Ch. civile A
ARRET No
du 10 FEVRIER 2016
R. G : 13/ 00588 EB-C
Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Juge aux affaires familiales d'AJACCIO, décision attaquée en date du 10 Juin 2013, enregistrée sous le no 08/ 01167
X...
C/
Y...
COUR D'APPEL DE BASTIA
CHAMBRE CIVILE
ARRET DU
DIX FEVRIER DEUX MILLE SEIZE
APPELANTE :
Mme Jacqueline X...née le 24 Septembre 1954 à VEZZANI (20242) ...20137 PORTO VECCHIO
assistée de Me Valérie GUISEPPI, avocat au barreau d'AJACCIO plaidant en visioconférence
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2013/ 2089 du 18/ 07/ 2013 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de BASTIA)
INTIME :
M. Oscar Y...né le 26 Août 1949 à MALVITO (ITALIE) ......20137 PORTO-VECCHIO
assisté de Me Marie Mathilde PIETRI, avocat au barreau de BASTIA
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2013/ 2183 du 25/ 07/ 2013 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de BASTIA)
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue en chambre du conseil du 14 décembre 2015, devant la Cour composée de :
Mme Gisèle BAETSLE, Président de chambre Mme Emmanuelle BESSONE, Conseiller Mme Marie BART, vice-président placé près M. le premier président
qui en ont délibéré.
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme Martine COMBET.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aura lieu par mise à disposition au greffe le 27 janvier 2016, prorogée par le magistrat par mention au plumitif au 10 février 2016.
ARRET :
Contradictoire,
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Mme Gisèle BAETSLE, Président de chambre, et par Mme Martine COMBET, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Mme Jacqueline X...et M. Oscar Raffaele Y...ont contracté mariage le 18 octobre 1973 devant l'Officier d'Etat civil de Vezzani (Haute Corse), sans contrat préalable.
Un enfant, aujourd'hui majeur est issu de cette union : Stéphane, né le 22 mars 1974.
Par jugement du 10 juin 2013, le juge aux affaires familiales du tribunal de grande Instance d'Ajaccio a :
- prononcé le divorce des époux Y.../ X...aux torts exclusifs de l'époux,
- dit que mention du divorce sera portée en marge des actes de naissance et de l'acte de mariage des époux,
- rejeté la demande reconventionnelle de divorce pour altération définitive du lien conjugal présentée par M. Y...,
- dit que la décision emportera révocation de plein droit des avantages matrimoniaux prenant effet à la dissolution du régime matrimonial ou au décès de l'un des époux,
- dit que le jugement prendra effet entre époux au 16 février 2009, date de l'ordonnance de non-conciliation,
- dit que chacun des époux devra reprendre l'usage de son nom,
- donné acte à chacun des époux de leurs propositions de règlement de leurs intérêts pécuniaires et patrimoniaux,
- ordonné la liquidation et le partage de ces intérêts,
- rejeté la demande de prestation compensatoire présentée par Mme X...,
- dit que M. Y...devra lui verser 4 000 euros à titre de dommages-intérêts,
- condamné M. Y...à lui payer la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- dit que les dépens seront supportés par M. Y...seul.
Par déclaration du 11 juillet 2013, Mme Jacqueline X...a interjeté appel de cette décision.
Par conclusions communiquées le 24 février 2015, Mme Jacqueline X...demande à la cour :
- d'infirmer la décision en ce qu'elle a fixé le montant des dommages-intérêts dus par M. Y...à la somme de 4 000 euros, et de fixer leur montant à la somme de 15 000 euros,
- d'infirmer également la décision en ce qu'elle a rejeté sa demande de prestation compensatoire,
- de condamner M. Y...à lui payer une prestation compensatoire de 380 080 euros sous la forme de l'abandon en pleine propriété de la maison qu'elle occupe actuellement et du terrain d'assiette située en ...20137 Porto Vecchio, cadastrée commune de Porto Vecchio, section AE no31 ou à titre subsidiaire de lui attribuer à titre de prestation compensatoire l'usufruit sur ce même bien, dont la valeur peut être estimée à la somme de 121 625, 60 euros (soit 40 % de la valeur du bien),
- de confirmer la décision pour le surplus,
- de condamner M. Y...à lui payer la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle fait valoir que son époux était violent et insultant à son égard, qu'il a quitté le domicile conjugal pour aller vivre avec une jeune femme nommée Mme C..., qu'il a rencontrée avant de quitter son épouse.
Elle rappelle qu'elle s'est mariée à 19 ans, qu'elle a été abandonnée par son époux après 30 ans d'une vie commune difficile, qu'elle subit un préjudice moral important.
Elle ajoute qu'elle souffre actuellement d'une grave dépression nerveuse, invalidante, qu'elle a pendant des années aidé son époux dans l'exploitation de son restaurant la pizzeria " Chez Oscar " à Porto-Vecchio, qu'elle y faisait la cuisine, le ménage, la mise en place des tables, avant de se consacrer à l'éducation de l'enfant commun, qu'elle ne perçoit actuellement aucun revenu locatif, mais le RSA, que les deux petits appartements du rez-de-chaussée de la maison qu'elle occupe sont vétustes et presque toujours inoccupés, qu'elle n'est pas l'auteur des annonces de location parues pour ces appartements.
Elle ajoute qu'elle est propriétaire d'une petite maison en Haute Corse sur lequel sa mère bénéficie d'un droit d'usage et d'habitation.
Elle estime que c'est à dessein que son époux a fait en sorte que son bail commercial soit résilié, et a volontairement perdu son fonds de commerce de restauration, et qu'il s'est lancé récemment dans une nouvelle activité : la vente de bois de chauffage.
Par conclusions d'intimé et d'appel incident notifiées le 19 février 2015, M. Oscar Y...demande à la cour de :
- prononcer le divorce pour altération définitive du lien conjugal, en application de l'article 238 alinéa 2 du code civil, dans la mesure où les époux vivent séparés depuis 9 ans,
- infirmer le jugement en ce qu'il a prononcé le divorce sur le fondement de l'article 242 du code civil,
- débouter Mme X...de sa demande de dommages-intérêts,
- confirmer la décision en ce qu'elle a rejeté la demande de prestation compensatoire,
- débouter Mme X...de sa demande de paiement de la somme de 380 000 euros sous la forme de l'abandon en pleine propriété de la maison qu'elle occupe actuellement,
- infirmer la décision en ce qu'elle l'a condamné à payer à Mme X...la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, les deux parties étant bénéficiaires de l'aide juridictionnelle.
M. Y...fait valoir que les époux sont séparés de fait depuis novembre 2004.
Il expose qu'arrivant d'Italie, il s'est installé à Porto Vecchio il y a une quarantaine d'années, et qu'il y a ouvert et exploité seul une pizzeria à l'enseigne " Chez Oscar ", que son travail acharné lui a permis d'acquérir une maison de trois appartements et un garage, au profit de la communauté, et de constituer des économies, de 280 000 euros.
Il conteste que Mme X...ait jamais contribué à la marche de l'entreprise, et soutient qu'elle n'a jamais travaillé.
M. Y...affirme que cependant, qu'à compter de la séparation en novembre 2004, il a versé chaque mois à son épouse la somme de 805 euros, qu'elle a acceptée, et que ce mode de vie séparé convenait fort bien à Mme X....
Il conteste avoir rencontré Melle C...avant la séparation, et avoir été violent avec son épouse.
Il soutient que l'appartement F3 se trouvant dans la maison occupée par Mme X...est loué de façon saisonnière par celle-ci, et que pour dissimuler ces locations, elle a fait passer les annonces par sa belle-soeur, qu'elle est inscrite comme loueur auprès de l'office du tourisme et qu'elle réclame des paiements en espèces et d'avance.
Il dit ne percevoir que 472 euros par mois d'indemnités journalières.
La clôture de la procédure a été prononcée le 17 juin 2015, et l'affaire fixée pour être plaidée à l'audience du 14 décembre 2015.
MOTIFS
-Sur la prononcé du divorce, et ses effets
En application de l'article 242 du code civil, " le divorce peut être demandé par l'un des époux lorsque des faits constitutifs d'une violation grave ou renouvelée des devoirs et obligations du mariage sont imputables à son conjoint, et rendent intolérable le maintien de la vie commune ".
M. Y...ne conteste pas qu'il a quitté le domicile conjugal fin 2004.
Loin d'être établi par les pièces de la procédure, l'accord de l'épouse pour ce départ, allégué par M. Y..., est contredit par la sommation qu'elle lui a fait délivrer le 5 février 2005, d'avoir à réintégrer le domicile conjugal.
M. Y...ne conteste pas non plus avoir eu noué une relation intime avec Mme C...qui travaillait dans sa pizzeria, à compter de son départ du domicile conjugal, alors même qu'il était toujours dans les liens du mariage.
Ces faits constituent une violation grave et renouvelée des devoirs de l'époux, qui rendent intolérable le maintient de la vie commune, et qui justifient le prononcé du divorce aux torts exclusifs de M. Y....
Dès lors, en application des dispositions de l'article 246 alinéa 2 du code civil, il n'y a pas lieu d'examiner la demande de divorce pour altération définitif du lien conjugal présentée par celui-ci.
Le jugement sera sur ce premier point confirmé.
Il convient également de confirmer les dispositions non contestées du jugement sur l'usage du nom de l'époux, la révocation des avantages matrimoniaux, la date d'effet du divorce entre époux, fixée au 16 février 2009, et la liquidation du régime matrimonial.
- Sur la demande de dommages-intérêts
Il résulte des certificats médicaux du Docteur D...que Mme X...quittée à l'âge de 50 ans après 31 ans de mariage par son époux qui a noué une relation avec une femme de 20 ans plus jeune qu'elle, a été destabilisée psychologiquement par la séparation.
N'ayant jamais travaillé de façon régulière, Mme X...ne disposait manifestement pas d'une vie sociale lui permettant facilement de dépasser ce sentiment d'abandon. Par ailleurs les attestations de témoins de Mme Léone E...et de Mme Cathy F...décrivent Mme X...comme une épouse très dépendante de son mari pendant la vie commune.
Le médecin relève dans son certificat récapitulatif du 06 avril 2012 des troubles dépressifs réactionnels sévères, une perte de l'élan vital, des insomnies et idées suicidaires, qui durent depuis 2007, et qui nécessitent un traitement médicamenteux au long cours.
Il s'agit de conséquences de la séparation, d'une particulière gravité pour l'épouse, au sens de l'article 266 du code civil.
L'allocation d'une somme de 4 000 euros à titre de dommages-intérêts allouée par le premier juge apparaît adaptée au préjudice subi. Il convient de confirmer la décision sur ce point.
- Sur la prestation compensatoire
Par application de l'article 270 du code civil, " l'un des époux peut être tenu de verser à l'autre une prestation destinée à compenser autant qu'il est possible, la disparité que la rupture du mariage créée dans les conditions de vie respectives. Cette prestation a un caractère forfaitaire, et prend la forme d'un capital ".
L'article 271 du même code précise qu'elle est fixée " selon les besoins de l'époux à qui elle est versée et les ressources de l'autre en tenant compte de la situation au moment du divorce, et de l'évolution de celle-ci dans un avenir prévisible. A cet effet, le juge prend en considération notamment, la durée du mariage, l'âge et l'état de santé des époux, leur qualification et leur situation professionnelle, les conséquences des choix professionnels faits par l'un des époux pendant la vie commune ou l'éducation des enfants et du temps qu'il faudra
encore leur consacrer ou pour favoriser la carrière de son conjoint au détriment de la sienne, le patrimoine estimé ou prévisible des époux tant en capital qu'en revenu, après la liquidation du régime matrimonial, leurs droits existants et prévisibles, leur situation respective en matière de pensions de retraite ".
* Mme X...
Elle est âgée de 62 ans.
Elle perçoit le RSA.
Son époux lui a versé entre fin 2004 et pendant la durée de la procédure, une pension de 805 euros, puis de 950 euros, puis de 800 euros par mois. Elle a également perçu une avance sur sa part de communauté de 50 000 euros.
N'ayant que très peu travaillé (7 trimestres), elle ne percevra aucune retraite.
Son état de santé actuel ne lui permet pas de retravailler.
Elle est propriétaire d'un bien propre en Haute Corse, dont elle ne précise ni la localisation ni la nature exacte ni la valeur, et sur lequel elle a laissé un droit d'usage et d'habitation à sa mère. Elle ne produit que la page 6 de l'acte notarié par lequel elle a racheté les parts de ses frère et soeur dans ce bien, de sorte qu'il est impossible d'en connaître les caractéristiques, même principales.
Elle occupe à titre gratuit la maison commune sise ...à Porto-Vecchio, composée d'un appartement à l'étage, et au rez-de-chaussée d'un appartement de type F3, et d'un studio. Elle occupe le premier étage. Si le studio du rez-de-chaussée est occupé à titre gratuit par l'enfant majeur du couple, il résulte d'un certain nombre de pièces produites par M. Y...(bulletins d'adhésion de 2001 à 2009 inclus à l'office du Tourisme de Porto-Vecchio, présence des deux " chambres " d'hôtes à louer sur différents guides et sites " France-rando, " Lookup ", " le Bon Coin " " Amivac "...., présence en 2010 encore d'un panneau " Chambres d'hôtes " accroché au grillage, présence de voitures aux plaques extérieures au département devant le studio, à l'intérieur de l'enceinte de la propriété... attestations de clients) que Mme X...a loué et peut encore loue les logements du rez-de-chaussée pour disposer de revenus complémentaires.
Elle ne peut pas raisonnablement soutenir, compte tenu du nombre et de la diversité des pièces produites par la partie adverse sur ce point, que son époux a passé les annonces en vue de la location à son insu, pour lui nuire.
* M. Y...
Il est âgé de 67 ans.
Il perçoit des indemnités journalières de 472 euros par mois, ayant cessé en février 2010 l'exploitation de sa pizzeria.
Les pièces du dossier ne permettent pas d'affirmer que cet arrêt d'activité s'expliquait par une volonté de minorer ses revenus et son patrimoine. M. Y...produit au contraires les attestations de beaucoup de ses anciens clients, aux termes desquels la fréquentation de l'établissement avait beaucoup diminué. Il justifie avoir demandé avec insistance à son épouse en 2010, de signer la vente du fonds pour une somme de 60 000 euros, ce qu'elle a refusé car elle trouvait le prix trop faible. Si Mme X...indique aujourd'hui avoir eu contact pour un acquéreur au prix de 70 000 euros, elle ne justifie pas avoir communiqué officiellement cette offre à son mari en son temps.
Les photographies d'importantes quantités de bois entreposées sur le terrain de la villa occupée par M. Y..., ainsi que les attestations produites par Mme X...permettent de considérer que l'époux fait commerce artisanal de bois de chauffage. Cependant, s'il tire quelques revenus complémentaires de cette activité, ceux-ci ne sauraient atteindre la somme de 72 000 euros sur 8 mois avancée par l'appelante.
M. Y...ne dispose d'aucun patrimoine propre.
Il percevra du RSI, une retraite de 484 euros par mois.
Ses années d'activité ont permis à la communauté d'acquérir deux maisons à Porto-Vecchio, celle qui est occupée par Mme X...composée de deux appartements et d'un studio, et une villa dénommée " ... " de type F3 occupée par M. Y..., ainsi que des avoirs bancaires importants, de plus de 260 000 euros.
Ainsi, alors que les revenus des époux sont actuellement les mêmes et seront sensiblement les mêmes dans l'avenir, le mariage a permis, grâce à l'activité professionnelle de M. Y..., de constituer un patrimoine commun mobilier et immobilier, que les époux vont pouvoir se partager par moitié.
Il ne résulte pas de l'ensemble de ces éléments que la rupture du mariage ait créé une disparité dans les conditions de vie respectives des époux.
Il convient de confirmer la décision du premier juge de rejeter la demande de prestation compensatoire présentée par l'appelante.
Le jugement du 10 juin 2013 sera donc confirmé en toutes ses dispositions, y compris sur les frais et dépens de première instance.
- Sur les frais et dépens d'appel
Mme X...qui succombe en son appel principal, devra supporter les dépens.
Dans la mesure où elle est bénéficiaire de l'aide juridictionnelle totale, il apparaît équitable de ne pas faire application de l'article 700 du code de procédure civile à son encontre.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
- CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement du juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance d'Ajaccio en date du 10 juin 2013 ;
Y ajoutant :
- DÉBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;
- DIT N'Y AVOIR LIEU à l'application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- CONDAMNE Mme X...Jacqueline aux dépens d'appel.
LE GREFFIERLE PRESIDENT