Ch. civile A
ARRET No
du 25 MAI 2016
R. G : 14/ 00646 MBE-C
Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Tribunal de Grande Instance de BASTIA, décision attaquée en date du 03 Juin 2014, enregistrée sous le no 12/ 01580
Consorts X...
C/
Consorts Y...
COUR D'APPEL DE BASTIA
CHAMBRE CIVILE
ARRET DU
VINGT CINQ MAI DEUX MILLE SEIZE
APPELANTS :
M. Michel Jean X... né le 15 Juin 1952 à BASTIA (20200)... 20200 BASTIA
ayant pour avocat Me Angeline TOMASI de la SCP TOMASI-SANTINI-VACCAREZZA-BRONZINI DE CARAFFA-TABOUREAU, avocat au barreau de BASTIA
Mme Graziella X... née le 29 Août 1953 à BASTIA (20200)... 20131 PIANOTTOLI CARDARELLO
ayant pour avocat Me Angeline TOMASI de la SCP TOMASI-SANTINI-VACCAREZZA-BRONZINI DE CARAFFA-TABOUREAU, avocat au barreau de BASTIA
INTIMES :
Mme Michelle Y... née le 13 Janvier 1937 à BASTIA (20200)... 20200 BASTIA
ayant pour avocat Me Céline PIANELLI-COQUE, avocat au barreau de BASTIA
M. Joseph, Antoine Y... né le 15 Juin 1941 à BASTIA (20200)... 20222 BRANDO
ayant pour avocat Me Anne Christine BARRATIER, avocat au barreau de BASTIA
M. Antoine Georges Y... né le 28 Mars 1943 à BASTIA... 20222 BRANDO
ayant pour avocat Me Antoine ALESSANDRI, avocat au barreau de BASTIA
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 07 mars 2016, devant Mme Micheline BENJAMIN, Conseiller, chargée du rapport, les avocats ne s'y étant pas opposés.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. François RACHOU, Premier président Mme Micheline BENJAMIN, Conseiller Mme Marie BART, vice-président placé près M. le premier président
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme Martine COMBET.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 25 mai 2016.
ARRET :
Contradictoire,
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par M. François RACHOU, Premier président, et par Mme Aurélie CAPDEVILLE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
M. Gaëtan Y... et Mme Claire B... se sont mariés le 26 août 1933, sous l'ancien régime légal de la communauté de biens " meubles et acquêts, à défaut de contrat de mariage.
Quatre enfants sont issus de leur union : Marie Grâce, Michelle, Joseph et Antoine Y....
M. Gaëtan Y... est décédé le 15 avril 2001, en laissant pour recueillir sa succession, son épouse survivante et ses quatre enfants, sus-nommés.
Mme Claire B..., veuve Y... est décédée 1er mars 2009, en laissant pour recueillir sa succession :
- Michelle, Joseph et Antoine Y..., trois de ses quatre enfants sus-nommés,
- Michel X... et Graziella X..., ses petits-enfants, venant par représentation de leur mère, Marie Grâce, prédécédée le 26 septembre 2001.
Les époux Y... ont effectué diverses donations au profit de leurs quatre enfants, par actes notariés des 10 et 11 octobre 1973, 30 mars 1972 et 21 janvier 1982
Mme B... veuve Y... a, par testament olographe en date du 24 janvier 2002, institué ses trois enfants Michelle, Joseph et Antoine Y..., comme légataires conjointement de la quotité disponible.
Par acte d'huissier du 7 septembre 2012, M. Michel X... et Mme Graziella X... (les consorts X...) ont assigné M. Joseph Y..., Mme Michelle Y... et M. Antoine Y... (les consorts Y...), devant le tribunal de grande instance de Bastia, sur le fondement des articles 843 et suivants, 850, 922 et suivants du code civil, aux fins d'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage des biens composant la succession des époux Y....
Par jugement contradictoire du 03 juin 2014, le tribunal a, notamment, dit que :
- les biens immobiliers objet des donations des 10 octobre 1973, 11 octobre 1973, 30 mars 1972, et 21 janvier 1982 soumises à rapport, seront évalués conformément aux dispositions de l'article 922 du code civil,
- dit que Michel X... et Graziella X... ne sont créanciers de la succession d'aucune somme au titre de salaires dus à Mme Marie Grâce Y... de 1951 à 1971,
- Antoine Y... est redevable d'une indemnité d'occupation de la villa sise à... cadastrée section C numéro 1974 pour la période du 07 septembre 2007 au 1er mars 2009,
- Michelle Y... est redevable d'une indemnité d'occupation pour l'appartement sis au 3ème étage du... à Bastia cadastrée section AN numéro 384 lot 18, pour la période du 07 septembre 2007 au 1er mars 2009,
- le montant des indemnités d'occupation susvisées sera déterminé par l'expert à partir de la valeur locative des biens dans leur état à la date de leurs donations,
Il a également :
- ordonné l'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage des biens dépendants des successions de M. Gaëtan, Michel Y... et Claire B... épouse Y...,
- commis pour y procéder, M. le Président de la chambre des notaires de Haute Corse ou son délégué et renvoyé d'ores et déjà les parties devant ce notaire,
- commis le vice-président en charge des successions partage ou son suppléant à savoir l'un des membres composant la juridiction de jugement avec pour mission de faire rapport en cas de difficultés,
Pour permettre au notaire d'établir le partage requis,
- ordonné une mesure d'expertise et commis pour y procéder M. D..., expert judiciaire, les missions de l'expert et les modalités de l'expertise étant précisées en son dispositif,
- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,
- ordonné l'emploi des dépens, en ce compris les frais et honoraires définitifs de l'expert après taxation par le juge chargé du contrôle des expertises, en frais privilégiés de partage.
Par déclaration reçue le 24 juillet 2014, les consorts X... ont interjeté appel de ce jugement.
Par leurs conclusions reçues le 18 mai 2015, les appelants demandent à la cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a ordonné le partage des communauté et succession de Gaétan Y... et son épouse Claire B...,
- confirmer le jugement en ce qu'il a ordonné, en application de l'article 922 du code civil, le rapport des donations des 10 octobre 1973, 11 octobre 1973, 30 mars 1972, 21 janvier 1982,
- confirmer le jugement en ce qu'il a désigné le Président de la Chambre des notaires de Haute-Corse avec la mission à lui donnée en ce qu'il a ordonné une mesure d'expertise confiée à M. D... avec la mission précisée audit jugement sauf à la compléter notamment en indiquant que l'expert fera l'évaluation des biens objet des donations en application de l'article 922 du code civil,
- infirmer le jugement sur les autres chefs,
- dire et juger qu'en application de l'article 951 du code civil Antoine et Michèle ont bénéficié d'une donation de fruits par suite de leur occupation à titre de libéralité de deux biens immobiliers, pour Antoine la villa de ..., pour Michelle l'appartement du..., la preuve de l'intention libérale étant rapportée,
- dire et juger que ces donations de fruits devront être calculées du 1er janvier 1976 au 15 avril 2001 sur la succession des deux parents et du 16 avril 2001 au 1er mars 2009 sur la succession de la mère Claire B...,
- dire et juger que l'expert fixera l'évaluation de ces donations de fruits à la valeur locative de ces biens,
- dire et juger l'action in rem verso exercée par ceux-ci au titre de la créance de leur mère, pour l'appauvrissement subi par elle de 1951 à 1971, non prescrite en application de l'article 2222 du code civil,
- dire et juger cette action fondée, l'appauvrissement étant établi par le document établi par le père le 5 décembre 1994,
- dire et juger que cet appauvrissement sera calculé par l'expert au jour de la demande en justice, Marie-Grâce étant dans l'impossibilité morale d'agir en justice contre ses parents et l'enrichissement évalué au jour de la demande en restitution,
- dire que l'expert se basera pour calculer cet appauvrissement et cet enrichissement sur les grilles de salaires produites et sur les économies découlant du non-paiement des salaires et des cotisations sociales,
- dire les frais d'instance frais privilégiés de partage.
Par ses conclusions reçues le 05 décembre 2014, M. Joseph Y... demande à la cour de :
- confirmer le jugement dont appel,
En conséquence :
- voir ordonner le partage des opérations de comptes, liquidation et partage des biens composant la succession de M. Gaétan Y... et son épouse Mme Claire B... épouse Y...,
- ordonner une expertise judiciaire et voir préciser que l'expert devra procéder à l'évaluation des biens objets des donations sur le fondement de l'article 922 du code civil, à savoir selon leur état à la date des donations les 30 mars 1972 et 21 janvier 1982, et leur valeur à l'ouverture de la succession le 15 avril 2001, date du décès de M. Gaétan Y..., déduction faite des investissements réalisés postérieurement,
- calculer la quotité disponible dont les défunts ont pu disposer eu égard à la qualité de chaque héritier,
- donner acte aux appelants qu'ils ne formulent aucune demande de report de fruits à l'encontre de M. Joseph Y...,
- rejeter l'action " De In Rem Verso ",
- dire et juger que cette action est prescrite et non fondée,
- condamner les demandeurs au paiement de la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ses conclusions reçues le 08 décembre 2014, M. Antoine Y... demande à la cour de :
- confirmer le jugement du 03 juin 2014 dont appel,
En conséquence,
- voir ordonner le partage des opérations de comptes, liquidation et partage des biens composant la succession de M. Gaétan Y... et son épouse Claire B...,
- d'ordonner une expertise judiciaire et voir préciser que l'expert devra procéder à l'évaluation des biens, objets des donations, sur le fondement de l'article 022 du code civil, savoir selon leur état à la date des donations les 30 mars 1972 et 21 janvier 1002, et leur valeur à l'ouverture de la succession le 15 avril 2001, date du décès de M. Gaétan Y..., déduction faite de la valeur de l'usufruit retenue par les donateurs et les investissements réalisés postérieurement,
- confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande formée au titre des salaires dus à Mme Marie Grâce Y... de 1051 à 1971,
- d'infirmer le jugement en ce qu'il a jugé que M. Antoine Georges Y... était redevable d'une indemnité d'occupation de la villa sise à... pour la période du 07 septembre 2007 au 1er mars 2000,
- débouter M. Michel Jean X... et Mme Graziella X... de toutes leurs demandes,
- les condamner à lui payer la somme de 4 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Par ses conclusions reçues également le 08 décembre 2014, Mme Michelle Y... demande à la cour de :
- confirmer le jugement dont appel,
En conséquence :
- voir ordonner le partage des opérations de comptes, liquidation et partage des biens composant la succession de M. Gaétan Y... et son épouse Mme Claire B...,
- ordonner une expertise judiciaire et voir préciser que l'expert devra procéder à l'évaluation des biens objets de donations sur le fondement de l'article 922 du code civil, à savoir selon leur état à la date des donations les 30 mars 1972 et 21 janvier 1982, et leur valeur à l'ouverture de la succession le 15 avril 2001, date du décès de M. Gaétan Y..., déduction faite des investissements réalisés postérieurement,
- calculer la quotité disponible dont les défunts ont pu disposer eu égard à la qualité de chaque héritier,
- rejeter l'action « de in rem verso »,
- dire et juger qu'elle est prescrite et non fondée,
- rejeter la demande de report des fruits sollicitée pour l'appartement du..., car non fondée et prescrite,
- condamner les appelants au paiement de la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 30 septembre 2015.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions sus-visées et au jugement déféré.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur les donations de fruits
Le tribunal a, au visa des dispositions de l'artiche 851 du code civil, retenu que les fruits réclamés par les consorts X..., respectivement à M. Antoine Y... et de Mme Michelle Y..., n'avaient fait l'objet d'aucune donation spécifique.
Il a estimé que ces derniers étaient redevables d'indemnités d'occupation du 07 septembre 2007 au 1er mars 2009, en se fondant les articles 815-9 et 815-10 du code civil, ainsi que sur la date de décès de Mme B... et la date de l'assignation délivrée le 07 septembre 2012, respectivement à M. Antoine Y... et Mme Michelle Y....
En ce qui concerne M. Antoine Y..., le tribunal s'est prononcé au vu des différentes pièces visées dans sa motivation, notamment les documents relatifs aux travaux d'extension et de surélévation de la maison existante (permis de construire, prêts, factures de travaux).
En ce qui concerne Mme Michelle Y..., pour l'appartement situé... à Bastia, il a retenu que cette dernière était déjà domiciliée à cette adresse lors de la donation.
Les appelants soutiennent que le tribunal a commis une grave erreur de droit, en raisonnant comme si les biens concernés étaient en indivision alors que tel n'est pas le cas, puisque de par l'effet des donations ils ne sont plus indivis, de sorte que les articles 815-09 et 815-10 du code civil ne peuvent en aucun cas s'appliquer.
Il s'agit, selon ceux-ci, d'une confusion avec l'avantage indirect attribué à un enfant par suite de la mise à disposition gratuite d'un immeuble sur une longue période et les fruits dus à une indivision au titre de l'occupation par un indivisaire à l'indivision, sur un bien indivis.
Ils relèvent que le tribunal a reconnu que ceux-ci habitent incontestablement les deux biens qui leur ont été respectivement donnés en nue propriété par actes en date des 10 et 11 octobre 1973, à savoir :
- pour M. Antoine Y..., une villa sise à... section C no2112 et ce depuis 1975,
- pour Mme Michèle Y..., un appartement sis... à Bastia et ce depuis 1973.
Ils se prévalent des dispositions de 851 alinéa 2 du code civil, en vertu duquel les donations de fruits sont rapportables sauf si leur auteur avait expressément stipulé le contraire.
Ils font valoir que le rapport, étant une opération de partage, est imprescriptible et ne peut souffrir d'aucune prescription.
Ils relèvent que dans les deux actes de donation des 11 octobre 1973, les donateurs s'étaient réservés l'usufruit et ces actes stipulent " avec charge de rapport ", soutenant que dès lors, pour les donations de fruits ils ne les en ont pas dispensés.
Ils affirment que cette occupation a duré à minima de 1973 ou 1975 au décès de la mère, soit en 2009, soit 36 années, que cette mise à disposition gratuite du bien démembré par les usufruitiers au profit de leurs deux enfants, constituent une libéralité, c'est-à-dire un avantage indirect rapportable, entraînant une rupture objective d'égalité dans la situation des successibles, même en l'absence de caractère exclusif de l'occupation à titre gratuit, comme en l'espèce, pour Michelle qui a vécu avec son fils et les usufruitiers.
En ce qui concerne M. Antoine Y..., ils soutiennent que ce dernier a joui à partir de 1975 de la villa ainsi et produisent diverses pièces probantes (listes électorales, attestations, installation ligne téléphonique dès 1978).
S'agissant de Mme Michèle Y..., ils relèvent que celle-ci est domiciliée dans l'acte de donation au... et affirment qu'elle y a toujours résidé même avant la donation.
Les consorts X... font valoir que dans la mesure où ces deux biens donnés étaient des biens de la communauté et en application de l'article 850 du code civil, le rapport se fera pour moitié dans chaque succession, de sorte que ces donations seront donc rapportables pour moitié à la succession de M. Gaétan Y... du 1er janvier 1976 au jour de son décès 15 avril 2001, et pour l'autre moitié de la succession de Mme B... du 1er janvier 1976 au 1er mars 2009.
Ils allèguent que cette occupation gratuite pendant des décennies a, d'une part, procuré à Mme Michelle Y... et à M. Antoine Y... un bénéfice important, par une économie de loyers substantiels pour se loger et, d'autre part, a appauvri leurs parents.
Ils affirment que M. Y... n'a pas occupé que la partie " restaurée " de la villa et contestent la valeur probante des différentes attestations produites par ce dernier.
Ils soutiennent que la preuve de l'intention libérale est apportée par un faisceau résultant des différents éléments suivants :
- les usufruitiers autorisent non seulement la modification et l'extension de leur immeuble, mais la prise de possession du bien dès 1976 par le nu propriétaire pour en faire sa résidence principale,
- la durée d'occupation est également un critère permettant de caractériser l'intention libérale (plus de 30 ans),
- tout transfert de droit est présumé avoir une cause onéreuse,
- l'absence « voulue » de contre partie ou d'équivalent économique.
De son côté, M. Antoine Y... conteste être redevable d'une indemnité d'occupation et soutient, comme en première instance, qu'il n'a jamais occupé la maison de ... reçue en nue-propriété.
Il dit le justifier par la production de diverses pièces établissant qu'il habitait de 1971 à 1976, un appartement à Bastia résidence Fior di Macchia, qu'il a fait construire en 1976, une maison mitoyenne de la villa construite sue le terrain reçu par donation, que cette nouvelle construction est totalement indépendante de la villa ancienne et équipée d'une cuisine, contrairement aux allégations des appelants.
M. Joseph Y... conclut qu'il n'est pas concerné par ces donations.
Celui-ci, tout comme Mme Michelle Y..., ajoute qu'une donation avec réserve d'usufruit ne constitue pas une indivision mais un démembrement volontaire de la propriété et que les usufruitiers conservent le droit d'user à leur guise de leur usufruit, en vertu de l'article 595 du code civil.
Mme Michelle Y... fait également valoir que d'imaginer qu'elle ait pu occuper le bien dont s'agit à titre gracieux, n'ouvre pas droit aux appelants à bénéficier de fruits que les donateurs n'auraient pas pensé réclamer.
L'intimée souligne qu'en outre, elle s'est occupée pendant longtemps de sa mère qui était souffrante. * * *
Il convient de relever, comme le soulignent à juste titre les parties, que par suite des donations de la nue propriété des biens immobiliers concernés, ceux-ci ne constituent pas des biens indivis.
En outre, il n'existe pas d'indivision entre nu-propriétaire et usufruitier.
En l'espèce, il n'est pas contestable ni contesté, aux vu des actes notariés de donations suis-visés, que M. Antoine Y... et de Mme Michelle Y... sont respectivement propriétaires des biens qui leur ont été donnés en nue propriété, pour Antoine la villa de ... et pour Michelle l'appartement du....
Dès lors, les dispositions des articles 815-9 des 815-10 du code civil, ne sont pas applicables et aucune indemnité d'occupation ne peut être mise à la charge de M. Antoine Y... et de Mme Michelle Y..., au titre des textes sur l'indivision.
S'agissant de la donation de fruits dont invoquée par les appelants, des derniers se fondent, d'une part, sur les dispositions de l'alinéa 2 de l'article 851 code civil et, d'autre part, sur la notion d'avantage indirect.
Or, l'alinéa 2 de ce texte, aux termes duquel le rapport " est également dû en cas de donation de fruits ou de revenus, à moins que la libéralité n'ait été faite expressément hors part successorale " est issu de la loi no 2006-728 du 23 juin 2006, entrée en vigueur le 1er janvier 2007, de sorte que ces dispositions ne sont pas applicables à la succession de M. Gaëtan Y..., ce denier étant décédé le 15 avril 2001.
S'agissant de l'avantage indirect, au regard des dispositions de l'article 853 du code civil, dont la formulation est restée inchangée postérieurement à la réforme du 23 juin 2006, l'avantage est rapportable dès lors qu'il intervient, non pas durant le cours de l'exécution du contrat mais qu'il en résulte dès sa conclusion.
En l'espèce, les appelants sollicitent le rapport des donations de fruits à compter du 1er janvier 1976, soit postérieurement à la conclusion des actes de donation respectivement, du 10 octobre 1973 au profit de M. Antoine Y... et du 11 octobre 1973, au profit de Mme Michelle Y....
En outre, l'analyse de l'ensemble des pièces versées aux débats, ne permet pas d'établir, sans équivoque, l'intention libérale des donateurs de laisser à la disposition des donataires la jouissance des biens dont ils se sont réservés l'usufruit jusqu'à leur décès, les époux pouvant de leur vivant puis Mme veuve Y..., quand bon leur semble, occuper ou louer tant la villa située à ... que l'appartement situé à Bastia,....
Au surplus, au vu de ces éléments, l'appréciation de l'occupation effective des logements concernés est superfétatoire, tant pour Mme Michelle Y... que pour M. Antoine Y..., à l'égard duquel, au demeurant, une occupation de l'ensemble de la maison objet de la donation, est contestable, au vu des pièces justificatives produites par ce dernier.
Ainsi, dans ces conditions et au regard de la jurisprudence actuelle, il y a lieu de débouter les consorts X... de leur demande au titre des donations de fruits à l'encontre de M. Antoine Y... et Mme Michelle Y....
Le jugement entrepris sera donc infirmé en ce qu'il a dit que :
- Antoine Y... est redevable d'une indemnité d'occupation de la villa sise à... cadastrée section C numéro 1974 pour la période du 07 septembre 2007 au 1er mars 2009,
- Michelle Y... est redevable d'une indemnité d'occupation sis au 3ème étage du... à Bastia cadastrée section AN numéro 384 lot 18 pour la période du 07 septembre 2007 au 1er mars 2009,
- le montant des indemnités d'occupation susvisées sera déterminé par l'expert à partir de la valeur locative des biens dans leur état à la date de leurs donations.
Sur l'action " in rem verso "
Le tribunal a considéré que les consorts X... étaient forclos en leur action en paiement des salaires qui se prescrit par cinq ans.
Sur l'action en enrichissement sans cause, relevant que le dernier salaire était de 1971, il a estimé que la prescription trentenaire avait été acquise au plus tard au 31 décembre 2001.
Il a retenu que l'attestation du 5 décembre 1994, rédigée par M. Gaëtan Y..., déposée comme un testament, ne valait pas reconnaissance de dette et n'était pas un testament mais un témoignage.
Les appelants contestent l'analyse du tribunal de l'attestation sus-visée et soutiennent que les premiers juges ne pouvaient invoquer la prescription quinquennale des salaires puisqu'il s'agit d'une action in rem verso.
A propos de l'attestation sus-visée de M. Gaëtan Y..., ils affirment que par la rédaction de ce texte ce dernier a voulu exprimer sa volonté de reconnaître que sa fille avait été privée de droits et que peu importe que cette reconnaissance de droits ne s'accompagne pas d'une attribution d'ordre patrimonial.
Ils font valoir que si la cour ne reconnaissait pas à ce document la valeur d'un testament, il n'en demeure pas moins que les faits y exposés sont certains et confèrent des droits à Mme Marie-Grâce Y....
En ce qui concerne la prescription, ils soutiennent que le tribunal a commis une erreur de droit car il résulte d'une jurisprudence constante que l'appauvrissement s'évalue au jour de la demande en justice, lorsque l'appauvri était dans l'impossibilité morale d'agir autrement.
Ils allèguent que ce n'est pas le fait générateur, ce que le tribunal a appelé « le dernier salaire » qui fait courir le délai de l'action in rem verso, mais le décès des père et mère.
Ils font valoir que Mme Marie-Grâce Y... ne pouvait agir contre ses parents, que cette action portant sur les deux successions, Mme Y... est décédée en 2009, ses héritiers n'ont pas dépassé le délai de prescription puisqu'ils ont assigné le 7 septembre 2012.
Les appelants affirment donc que leur demande est recevable et non prescrite, car selon les dispositions de l'article 2222 du code civil, le temps de la précédente prescription se rajoute au délai quinquennal de la loi de 2008 entrée en vigueur le 19 juin 2008, de sorte que le décès du père intervenu en 2001 permettait aux héritiers d'agir jusqu'au 19 juin 2013 et pour la mère jusqu'au 1er mars 2014.
Sur le fond, ils font valoir que l'appauvrissement a été reconnu par le père et est évident puisque pendant 20 ans leur mère n'a pas été payée et n'a pas été déclarée.
Ils réfutent les allégations des intimés sur le fait que celle-ci était décisionnaire en tout dans l'entreprise et responsable de la " déconfiture " du commerce, contestant la valeur probante des documents produits par la partie adverse.
De leur côté, les intimés font valoir, respectivement, que cette est action est prescrite, en invoquant la prescription trentenaire fixée par l'ancien article 2262 du code de procédure civile.
Ils relèvent que Mme Marie-Grâce Y... est décédée le 16 septembre 2001, sans avoir fait état ni engagée une quelconque action ou demande au titre de sa créance, et que cette action qui est quasi-contractuelle a pris naissance en 1951.
Ils soutiennent également que les conditions de l'action in rem verso ne sont pas réunies, affirmant, essentiellement, que Mme Marie-Grâce Y... n'a pas exercé une activité de manière gratuite et a, non pas enrichie mais appauvrie le patrimoine des époux Y..., par sa mauvaise gestion de l'entreprise familiale.
S'agissant de l'attestation litigieuse, ils soulignent que celle-ci ne contient aucune précision, aucune volonté du défunt, quant à ses biens ni même une expression de ses dernières volontés, et que ce document n'est ni un testament, nu un commencement de preuve, mais un témoignage rédigé pour servir à un tiers.
* * *
L'action in rem verso n'est recevable que si elle n'est pas prescrite, à cet égard, il y a lieu d'appliquer la prescription de droit commun, d'une durée de trente ans en vertu de l'ancien article 2262 du code civil et raccourci à cinq ans par la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile.
En outre, antérieurement à la réforme, le point de départ de la prescription n'était précisé par aucun texte du code civil et la jurisprudence consacrait, le principe de la date du jour la naissance de ce droit.
Par ailleurs, l'article 2224 du même code, issu de la loi du 17 juin 2008, sus-visée, dispose que la prescription commence à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits.
Au surplus, la demande en justice est retenue pour apprécier l'appauvrissement mais ne constitue en aucun cas le point de départ de la prescription, comme le souligne à juste titre Mme Michelle Y....
En l'espèce, il résulte de l'extrait d'immatriculation au registre du commerce et des sociétés en date du 31 mai 2012, que l'entreprise familiale dans laquelle Mme Marie Y... épouse X... a travaillé, a été exploitée personnellement par le père de cette dernière, M. Gaëtan Y..., le 20 août 1958 et que ce dernier a cessé toute activité en 1971, de sorte qu'aucune demande ne peut valablement être formulée, au titre de l'enrichissement sans cause à l'encontre des successions des époux pour la période antérieure à 1958.
Compte tenu de la période concernée, à savoir de 1958 à 1971 et au vu des éléments versés aux débats, Mme Marie Y..., qui est née en 1934, s'est mariée et eu deux enfants issus de son union en 1952 et 1953 et était très investie dans la gestion de l'entreprise familiale, disposait d'un droit à agir et donc à réclamer ce qui lui était dû, sans pouvoir valablement invoquer un empêchement moral de la part de celle-ci.
Dans ces conditions, la naissance du droit à agir de cette dernière, point de départ de la prescription trentenaire, applicable en l'espèce, remonte au plus tard à l'année 1971, dès lors, l'action in rem verso exercée par les appelants est effectivement prescrite.
Il convient, en conséquence, de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit que les consorts X... ne sont créanciers d'aucune somme au titre de salaires dus à Mme Marie-Grâce Y... de 1951 à 1971.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
Il n'est pas inéquitable de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
En conséquence, le jugement querellé sera confirmé en ses dispositions à ce titre et les intimés seront déboutés de leurs demandes respectives sur ce même fondement, pour la procédure d'appel.
Les appelants, succombant en leurs recours, supporteront les dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Déboute M. Joseph Y..., Mme Michelle Y... et M. Antoine Y... de leurs demandes respectives, au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute les parties de tous autres chefs de demandes ;
Condamne solidairement M. Michel X... et Mme Graziella X... aux entiers dépens d'appel.
LE GREFFIER LE PRESIDENT