Ch. civile A
ARRET No
du 27 JANVIER 2016
R. G : 13/ 00922 R-EB
Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Tribunal de Grande Instance d'AJACCIO, décision attaquée en date du 04 Novembre 2013, enregistrée sous le no 12/ 00909
X...
C/
COMMUNE DE COGGIA
COUR D'APPEL DE BASTIA
CHAMBRE CIVILE
ARRET DU
VINGT SEPT JANVIER DEUX MILLE SEIZE
APPELANTE :
Mme Marie-Bernadette X... épouse Y...née le 07 Septembre 1948 à Coggia (20160) ...20122 QUENZA
assistée de Me Romina CRESCI, avocat au barreau D'AJACCIO
INTIMEE :
COMMUNE DE COGGIA Prise en la personne de son maire en exercice Mairie Lieudit Cruciata 20160 COGGIA
ayant pour avocat Me Anna Maria SOLLACARO, avocat au barreau D'AJACCIO
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue à l'audience publique du 14 décembre 2015, devant la Cour composée de :
Mme Gisèle BAETSLE, Président de chambre Mme Emmanuelle BESSONE, Conseiller Mme Marie BART, vice-président placé près M. le premier président
qui en ont délibéré.
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme Martine COMBET.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aura lieu par mise à disposition au greffe le 27 janvier 2016
ARRET :
Contradictoire,
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Mme Gisèle BAETSLE, Président de chambre, et par Mme Martine COMBET, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS, PROCEDURE, PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Mme Marie-Bernadette X... épouse Y...est propriétaire sur la commune de Coggia d'une maison d'habitation cadastrée section A no230 au lieudit « Chioso all'Olmo » ainsi que de parcelles attenantes cadastrées section A no570 et 571.
Par acte du 7 septembre 2012, Mme Marie-Bernadette X... a assigné la commune de Coggia afin de la voir condamnée sous astreinte à enlever des canalisations enfouies, un caniveau d'évacuation des eaux pluviales, et un brise-charge installés sur ses parcelles par la commune, ces installations irrégulières constituant selon elle une voie de fait. Elle sollicitait également une somme de 30. 000 euros à titre de dommages-intérêts et celle de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement du 4 novembre 2013, le Tribunal de Grande Instance d'Ajaccio a rejeté l'exception d'incompétence, mais a déclaré la demande irrecevable comme atteinte par la prescription, et condamné Mme X... épouse Y...à payer à la commune la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, et à supporter les dépens.
Par déclaration du 25 novembre 2013, Mme Marie-Bernadette X... épouse Y...a interjeté appel de cette décision.
Dans ses écritures récapitulatives notifiées le 28 janvier 2015, elle sollicite :
- l'infirmation du jugement entrepris,
- le rejet de la fin de non-recevoir tirée de la prescription,
- la reconnaissance de la voie de fait commise par la commune sur sa propriété,
- la condamnation de la commune de Coggia à enlever les ouvrages et à remettre en état les lieux sous astreinte de 500 euros par jour de retard à l'expiration d'un délai de deux mois à compter de la décision à intervenir,
- la condamnation de la commune à lui payer la somme de 30 000 euros à titre de dommages-intérêts, et celle de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- la condamnation de la commune aux dépens de première instance, et d'appel.
Elle fait valoir que son action tend à faire cesser l'atteinte à sa propriété, et revêt un caractère réel immobilier, et qu'à ce titre, elle n'est pas soumise aux dispositions de l'article 2224 du code civil.
Elle soutient que la prescription a commencé à courir en juin 1983, date à laquelle son auteure a pris connaissance des ouvrages implantés illégalement sur son fonds, et qu'en conséquence, en application de l'article 2227 du code civil, son action doit être déclarée recevable.
Les canalisations enterrées d'adduction d'eau potable et de tout-à-l'égoût ne peuvent selon elle être qualifiées de servitudes continues et apparentes, mais ont au contraire un caractère non apparent, et discontinu, et qu'elles ne peuvent dès lors s'acquérir que par titre et non pas prescription acquisitive trentenaire, en application de l'article 691 du code civil, et que le titre exigé ne peut être son titre de propriété sur les parcelles. En tout état de cause, cette prescription trentenaire n'est pas établie pour le brise charge et le caniveau.
Elle ajoute que la prescription quadriennale qui concerne les créances à l'encontre des personnes publiques n'a pas vocation à s'appliquer en l'espèce puisqu'il faudrait pour cela que la créance soit liquidée et fixée, conformément à la jurisprudence, ce qui n'est pas le cas.
Elle fait valoir que l'implantation sans autorisation de ces ouvrages communaux sur ses parcelles, dûment constatée par huissier, constitue une voie de fait, que par de multiples courriers depuis 1983, la commune a reconnu qu'elle devait y remédier, et qu'il ne peut être considéré qu'il y a eu acceptation tacite des implantations litigieuses puisqu'elle n'a au contraire eu de cesse de réclamer le retrait des installations litigieuses.
La règle de l'intangibilité des ouvrages publics qui interdit que soit ordonnée la démolition d'un ouvrage dès lors qu'une telle démolition
porterait une atteinte excessive à l'intérêt général, et qu'aucune régularisation appropriée n'est possible, n'est selon elle pas applicable en cas de voie de fait.
Par conclusions notifiées le 25 mars 2014 la commune de Coggia demande à la cour de :
- confirmer le jugement entreprise,
- déclarer l'action irrecevable comme prescrite,
- subsidiairement, constater l'absence de voie de fait, et la légalité d'une servitude continue et apparente acquise par prescription trentenaire dire et juger n'y avoir lieu à aucune indemnisation,
- condamner Mme X... à lui payer la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner Mme X... aux entiers dépens.
La commune se prévaut du délai de prescription quinquennal de l'article 2224 du code civil, s'agissant d'une action personnelle et mobilière.
Subsidiairement, elle soulève la prescription trentenaire prévue par l'article 2227 du même code, puisque ni Mme X... ni sa mère précédente propriétaire des parcelles n'ont jamais contesté la présence des ouvrages litigieux.
Elle rappelle également que l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 dispose que les actions contre les communes sont prescrites dans un délai de 4 ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis. La jurisprudence citée par la partie adverse lui paraît inapplicable dès lors que selon elle Mme X... a tacitement accepté la présence des ouvrages, en n'agissant que 10 ans après en avoir hérité.
Sur le fond, la commune rappelle que l'ouvrage litigieux est d'utilité publique puisque le réseau alimente en eau toutes les propriétés avoisinantes, et qu'en vertu d'un adage consacré par la jurisprudence, « l'ouvrage public mal planté ne se détruit pas », et que s'il doit être détruit, c'est à la condition qu'il n'existe aucune régularisation appropriée possible, et que la démolition ne porte pas une atteinte excessive à l'intérêt général.
Elle souligne enfin que les conduites d'eau et les égouts sont qualifiés de servitudes continues en application de l'article 688 du code civil, et que la présence de regards et d'un brise-charge sur le terrain rend le réseau apparent au sens de 690 du même code, de sorte qu'il s'agit d'une servitude susceptible de prescription trentenaire.
Par ordonnance du 18 novembre 2014, le conseiller de la mise en état a constaté l'irrecevabilité de l'exception d'incompétence soulevée par la commune de Coggia au profit du tribunal administratif, au motif qu'elle avait été soulevée après les défenses au fond.
La clôture de la procédure a été prononcée le 17 juin 2015, et l'affaire fixée pour être plaidée au 14 décembre 2015.
MOTIFS
L'action engagée par Mme X... épouse Y...tend à la protection de sa propriété et à la cessation d'un acte de dépossession, mais ne constitue pas une action réelle immobilière.
En application de l'article 26 de la loi portant réforme de la prescription du 17 juin 2008, il convient d'appliquer les dispositions antérieures à son entrée en vigueur, c'est-à-dire celles de l'ancien article 2270-1 du code civil qui fixait à 10 ans le délai de prescription des actions en responsabilité extra-contractuelles.
Ce délai de prescription a commencé à courir à compter du jour où Mme Angèle B...épouse X... mère et auteur de l'appelante, a eu connaissance de l'atteinte à sa propriété, c'est à dire de la présence des installations d'adduction et d'écoulement des eaux.
Le 9 juin 1983, le maire de Coggia écrivait à Xavier X..., fils d'Angèle X... et frère de Marie-Bernadette X... : « Tu n'ignores pas que notre ami T. Z... n'a guère réussi le caniveau d'écoulement des eaux pluviales de Cesara, cela est sans gravité certes, mais encore faut-il y remédier et tant qu'il en sera ainsi je ne pourrai régler Toussaint, ce qui est tout à fait normal. Pourrais-tu prendre l'initiative d'un rendez-vous à Coggia avec Toussaint et l'un des membres de ta famille, car, me dit-il, il ne sait pas exactement ce qu'il doit faire ».
Il résulte de ce courrier qu'au 9 juin 1983, les installations litigieuses étaient déjà en place, et que les membres de la famille X... en étaient informés. Par un courrier du 17 juin 1983, ils réclamaient d'ailleurs l'enterrement du drain, et la réfection de l'évacuation.
Mme Marie-Bernadette X... est devenue seule propriétaire de la parcelle à compter de l'acte de partage successoral du 26 avril 2002.
Entre 1991 et 2008, elle a adressé à la mairie de Coggia un certain nombre de courriers dans lesquels elle a sans succès, réclamé la remise en état des lieux.
La mairie de Coggia répondait sans contester l'existence des ouvrages, mais ne s'engageait jamais de façon ferme à les faire retirer.
Le délai de 10 ans qui a commencé à courir le 9 juin 1983 était donc expiré le 09 juin 1993.
L'action qui n'a été intentée que le 7 septembre 2012, est donc prescrite.
Ainsi, par substitution de motifs, il convient de confirmer le jugement entrepris qui a constaté la prescription, en toutes ses dispositions, y compris en ce qui concerne les dépens et frais irrépétibles.
Mme Y...née X... qui succombe en ses demandes, devra supporter les dépens d'appel.
Cependant, compte tenu des faits de la cause, et du préjudice causé à sa propriété, il paraît équitable de ne pas faire application de l'article 700 du code de procédure civile à son encontre.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Confirme le jugement du tribunal de grande instance d'Ajaccio en date du 4 novembre 2013, en toutes ses dispositions,
Dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile à l'encontre de Mme Marie-Bernadette Y...née X...,
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
Condamne Mme Marie-Bernadette Y...née X... aux dépens d'appel.
LE GREFFIER LE PRESIDENT