Ch. civile A
ARRET No
du 14 OCTOBRE 2015
R. G : 14/ 00433 R
Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Tribunal de Grande Instance d'AJACCIO, décision attaquée en date du 09 Décembre 2013, enregistrée sous le no 12/ 00281
X...
C/
Y...
COUR D'APPEL DE BASTIA
CHAMBRE CIVILE
ARRET DU
QUATORZE OCTOBRE DEUX MILLE QUINZE
APPELANT :
M. Noël X... né le 06 Décembre 1961 à Sainte-Lucie-de-Porto-Vecchio (20144) ......20137 PORTO-VECCHIO
ayant pour avocat Me Pascale CHIRON, avocat au barreau d'AJACCIO
INTIMEE :
Mme Marie-Ellen Y... épouse X... née le 27 Février 1959 à Fribourg-en-Brisgau ... 20090 AJACCIO
ayant pour avocat Me Monique CASIMIRI, avocat au barreau d'AJACCIO
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2014/ 2166 du 11/ 09/ 2014 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de BASTIA)
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue en chambre du conseil du 07 septembre 2015, devant la Cour composée de :
Mme Gisèle BAETSLE, Président de chambre Mme Emmanuelle BESSONE, Conseiller Mme Marie BART, vice-président placé près M. le premier président
qui en ont délibéré.
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme Martine COMBET.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aura lieu par mise à disposition au greffe le 14 octobre 2015
ARRET :
Contradictoire,
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Mme Gisèle BAETSLE, Président de chambre, et par Mme Martine COMBET, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
M. Noël X...et Mme Marie-Ellen Y... ont contracté mariage le 5 décembre 1983 par devant l'officier d'état civil de la mairie de Conca (Corse du Sud) sans contrat de mariage préalable.
Des enfants sont issus de cette union :
- Sabrina née le 11 avril 1984 à Bastia (Haute-Corse),
- Alexandra née le 19 juin 1987 à Porto-Vecchio (Corse du Sud)
- Noël André né le 21 décembre 1989 à Porto-Vecchio (Corse du Sud) décédé le 19 janvier 2008.
Saisi le 12 mars 2012 par Mme Marie-Ellen Y... d'une requête en divorce, le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance d'Ajaccio a rendu une ordonnance de non conciliation le 3 octobre 2012.
Par acte du 19 février 2013, Mme Marie-Ellen Y... a assigné M. Noël X...en divorce par application de l'article 233 du code civil.
Par jugement du 9 décembre 2013, le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance d'Ajaccio a :
- prononcé le divorce accepté en application des articles 233 et 234 du code civil de :
Mme Marie-Ellen Y..., née le 27février 1959 à Fribourg-en-Brisgau (Allemagne)
et de
M. Noël X..., né le 6 décembre 1961 à Sainte-Lucie-de Porto-Vecchio (Corse du Sud),
mariés le 5 décembre 1983 à Conca (Corse du Sud),
- rappelé que l'ordonnance ayant organisé la vie séparée des époux est du 3 octobre 2012,
- dit que mention du divorce sera portée en marge de l'acte de mariage ainsi que de l'acte de naissance de chacun des époux, au vu d'un extrait de la décision établi conformément aux dispositions de l'article 1082 du code de procédure civile,
- dit que, en application de l'article 265 du code civil, la décision portera révocation de plein droit des avantages matrimoniaux qui ne prennent effet qu'à la dissolution du régime matrimonial ou au décès de l'un des époux et des dispositions à cause de mort qu'il a pu accorder envers son conjoint par contrat de mariage ou pendant l'union,
- dit que le présent jugement prend effet dans les rapports entre époux à la date d'ordonnance de non conciliation,
- dit que chacun des époux devra reprendre l'usage de son nom,
- condamné M. Noël X...à payer à Mme Marie-Ellen Y... la somme de 38 400 euros à titre de prestation compensatoire pouvant être payée en 8 annuités de 4 800 euros,
- donné acte à Mme Marie-Ellen Y... de ses propositions de règlement des intérêts pécuniaires et patrimoniaux des époux,
- ordonné la liquidation et le partage des intérêts patrimoniaux des époux,
- rejeté toute autre demande plus ample ou contraire,
- dit que les dépens seront partagés par moitié entre les parties.
Le juge aux affaires familiales a pris en considération les ressources de Mme Y... constituées du revenu de solidarité active et de ses charges d'hébergement à la fraternité du partage de 173 euros ; les ressources de M. X... évaluées à 2 300 euros par mois ainsi que la durée du mariage (30 ans même si la vie commune a cessé en 2002) et l'implication de la mère dans les soins et attentions de leur fils handicapé décédé à l'âge de 19 ans pour fixer une prestation compensatoire au bénéfice de l'épouse.
Il a pris acte de l'accord des époux sur la proposition de Mme Y... tendant à ce qu'il soit procédé à l'évaluation du bien commun sis à Porto-Vecchio par un notaire, puis à sa vente ou au rachat des parts par M. X....
M. Noël X...a relevé appel du jugement du 9 décembre 2013 par déclaration déposée au greffe le 16 mai 2014.
En ses dernières conclusions déposées par la voie électronique le 24 novembre 2014 auxquelles il est expressément référé pour plus ample exposé de ses moyens et prétentions, M. Noël X...demande à la cour de :
- confirmer le jugement sauf en ce qu'il fait remonter les effets du divorce à la date de l'ordonnance de non conciliation et en ce qu'il alloue à Mme Y... la somme de 38 400 euros à titre de prestation compensatoire,
- dire que le divorce produira effet entre les époux à la date de la séparation à savoir au 1er décembre 2002,
- dire n'y avoir lieu à prestation compensatoire,
- rejeter toutes les demandes, fins et conclusions de Mme Y...
subsidiairement,
- minorer dans les plus larges proportions la somme de 38 400 euros allouée à Mme Y... à titre de prestation compensatoire,
- statuer ce que de droit sur les dépens.
Il expose qu'il n'a jamais souhaité que la maison soit vendue mais qu'il en demandera l'attribution lors de la liquidation de la communauté. Il critique le jugement ayant fixé une prestation compensatoire sans vérifier le droit de Mme Y... à en bénéficier. Il explique qu'elle a quitté le domicile conjugal en 2002 de sorte que la situation qu'elle connaît préexistait à la rupture du mariage. Il indique que la disparité doit être exclusivement due au prononcé du divorce ainsi que l'a rappelé la cour de cassation par arrêt en date du 24 septembre 2014 en jugeant que la disparité de niveau de vie doit résulter uniquement de la rupture du mariage elle-même et non d'autres considérations de fait ou de choix formulés par des époux séparés entre eux depuis des années. En l'espèce, il fait observer que leur séparation date de décembre 2002 et est intervenue suite à une décision unilatérale de Mme Y... alors qu'il a tout fait pour la retenir ; que son épouse n'a jamais sollicité de contribution aux charges du mariage et qu'elle ne produit que des justificatifs datant de 2012.
Il conteste l'avoir empêché de travailler et il indique l'avoir aidée à se faire soigner pour son addiction à l'alcool. Il conteste également qu'elle soit dans l'incapacité de travailler et il nie vivre en concubinage. Il fait observer que le couple est séparé de fait depuis le mois de décembre 2002 et demande que cette date soit retenue pour fixer les effets du divorce.
En ses dernières conclusions déposées par la voie électronique le 23 janvier 2015 auxquelles il est expressément référé pour plus ample exposé de ses moyens et prétentions, Mme Marie Elle Y...demande à la cour de :
- déclarer l'appel interjeté par M. X... à l'encontre du jugement de divorce du 9 décembre 2013 régulier en la forme mais infondé,
- débouter M. X... de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- confirmer le jugement querellé en ce qu'il a :
prononcé le divorce sur le fondement des dispositions de l'article 233 du code civil,
fixé à la date de l'ordonnance de non-conciliation soit au 3 octobre 2012 les effets du jugement de divorce sur les biens des époux,
autorisé chaque époux à reprendre l'usage de son nom,
dit que le divorce emportera révocation de tous les avantages matrimoniaux consentis à l'un ou à l'autre,
fait droit à la demande de prestation compensatoire de l'épouse en constatant l'existence d'une disparité des conditions de vie respectives des époux au visa des dispositions de l'article 270 du code civil,
- faire droit à son appel incident et réformer le jugement querellé,
- porter le capital devant lui être versé à titre de prestation compensatoire à la somme de 100 000, 00 euros réglable en huit annuités de 12 500, 00 euros indexées comme en matière de pension alimentaire,
- condamner M. X... aux entiers dépens qui seront recouvrés par l'Etat eu égard à l'aide juridictionnelle dont elle bénéficie (no 2014/ 002166 décision du 11 septembre 2014).
Elle expose que la prestation est destinée à compenser les déséquilibres économiques entre époux résultant d'un choix de vie opéré en commun. Elle rappelle qu'en accord avec son époux, elle s'est consacrée à l'éducation des enfants notamment de Noël lourdement handicapé ; que leur mariage a duré plus de trente ans et que ses droits à retraite sont faibles voire inexistants. Sur le quantum, elle estime avoir droit à une prestation majorée.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 11 février 2015 et l'affaire renvoyée pour être plaidée au 7 septembre 2015.
MOTIFS DE LA DECISION :
Par application du deuxième alinéa de l'article 954 du code de procédure civile, les prétentions sont récapitulées sous forme de dispositif et la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif.
En l'espèce, M. Noël X...conteste le principe et le montant de la prestation compensatoire ainsi que la date des effets du divorce et demande la confirmation de toutes les autres dispositions de la décision querellée. Quant à Mme Y..., son appel incident est limité au montant de la prestation compensatoire.
Il s'ensuit que les dispositions discutées en appel sont relatives à la date des effets du divorce ainsi qu'à la prestation compensatoire et que toutes les autres dispositions du jugement querellé seront confirmées.
1- Sur la prestation compensatoire :
Aux termes de l'article 270 du code civil, le divorce met fin au devoir de secours entre époux. L'un des époux peut être tenu de verser à l'autre une prestation destinée à compenser, autant qu'il est possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives. Cette prestation a un caractère forfaitaire. Elle prend la forme d'un capital dont le montant est fixé par le juge.
Toutefois, le juge peut refuser d'accorder une telle prestation si l'équité le commande, soit en considération des critères prévus à l'article 271, soit lorsque le divorce est prononcé aux torts exclusifs de l'époux qui demande le bénéfice de cette prestation, au regard des circonstances particulières de la rupture.
L'article 271 du code civil dispose que la prestation compensatoire est fixée selon les besoins de l'époux à qui elle est versée et les ressources de l'autre en tenant compte de la situation au moment du divorce et de l'évolution de celle-ci dans un avenir prévisible. A cet effet, le juge prend en considération notamment :
- la durée du mariage ;
- l'âge et l'état de santé des époux ;
- leur qualification et leur situation professionnelles ;
- les conséquences des choix professionnels faits par l'un des époux pendant la vie commune pour l'éducation des enfants et du temps qu'il faudra encore y consacrer ou pour favoriser la carrière de son conjoint au détriment de la sienne ;
- le patrimoine estimé ou prévisible des époux, tant en capital qu'en revenu, après la liquidation du régime matrimonial ;
- leurs droits existants et prévisibles ;
- leur situation respective en matière de pensions de retraite.
M. Noël X...a interjeté appel de toutes les dispositions du jugement de sorte que le divorce n'est pas intervenu au jour de la décision querellée. Il convient, en conséquence, de prendre en considération la situation des époux au jour de la présente décision pour apprécier s'il existe ou non une disparité justifiant une prestation compensatoire, les circonstances antérieures au prononcé du divorce étant sans incidence pour apprécier le droit de Mme Y... à bénéficier d'une prestation.
Bien que Mme Y... ne justifie pas avoir dû renoncer à une activité professionnelle, il est indéniable que les soins qu'elle a apportés à l'enfant commun Noël, lourdement handicapé, a été un frein dans sa carrière puisque cela l'a empêché de travailler durant 18 ans. De plus, elle justifie avoir été hospitalisée à la suite du décès de son fils, du 15 au 18 décembre 2010 et avoir été admise à la procédure de rétablissement personnel. Elle est âgée de 56 ans et perçoit l'allocation spécifique solidarité d'un montant de 642, 62 euros outre la pension versée par M. X... au titre du devoir de secours. Elle produit une attestation en date du 28 février 2014 de M. Jacques E...qui indique l'héberger gracieusement.
M. Noël X..., âgé de 54 ans, dispose de revenus mensuels de 2 300 euros environ. Outre les charges usuelles, il rembourse un prêt personnel.
Aucun des enfants n'est à leur charge.
Leur patrimoine immobilier commun est constitué d'une maison sise à Porto-Vecchio évaluées par M. X... à 350 000, 00 euros pour laquelle ce dernier est redevable d'une indemnité d'occupation mensuelle de 500, 00 euros. Il convient de rappeler que les deux époux auront des droits équivalents lors de la liquidation de leur régime matrimonial, quel que soit le sort réservé à leur bien immobilier commun.
Il se déduit de ces éléments que Mme Y... est maintenant hébergée par un ami M. Jacques E...mais que ses revenus sont modestes et qu'ils ne pourront pas évoluer favorablement lors de sa retraite pour laquelle elle a peu cotisé alors que M. X... dispose de revenus trois fois supérieurs aux siens étant rappelé qu'elle s'est consacrée à l'éducation de leurs enfants notamment du dernier qui, handicapé, a vécu pendant 18 ans.
Cette disparité dans les revenus des époux ainsi que le durée du mariage (31 ans) justifient que le déséquilibre créé par le divorce dans le niveau de vie de Mme Y... soit compensé par une indemnité telle qu'elle a été fixée par le premier juge qui a tenu compte de l'évolution précaire de la situation de cette dernière qui est actuellement hébergée mais à titre gratuit.
Le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.
2- Sur la date d'effet de la décision de divorce :
L'article 262-1 du code civil dispose que le jugement de divorce prend effet dans les rapports entre les époux, en ce qui concerne leurs biens (...), lorsqu'il est prononcé pour (...) faute, à la date de l'ordonnance de non conciliation. A la demande de l'un des époux, le juge peut fixer les effets du jugement à la date à laquelle ils ont cessé de cohabiter et de collaborer. Cette demande ne peut être formée qu'à l'occasion de l'action en divorce. La jouissance du logement conjugal par un seul des époux conserve un caractère gratuit jusqu'à l'ordonnance de non-conciliation, sauf décision contraire du juge.
En l'espèce, il n'est pas contesté que les époux ont cessé de cohabiter au 1er décembre 2002. Il sera fait droit à la demande de M. Noël X...tendant à fixer les effets du divorce à cette date.
Le jugement querellé sera infirmé sur ce point.
3- Sur les dépens :
Compte tenu de la nature familiale du litige, les dépens d'instance et d'appel seront partagés par moitié entre les parties.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Confirme le jugement rendu par le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance d'Ajaccio le 9 décembre 2013 à l'exception des dispositions relatives à la date d'effet du divorce,
Statuant à nouveau du chef des dispositions infirmées,
Dit que la décision de divorce, dans les rapports entre époux, en ce qui concerne leurs biens prendra effet au 1er décembre 2002,
Y ajoutant,
Dit que les dépens d'appel seront partagés par moitié entre les parties,
LE GREFFIER LE PRESIDENT