Ch. civile A
ARRET No
du 10 FEVRIER 2016
R. G : 12/ 00634 MBA-C
Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Tribunal de Grande Instance d'AJACCIO, décision attaquée en date du 28 Juin 2012, enregistrée sous le no 11/ 00258
X...
C/
X...
COUR D'APPEL DE BASTIA
CHAMBRE CIVILE
ARRET DU
DIX FEVRIER DEUX MILLE SEIZE
APPELANTE :
Mme Paule X... née le 09 Août 1964 à GRENOBLE (38000) ...38420 LE VERSOUD
ayant pour avocat Me Antoine MERIDJEN, avocat au barreau de BASTIA, Me Guillaume HEINRICH, avocat au barreau de GRENOBLE
INTIME :
M. Jean luc X... né le 14 Décembre 1960 à MARSEILLE (13000) ...20137 PORTO-VECCHIO
ayant pour avocat Me Robert DUCOS de la SCP LENTALI PIETRI DUCOS, avocat au barreau d'AJACCIO
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue à l'audience publique du 11 janvier 2016, devant la Cour composée de :
M. François RACHOU, Premier président Mme Micheline BENJAMIN, Conseiller Mme Marie BART, vice-président placé près M. le Premier président
qui en ont délibéré.
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme Martine COMBET.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aura lieu par mise à disposition au greffe le 10 février 2016.
ARRET :
Contradictoire,
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par M. François RACHOU, Premier président, et par Mme Martine COMBET, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Par arrêt avant dire droit du 29 janvier 2014 auquel il convient de se référer pour plus ample exposé du litige, la cour de céans a ordonné une expertise confiée à M. A...avec la mission de préciser le nombre de fenêtres ou de portes-fenêtres de la maison de Mme Paule X...cadastrée section A 398 donnent sur la parcelle A 395, de préciser quand elles ont été aménagées, de donner tous éclaircissements sur l'emplacement de la ou des portes d'entrée de la maison A 398, de dire si elle (s) donne (nt) sur la parcelle A 395 annonçant une servitude apparente de passage, de dire quand elle (s) ont été créée (s), aux frais de l'appelante.
L'expert désigné a déposé son rapport le 21 juillet 2014.
En ses dernières conclusions déposées par la voie électronique le 18 mai 2015 auxquelles il est expressément référé pour plus ample exposé de ses moyens et prétentions, Mme Paule X... venant aux droits de M. Toussaint X... demande à la cour de :
- réformer le jugement du tribunal de grande instance d'Ajaccio du 28 juin 2012,
- rejeter l'ensemble des demandes de M. Jean-Luc X...,
- condamner M. Jean-Luc X... au paiement d'une somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance,
à titre subsidiaire,
- dire et juger que M. Jean-Luc X... ne peut prétendre qu'à la fermeture d'une seule ouverture créée au premier étage de la maison en façade Nord et donnant sur la parcelle A 395, elle-même étant fondée à se prévaloir de la prescription trentenaire pour toutes les autres vues directes,
- condamner M. Jean-Luc X... aux entiers dépens de l'instance qui comprendront notamment le coût de l'expertise judiciaire confiée à M. Raymond A....
Elle soulève l'irrecevabilité des demandes de M. Jean-Luc X... pour défaut d'intérêt ou de qualité à agir au motif qu'il ne rapporte pas la preuve qu'il est propriétaire de la partie de la parcelle 395 se situant au droit de la maison cadastrée 398.
Elle soutient que les ouvertures donnant sur la parcelle A 395 de M. Jean-Luc X... constituent une servitude de vue et de passage conventionnelle et qu'elles ont été construites avant qu'il acquiert son bien immobilier.
Elle prétend également qu'à l'exception de l'ouverture au premier étage en façade Nord, toutes les autres vues donnant sur la parcelle A 395 datent de la construction de la maison, c'est-à-dire de plus de 150 ans. Elle en déduit qu'elle bénéficie pour les vues donnant sur la parcelle A 395, d'une servitude de vue et de passage acquise par prescription trentenaire.
En ses dernières conclusions déposées par la voie électronique le 23 juin 2015 auxquelles il est expressément référé pour plus ample exposé de ses moyens et prétentions, M. Jean Luc X... demande à la cour de :
- confirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance d'Ajaccio le 28 juin 2012,
- dire et juger que la partie appelante ne démontre pas l'existence de servitudes légalement constituées,
- rejeter les demandes de l'appelante,
subsidiairement et pour ce qui concerne les aggravations portant des vues qui pourraient être considérées par la cour comme préexistantes aux travaux de surélévation de la maison de 1991 :
- ordonner la remise en état des ouvertures telles qu'elles existaient avant les travaux comme de l'ensemble des installations et aménagements non autorisées et réalisées sur la parcelle 395,
à titre infiniment subsidiaire, dans l'hypothèse où la cour reconnaîtrait l'existence d'une servitude de passage à pied par la parcelle 395 au profit de la parcelle 398, de condamner l'appelante à retirer les installations et aménagements non autorisées réalisées sur la parcelle 395,
- mettre une somme de 4 000 euros à la charge de l'appelante sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner l'appelante aux dépens de l'instance en ce compris le coût du constat de l'huissier de justice et de l'expertise qu'elle avait demandé.
Il conteste être dépourvu de qualité pour agir en faisant valoir que sa parcelle est un bien non délimité et qu'il importe peu de savoir où se situe son droit dès lors qu'il porte sur la parcelle 395, que cette parcelle est elle limitrophe de celle de l'appelante et que la création de vue sur la parcelle 395 en diminue la valeur.
Il conteste l'existence d'une servitude en expliquant que Mme Paule X... ne démontre pas que la maison 398 qu'elle possède est enclavée et qu'elle ne dispose pas d'un accès sur la voie publique.
Il soutient encore que l'article 678 ne fait pas état, pour s'appliquer, de l'existence ou non d'une construction sur le fonds voisin lors de la création de vue droite.
Subsidiairement dans l'hypothèse où les servitudes seraient reconnues, il considère qu'elles ont été aggravées en 1991 par la réalisation de travaux en façade Est où une ouverture a été transformée en fenêtre du fait de l'élévation de la maison.
Il fait observer que l'expert a noté que trois fenêtres de la maison de l'appelante ont été ouvertes ou agrandies en 1991 lors de la rénovation et l'agrandissement de la bâtisse.
Si la cour reconnaît l'existence d'une servitude de passage, il estime que cela ne donne pas droit à Mme Paule X... de procéder à des installations de muret, terrasse, tables ou de chaises pour vouloir occuper la parcelle sur laquelle il possède un titre de propriété.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 1er juillet 2015 et l'affaire renvoyée pour être plaidée au 11 janvier 2016.
MOTIFS DE LA DECISION :
Le premier juge a, à juste titre, déclaré recevable l'action intentée par M. Jean-Luc X..., qui est propriétaire d'un bien non délimité ce qui lui confère la capacité pour défendre la propriété de la parcelle A 395 sans qu'il ait à justifier de l'endroit précis où s'exerce son droit.
Le jugement querellé sera confirmé sur ce point.
Aux termes de l'article 678 du code civil, on ne peut avoir des vues droites ou fenêtre d'aspect, ni balcons ou autres semblables saillies sur l'héritage clos ou non clos de son voisin s'il n'y a dix neuf décimètres de distance entre le mur où on les pratique et ledit héritage à moins que le fonds ou la partie du fonds sur lequel s'exerce la vue ne soit déjà grevé, au profit du fonds qui en bénéficie, d'une servitude de passage faisant obstacle à l'édification de construction.
L'article 690 du même code dispose que les servitudes continues et apparentes s'acquièrent par titre ou par la possession de trente ans.
Il en résulte qu'il incombe à Mme Paule X... de démontrer que la servitude dont elle se prévaut a été acquise par titre ou par prescription trentenaire.
Contrairement à ce que prétend Mme Paule X..., l'acte d'acquisition du 24 juin 2010 de M. Jean-Luc X... ne contient aucune mention précise d'une servitude grevant la parcelle A 395. Mme Paule X... est donc mal fondée à prétendre à l'existence d'une servitude établie par titre.
Il ressort des conclusions non contestées du rapport de l'expert A...que :
- trois fenêtres de la maison A 398 donnent sur la parcelle 395 (deux sur la façade Nord et une sur la façade Est),
- elles ont été ouvertes ou agrandies en 1991 lors de la rénovation et l'agrandissement de la bâtisse,
- deux entrées sont possibles mais selon l'expert l'entrée principale ne peut s'effectuer que par la porte Est donnant sur la parcelle 395.
S'agissant de la porte d'entrée de la façade Est, il est constant que la maison A 398 est dotée d'une autre porte d'entrée façade Sud mais qu'elle est peu praticable. En effet, elle est plus petite qu'une hauteur d'homme, elle permet de rentrer dans la maison par une cave et d'accéder au salon mais par un escalier très sommaire et inconfortable puis par une trappe. Il est donc établi que l'entrée de la maison se fait par la porte façade Est ainsi qu'il ressort des attestations de Mme Marie Antoinette X... (sa tante), M. Jean B...(un parent), M. Antoine X... (son cousin), M. Pierre C..., Mme Françoise D...ainsi que M. André E....
Mais encore, l'expert judiciaire conclut que la porte n'a pas été transformée lors des travaux réalisés en 1991 par M. Toussaint X....
Il est, dés lors, suffisamment établi que l'accès à la maison A 398 se fait par la porte façade Est donnant sur la parcelle 395 et ce depuis au moins 1974 soit plus de trente ans au jour de l'assignation du 24 février 2010.
Mme Paule X... démontrant l'existence d'une servitude de vue et de passage par la porte façade Est, aucune mesure d'obstruction ne peut être prononcée. Il s'ensuit que la porte façade Est n'a à être ni remise en état ni obstruée et M. Jean-Luc X... sera débouté de ce chef.
Par contre, M. Jean-Luc X... est légitime à demander la condamnation de Mme Paule X... à retirer le muret construit par M. Toussaint X... en 1991 ou 1992 selon les allégations de l'appelante, ce muret empiétant sur la parcelle 395 sans qu'elle ait aucun droit.
Selon l'article 702 du code civil, celui qui a un droit de servitude ne peut en user que suivant son titre, sans pouvoir faire ni dans le fonds qui doit la servitude, ni dans le fonds à qui elle est due, de changement qui aggrave la condition du premier.
Mme Paule X... démontre l'existence d'une servitude de vue et de passage pour la fenêtre façade Nord du rez de chaussée. En effet, il ressort de l'attestation de M. Jean B...qu'il existe depuis toujours une fenêtre sur la façade Nord et de celle de Mme Marie Antoinette X... que la salle à manger comporte une fenêtre côté Nord. Enfin, l'expert note que cette fenêtre n'a pas été créée mais qu'elle a été agrandie en 1991 passant de 60 x 60 cm à 0, 95x1, 20m.
Il ressort donc de ce qui précède que la fenêtre située en façade Nord au niveau du rez-de-chaussée, existe depuis au moins trente ans et que la condition du fonds de M. Jean-Luc X..., débiteur de la servitude, n'a pas été aggravée dans la mesure où la vue préexistait à son agrandissement. Il s'ensuit que la fenêtre façade Nord du rez-de-chaussée n'a à être ni remise en état ni obstruée et M. Jean-Luc X... sera débouté de ce chef.
Il ressort des constatations de l'expert que la fenêtre façade Est a été ouverte lors des travaux d'extension en 1991 puisqu'elle ne se trouve pas à l'emplacement de l'ancienne ouverture.
La fenêtre façade Nord du premier étage a également été créée lors des travaux d'extension en 1991 puisque le bâtiment a été surélevé et qu'il n'existait évidemment aucune ouverture.
M. Jean-Luc X... est donc légitime à demander l'obstruction de ces fenêtres qui sont des ouvertures directes sur sa parcelle 395 et qui ont été créées en 1991 sans qu'aucune prescription trentenaire ne puisse être opposée par Mme Paule X... qui ne peut pas plus faire valoir que l'héritage voisin doit être construit pour l'application de l'article 678 précité.
La condamnation sous astreinte telle que prévue par le jugement est justifiée pour l'obstruction de ces deux vues exclusivement.
Aucune circonstance tirée de l'équité ne permet de faire application de l'article 700 du code de procédure civile en appel mais le jugement sera confirmé en ce qu'il a mis une indemnité à la charge de M. Toussaint X....
Compte tenu de la solution donnée au litige, il convient de faire masse des dépens d'appel lesquels comprendront le coût de l'expertise judiciaire et de les partager par moitié entre les parties. Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné M. Toussaint X... aux dépens de l'instance comprenant les frais du procès verbal de constat dressé le 10 décembre 2009 par Me F..., huissier de justice.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Infirme le jugement rendu par le tribunal de grande instance d'Ajaccio le 28 juin 2012 uniquement en ce qu'il a condamné M. Toussaint X... à obstruer six vues de la maison cadastrée section A numéro 398 sur la commune de Bilia et le confirme pour le surplus,
Statuant à nouveau du chef des dispositions infirmées,
Déboute M. Jean-Luc X... de sa demande de remise en état et de sa demande d'obstruction portant sur la porte façade Est et sur la fenêtre façade Nord du rez-de-chaussée de la maison située sur la parcelle cadastrée section A numéro 398 sur la commune de Bilia,
Condamne Mme Paule X... venant aux droits de M. Toussaint X... à obstruer la fenêtre façade Est et la fenêtre façade Nord du premier étage de la maison située sur la parcelle cadastrée section A numéro 398 sur la commune de Bilia, à ses frais dans le mois de la signification du présent arrêt et passé ce délai sous astreinte de 50 euros par jour de retard pendant un délai de deux mois au terme duquel il sera à nouveau statué,
Y ajoutant,
Condamne Mme Paule X... venant aux droits de M. Toussaint X... à retirer le muret construit sans droit sur la parcelle 395, propriété de M. Jean-Luc X...,
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Fait masse des dépens d'appel incluant le coût de l'expertise judiciaire et les partage par moitié entre les parties.
LE GREFFIER LE PRESIDENT