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16/04/2014 | FRANCE | N°12/00861

France | France, Cour d'appel de Bastia, Chambre civile, 16 avril 2014, 12/00861


Ch. civile B

ARRET No
du 16 AVRIL 2014
R. G : 12/ 00861 C-PL
Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Tribunal de Grande Instance d'AJACCIO, décision attaquée en date du 01 Octobre 2012, enregistrée sous le no 08/ 01073

SAFER DE LA CORSE
C/
Y...X...SCI Y... SCI PETRU PAN SCP JEAN-FRANCOIS B...et FRANCOIS-MATHIEU C...

COUR D'APPEL DE BASTIA
CHAMBRE CIVILE
ARRET DU
SEIZE AVRIL DEUX MILLE QUATORZE
APPELANTE :
SAFER DE LA CORSE prise en la personne de son représentant légal Maison de l'Agriculture 15 Avenue J. Z

uccarelli 20200 BASTIA

assistée de Me Jean-Paul EON, avocat au barreau de BASTIA

INTIMES :

M. Paul ...

Ch. civile B

ARRET No
du 16 AVRIL 2014
R. G : 12/ 00861 C-PL
Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Tribunal de Grande Instance d'AJACCIO, décision attaquée en date du 01 Octobre 2012, enregistrée sous le no 08/ 01073

SAFER DE LA CORSE
C/
Y...X...SCI Y... SCI PETRU PAN SCP JEAN-FRANCOIS B...et FRANCOIS-MATHIEU C...

COUR D'APPEL DE BASTIA
CHAMBRE CIVILE
ARRET DU
SEIZE AVRIL DEUX MILLE QUATORZE
APPELANTE :
SAFER DE LA CORSE prise en la personne de son représentant légal Maison de l'Agriculture 15 Avenue J. Zuccarelli 20200 BASTIA

assistée de Me Jean-Paul EON, avocat au barreau de BASTIA

INTIMES :

M. Paul Alfonse Pierre Y... né le 30 Octobre 1948 à SARTENE ...20100 SARTENE

assisté de Me Jean-Pierre BATTAGLINI de la SCP RIBAUT-BATTAGLINI, avocat au barreau de BASTIA, Me Nathalie DIVAL, avocat au barreau de PARIS

Mme Anne X...épouse A...née le 26 Janvier 1968 à NEW YORK ...20000 MILANO (20121) ITALIE

assistée de Me Philippe JOBIN de la SCP JOBIN, avocat au barreau de BASTIA, Me Marc MAROSELLI de la SCP ROMANI CLADA MAROSELLI, avocat au barreau d'AJACCIO, Me Jean Pierre VERSINI de la SCP VERSINI CAMPINCHI et ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS

SCI Y... prise en la personne de son représentant légal domicilié es-qualité audit siège ...20000 AJACCIO

assistée de Me Philippe JOBIN de la SCP JOBIN, avocat au barreau de BASTIA, Me Marc MAROSELLI de la SCP ROMANI CLADA MAROSELLI, avocat au barreau d'AJACCIO, Me Jean Pierre VERSINI de la SCP VERSINI CAMPINCHI et ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS

SCI PETRU PAN prise en la personne de son représentant légal domicilié es-qualité audit siège 5 Rue Bonaparte 20000 AJACCIO

assistée de Me Philippe JOBIN de la SCP JOBIN, avocat au barreau de BASTIA, Me Marc MAROSELLI de la SCP ROMANI CLADA MAROSELLI, avocat au barreau d'AJACCIO, Me Jean Pierre VERSINI de la SCP VERSINI CAMPINCHI et ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS

SCP JEAN-FRANCOIS B...et FRANCOIS-MATHIEU C...agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux ...20000 AJACCIO

assistée de Me Frédérique GENISSIEUX de la SCP SCP RETALI GENISSIEUX, avocat au barreau de BASTIA

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue à l'audience publique du 30 janvier 2014, devant la Cour composée de :
M. Pierre LAVIGNE, Président de chambre Mme Marie-Paule ALZEARI, Conseiller Mme Françoise LUCIANI, Conseiller

qui en ont délibéré.

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme Marie-Jeanne ORSINI.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aura lieu par mise à disposition au greffe le 16 avril 2014.

ARRET :

Contradictoire,
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par M. Pierre LAVIGNE, Président de chambre, et par Mme Marie-Jeanne ORSINI, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Le 5 octobre 2001, Me B..., notaire à AJACCIO (plus loin : le notaire), recevait les statuts d ` une SCI Y... constituée par M. Paul Y...et Mme Anna X...épouse A...(plus loin : Mme A...). Cette dernière apportait la somme de l. 000 FF en numéraire représentant une part sociale ; M. Y...apportait de son côté une parcelle de terre cadastrée C 998 d'une surface de 22 ares 3 centiares et une propriété bâtie cadastrée C 506 sise sur la commune de SARTENE représentant 4. 000 parts sociales, ces apports immobiliers étant évalués à 4. 000. 000 FF.

Le même jour et devant le même notaire, M. Y...cédait à la SCI PETRU PAN représentée par Mme A...les 4. 000 parts sociales précitées au prix de 4. 000. 000 FF.
Toujours le même jour, M. Y... consentait à la SCI PETRU PAN un prêt à usage des parcelles de terre cadastrées Section C no 1025, 1026, 490, 491, 493 et 494 pour une contenance totale de 49ha 3 la 56ca.
Enfin, ce même 5 octobre 2001, un compromis synallagmatique de vente sous seing privé était conclu entre M. Y... et la SCI PETRU PAN sur les parcelles précitées objet du prêt à usage, moyennant le prix de 76. 224, 50 euros et avec condition de réitération de la vente par acte authentique.
Par courrier reçu le 30 janvier 2006, le notaire faisait parvenir à la Société d'Aménagement Foncier et d'Etablissement Rural de la Corse (plus loin : la SAFER) une déclaration d'intention d'aliéner en date du 6 décembre 2005 concernant la cession par M. Y...des parcelles de terre cadastrées Section C no 1025, 1026, 490, 491, 493 et 494. Cette déclaration précisait expressément une vente en nue-propriété et comportait en annexe un projet d'acte.
A la demande de la SAFER, le notaire lui transmettait le 18 janvier 2007 l'acte de vente.
La SAFER, soutenant que les opérations juridiques venant d'être décrites constituent un stratagème ayant pour unique objet de soustraire les ventes ainsi conclues à l'exercice de son droit de préemption, a fait assigner la SCI PETRU PAN, M. Y..., le notaire, la SCI Y... et Mme A...pour obtenir l'annulation de la totalité des actes et la condamnation solidaire des défendeurs au paiement de 50. 000 euros de dommages-intérêts notamment.

Par jugement contradictoire du 1er octobre 2012, le tribunal de grande instance d'Ajaccio a statué dans les termes suivants :

- dit et juge que la mutation immobilière intervenue par acte notarié du 5 octobre 2001 et portant sur les parcelles C 998 et C 506 de la commune de SARTENE concerne une maison d'habitation et dès lors n'avait pas à être précédée d'une déclaration d'intention d'aliéner adressée à la SAFER,
- dit et juge que la mutation immobilière intervenue par acte du 6 décembre 2005 se rapportant à l'aliénation des parcelles cadastrées Section C no 1025, 1026, 490, 491, 493 et 494 a fait l'objet d'une déclaration d'intention d " aliéner dont la SAFER a accusé réception par un courrier recommandé du 20 mars 2006,
- constate que l'action judiciaire introduite au titre de cette dernière aliénation est forclose au vu de l'article L412-12 du Code Rural,
- dit et juge en conséquence la SAFER mal fondée en ses demandes et l'en déboute,
- ordonne l'exécution provisoire des condamnations ci-dessus prononcées,
- condamne la SAFER à payer à la SCI PETRU PAN, la SCI Y... et Mme A...la somme de I0. 000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
- condamne la SAFER à payer au notaire la somme de 3 000 euros sur le même fondement juridique,
- condamne la SAFER aux dépens.

Par déclaration reçue au greffe de la cour le 6 novembre 2012, la SAFER a relevé appel de cette décision.

En ses dernières conclusions déposées le 9 septembre 2013, elle demande à la cour de :

- infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,
- statuant à nouveau, annuler les actes suivants :
* l'acte notarié du 5 octobre 2001 par lequel le notaire a reçu les statuts d ` une SCI dénommée " Y..." constituée principalement par l'apport de M. Y... de parcelles de terres cadastrées C 998 d'une surface de 22 ares 3 centiares et C 506 d'une surface de 53 ca sur la commune de Sartène,
* le contrat notarié du 5 octobre 2001 par devant le même notaire par lequel M. Y...a cédé à la SCI PETRU PAN ses 4. 000 parts sociales de la SCI Y...,
* l'acte notarié du 5 octobre 2001 par devant le même notaire par lequel M. Y... a consenti à la SCI PETRU PAN un prêt à usage des parcelles cadastrées Section C no 1025, 1026, 490, 491, 493 et 494 pour une contenance totale de 49 ha 3l a 56 ca,
* le compromis de vente sous seing privé du 5 octobre 2001, par devant le même notaire, de M. Y... à la SCI PETRU PAN de ces parcelles,
* l'acte de vente du 6 décembre 2005, par devant le même notaire, par lequel M. Y... a vendu à la SCI PETRU PAN lesdites parcelles moyennant le prix de 76 225 euros payés comptant le jour même par la comptabilité du notaire,
- condamner solidairement la SCI PETRU PAN, M. Y..., le notaire, la SCI Y... et Mme A...à payer à la SAFER la somme de 50 000 euros de dommages-intérêts et celle de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- les condamner sous la même solidarité aux dépens qui seront recouvrés par Me EON, avocat, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

En ses dernières conclusions déposées le 5 avril 2013, M. Y... demande à la cour de :

- lui donner acte de ce qu'il s'en remet à justice, étant précisé qu'il avait demandé depuis 2006 à ce que la vente soit résolue,
- si la cour, faisant droit aux prétentions de la SAFER, devait prononcer une condamnation pécuniaire à son encontre, faire droit à sa demande reconventionnelle et condamner le notaire à le garantir pour toutes les condamnations dont il ferait l'objet.

En leurs dernières conclusions déposées le 29 mars 2013, Mme A..., la SCI PETRU PAN et la SCI Y... demandent à la cour de confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions et, y ajoutant, de condamner la SAFER à leur payer la somme de 25 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre dépens.

Dans ses dernières conclusions déposées le 26 mars 2013, le notaire demande à la cour de :

- constater et au besoin dire et juger que la cession en pleine propriété de la maison d'habitation par voie de cession de parts n'ouvre en aucun cas de droit de préemption au profit de la SAFER et qu'il n'est pas justifié de la vocation agricole du site,
- constater que la demande du chef du tènement foncier est tardive et l'action frappée de forclusion,
- confirmer en toutes ses dispositions la décision entreprise,
- subsidiairement, constater et au besoin dire et juger que la cession en nue propriété du tènement foncier dont la vocation agricole n'est pas établie est de surcroît et en toute hypothèse, s'agissant d'une cession de droit démembrée, exclue du champ d'application du droit de préemption de la SAFER, ce qu'elle a reconnu ; constater et au besoin dire et juger qu'il n'est pas prouvé de manière concrète et objective que la vente ainsi intervenue a été faite avec l'intention frauduleuse de mettre en échec le droit de la SAFER,
- plus subsidiairement et si par impossible la cour estimait devoir infirmer la décision entreprise, constater et au besoin dire et juger que la demande tend à la nullité des actes litigieux ; dans l'hypothèse impossible où elle serait admise, constater qu'elle a pour conséquence de replacer les parties dans la situation antérieure aux conventions ; dire et juger que les restitutions réciproques et consécutives à l'annulation ne constituent pas, par elles mêmes, un préjudice indemnisable que le notaire rédacteur est tenu de réparer ; rejeter, en conséquence, les demandes des parties en ce qu'elles sont dirigées à son encontre,
- dans tous les cas, condamner la SAFER ou qui mieux des parties à payer au concluant la somme de 5. 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

La clôture de l'instruction a été prononcée par une ordonnance du 6 novembre 2013, fixant l'audience de plaidoiries au 30 janvier 2014.

MOYENS DES PARTIES

* La SAFER expose n'avoir eu connaissance qu'au mois d'avril 2008, et à la suite d'un article de presse concernant un litige opposant Mme A...à M. Paul D...et portant sur une maison fortifiée, des quatre actes datés du 5 octobre 2001 dont aucun ne lui a été notifié ni n'a même été publié à la conservation des hypothèques. Elle relève que Mme A...étant associée de la SCI Y... qui comporte comme deuxième associé la SCI PETRU PAN dont Mme A...détient 99 % du capital, celle-ci est en fait la seule bénéficiaire de ces contrats.

La SAFER soutient que l'ensemble de ce montage juridique établit que la cession du domaine de MURTOLI est intervenue en fraude de ses droits, fraude d'ailleurs reconnue par le notaire dans son courrier adressé

le 21 mars 2006 à M. Y...indiquant « Je vous rappelle que la vente de la propriété sise à SARTENE au profit de la SCI PETRU PAN a échappé au droit de préemption de la SAFER en raison du démembrement de la propriété ¿ ¿.

Elle estime que son intervention sur ce domaine était justifiée tant par son rôle traditionnel de structuration des fonds exploités par les agriculteurs que par celui de lutte contre la spéculation foncière et de mise en valeur des paysages et de protection de 1'environnement. A l'entendre, les biens objet des actes du 5 octobre 2001 étaient susceptibles d'être préemptés et, en tout état de cause devaient faire l'objet d'une information préalable au vu des dispositions combinées des articles L141- 1II 3o, L143-4 6o et R143-9 1 A13 du code rural.
Ces actes ayant été passés en fraude de ses droits, elle est fondée à en solliciter l'annulation, mais non sa substitution à l'acquéreur. Elle prétend que son droit de préemption était susceptible de s'appliquer à toutes les parcelles en cause, y compris celles cadastrées C 998 (2. 203m2) et C 506 (maison fortifiée) au vu tant de la surface de celles-ci que de leur classement en zone ND eu égard aux dispositions du décret du 29 décembre 1999 relatif au droit de préemption de la SAFER en Corse. Ce classement issu du POS de la commune de SARTENE approuvé le 16 février 1991 et toujours applicable ne saurait être remis en cause par le PLU annulé par jugement du 12 février 2010 du tribunal administratif de BASTIA.
La cession de la maison fortifiée et du terrain de 2. 203m2 porte sur des biens immobiliers à vocation agricole dont l'intention d'aliéner doit lui être déclarée, y compris lorsqu'elle est prévue par voie d'apport en société. Le montage déjà évoqué ne visait qu'à masquer l'existence du contrat de vente et à éviter son droit de préemption.
S'agissant de la cession du reste du domaine, elle a fait l'objet d'une promesse de vente en date du 5 octobre 2001, laquelle n'a pas été déclarée à la SAFER bien que valant vente en raison du consentement réciproque des parties sur la chose et sur le prix. L'existence d'une seule condition quant à cette promesse, soit la réitération par acte authentique, démontre le caractère parfait de la vente dès le 5 octobre 2001, lequel est confirmé par l'entrée en possession le même jour de la SCI PETRU PAN au titre du prêt à usage consenti.
En considération de cette fraude, la SAFER s'estime fondée à solliciter l'annulation des cinq actes précités passés devant le même notaire.
L'appelante constate encore que l'homonymie entre la SCI et M. Y...vise à entretenir la confusion dans ce dossier ; que le jour même de la constitution de cette SCI, Mme A...est devenue seule propriétaire au travers d'une autre SCI lui appartenant ; que le prix de vente du terrain en pleine propriété et en nue-propriété est identique, ce qui confirme l ` absence de volonté de démembrement ; qu'enfin ces actes ont été dissimulés en n'étant pas publiés à la Conservation des hypothèques.
Elle rappelle enfin que l'agriculture corse est caractéristique d'une agriculture extensive, en l'espèce bovine, notamment dans les maquis bas. Les produits issus de cette agriculture sont biologiques et bénéficient d'un marché certain. Les biens objet du présent litige sont des espaces de parcours ainsi qu'en attestent tant le guide de PODARC de Corse que l'attestation du docteur E..., vétérinaire. A l'entendre, tant ces terrains que la bâtisse ont été exploités durant des années par des agriculteurs dont M. Paul Y... ainsi qu'en justifient les nombreuses attestations versées aux débats. La location estivale de cette maison ne lui enlève pas son caractère agricole.
S'agissant des autres parcelles cadastrées Section C no 1025, 1026, 490, 491, 493 et 494 pour une contenance totale de 49ha 3 la 56ca, celles-ci ne sauraient, contrairement aux affirmations des autres parties, être considérées comme des espaces boisés ; cette affirmation est en effet contredite par le rapport G...et par la définition du terrain boisé résultant de l'inventaire forestier national.
Sur la recevabilité de son action, elle rappelle n'avoir été informée de l'existence de la vente de l'ensemble du Domaine de MURTOLI qu'à partir de la campagne de presse déjà évoquée, le notaire et les acquéreurs lui ayant dissimulé les cessions ; elle soutient que la fraude en résultant corrompt tout et fait obstacle à tout délai de forclusion.
Elle se prévaut enfin de l'aveu judiciaire selon elle exprimé dans les conclusions prises par M. Y... devant la cour.
* La SCI PETRU PAN, la SCI Y... et Mme A...rappellent les autres contentieux judiciaires les opposant à des tiers, M. Paul D...et la SARL MURTOLI, et soutiennent l'existence d'un lien entre ces tiers et la SAFER dont l'action ici entreprise ne viserait à les entendre qu'à défendre les intérêts de ces derniers.
Elles exposent quant à la mutation des parcelles C 998 et C 506 que si la SAFER peut se prévaloir des dispositions des articles L412-10, L412-12 A13 et R143-15 du Code rural pour solliciter l'annulation d'un acte conclu en fraude de son droit de préemption, encore faut-il que cet immeuble soit effectivement susceptible d'être préempté. S'agissant de la maison fortifiée et de l'éperon rocheux objet de la mutation immobilière du 5 octobre 2001, ils ne sont pas à usage ou vocation agricole et ne l'ont jamais été. La SAFER reconnaît elle-même dans ses écritures qu'il s'agit d'un ancien bâtiment militaire actuellement loué à des estivants. Cette situation est confirmée par les photographies aériennes versées aux débats montrant une maison construite sur un terrain constitué de rochers et insusceptible de constituer une exploitation agricole. La ville de SARTENE avait d'ailleurs réclamé à l'ancien propriétaire une taxe de séjour saisonnier impliquant un caractère touristique et non agricole de la bâtisse. De même, les deux habitations les plus proches ont été vendues sans déclaration d'intention d'aliéner à la SAFER.
Outre que ce bâtiment n'a aucune vocation agricole, il ne constitue pas plus un bâtiment d'occupation faisant partie d'une exploitation agricole ou ayant conservé une utilisation agricole. Il échappe dès lors au

droit de préemption de la SAFER et il en est de même a fortiori des parcelles attenantes au bâtiment.

Concernant cette vocation agricole telle qu'invoquée par la SAFER, les intimées constatent qu'aucune des attestations produites aux débats ne reprend cette qualification invoquée par le professeur F...en sa qualité de consultant de la SAFER. Elles constatent également que la maison fortifiée et son terrain d'assiette n'étaient desservis par aucun chemin carrossable au moins jusqu'aux années 1980. Après avoir été laissée à l'abandon pendant au moins la moitié du siècle dernier, ces biens immobiliers ont été réhabilités dans un objectif de location estivale de haut de gamme et ils ne sauraient dès lors être considérés comme le centre d'un vaste domaine agricole.
Les intimées concluent en définitive qu'en l'absence de droits de la SAFER susceptibles d'être fraudés, la notion de fraude invoquée par l'appelante ne saurait prospérer. Cette notion ne s'appuie d " ailleurs que sur l'existence de deux sociétés qualifiées de fictives alors qu'elles sont régulièrement constituées, domiciliées et immatriculées. De même, l'apport en société ne saurait constituer une man ¿ uvre frauduleuse en ce qu'il n'empêche pas la SAFER de préempter.
L'opération d'achat organisée selon l'appelante pour frauder ses droits est constituée d'actes notariés enregistrés donc ostensibles, soumis à publicité foncière ou à celle prévue au Registre du Commerce et des Sociétés pour ceux qui devaient l'être. De plus, et contrairement aux affirmations de la SAFER, aucune contre-lettre n'est produite aux débats.
S'agissant du terrain objet de la mutation de décembre 2005, si celui-ci doit avoir une vocation agricole telle que définie par l'article L31 1-1 du code rural, les intimées constatent que le conservatoire de l'espace littoral n'y fait nullement allusion dans sa correspondance du 15 mai 2006, l'ensemble du domaine présentant d'ailleurs une vocation de tourisme de grand luxe. Au demeurant, et même si cette vocation agricole était démontrée, l'action de la SAFER est forclose comme intervenue vingt mois après la réception de la déclaration d'intention d'aliéner, soit au-delà du délai de six mois prévu à l'article L412-12 du code rural. Les intimées rappellent quant la forclusion court à compter de l'acquisition des terrains notifiée en janvier 2006 et non de celle du fortin.
Le compromis de vente du 5 octobre 2001 ne saurait être considéré comme un support ou un pré-contrat à l'acte du mois de décembre 2005, celui-ci étant caduc comme n'ayant pas été réitéré dans le délai prévu, soit le 5 octobre 2003, la cession effective étant intervenue le 6 décembre 2005. De plus, le prix convenu n'est pas le même et dans le dernier acte, le vendeur a conservé l'usufruit, modalité non prévue dans le projet de 2001.
Quant à la qualification de ces terrains, la qualification de terre agricole ou à vocation agricole suppose une intervention humaine dans le processus biologique, laquelle n'existe pas sur les terrains de parcours ou de pacage. De plus, les terrains dont s'agit sont des espaces boisés exclus du droit de préemption de la SAFER au sens de l'article LI43-4- 6o du
code rural ainsi qu'en attestent les différentes photographies versées aux débats. Si le rapport d'expertise G...produit par l'appelante conteste cette notion d'espaces boisés, il prouve cependant l'existence de terrains impropres à l'exploitation agricole comme constitués de rocs, rochers et landes incultes.
* M. Y..., après avoir rappelé l'historique des relations existant entre les parties et notamment le litige opposant Mme A...et la SARL MURTOLI, précise qu'il n'est pas à l'origine de la création de la SCI destinée à la vente de sa maison puis de la cession totale de ses parts à Mme A..., laquelle a pris l'initiative selon lui des différents actes incriminés par la SAFER.
M. Y... soutient n'avoir jamais voulu frauder les droits de cet organisme et qu'il n'a jamais cessé d'émettre des doutes sur certaines « libertés ¿ ¿ prises par Mme A...et le notaire rédacteur, concernant la gestion juridique de la cession et la rédaction de certaines clauses.
Concernant la cession des parcelles litigieuses, il prétend qu'à l'origine la vente devait se faire en un seul lot, comprenant l'immeuble et les terres, et que le notaire et/ ou Mme A...ont conçu plusieurs montages juridiques pour finalement proposer un démembrement de la propriété. Il prétend encore avoir interrogé le notaire quant à un droit de préemption de la SAFER, ce bien avant la présente action, et le notaire lui avait répondu qu'une cession en nue-propriété ne permettait pas l'exercice de ce droit. Il demandait ultérieurement la résolution de cette cession qui n'a pas abouti en raison de l'opposition de Mme A.... Il estime que son absence d'intention de fraude est ainsi démontrée.
* Le notaire rappelle, à titre principal, que la SAFER poursuit la nullité des actes intervenus devant lui et que cette action aurait pour effet, si elle était accueillie, les restitutions réciproques consécutives à 1'annulation du contrat instrumenté ; or, ces restitutions ne constituent pas en elles-mêmes un préjudice indemnisable que le rédacteur de l'acte peut être tenu de réparer.
A titre subsidiaire, le notaire soutient que s'agissant de la cession de la maison d'habitation, le droit de préemption invoqué ne s'exerce que si, au vu des dispositions de l'article L143-1 du code rural, le bâtiment dont s'agit a conservé une utilisation agricole, ce qui n'est plus le cas en l'espèce. De plus, cette maison a fait l'objet d'un apport à la SCI Y... puis d'un transfert au bénéfice de la société PETRU PAN, ces cessions de parts échappant au droit de préemption de la SAFER.
S'agissant de la cession du tènement foncier, l'action en nullité de la vente prévue à l'article L412-1 du code rural est forclose passé le délai de six mois à compter du jour où la date de la vente est connue. Pour cette dernière cession, il est constant que le droit de préemption de la SAFER est exclu des cessions démembrées entre usufruit et nue-propriété.

SUR QUOI, LA COUR

La cour se réfère à la décision entreprise et aux conclusions récapitulatives susdites pour plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties.

Les appréciations portées par la SAFER, qui n'est pas gardienne de l'intérêt général, sur les conventions qu'elle incrimine, ne peuvent être prises en considération, en toute hypothèse, qu'à condition qu'il soit préalablement établi que la SAFER était titulaire, sur le bâtiment et les parcelles en cause, d'un droit de préemption que le montage juridique qu'elle dénonce aurait permis d'éluder.
En effet, il résulte de la combinaison des dispositions des articles L 412-12 et R 143-20 du code rural que l'action en nullité n'est ouverte aux SAFER qu'envers des aliénations portant atteinte à l'exercice de son droit de préemption.
Il convient dès lors de vérifier, en tout premier lieu, si les ventes intervenues relevaient ou non du périmètre du droit de préemption, la charge de la preuve incombant à la SAFER.
Aux termes de l'article L 143-1 du code rural : « Il est institué au profit des sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural un droit de préemption en cas d'aliénation à titre onéreux de biens immobiliers à utilisation agricole et de biens mobiliers qui leur sont attachés ou de terrains à vocation agricole, quelles que soient leurs dimensions, sous réserve des dispositions prévues au premier alinéa de l'article L143-7.... Ce droit de préemption peut également être exercé en cas d'aliénation à titre onéreux de bâtiments d'habitation faisant partie d'une exploitation agricole ou de bâtiments d'exploitation ayant conservé leur utilisation agricole ".
Il résulte de ce texte que seuls les immeubles non bâtis à utilisation agricole et les terrains à vocation agricole constituent des biens soumis au droit de préemption de la SAFER et que seuls les bâtiments ayant une affectation ou une utilisation agricole au jour de la vente peuvent être assujettis à ce droit en cas de vente séparée des terres et du bâti.
En l'espèce, la décision de scinder la propriété de M. Y... en deux lots comprenant une maison d'habitation (C 506) et son terrain d'assiette (C 998) d'une part, et des terrains cadastrés Section C no 1025, 1026, 490, 491, 493 et 494 d'autre part, ne saurait être rendue suspecte par les déclarations du vendeur, au demeurant tardives et surtout dénuées du moindre commencement de preuve. Ces déclarations, constitutives d'accusations dirigées contre le notaire et les acquéreurs et non d'un aveu judiciaire comme le prétend à tort l'appelante, ne peuvent permettre à elles seules de considérer que les décisions de séparer bâtiments et terre et de procéder à leur cession selon des modalités différentes, ne correspondaient pas à la commune volonté des parties à la date de conclusion des actes litigieux.

Concernant la maison et son terrain d'assiette, l'analyse des éléments d'appréciation produits permet de tenir pour acquis qu'il s'agit d'un ancien bâtiment militaire qui n'a jamais connu une utilisation ou une affectation agricole avérée hormis son usage ponctuel, il y a de très nombreuses années, comme abri de bergers. Il est en tout cas certain, qu'à la date de l'opération litigieuse, le bâtiment et son assise foncière, étaient détachés, depuis au moins deux ans, de toute exploitation agricole et n'avaient plus d'utilisation agricole.

En effet, les photographies produites aux débats montrent qu'en 2001 déjà, le bâtiment était rénové et entouré d'espaces aménagés à vocation touristique tels que plages, mouillage de bateaux. Les supports publicitaires également communiqués et les constatations énoncées dans un arrêt, produit aux débats, rendu par la cour d'appel de Bastia le 28 janvier 2009 dans un litige opposant Mme A...à M. Paul D..., confirment que ce bien faisait l'objet depuis plusieurs années d'une exploitation touristique régulière donnant d'ailleurs lieu à la perception d'une taxe de séjour par la commune de SARTENE. Il est en outre établi que cette maison est située à proximité de deux autres bâtiments inclus dans un ensemble hôtelier.
Il convient en conséquence de retenir, à l'instar du tribunal, que la maison et son terrain d'assiette étaient exclusivement affectés à la date de la cession, à l'habitation et à la location estivale et ce de manière régulière sans que le moindre rattachement puisse être opérée avec une quelconque activité agricole. En raison de sa nature, le bien n'était pas préemptable ; dans ces conditions, et contrairement à ce que soutient l'appelante, le projet d'aliénation ne devait donner lieu à aucune formalité d'information de la SAFER ni même à une quelconque déclaration d'opération exemptée du droit de préemption.
Sur les immeubles non bâtis cadastrés Section C no 1025, 1026, 490, 491, 493 et 494 d'une superficie de 49 hectares, la cour estime, au vu des éléments d'appréciation produits de part et d'autre, qu'il existe un doute sur leur utilisation comme sur leur vocation agricole. La thèse présentant ces terrains comme des espaces boisés repose sur des arguments sérieux ; celle soutenant qu'il s'agit d'espaces naturels à vocation pastorale sur lesquels s'exercent l'élevage et le parcours des bétails mérite tout autant d'être prise en considération.
Toutefois, le doute qui prévaut en l'état n'a pas lieu d'être dissipé pour la solution du litige. En effet, la vente de ces terrains a été conclue, aux termes de l'acte authentique en date du 6 décembre 2005 en nue propriété avec réserve d'usufruit au profit du vendeur de sorte qu'en toute hypothèse la SAFER ne pouvait exercer son droit de préemption hormis le cas de fraude.
Le détachement de la maison d'un ensemble immobilier dont on ignore s'il était constitué d'un seul tenant, et sa cession par acte séparé ne constituent par un indice de fraude dans la mesure où, comme déjà exposé, ce bien faisait l'objet d'un usage spécifique, totalement indépendant de celui des parcelles de terre comme de leur vocation.

La promesse de vente conclue entre M. Y... et la SCI PETRU PAN de la pleine propriété des mêmes parcelles est devenu caduque faute de réalisation dans le délai fixé des deux conditions suspensives qu'elle contenait, à savoir la réitération par acte authentique le 5 octobre 2003 et le paiement du prix le même jour. Dès lors, cet acte n'avait pas à être notifié à la SAFER qui ne peut par suite invoquer une dissimulation frauduleuse de ce chef.

Enfin, comme l'a jugé à bon droit le tribunal, les deux mutations successives de 2001 et 2005 ne peuvent pas constituer une seule opération d'acquisition immobilière comme le soutient la SAFER. En effet, dans le dernier acte, le vendeur a conservé l'usufruit alors que le promesse de 2001 portait sur une acquisition en pleine propriété. Le prix convenu ne saurait être considéré comme le même malgré l'identité du montant, car initialement convenu pour une cession en pleine propriété, il s'est finalement appliqué à un droit de propriété restreint. Cette évolution démontre que de nouvelles négociations ont été entreprises entre les deux actes pour finalement modifier la nature des droits cédés au profit du vendeur sans changement de prix. Dans un tel contexte, M. Y... n'est pas crédible lorsqu'il prétend que de telles modifications, qui lui sont largement favorables, auraient été effectués à son insu alors qu'il n'invoque aucun vice du consentement ni ne remet en cause l'authenticité de sa signature.
Dans de telles conditions, le premier juge a pu retenir avec pertinence que le compromis conclu en 2001 ne saurait être considéré comme le pré-contrat du 6 décembre 2005 et constituer le premier terme de la fraude alléguée par la SAFER.
Seule la démonstration d'un démembrement fictif du droit de propriété en vue de soustraire la vente au droit de préemption pourrait caractériser la fraude. Or, pour les raisons qui viennent d'être exposées, cette démonstration ne saurait résulter des seules affirmations du vendeur. Elle n'est pas davantage apportée par la phrase contenue dans la lettre en date du 21 mars 2006 adressée par le notaire au vendeur, indiquant que la vente " a échappé au droit de préemption de la SAFER à raison du démembrement de propriété ". En effet, il ne peut être tiré de ce propos, que le démembrement ne correspondait pas à la commune intention des parties, libres de disposer de leurs droits, mais qu'il a été convenu dans le but de contourner le droit de préemption.
En l'absence d'éléments d'appréciation complémentaires ou plus amples, la SAFER échoue à rapporter la preuve de la fraude dont elle se prévaut au soutien de son action en nullité.
La forclusion tirée de l'application des dispositions de l'article L 412-12 alinéa 3 du code rural, peut, par suite, lui être valablement opposée. Aux termes de ce texte, l'action en nullité de la vente et en dommages-intérêts doit être intentée dans un délai de six mois à compter du jour où la vente est connue, à peine de forclusion.
Or, il est constant que la déclaration d'aliéner portant sur les parcelles litigieuses a été notifiée à la SAFER par un courrier recommandé du 20 mars 2006 dont elle a accusé réception. Dans la mesure où elle a attendu le 17 septembre 2008, sans invoquer un motif légitime, pour délivrer l'assignation introductive de son action en nullité, c'est à bon droit que le premier juge a constaté que cette action était forclose.
De toute ce qui précède, il résulte que la SAFER est mal fondée dans son appel et qu'il convient en conséquence de confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions.
Les dépens de l'appel seront mis à la charge de la SAFER qui sera en outre condamnée, en considération de l'équité, à payer la somme de 2 000 euros au notaire et celle, globale, de 3 000 euros aux trois autres intimés, sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR :

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,
Condamne la Société d'Aménagement Foncier et d'Etablissement Rural de la Corse à payer à la SCP B...et C..., notaires associés, la somme de deux mille euros (2 000 euros) et à la SCI Y..., la SCI PETRU PAN, Mme Anna X...épouse A...la somme, globale, de trois mille euros (3 000 euros) sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
La condamne aux dépens de l'appel.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bastia
Formation : Chambre civile
Numéro d'arrêt : 12/00861
Date de la décision : 16/04/2014
Sens de l'arrêt : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours
Type d'affaire : Civile

Références :

ARRET du 19 novembre 2015, Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 19 novembre 2015, 14-19.478, Inédit

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.bastia;arret;2014-04-16;12.00861 ?
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