans ses dernières conclusions déposées le 12 janvier 2016 M. X... demande à la cour :
• de déclarer irrecevable la demande de déguerpissement sous astreinte des consorts Y... et leur demande en intervention forcée engagée contre le Préfet de Corse,
• de constater que le conseil d'État le 8 février 2012 a déclaré que l'établissement de M. X... était implanté sur la partie de la parcelle CW7 incorporée au domaine public maritime,
• de dire que M. X... occupe de manière régulière une parcelle de 300 m ² située sur le domaine public maritime en vertu d'autorisations qui ont été accordées par l'État,
• de dire que l'argumentation développée par les consorts Y... devant la cour quant à la délimitation du domaine public maritime a déjà été rejetée dans son intégralité par le conseil d'État dans sa décision du 8 février 2012,
• de débouter les consorts Y... de leur demande d'expulsion et libération des lieux formée sous astreinte à l'encontre de M. X...,
• de confirmer le jugement déféré qui a statué en ce sens,
Reconventionnellement :
• d'infirmer le jugement qui a minoré les préjudices de M. X...,
• de condamner solidairement les consorts Y... à payer à M. X... la somme de 100 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de ses préjudices moral et matériel, ainsi que la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et de mauvaise foi outre celle de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens,
Subsidiairement :
• de dire que la parcelle CW7 doit être intégralement incorporée au domaine public maritime naturel.
L'assignation délivrée au Préfet de Haute Corse a été remise à personne habilitée. Il n'a pas constitué avocat.
En application de l'article 473 du code de procédure civile, la présente décision sera réputée contradictoire.
MOTIFS :
Sur la recevabilité des demandes des consorts Y... :
Le moyen soulevé par l'intimé, selon lequel il ne serait pas le propriétaire de la parcelle dont les consorts Y... sollicitent la libération, est un moyen de défense au fond et non pas une fin de non-recevoir au sens de l'article 122 du code de procédure civile.
Sur la recevabilité de l'intervention forcée du Préfet de Haute Corse :
Les appelants exposent qu'ils ont attrait le représentant de l'État dans la procédure d'appel afin que celui-ci apporte tous éclaircissements sur l'éventuelle emprise du domaine public maritime sur la parcelle CW9. Or cette parcelle n'est pas celle concernée par le présent litige. De plus la délimitation du domaine public maritime et des parcelles CW9 et CW7 a été définitivement tranchée par le conseil d'État dans son arrêt du 8 février 2012. L'intérêt des appelants à rendre la décision opposable au préfet n'est donc caractérisée ni au regard de l'article 555 ni au regard de l'article 331 du code de procédure civile, et l'intervention forcée sera jugée irrecevable.
Le moyen d'irrecevabilité tiré de l'autorité de la chose jugée de l'arrêt du conseil d'État du 8 février 2012 n'est pas repris en cause d'appel par M. X....
Sur le fond :
Il appartient aux consorts Y..., demandeurs à l'expulsion, de démontrer que M. X... empiète sur la parcelle CW7 dont ils sont propriétaires.
L'arrêt du conseil d'État du 8 février 2012 établit clairement que la partie de la parcelle CW7 sur laquelle est implanté l'établissement de M. X... est incluse dans le domaine public maritime, et non sur la propriété des consorts Y....
Pour contester cette affirmation, les consorts Y... invoquent en premier lieu l'autorité de la chose jugée attachée à un arrêt de la cour d'appel de Bastia du 9 avril 1996 ; mais cette décision concerne M. D..., et un empiétement sur la parcelle CW4 ; il y a donc ni identité de parties ni identité d'objet ; il n'y a donc pas autorité de la chose jugée au sens de l'article 1351 du code civil.
En deuxième lieu ils invoquent un procès-verbal de bornage du 21 janvier 2006, mais il concerne la parcelle CW9 appartenant à la société Pisinale et ne contient pas de démonstration d'un empiétement actuel, sur la partie de la parcelle CW7 qui ne serait pas incluse dans le domaine public maritime.
En troisième lieu, les appelants, qui rappellent à juste titre que la limite du domaine public maritime n'est jamais définitivement fixée, font valoir que le conseil d'État n'a pas précisé si actuellement la parcelle CW7 est située sur le domaine public maritime ; cependant il a déterminé que les constructions de M. X... ne se situent actuellement que sur la partie située sur le domaine public maritime.
Il revient là encore aux consorts Y..., qui forment une demande subsidiaire en ce sens, de démontrer que M. X... occupe actuellement, de quelque façon que ce soit, la partie non incluse dans le domaine public maritime, mais ils sont défaillants sur ce point, n'apportant aucune pièce à l'appui de leurs affirmations. C'est par conséquent à juste titre que le premier juge a rejeté l'ensemble de leurs demandes.
Sur les demandes reconventionnelles de M. X... :
Le premier juge a à juste titre estimé qu'aucun abus de procédure ne peut être caractérisé, étant donné la survenance d'un élément nouveau depuis l'arrêt de la cour d'appel de Bastia du 4 novembre 2003 qui avait débouté les consorts Y... de leurs demandes. Il a estimé à juste titre que le préjudice matériel n'était pas démontré.
Cependant il existe un préjudice moral pour M. X..., découlant de la multiplication des procédures et de l'insécurité juridique qui en résulte, justifiant l'allocation d'une somme de 12 000 euros. La demande visant à augmenter cette indemnisation apparaît mal fondée. Les appelants ne concluant pas sur ce point, la décision sera confirmée.
Les dispositions relatives à l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens seront confirmées.
L'équité permet de faire application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel en faveur de l'intimée à hauteur de 2 500 euros. Les dépens seront laissés à la charge de la partie qui succombe.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Déclare irrecevable l'intervention forcée du Préfet de Corse,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Y ajoutant :
Condamne solidairement Jean Dominique Y... et Madeleine Y... veuve Z... à payer à Pierre Toussaint X... la somme de deux mille cinq cents euros (2 500 euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne solidairement Jean Dominique Y... et Madeleine Y... veuve Z... aux dépens.
LE GREFFIER LE PRESIDENT