Ch. civile A
ARRET No
du 07 OCTOBRE 2015
R. G : 14/ 00449 C
Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Tribunal d'Instance de BASTIA, décision attaquée en date du 07 Avril 2014, enregistrée sous le no 10-000339
X...
C/
Y...
COUR D'APPEL DE BASTIA
CHAMBRE CIVILE
ARRET DU
SEPT OCTOBRE DEUX MILLE QUINZE
APPELANTE :
Mme Jeanne X...née le 15 Janvier 1960 à BISINCHI ...20620 BIGUGLIA
ayant pour avocat Me Pierre Louis MAUREL, avocat au barreau de BASTIA
INTIME :
M. André Y...né le 05 Novembre 1953 à BASTIA 20235 BISINCHI
ayant pour avocat Me Florence ALFONSI, avocat au barreau de BASTIA
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue à l'audience publique du 07 septembre 2015, devant la Cour composée de :
Mme Gisèle BAETSLE, Président de chambre Mme Emmanuelle BESSONE, Conseiller Mme Marie BART, vice-président placé près M. le premier président
qui en ont délibéré.
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme Martine COMBET.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aura lieu par mise à disposition au greffe le 07 octobre 2015.
ARRET :
Contradictoire,
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Mme Gisèle BAETSLE, Président de chambre, et par Mme Martine COMBET, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCEDURE
Mme Jeanne X...est propriétaire sur la commune de Bisinchi d'une parcelle cadastrée section H no197. M. André Y...est propriétaire d'une parcelle contigue, cadastrée section H no196, et la commune d'une parcelle section H no195.
Par acte d'huissier du 5 mai 2010, Mme Jeanne X...a assigné en bornage M. Y...André et la commune de Bisinchi devant le tribunal d'instance de Bastia.
Par jugement du 21 mars 2011, le tribunal d'instance de Bastia s'est déclaré incompétent pour connaître de la demande en bornage de la parcelle de la commune, comme relevant de la compétence du tribunal administratif et s'agissant de la limite séparative des propriétés de Mme Jeanne X...et M. André Y..., a ordonné une mesure d'expertise confiée à M. Raymond B...avec mission de :
* prendre connaissance du dossier et se faire remettre par les partis ou les tiers tous documents utiles à sa mission,
* requérir les explications des parties assistées de leur conseil,
* se rendre sur les lieux les parties et leurs conseils présents ou appelés,
* rechercher d'après tous les éléments, notamment les titres, la possession des parties, le cadastre, l'audition de tous sachants la ligne divisoire entre la parcelle sise à Bisinchi cadastrée section H no197 appartenant à X...Jeanne et de la parcelle sise sur la même commune cadastrée section H no196 appartenant à Y...André,
* dresser de ses opérations un procès verbal de délimitation des immeubles concernés avec plan à l'appui sur lequel figureront la ligne séparative des fonds et les emplacements des bornes à planter.
Sur appel de Mme Jeanne X..., la cour d'appel de Bastia, par un arrêt du 23 janvier 2013, a confirmé le jugement.
M. Raymond B...géomètre expert a déposé son rapport le 30 août 2013.
Par jugement du 07 avril 2014, le tribunal d'instance de Bastia a :
dit que la ligne divisoire des propriétés de Mme Jeanne X..., cadastrée section H no 197, et de M. André Y..., section H no 196, est déterminée par la limite matérialisée AB au rapport de l'expert géomètre B..., sauf sur la partie des escaliers et du portail appartenant a la propriété Y..., où elle est fixée au droit des rambardes de l'escalier et du portail jusqu'à l'assise de la première marche, desservant la propriété de M. André Y..., section H no 196
ordonné l'implantation de bornes selon les dispositions de la présente décision aux frais partagés par moitié de Mme Jeanne X...et de M. André Y...,
désigné M. Raymond B...pour procéder à cette implantation des bornes,
dit que les dépens seraient partagés par moitié, y compris les frais d'expertise.
Le tribunal a considéré que, si par des transactions des 17 août 1930 et 3 septembre 1930, c'est au titre d'une simple tolérance que M. C... auteur de Mme X..., a autorisé M. D...auteur de M. Y..., à appuyer sur sa maison, un escalier d'accès à la sienne, et un portail, cette tolérance n'est plus apparue dans les actes de propriété postérieur, et que l'acte de vente du 22 octobre 1971 porte sur le bien dans sa globalité tel qu'il " se poursuit et comporte avec toutes ses aisances et dépendances, rien excepté ni réservé ", et que par prescription acquisitive trentenaire, voire décennale, M. Y...et avant lui ses auteurs sont devenus propriétaires de l'assiette du portail et de l'escalier, à compter de l'assise de la première marche.
Par déclaration du 26 mai 2014 Mme Jeanne X...a interjeté appel de cette décision.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par conclusions récapitulatives déposées le 29 juillet 2014, Mme X...Jeanne demande à la cour de :
- réformer le jugement entrepris en ce qu'il a dit que la ligne divisoire devait être fixée au droit des rambardes de l'escalier et du portail, jusqu'à l'assise de la première marche desservant la propriété de M. André Y..., cadastrée Section H No 196,
- homologuer purement et simplement le procès-verbal de bornage, tel qu'établi par M. B..., géomètre-expert désigné par le tribunal,
- dire et juger qu'il appartiendra à ce dernier de se rendre sur les lieux pour procéder à la matérialisation du bornage, tel qu'il résulte du rapport en date du 19 août 2013,
- condamner M. Y...à payer à la concluante la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle fait valoir que l'action en bornage a pour seul objet de fixer les limites de propriété, et ne constitue pas une action en revendication, et qu'il n'appartenait pas au tribunal de retenir la prescription acquisitive.
Elle ajoute que M. Y...n'a jamais utilisé les escaliers litigieux, qu'en outre le passage n'est par nature pas une action continue, et que l'intimé ne peut donc se prévaloir d'une possession continue.
Par conclusions récapitulatives déposées le 22 septembre 2014, M. Y...demande à la cour de :
- confirmer le jugement, et condamner Mme X...à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- très subsidiairement, constater qu'il a acquis par prescription trentenaire l'usage de l'escalier et du portail, et dire en conséquence que ceux-ci ne peuvent être démolis.
Il fait valoir :
- que le tribunal n'a pas outrepassé ses compétences puisqu'il s'est tenu à fixer les limites de propriété,
- que l'expert géomètre s'était penché sur la question de la prescription acquisitive, mais avait écarté celle-ci au motif qu'il ne pouvait se prévaloir que d'une possession discontinue, et d'une simple tolérance et non d'un titre de propriété,
- qu'au contraire, l'acte de vente du 22 octobre 1971, par lequel son auteur a acquis la maison " avec toutes ses dépendances " constitue bien un " juste titre ", qui ne comporte aucune réserve, et ne fait mention d'aucune " tolérance ",
- que subsidiairement, il a acquis par prescription trentenaire, en exerçant son droit de façon continue et apparente, l'usage de l'escalier et du portail,
- qu'il justifie d'une possession paisible, continue, publique et non équivoque, puisque le passage est complètement fermé et qu'il ne permet l'accès qu'à sa maison.
La clôture de la procédure a été prononcée le 11 février 2015, et l'affaire fixée pour plaider au 07 septembre 2015.
MOTIFS
-Sur la compétence du tribunal d'instance
En application de l'article R 221-40 du code de l'organisation judiciaire, " Le tribunal d'instance connaît des demandes incidentes ou moyens de défense qui ne soulèvent pas une question relevant de la compétence exclusive d'une autre juridiction Si le moyen de défense implique l'examen d'une question de nature immobilière pétitoire ou possessoire, le tribunal d'instance se prononce à charge d'appel ".
M. Y...a fait valoir en défense que la limite des propriétés devait suivre la ligne AB tracée par l'expert géomètre dans son rapport, à l'exception des escaliers et du portail qui donnent accès à sa maison, dans la mesure où il pouvait justifier d'une prescription acquisitive sur ces escaliers et ce portail.
Le tribunal d'instance, qui devait répondre à ce moyen dont dépendait la solution du litige, et qui en conséquence dans les motifs de sa décision a tranché la question de la prescription acquisitive, tout en se contentant dans le dispositif, de fixer les limites de propriétés, n'a pas outrepassé sa compétence au regard des dispositions légale ci-dessus rappelées.
- Sur le bornage des parcelles H 196 et H197
André Y...a recueilli la parcelle H196 dans le cadre du partage de la succession de ses parents François Y...et Marie Joséphine E..., selon acte de partage de Me F...notaire, en date du 23 avril 2003.
François Y...avait lui même acquis cette parcelle de Robert D..., selon acte de vente passé devant Me G...notaire, en date du 22 octobre 1971.
Jeanne X...a acquis la parcelle contigue H197 par acte du 9 septembre 2002 de M. C....
Par des transactions écrites qui ne sont plus versées aux débats, mais qui ne sont pas contestées et dont le contenu est repris dans le jugement du 21 mars 2011, M. C... avait autorisé à titre de simple tolérance M. D...à appuyer contre la maison C... les travaux d'édification d'un portail et d'un escalier d'accès à la maison D..., dans l'espace qui sépare les deux maisons, et qui empiète sur la parcelle H197.
L'existence très ancienne de l'escalier et du portail est confirmée par les photos de mariage prises devant la maison en 1957 puis 1968, et produites par M. Y...devant l'expert géomètre.
Par application des articles 2258, 2261, et 2272 du code civil, la prescription est le moyen d'acquérir un bien immobilier dès lors que celui qui l'allègue justifie d'une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire.
Entre 1930 et 1971 l'escalier et le portail n'ont été utilisés qu'à titre de simple tolérance, et conformément à l'article 2262 du code civil, aucune prescription n'a pu commencer à courir sur cette période.
Cependant, par acte notarié du 22 octobre 1971, M. Y...a acquis la parcelle H196 qui est décrite comme suit : " une maison d'habitation, composée d'une cave formant le sous-sol, de trois pièces et une cuisine formant le rez-de-chaussée, combles au dessus et inscrit à la matrice cadastrale rénovée de la commune de Bisinchi, tel au surplus que le tout existe, s'étend, se poursuit et comporte avec toutes les aisances et dépendances, rien excepté ni réservé ".
Aucune mention n'est faite dans l'acte de ce que l'escalier et le portail sont exclus de la vente, et qu'ils ne résultent que d'une tolérance.
L'expert géomètre a par ailleurs constaté qu'il s'agit du seul accès possible à la parcelle.
Dès lors, compte tenu des termes très larges de l'acte, il convient de considérer que les parties ont entendu intégrer le portail et l'escalier dans la vente, et que cet acte constitue un " juste titre " permettant à la prescription acquisitive de courir.
Il ne s'agit pas seulement d'un passage, mais de la construction d'un escalier et d'un portail, qui a modifié les lieux. Dès lors, le fait que le passage soit une action discontinue par nature, et ne permette en général pas de prescrire, est sans incidence en l'espèce.
Même si la bonne foi de M. Y...n'a pas à être retenue, la prescription trentenaire a été acquise le 22 octobre 2001.
Il convient en conséquence de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, et notamment en ce qu'il a fixé la limite de propriété sur la ligne AB tracée par l'expert, à l'exception de l'emprise des escaliers et du portail, au droit des rambardes de l'escalier et du portail, et jusqu'à l'assise de la première marche.
Mme X..., partie perdante, devra supporter les dépens de l'appel.
Il convient de la condamner à payer à M. Y...la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
- Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Y ajoutant :
- Condamne Mme Jeanne X...à payer à M. André Y...la somme de deux mille euros (2 000 euros) en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamne Mme Jeanne X...aux dépens d'appel.
LE GREFFIER LE PRESIDENT