Ch. civile A
ARRET No
du 20 JANVIER 2016
R. G : 14/ 00381 C
Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Tribunal de Grande Instance d'AJACCIO, décision attaquée en date du 24 Mars 2014, enregistrée sous le no 11/ 00961
E...
C/
Consorts X... Z...
COUR D'APPEL DE BASTIA
CHAMBRE CIVILE
ARRET DU
VINGT JANVIER DEUX MILLE SEIZE
APPELANT :
Me Alain E...Membre de la SCP ALAIN E..., OLIVIER F...ET CHARLES Y..., NOTAIRES, associés d'une société civile professionnelle titulaire d'un office notarial né le 04 Juin 1949 à VERNON (27200)... 20000 AJACCIO
assisté de Me Frédérique GENISSIEUX de la SCP GENISSIEUX BALESI-ROMANACCE, avocat au barreau de BASTIA
INTIMES :
Mme Marie-Pierre X...épouse D...née le 18 Octobre 1968 à AJACCIO... 20000 AJACCIO
assistée de Me Michèle RICHARD LENTALI, avocat au barreau d'AJACCIO
M. Sébastien X... né le 05 Janvier 1974 à AJACCIO ...20000 AJACCIO
assisté de Me Michèle RICHARD LENTALI, avocat au barreau d'AJACCIO
Mme Paulette Z... divorcée A... née le 15 Septembre 1952 à MARSEILLE... 20000 AJACCIO
ayant pour avocat Me Raphaële DECONSTANZA, avocat au barreau d'AJACCIO
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue à l'audience publique du 19 novembre 2015, devant la Cour composée de :
Mme Françoise LUCIANI, Conseiller, magistrat du siège présent le plus ancien dans l'ordre des nominations à la Cour, faisant fonction de président de chambre, Mme Judith DELTOUR, Conseiller Mme Emmanuelle BESSONE, Conseiller
qui en ont délibéré.
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme Martine COMBET.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aura lieu par mise à disposition au greffe le 20 janvier 2016.
MINISTERE PUBLIC :
Auquel l'affaire a été régulièrement communiquée le 20 mai 2015 et qui a fait connaître son avis, dont les parties ont pu prendre connaissance.
ARRET :
Contradictoire,
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Mme Françoise LUCIANI, Conseiller, et par Mme Martine COMBET, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Suivant acte sous-seing privé du 24 mai 1985, Gilbert X... s'est engagé à vendre à Marie B...veuve Z..., acquéreur pour l'usufruit, et à Paulette Z..., acquéreur pour la nue-propriété, un bien immobilier situé au ...à Ajaccio, pour un prix de 400 000 francs, ainsi décrit : « un appartement type F4 situé..., premier étage d'une surface habitable de 104 m ² + terrasse et grenier ».
L'acte authentique passé le 2 décembre 1985 par devant Me E...précisait que le bien vendu constitue le lot numéro 29 de l'état descriptif de division, qu'il s'agit d'un « appartement de type F4 d'une surface habitable de 104 m ², situé au premier étage à compter de l'entresol, ou au deuxième étage à compter du rez-de-chaussée. »
Paulette Z..., épouse A..., seule propriétaire depuis le décès de sa mère, a vainement sollicité du notaire la régularisation de la vente du grenier, qui n'était pas mentionnée dans l'acte notarié faute de titre de propriété y afférent.
Elle a saisi le tribunal de grande instance d'Ajaccio pour obtenir la condamnation des héritiers de Gilbert X... à lui délivrer ce bien, ou à lui verser une indemnité équivalente, ainsi que des dommages intérêts.
Suivant jugement du 7 février 2013 le tribunal de grande instance d'Ajaccio a dit que l'acte sous-seing privé du 24 mai 1985 constitue une promesse synallagmatique de vente et vaut contrat entre les parties, constaté que le contrat de vente portait sur l'appartement comprenant une terrasse et un grenier ; avant-dire droit sur les autres demandes il a ordonné une expertise pour, notamment, décrire la composition de la copropriété, visiter les greniers, dire si celui pouvant revenir à Mme Z... épouse A... (grenier 4) est occupé, et si possible déterminer l'identité de l'occupant de ce grenier.
L'expert Mme C...a déposé son rapport le 18 juillet 2013.
Sur cette base, le tribunal de grande instance d'Ajaccio a par jugement contradictoire du 24 mars 2014 :
constaté que Mme Paulette Z... épouse A... est entrée en possession du grenier et dit que l'obligation de délivrance a été remplie par les héritiers du vendeur le 7 juin 2013,
dit que Me E...a manqué à son obligation d'information et de conseil tant à l'égard des acquéreurs que du vendeur à l'occasion de la rédaction de l'acte authentique du 2 décembre 1985,
dit qu'en ne participant pas aux recherches engagées à compter de 2008 pour permettre à Mme A... d'entrer en possession du grenier, Sébastien X... et Marie X...épouse D...ont méconnu les obligations contractuelles de loyauté et de délivrance résultant du contrat de vente passée par Gilbert X...,
condamné en conséquence in solidum Me E...et les consorts X... à payer à Mme A... la somme de 10 000 euros en indemnisation des préjudices de jouissance et moral subis,
condamné Me E...à relever et garantir les consorts X... des condamnations prononcées à leur encontre,
débouté les consorts X... de leurs demandes d'indemnisation formée à l'encontre de Me E...,
débouté les consorts X... de leurs demandes reconventionnelles formées au titre de l'abus de procédure à l'encontre de Mme A...,
dit que le présent jugement vaudra titre de propriété pour le grenier en question et sera à l'issue des voies de recours publié à la conservation des hypothèques d'Ajaccio,
dit que les frais de publication seront in solidum supportés par les consorts X... et Me E...,
dit qu'à peine d'astreinte d'un montant de 50 euros par jour de retard dû par chacun des défendeurs la publication devra être intervenue dans un délai de deux mois à compter du jour où le présent jugement aura acquis un caractère définitif,
condamné in solidum les consorts X... et Me E...à rembourser à Mme A..., sur présentation des factures, notes de frais et honoraires tous les frais exposés en vue de la rectification de l'acte authentique du 2 décembre 1985,
débouté les consorts X... et Me E...de leur demande de mise hors de cause,
condamné in solidum les consorts X... et Me E...à payer à Mme A... la somme totale de 1 400 euros au titre des frais irrépétibles et les a condamnés à supporter les dépens de l'instance, ceux exposés par l'État au bénéfice de Mme A... dans le cadre de l'aide juridictionnelle partielle devant être remboursés au trésor public.
Me E...a interjeté appel de cette décision le 30 avril 2014
Dans ses dernières conclusions déposées le 1er octobre 2014 il demande à la cour :
à titre principal :
vu l'ancien article 2270-1 du code civil :
de constater que les demandes formées à son encontre interviennent plus de 10 ans après l'acte de vente, que l'action en responsabilité est donc irrecevable comme prescrite,
à titre subsidiaire :
vu l'article 1382 du code civil, pour les motifs développés aux écritures, de constater qu'il n'a commis aucun manquement et qu'il ne peut exister en toute hypothèse aucun lien de causalité entre le manquement prétendu et le préjudice allégué, de réformer en conséquence la décision, de débouter les intimés de leurs demandes à l'encontre du concluant, de les renvoyer en tant que de besoin à publier à la conservation des hypothèques le jugement ayant dit que l'acte sous-seing privé signé le 24 mai 1985 entre elles valait vente,
à titre plus subsidiaire, si par extraordinaire une faute du notaire était retenue :
de dire qu'il n'y a pas de lien de causalité entre les faits reprochés et le dommage invoqué, de dire que seule la perte de chance d'obtenir une diminution du prix de vente est réparable, qu'il n'existe pas en l'espèce de préjudice financier tiré du prix de vente excessif au regard du bien délivré, de réformer en conséquence la décision entreprise et de prononcer la mise hors de cause du concluant,
de condamner en tous les cas Mme A... ou qui mieux des parties à payer aux concluants la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de première instance et d'appel.
Dans ses dernières conclusions déposées le 20 octobre 2014 Paulette A... demande à la cour, pour les motifs exposés aux écritures, de confirmer le jugement et y ajoutant, de condamner l'appelant et à défaut tout succombant à lui payer la somme de 2 400 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens comprenant la somme de 150 euros correspondant aux frais de timbres fiscaux.
Dans leurs dernières conclusions déposées le 17 mars 2015 les consorts X..., formant appel incident, demandent à la cour, pour les motifs exposés aux écritures, de réduire très sensiblement la somme à payer à Mme A..., de réformer le jugement en ce qu'il a assorti d'une astreinte à la charge des concluants la publication de la décision à intervenir alors qu'ils ne sont pas condamnés à effectuer ladite publication mais seulement à en rembourser avec le notaire le coût, de dire en tant que de besoin que le notaire devra les relever et garantir du coût de la publication du jugement,
de réformer le jugement encore, en ce qu'il les a condamnés à payer les frais exposés en vue de la rectification de l'acte du 2 décembre 1985, alors que ledit acte n'a pas à être rectifié.
Ils demandent la condamnation de l'appelant à leur payer la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et sa condamnation aux entiers dépens d'appel.
Le ministère public a fait savoir le 26 mai 2015 qu'il s'en rapporte à l'appréciation de la cour.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 27 mai 2015.
SUR CE :
Sur l'appel principal formé par Me E... :
Me E...soulève la prescription de l'action intentée contre lui par Mme Z..., en invoquant l'ancien article 2270-1 du code civil.
Ce texte, applicable aux actions en responsabilité contre un notaire, prévoyait avant la loi du 17 juin 2008 que les actions en responsabilité civile extra contractuelle se prescrivent par 10 ans à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation. Or, ainsi que le relève l'appelant, c'est le jour de la passation de l'acte authentique du 2 décembre 1985, que Mme Z..., signataire de l'acte, a eu connaissance de ce que l'acte définitif de vente avait omis le grenier, qui figurait pourtant à la convention initiale. L'action qu'elle intente contre le notaire, fondée sur son manquement au devoir d'information et de conseil, s'est trouvée prescrite 10 ans plus tard.
L'action introduite par l'exploit introductif d'instance du 8 septembre 2011 est donc irrecevable en ce qu'elle est dirigée à l'encontre de Me E....
Sur l'appel incident des consorts X... :
Les consorts X... tiennent leurs droits de Gilbert X..., décédé le 31 mars 2000, lequel n'a jamais agi contre le notaire dans le délai de prescription décennale.
Ils ne sollicitent pas l'infirmation de la disposition du jugement qui les déclare responsables du préjudice subi par Mme A..., pour avoir méconnu les obligations contractuelles de loyauté et de délivrance résultant du contrat de vente passé par leur auteur, en ne participant pas aux recherches engagées à compter de 2008 pour permettre à Mme A... d'entrer en possession du grenier lui appartenant ; mais ils soutiennent à juste titre que la prescription de leur action en garantie contre le notaire n'a commencé à courir que le jour où ils ont été assignés en justice par l'acquéreur c'est-à-dire en 2011, puisque c'est à cette date qu'ils ont eu connaissance du dommage invoqué par Mme Z..., dommage qui fonde l'action intentée contre eux en leur qualité d'héritiers de Gilbert X....
Aucune prescription de leur action en garantie contre le notaire n'est donc acquise.
Sur le fond, les consorts X... plaident que Me E...leur doit garantie parce qu'il n'aurait pas apporté l'information et le conseil dus aux parties lors de l'établissement de l'acte authentique ; ils soutiennent que s'il avait attiré l'attention de celles-ci sur la distorsion entre le compromis de vente et l'acte authentique, les parties auraient pu annuler la vente, réduire le prix ou créer un titre de propriété.
Cependant, ainsi que le souligne le notaire, d'une part le notaire ne pouvait déontologiquement pas s'immiscer dans les négociations des parties, ce d'autant que comme l'a dit le jugement du 7 février 2013 la vente était parfaite dès le compromis de vente initial ; d'autre part, le manquement au devoir de conseil reproché au notaire est sans lien avec le préjudice subi par l'acquéreur, découlant de la privation de jouissance du grenier, qui est la conséquence du manquement du vendeur à l'obligation de délivrance, puis de la négligence de ses ayants droits dans les recherches menées à partir de 2008.
C'est donc à tort que le premier juge a dit que Me E...devait relever et garantir les consorts X... des condamnations prononcées à leur encontre.
En conséquence les condamnations prononcées contre Me E...seront infirmées.
En ce qui concerne le montant de la somme allouée à Mme A... pour l'indemnisation de son préjudice de jouissance et moral il convient de retenir que celle-ci a été mise en possession de son grenier le 7 juin 2013, ainsi que le constate le jugement dans une disposition qui n'est pas critiquée, mais aussi que les premiers courriers de réclamation adressés au notaire datent de 2008, alors que depuis l'acte authentique elle ne pouvait pas ignorer la difficulté. En conséquence la cour réformera le jugement sur le montant de l'indemnisation, qu'elle fixera à 5 000 euros.
Les consorts X... sollicitent la réformation de la disposition du jugement qui met à leur charge une astreinte de 50 jours de retard pour effectuer la publication du jugement, alors que la publication ne peut être effectuée que par les soins de Mme Z....
Ils soulignent également, et à juste titre, qu'il ne peut y avoir astreinte sans obligation de faire, laquelle n'a pas été ordonnée par le tribunal et n'est pas demandée devant la cour. L'astreinte sera donc supprimée, y compris en ce qui concerne Me E....
Enfin, les consorts X... contestent la disposition du jugement qui met à leur charge des frais exposés en vue de la rectification de l'acte du 2 décembre 1985 ; il est exact qu'aucune rectification de l'acte n'est prévue puisque c'est la publication de la décision judiciaire qui vaudra titre de propriété.
La disposition du jugement qui rejette la demande reconventionnelle de dommages et intérêts formée par les consorts X... contre Mme Z... n'est pas critiquée.
La demande nouvelle formée par Mme Z... en remboursement de ses frais de serrurier exposés dans le cadre de l'expertise judiciaire n'est pas contestée par les consorts X.... Elle est justifiée par une facture de l'EIRL Vinglin du 10 juin 2013.
La décision du premier juge quant aux frais irrépétibles sera réformée en ce qu'elle les a mis à la charge de Me E...in solidum avec les consorts X....
Les dépens seront laissés à la charge des consorts X....
En cause d'appel l'équité n'exige pas de faire application de l'article 700 du code de procédure civile. Les dépens seront laissés à la charge des consorts X....
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a :
¿ constaté que Mme Z... est entrée en possession du grenier acquis suivant acte sous-seing privé du 24 mai 1985,
¿ dit en conséquence que l'obligation de délivrance a été remplie par les héritiers du vendeur le 7 juin 2013,
¿ dit qu'en ne participant pas aux recherches engagées à compter de 2008 pour permettre à Mme Z... d'entrée en possession du grenier lui appartenant, les consorts X... ont méconnu les obligations contractuelles de loyauté et de délivrance résultant du contrat de vente passée par M. Gilbert X...,
¿ débouté les consorts X... de leur demandes d'indemnisation formées à l'encontre de Me E...,
¿ débouté les consorts X... de leurs demandes reconventionnelles formées au titre de l'abus de procédure à l'encontre de Mme Z...,
¿ dit que le présent jugement vaudra titre de propriété de Mme Z... sur le grenier situé en face de la cage d'escalier, dernier étage de l'immeuble en copropriété sis... à Ajaccio et sera à l'issue des voies de recours publié à la conservation des hypothèques d'Ajaccio,
Infirme le jugement sur les autres chefs et statuant à nouveau :
Déclare irrecevables les demandes formées à l'encontre de Me E...par Mme Z...,
Rejette la demande de garantie formée par les consorts X... contre Me E...,
Condamne in solidum Sébastien X... et Marie X...épouse D...à payer à Mme Z... la somme de cinq mille euros (5 000 euros) en indemnisation des préjudices de jouissance et moral subis,
Dit que les frais de publication du jugement seront supportés par les consorts X...,
Dit n'y avoir lieu au prononcé d'une astreinte,
Rejette la demande de remboursement des frais exposés en vue de la rectification de l'acte authentique du 2 décembre 1985,
Condamne in solidum Sébastien X... et Marie X...épouse D...à payer à Mme Z... la somme de mille quatre cents euros (1 400 euros) au titre des frais irrépétibles,
Condamne in solidum Sébastien X... et Marie X...épouse D...aux dépens, ceux exposés par l'État au bénéfice de Mme Z... dans le cadre de l'aide juridictionnelle partielle devant être remboursés au Trésor Public,
Ajoutant au jugement :
Condamne in solidum Sébastien X... et Marie X...épouse D...à rembourser à Mme Z... la somme de deux cent soixante seize euros et cinquante centimes (276, 50 euros) au titre des frais de serrurier,
Rejette les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne in solidum Sébastien X... et Marie X...épouse D...aux dépens.
LE GREFFIER LE PRESIDENT