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02/05/2013 | FRANCE | N°12/00350

France | France, Cour d'appel de Bastia, Chambre civile, 02 mai 2013, 12/00350


Ch. civile A

ARRET No
du 02 MAI 2013
R. G : 12/ 00350 C-PYC
Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Tribunal de Grande Instance d'AJACCIO, décision attaquée en date du 10 Avril 2012, enregistrée sous le no 11/ 00315

SARL ROCCA SERRA
C/
X...
COUR D'APPEL DE BASTIA
CHAMBRE CIVILE
ARRET DU
DEUX MAI DEUX MILLE TREIZE
APPELANTE :
SARL ROCCA SERRA Prise en la personne de son représentant légal Camping U Pirellu Route de Palombaggia 20137 PORTO-VECCHIO

assistée de Me Antoine-Paul ALBERTINI, avocat au barreau

de BASTIA, Me Antoine VINIER-ORSETTI, avocat au barreau d'AJACCIO

INTIME :

Monsieur Christophe X...né le ...

Ch. civile A

ARRET No
du 02 MAI 2013
R. G : 12/ 00350 C-PYC
Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Tribunal de Grande Instance d'AJACCIO, décision attaquée en date du 10 Avril 2012, enregistrée sous le no 11/ 00315

SARL ROCCA SERRA
C/
X...
COUR D'APPEL DE BASTIA
CHAMBRE CIVILE
ARRET DU
DEUX MAI DEUX MILLE TREIZE
APPELANTE :
SARL ROCCA SERRA Prise en la personne de son représentant légal Camping U Pirellu Route de Palombaggia 20137 PORTO-VECCHIO

assistée de Me Antoine-Paul ALBERTINI, avocat au barreau de BASTIA, Me Antoine VINIER-ORSETTI, avocat au barreau d'AJACCIO

INTIME :

Monsieur Christophe X...né le 20 Avril 1977 à PORTO VECCHIO ... 20137 PORTO VECCHIO

ayant pour avocat la SCP JOBIN, avocats au barreau de BASTIA, Me Jean GIUSEPPI, avocat au barreau d'AJACCIO
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 19 février 2013, devant Monsieur Pierre Yves CUZIN, Vice-Président placé près Monsieur le Premier Président, chargé du rapport, les avocats ne s'y étant pas opposés.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Julie GAY, Président de chambre Madame Rose-May SPAZZOLA, Conseiller Monsieur Pierre Yves CUZIN, Vice-Président placé près Monsieur le Premier Président

GREFFIER LORS DES DEBATS :
Madame Martine COMBET.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aura lieu par mise à disposition au greffe le 02 mai 2013.

ARRET :

Contradictoire,
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Julie GAY, Président de chambre, et par Madame Martine COMBET, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*
* * Par acte d'huissier en date du 21 novembre 2011 la SARL ROCCA SERRA a assigné en référé Christophe X..., Cyril X...et Stéphane X...sur le fondement de l'article 809 alinéa 1 du code de procédure civile afin d'obtenir leur condamnation à enlever un chenil et tout animal domestique de la parcelle sise section F no 1312 à PORTO-VECCHIO sous astreinte de 500 euros par jour de retard dans un délai de un mois et le paiement de la somme de 2. 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi que les dépens.

Par ordonnance en date du 10 avril 2012, le juge des référés du tribunal de grande instance d'AJACCIO a mis hors de cause Cyril X...et Stéphane X..., dit n'y avoir lieu à référé, a débouté la SARL ROCCA SERRA de ses demandes, dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile et mis les dépens à la charge de la SARL ROCCA SERRA.
Par déclaration en date du 23 avril 2012 la SARL ROCCA SERRA a relevé appel de cette décision. La déclaration d'appel a été signifiée à la personne de Christophe X...par acte d'huissier en date du 21 juin 2012.
En ses écritures en date du 10 juillet 2012 auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet de ses prétentions et moyens, la SARL ROCCA SERRA expose qu'elle exploite un camping sous l'enseigne " U Pirellu " route de Palombaggia à PORTO-VECCHIO, notamment sur la parcelle cadastrée F 1232 ;

Que Christophe X...est propriétaire et/ ou utilisateur de la parcelle voisine section F 1312 où il a installé en partie haute un chenil ;

Que les clients du camping sont importunés par des aboiements incessants ;
Que les appelants ne sont pas parvenus à faire cesser le trouble malgré courrier et mise en demeure ;
Qu'aux termes de l'article R 1334-31 du code de la santé publique et de la circulaire du 27 février 1995 article 2-1, les aboiements constituent un trouble de voisinage, quelles qu'en soient les circonstances et l'heure ;
Qu'ils sont sanctionnés par les articles R 623-2 du code pénal et R 1337-7, 1337-8, 1337-10 du code de la santé publique ;
Que dès lors que le trouble est illicite, c'est à dire contraire à une disposition légale ou réglementaire, il doit y être mis un terme ;
Qu'en application de l'article 1385 du code civil, le propriétaire d'un animal est responsable du dommage que l'animal a causé ;
Que la réalité du trouble résulte des mises en demeure adressées à Monsieur X...ainsi que des plaintes formulées par les clients du camping induisant grâce notamment aux forums sur internet une baisse du chiffre d'affaires et nuisant à l'image de qualité reconnue à l'établissement ;
Que sur plainte de la SARL, la gendarmerie a constaté le 26 septembre 2011 que les chiens aboyaient et qu'ils étaient perçus depuis l'accueil du camping ; que Christophe X...a été cité devant le juge de proximité et a été le 21 juin 2012 déclaré coupable de tapage nocturne, condamné à payer une amende de 450 euros et des dommages-intérêts à hauteur de 3. 000 euros ;
Que le trouble persiste ; que le tapage subi la nuit ne ressort pas d'un bruit naturel de voisinage campagnard mais d'une nuisance ;
Que le préjudice économique a été évalué à 20. 000 euros pour la seule période du 1er mai 2011 au 15 septembre 2011.
Elle demande donc la réformation de l'ordonnance déférée, qu'il soit ordonné l'enlèvement du chenil et de tout animal domestique de la parcelle sise à PORTO-VECCHIO cadastrée section F 1312 sous astreinte de 500 euros par jour de retard dans un délai d'un mois, que Monsieur X...soit condamné à lui payer la somme de 20. 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice économique et moral outre 5. 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les dépens.
En ses écritures du 10 septembre 2012 auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé de ses prétentions et moyens, Christophe X...fait valoir que la prétention nouvelle tendant au versement de dommages-intérêts devra être rejetée en application de l'article 564 du code de procédure civile ; qu'en première instance d'ailleurs l'appelante n'invoquait aucun préjudice économique ;
Que l'appelante ne démontre pas l'existence d'un trouble manifestement illicite, en l'espèce que les prétendus aboiements dépassent les inconvénients normaux de voisinage ; que le plan cadastral produit a été maquillé pour faire croire que le chenil se trouve en limite de propriété des parties alors qu'il est situé à plus de 50 mètres de la clôture ; que la réclamation d'un internaute est anonyme ;
Que toutes les mesures ont été prises pour garantir les troubles de voisinage ; qu'il est lui aussi soucieux d'éviter des nuisances puisqu'il exploite lui aussi un camping ; que chaque chien est muni d'un collier anti-aboiement ; que l'huissier qu'il a sollicité ne fait pas état de nuisances sonores ; que courant mai 2012 il a, à nouveau, transféré au milieu de la propriété le chenil qui se trouve maintenant à plus de 500 mètres de la parcelle de la SARL ROCCA SERRA entre les habitations de la famille X....
Il conclut donc au débouté de la SARL ROCCA SERRA de l'ensemble de ses prétentions et à sa condamnation à lui payer la somme de 1. 500 euros pour procédure abusive ainsi que 5. 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Par ordonnance en date du 12 décembre 2012, le président de chambre chargé de la mise en état a, sur désistement partiel de la SARL ROCCA SERRA de son appel à l'égard de Cyril X...et Stéphane X..., constaté l'extinction de l'instance à l'égard de ces derniers seulement.

L'ordonnance de clôture a été prise le 12 décembre 2012 et l'affaire renvoyée pour être plaidée à l'audience du 15 janvier 2013, puis reportée à la demande de l'intimé, à l'audience du 19 février 2013.

*

* *
SUR QUOI :

Sur la recevabilité de la demande de dommages-intérêts formée par la SARL ROCCA SERRA :

L'article 566 du code de procédure civile dispose que les parties peuvent en appel ajouter aux demandes soumises au premier juge, toutes les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément.

La demande de dommages-intérêts formée par la SARL ROCCA SERRA est l'accessoire, la conséquence et le complément de la demande de suppression du chenil sous astreinte. Elle n'est donc pas nouvelle au sens de l'article 564 du code de procédure civile.

Sur le trouble manifestement illicite :

Sur la réalité du trouble :

Les gendarmes de la brigade de PORTO-VECCHIO ont, entre le 15 septembre 2011 et le 27 septembre 2011 diligenté une enquête sur plainte de Monsieur ROCCA SERRA pour tapage nocturne. Le 21 juin 2012, la juridiction de proximité d'AJACCIO a déclaré Christophe X...coupable de bruit ou tapage nocturne troublant la tranquillité d'autrui entre le 1er mai 2011 et le 15 septembre 2011 à PORTO-VECCHIO et l'a condamné à payer une amende de 450 euros et la somme de 3. 000 euros à titre de dommages-intérêts.

Le constat par huissier en dates des 11, 18 et 27 janvier 2012 versé aux débats par l'appelante établit que le chenil est installé en plein maquis dans un espace démaquisé en face du bungalow no 8 tel qu'indiqué page 3 du constat ; que ce chenil contient plusieurs chiens répartis dans huit niches ; qu'il est éloigné des constructions de la famille X...; qu'à l'arrivée de l'officier ministériel, les chiens se sont mis à aboyer et ont continué à aboyer jusqu'à son départ ; que l'officier ministériel a fait trois visites et a constaté la même chose chaque fois.
Le 27 janvier 2012 l'huissier de justice indique que les aboiements des chiens sont perceptibles depuis la réception du camping située en bordure de la voie publique à 400 mètres environ du chenil.
Ce constat est corroboré par les courriels, lettres ou attestations, notamment de Monsieur et Madame Hubert D...qui déclarent avoir été contraints d'abréger leur dernier séjour en raison des nuisances sonores dues aux aboiements " qui peuvent durer plusieurs dizaines de minutes ", et se produire plusieurs fois par jour ; Jean-François E...qui atteste que les chiens aboient quotidiennement le soir et la nuit, hurlant à la mort ; Noémie F...qui a été réveillée la nuit, fenêtre fermée ; Pierre G...qui relève les aboiements ou hurlements incessants toutes les nuits ; Martine H...qui se plaint lors de son séjour du 10 au 24 septembre 2011 des aboiements commençant vers 20 heures et se poursuivant jusqu'au petit matin ; Christophe I..., saisonnier, qui a entendu tout l'été 2011 les chiens du camping voisin et qui, tout comme Marie-Madeleine J..., réceptionniste, Gérard K..., gardien de nuit et David L..., agent technique, ont recueilli les doléances des clients ; Olivier M..., gendarme, qui explique n'avoir pu dormir pendant son séjour du 5 au 8 mai 2012, de même que Christophe I..., Isabelle D..., Vincent N..., Bernard O..., Michel P..., Martine Q..., Angelo R....
L'enquête de satisfaction pour la saison 2011 fait ressortir le fort mécontentement de 33 clients en raison des nuisances sonores provoquées par le chenil.
L'huissier requis par Christophe X...le 6 juillet 2011 a constaté que les chiens portaient tous un collier anti-aboiement. Ce dispositif s'est avéré inefficace puisque les gendarmes ont été en mesure de constater le tapage nocturne au mois de septembre 2011 et l'huissier la persistance des aboiements le 27 janvier 2012.
Par ailleurs Christophe X...soutient qu'il aurait déplacé le chenil jusqu'à un emplacement situé au milieu des habitations de la famille X.... Or il indique dans ses écritures que le chenil se trouve sur la parcelle F 1312 alors que selon le plan cadastral versé aux débats, les habitations sont sur les parcelles 1309 et 1311. Selon l'huissier requis par l'intimé, le chenil a été aménagé sur la partie haute de la parcelle cadastrée F 2520, numéro qui n'apparaît pas sur le plan.
En toutes hypothèses, l'emplacement du chenil n'apparaît pas déterminant dans la mesure où il est établi que les aboiements sont perceptibles à une distance d'au moins 400 mètres à la réception du camping de l'appelante lorsque le chenil est situé en plein maquis, au point le plus éloigné de la propriété X....
Il s'avère donc que Christophe X...n'est pas parvenu à supprimer les nuisances.

Le caractère illicite du trouble :

Aux termes de l'article 544 du code civil, la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par la loi ou par les règlements. Il découle de ce principe général que nul ne peut infliger à ses voisins un trouble anormal de voisinage.

Or l'émission de bruit est spécifiquement encadrée juridiquement.
L'article 623-2 du code pénal dispose que les bruits nocturnes troublant la tranquillité d'autrui sont punis de l'amende prévue pour les contraventions de la 3ème classe. La contravention de tapage nocturne est caractérisée dès lors que le prévenu a eu conscience du trouble causé au voisinage par l'installation dont il était responsable et n'a pris aucune mesure pour y remédier, et cela même si les bruits résultent de l'exercice d'une profession.
Les dispositions des articles R 1334-31 à R 1334-37 du code de santé publique s'appliquent à tous les bruits de voisinage à l'exception de ceux générés par certaines activités relatives aux transport, installations électriques, nucléaires ou de défense.
L'article R 1334-31 du même code dispose qu'aucun bruit ne doit par sa durée, sa répétition ou son intensité, porter atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l'homme, qu'une personne en soit elle-même à l'origine ou que ce soit par l'intermédiaire d'un animal placé sous sa responsabilité.
En l'espèce, la présence du chenil de Christophe X...trouble la tranquillité d'autrui et porte atteinte à la qualité du repos diurne et nocturne des résidents du camping et donc à leur santé.
Ce trouble qui constitue par sa durée, sa répétition et son intensité, des infractions pénales réprimées par le code pénal et le code de la santé publique, est donc nécessairement illicite.
Dès lors, c'est à bon droit que la SARL ROCCA SERRA a demandé au juge des référés la suppression du chenil sous astreinte. L'ordonnance déférée devra donc être réformée et la suppression du chenil comme l'enlèvement des chiens ordonnées sous astreinte de 200 euros par jour de retard passé un délai de trente jours après la signification de la présente décision. En revanche, rien ne justifie que soit ordonnée l'enlèvement de tout animal domestique, comme demandé.

Sur les dommages-intérêts :

Le juge des référés ne peut accorder de dommages-intérêts sans excéder les pouvoirs qui lui sont octroyés par l'alinéa 2 de l'article 809 du code de procédure civile. La SARL ROCCA SERRA qui sollicite des dommages-intérêts et non une provision à valoir sur l'indemnisation de son préjudice, sera déboutée de ce chef de demande.

Sur les frais irrépétibles et les dépens :

Il serait inéquitable de laisser à la SARL ROCCA SERRA ses frais irrépétibles. Christophe X...sera condamné à lui payer la somme de 2. 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Christophe X...qui succombe, sera condamné aux dépens de première instance et d'appel.
*
* *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Infirme l'ordonnance du 10 avril 2012 en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

Ordonne la suppression du chenil installé sur la propriété X...et l'enlèvement des chiens sous astreinte de DEUX CENTS EUROS (200 €) par jour de retard passé un délai de trente jours après la signification de la présente décision,
Y ajoutant,
Déboute la SARL ROCCA SERRA de sa demande de dommages-intérêts,
Condamne Christophe X...à payer à la SARL ROCCA SERRA la somme de DEUX MILLE EUROS (2. 000 €) en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne Christophe X...aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bastia
Formation : Chambre civile
Numéro d'arrêt : 12/00350
Date de la décision : 02/05/2013
Sens de l'arrêt : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours
Type d'affaire : Civile

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.bastia;arret;2013-05-02;12.00350 ?
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