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23/05/2012 | FRANCE | N°11/00314

France | France, Cour d'appel de Bastia, Chambre civile, 23 mai 2012, 11/00314


Ch. civile B
ARRET No
du 23 MAI 2012
R. G : 11/ 00314 C-PL
Décision déférée à la Cour : jugement du 14 mars 2011 Tribunal de Commerce d'AJACCIO R. G : 2008/ 699

Société BC SRL Société NUOVA MAA ASSICURAZIONI

C/
SA ALLIANZ GLOBAL CORPORATE et SPECIALITY SA AXA CORPORATE SOLUTIONS Société COVEA FLEET Société MARINA SARDA Y... SOCIETE DE DROIT ITALIEN BC (SRL) EURL Z... CROISIERES Z...

COUR D'APPEL DE BASTIA
CHAMBRE CIVILE
ARRET DU
VINGT TROIS MAI DEUX MILLE DOUZE
APPELANTES :
Société de Droit Italien BC SRL Prise en l

a personne de son représentant légal Sottopiazza Porto Cervo 07020 PORTO CERVO (ITALIE)

assistée de Me Jean ...

Ch. civile B
ARRET No
du 23 MAI 2012
R. G : 11/ 00314 C-PL
Décision déférée à la Cour : jugement du 14 mars 2011 Tribunal de Commerce d'AJACCIO R. G : 2008/ 699

Société BC SRL Société NUOVA MAA ASSICURAZIONI

C/
SA ALLIANZ GLOBAL CORPORATE et SPECIALITY SA AXA CORPORATE SOLUTIONS Société COVEA FLEET Société MARINA SARDA Y... SOCIETE DE DROIT ITALIEN BC (SRL) EURL Z... CROISIERES Z...

COUR D'APPEL DE BASTIA
CHAMBRE CIVILE
ARRET DU
VINGT TROIS MAI DEUX MILLE DOUZE
APPELANTES :
Société de Droit Italien BC SRL Prise en la personne de son représentant légal Sottopiazza Porto Cervo 07020 PORTO CERVO (ITALIE)

assistée de Me Jean Jacques CANARELLI, avocat au barreau de BASTIA et de Me PINCEMIN, avocat au barreau de PARIS
Société NUOVA MAA ASSICURAZIONI Prise en la personne de son représentant légal en exercice Via Senigallia 18/ 2 20122 MILAN (ITALIE)

assistée de la SCP RIBAUT BATTAGLINI, avocats au barreau de BASTIA, Me Jean-Luc MARCHIO, avocat au barreau de NICE
INTIMES :
SA ALLIANZ GLOBAL CORPORATE et SPECIALITY Prise en la personne de son représentant légal 23, Rue Notre Dame des Victoires 75002 PARIS

assistée de Me Antoine-Paul ALBERTINI, avocat au barreau de BASTIA et de la SCP BERNARDOT-TIRET, avocats au barreau de MARSEILLE
SA AXA CORPORATE SOLUTIONS Prise en la personne de son représentant légal 4, Rue Jules Lefebvre 75009 PARIS

assistée de Me Antoine-Paul ALBERTINI, avocat au barreau de BASTIA et de la SCP BERNARDOT-TIRET, avocats au barreau de MARSEILLE
Société COVEA FLEET Prise en la personne de son représentant légal 160, Rue Henri Champion 72035 LE MANS CEDEX 1

assistée de Me Antoine-Paul ALBERTINI, avocat au barreau de BASTIA et de la SCP BERNARDOT-TIRET, avocats au barreau de MARSEILLE
EURL Z... CROISIERES Prise en la personne de son représentant légal... Chez Madame Z... 20144 ZONZA

assistée de Me Antoine-Paul ALBERTINI, avocat au barreau de BASTIA et de la SCP BERNARDOT-TIRET, avocats au barreau de MARSEILLE
Monsieur Vincent Z...... 20144 ZONZA

assisté de Me Antoine-Paul ALBERTINI, avocat au barreau de BASTIA et de la SCP BERNARDOT-TIRET, avocats au barreau de MARSEILLE

Société MARINA SARDA Prise en la personne de son représentant légal en exercice SOTTOPIAZZA 07020 PORTO CERVO SARDAIGNE (ITALIE)

assistée de Me Jean Jacques CANARELLI, avocat au barreau de BASTIA
Madame Alessandra Y......... 00197 ROME (ITALIE)

assistée de Me Jean Jacques CANARELLI, avocat au barreau de BASTIA
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 910 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 15 mars 2012, devant Monsieur Pierre LAVIGNE, Président de chambre, et Madame Marie-Paule ALZEARI, Conseiller, l'un de ces magistrats ayant été chargé du rapport, sans opposition des avocats.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Pierre LAVIGNE, Président de chambre Monsieur Philippe HOAREAU, Conseiller Madame Marie-Paule ALZEARI, Conseiller

GREFFIER LORS DES DEBATS :
Madame Marie-Jeanne ORSINI.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aura lieu par mise à disposition au greffe le 16 mai 2012, prorogée par le magistrat par mention au plumitif au 23 mai 2012.
ARRET :
Contradictoire,
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Monsieur Pierre LAVIGNE, Président de chambre, et par Madame Marie-Jeanne ORSINI, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*
* * ORIGINE DU LITIGE

Monsieur Vincent Z... est armateur-propriétaire d'une vedette à passagers nommée " ... V " exploitée par l'EURL Z... CROISIERES et assurée auprès de la société ALLIANZ GLOBAL CORPORATE et SPECIALTY (ALLIANZ), de la société AXA CORPORATE SOLUTIONS (AXA), de la société COVEA FLEET (COVEA).
Le 15 août 2007, dans les bouches de Bonifacio, un abordage est survenu entre ce navire et le navire SIX, une vedette offshore battant pavillon italien appartenant à Madame Alessandra Y..., exploitée par la société BC SRL sous le nom commercial de MARINA SARDA et assurée auprès la société NUOVA MAA ASSICURAZIONI (NUOVA).
L'abordage a causé des dégâts matériels aux deux navires.
Suite à une expertise évaluant le coût des travaux de remise en état du navire ... à la somme de 273 461 euros, ce navire a été déclaré en perte totale par son propriétaire qui a été indemnisé par ses assureurs à hauteur de la somme de 183 000 euros.
Soutenant que l'abordage a été causé par la faute du navire SIX, les sociétés ALLIANZ, AXA et COVEA, subrogées dans les droits de Monsieur Z..., ont fait assigner les sociétés MARINA SARDA et NUOVA, par acte du 27 février 2008, devant le tribunal de commerce d'AJACCIO, pour, au visa des dispositions de la convention du 23 septembre 1910 et de la loi du 7 juillet 1967, entendre déclarer la société MARINA SARDA pleinement responsable de l'accident et la société NUOVA tenue à garantie, obtenir leur condamnation solidaire au paiement de la somme de 188 495, 20 euros représentant leur préjudice, de la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive, de la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Par acte du 24 avril 2008, les sociétés ALLIANZ, AXA et COVEA ont fait assigner devant la même juridiction et aux mêmes fins Madame Alessandra Y... et la société BC SRL.
Par actes du 5 septembre 2008, la société BC SRL a fait assigner, toujours devant la même juridiction, Monsieur Vincent Z..., la société Z... CROISIERES, les sociétés ALLIANZ, AXA et COVEA pour entendre déclarer le navire ... responsable de l'abordage, condamner en conséquence les parties défenderesses au paiement de la somme de 38 433, 56 euros représentant le préjudice matériel du navire SIX et de la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ordonnance de référé du 27 octobre 2008, le juge des référés du tribunal de commerce d'AJACCIO, saisie par la société BC SRL, a ordonné une expertise et commis pour y procéder Monsieur Bertrand E... qui a déposé son rapport le 14 mai 2009.
Par jugement du 14 mars 2011, le tribunal de commerce d'AJACCIO, statuant au contradictoire des parties après jonction des procédures susvisées, s'est déclaré incompétent pour connaître de la demande de garantie formée par la société NUOVA à l'encontre de la société BC SRL, a homologué le rapport d'expertise judiciaire, a déclaré la responsabilité totale du navire SIX, a débouté ALLIANZ de toutes autres demandes, a débouté la société BC SRL de toutes autres demandes, a débouté ALLIANZ de son action à l'encontre de Madame Alessandra Y..., a ordonné l'exécution provisoire de la décision et rejeté toute demande relative à l'article 700 du code de procédure civile " ainsi que les dépens ".
ETAT DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Par déclarations remises au greffe le 15 avril 2011 et le 21 avril 2011, la société NUOVA et la société BC SRL ont respectivement relevé appel de ce jugement.
Dans ses dernières conclusions signifiées le 7 novembre 2011, la société NUOVA demande à la cour de retenir sa compétence, de réformer le jugement déféré en toutes ses dispositions et statuant à nouveau :
- principalement, de dire et juger que les marins des navires SIX et ... sont tous deux responsables à parts égales de l'abordage intervenu et qu'en conséquence le droit à indemnisation du navire ... sera réduit de moitié ; vu la valeur vénale nulle de ce navire, de débouter ses assureurs de l'ensemble de leurs demandes ; de dire n'y avoir lieu à indemnisation dans la mesure où la valeur agréée indemnisée par les assureurs de Monsieur Z... n'est pas opposable aux tiers ; vu la déchéance de garantie visée dans l'article 2 des conditions générales du contrat d'assurance, dire n'y avoir lieu à quelconque condamnation à l'encontre de la société NUOVA, assureur du navire SIX,
- à titre subsidiaire, si la cour estime qu'il s'agit uniquement d'une clause d'exclusion de garantie opposable à l'assuré mais inopposable aux victimes, dire que l'action n'est pas prescrite au visa de l'article 2952 du code civil italien et qu'en conséquence la société NUOVA devra être relevée et garantie de toutes condamnations mises à sa charge par son assuré la société BC SRL,
- en toute hypothèse, condamner solidairement les sociétés ALLIANZ, AXA et COVEA au paiement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans leurs ultimes conclusions signifiées le 17 octobre 2011, la société BC SRL et Madame Alessandra Y... demandent à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris en ce que le tribunal s'est déclaré incompétent pour statuer sur la demande en garantie de la société NUOVA à l'encontre de BC SRL, a mis hors de cause Madame Y... Alessandra, a homologué le rapport d'expertise judiciaire,
- l'infirmer pour le surplus et statuant à nouveau, dire et juger que la responsabilité de l'abordage doit être partagée à parts égales entre les deux navires, fixer à la somme de 27 500 euros le préjudice indemnisable des assureurs du navire ..., condamner Monsieur Z... et ses assureurs à payer à la société BC SRL la somme de 21 000 euros au titre du préjudice subi,
- subsidiairement, si la cour se déclarait compétente pour statuer sur l'appel en garantie de la société NUOVA, dire et juger que l'action en garantie de l'assureur italien est prescrite par application du droit italien.
Dans leurs dernières conclusions signifiées le 2 septembre 2011, les sociétés ALLIANZ, AXA, COVEA, la société Z... CROISIERES et Monsieur Vincent Z... demandent à la cour de :
- déclarer les demandes de la société BC SRL irrecevables,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré la responsabilité totale du navire SIX au titre de l'abordage, débouté la société BC SRL de ses demandes, dit l'assureur du navire SIX tenu à garantie,
- l'infirmer en ce qu'il a débouté les concluants de leurs demandes dirigées à l'encontre de Madame Alessandra Y...,
- statuant à nouveau, principalement condamner solidairement Madame Y..., la société BC SRL sous enseigne MARINA SARDA et la société NUOVA au paiement de la somme en principal de 188 495, 20 euros avec intérêts au taux légal et capitalisation desdits intérêts à compter de l'assignation du 27 février 2008,
- subsidiairement, constater la faute déterminante du navire SIX, prononcer un partage de responsabilité en faveur des concluantes dans des proportions de 80/ 20, condamner solidairement Madame Y..., la société BC SRL sous enseigne MARINA SARDA et la société NUOVA au paiement de la somme en principal de 150 796, 16 euros avec intérêts au taux légal et capitalisation desdits intérêts à compter de l'assignation du 27 février 2008,
- en toute hypothèse, condamner solidairement Madame Y..., la société BC SRL sous enseigne MARINA SARDA et la société NUOVA au paiement de la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et de la somme de 15 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 11 janvier 2012 ; l'affaire a été plaidée le 15 mars 2012.
*
* *
SUR QUOI, LA COUR
La cour se réfère à la décision entreprise et aux conclusions récapitulatives susdites pour plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties.
A titre liminaire, il convient de relever que c'est à tort qu'une société MARINA SARDA a été attraite devant le tribunal de commerce par les assureurs de Monsieur Z... puis qu'elle a été intimée devant la cour par les deux sociétés appelantes. En effet, il est constant au
vu des pièces produites et des explications développées par les parties, que MARINA SARDA n'est que le nom commercial sous lequel la société de droit italien BC SRL exploite le navire SIX ; il ne s'agit pas dès lors d'une entité autonome pouvant encourir une condamnation.
Sur la fin de non-recevoir opposée par ALLIANZ, AXA, COVEA, Monsieur Z... et la société Z... à la société BC SRL, il est soutenu que cette dernière n'étant que l'exploitante et non la propriétaire du navire SIX, elle n'a pas qualité pour agir en réparation des dommages causés à ce navire.
Toutefois, les documents produits par la société BC SRL, notamment la licence de navigation, indiquent que Madame Y... propriétaire du navire Six lui a transféré les droits d'exploitation de sorte que c'est avec exactitude que BC SRL se présente comme l'armateur de ce navire et à ce titre responsable de sa gestion. D'ailleurs, en cohérence avec cette position, BC SRL a pris en charge comme elle le prétend et en justifie la totalité des frais de remise en état du navire suite à l'abordage litigieux. En revanche, la position adoptée par Monsieur Z... et ses assureurs est paradoxale puisque tout en déniant le droit pour BC SRL d'agir en réparation, ils considèrent cependant cette société comme responsable de leur propre dommage en sa qualité précisément d'armateur du navire Six.
Ces considérations conduisent à déclarer la société BC SRL recevable en sa demande d'indemnisation des frais de remise en état du navire Six.
Les mêmes arguments ne sauraient toutefois permettre d'accueillir la demande de mise hors de cause formées par Madame Y..., propriétaire du navire. En effet, comme le font justement observer Monsieur Z... et ses assureurs, c'est le nom de l'intéressée qui figure sur le certificat de navigation et c'est elle qui a assuré à son nom le navire auprès de la société NUOVA. Ces éléments démontrent que contrairement à ce qu'elle soutient, Madame Y... n'a pas transféré la totalité de l'exploitation du navire à la société BC SRL et en sa qualité de propriétaire, elle doit donc répondre, solidairement avec celle-ci, des dommages causés par le navire Six. Il convient par suite d'infirmer le jugement déféré dans sa disposition mettant Madame Y... hors de cause.
Sur l'action en garantie formée par la société NUOVA, assureur du navire SIX, à l'encontre de la société BC SRL, c'est à bon escient que cette dernière et Madame Y..., au soutien de leur déclinatoire de compétence, invoquent les articles 3, 8 et 13 du contrat d'assurance qui, rédigés en termes analogues, stipulent en substance la compétence exclusive, pour trancher les litiges entre l'assureur et l'assuré, du tribunal du lieu où la partie défenderesse réside ou a élu son domicile ou a son siège social, ou bien celui du siège de l'agence à laquelle la police est allouée. En effet, comme l'indiquent justement les demanderesses à l'exception, en application de ces clauses, la compétence revient aux tribunaux italiens et plus précisément ceux de Rome tant au regard du lieu du siège social de l'assureur qu'en considération du domicile de Madame Y....
La légalité de ces clauses soumettant à la compétence exclusive des juridictions italiennes les litiges opposant un assuré et un assureur tous deux de nationalité italienne sur l'application d'un contrat d'assurance régi par la loi italienne n'est pas mise en cause par la société NUOAVA. Aussi, il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il s'est déclaré incompétent pour statuer sur l'action en garantie considérée.
S'agissant des responsabilités dans l'abordage, elles doivent être appréciées, comme l'ensemble des parties le soutiennent, sur le fondement de la convention de BRUXELLES du 23 septembre 1910, les navires en cause étant ressortissants d'Etat différents mais parties contractantes à ladite convention qui dispose dans son article 3 que " si l'abordage est causé par la faute de l'un des navires, la réparation des dommages incombe à celui qui l'a commise " et dans son article 4 que " s'il y a faute commune, la responsabilité de chacun des navires est proportionnelle à la gravité des fautes respectivement commises ; toutefois, si d'après les circonstances la proportion ne peut pas être établie ou si les fautes apparaissent comme équivalentes, la responsabilité est partagée à parts égale ".
Le rapport d'expertise judiciaire déposé par Monsieur E... le 14 mai 2009 procède d'un examen des éléments de fait complet, minutieux, rigoureux et mené contradictoirement ; il n'a d'ailleurs suscité aucune critique d'ordre juridique ou technique. Les constatations qu'il contient peuvent dès lors servir à la discussion sur l'appréciation des responsabilités d'autant que ces constatations convergent avec celles effectuées dans le cadre de l'expertise privée dont se prévalent Monsieur Z... et ses assureurs.
C'est à bon escient que l'expert judiciaire s'est référé, pour donner son avis, aux dispositions du Règlement International pour Prévenir les Abordages en Mer (RIPAM) qui définissent les règles de conduite des navires.
Il résulte des constatations de cet expert que lorsque l'abordage s'est produit, les routes des deux navires se croisaient et qu'en conséquence, par application de l'article 15 du RIPAM, l'... était tenu de ne pas gêner le passage du Six dans la mesure où ce dernier, venant de sa droite, était vu sur son tribord. L'expert estime dès lors que l'abordage résulte d'un très probable défaut momentané de veille sur l'... mais aussi d'une veille au mieux inefficace sur le Six. En effet, il est admis que ce navire se déplaçait rapidement et que son pilote méconnaissait l'esprit et la lettre du RIPAM en considérant que le fait de venir sur la droite d'un autre navire conférait un droit absolu, une priorité alors qu'en droit maritime il ne s'agit là que d'un privilège qui tombe dès lors qu'il devient manifeste que le navire qui doit se déranger ne s'écarte pas de sa route. Aussi l'expert considère que " au minimum, la faute du Six est aussi importante que celle de l'... ".
Par jugement du tribunal correctionnel d'AJACCIO en date du 26 juin 2009 et devenu définitif, Monsieur Z... a été reconnu coupable d'infractions à l'article 15 du RIPAM mais aussi à l'article 5 disposant que " tout navire doit en permanence assurer une veille visuelle et auditive appropriée, en utilisant également tous les moyens disponibles qui sont adaptés aux circonstances et conditions existantes, de manière à permettre une pleine appréciation de la situation et des risques d'abordage ". Or, comme le soutiennent à juste titre les sociétés NUOVA et BC SRL, les juges civils sont tenus par cette décision en ce qui concerne l'appréciation de la matérialité des faits.
Il résulte encore des pièces du dossier pénal produit aux débats que Monsieur Z..., à la date des faits litigieux, n'avait plus le droit de commander le navire faute d'avoir passé la visite médicale requise. Or, contrairement à ce qu'il soutient, ce manquement n'est pas sans rapport avec les causes de l'abordage car la visite médicale a notamment pour objet de vérifier la pleine capacité des commandants de navire à assurer la veille appropriée imposée par le RIPAM.
De son côté, le commandant du SIX circulait à une vitesse excessive, aux alentours de 15 noeuds, en infraction avec la règle 6 du RIPAM qui impose aux navires d'adopter une vitesse permettant de prendre à temps les mesures pour éviter un abordage. En outre, il n'a pas respecté la règle 8 du même règlement qui commande de manoeuvrer franchement et à temps. La matérialité de ces fautes et leur contribution à l'abordage ne sont d'ailleurs pas contestés par l'armateur du navire et par son assureur. Mais en outre, c'est à juste titre que les assureurs du navire ... relèvent qu'il résulte des pièces du dossier pénal produites aux débats que le commandant du Six était fortement alcoolisé au moment de l'abordage.
Au regard de ces considérations, la cour retient en définitive que Monsieur Z... a pris les commandes de l'... avec 128 personnes à bord alors qu'il n'était plus inscrit aux affaires maritimes et n'avait pas passé la visite médicale obligatoire ; qu'il a tracé sa route sans prêter suffisamment attention aux bateaux naviguant aux alentours, notamment celui qui arrivait sur sa droite violant ainsi les règles de la navigation imposant une veille visuelle et auditive permanente et instaurant un privilège au profit des embarcations arrivant à tribord ; que le pilote du SIX pour sa part, n'a modifié ni sa vitesse au demeurant excessive ni son cap alors qu'il faisait route de collision avec l'..., tentant trop tard, sans doute en raison des effets de la consommation excessive d'alcool à laquelle il s'était livré, une manoeuvre approximative et vouée à l'échec.
La cour estime, d'après les circonstances ainsi caractérisées, que contrairement à la thèse soutenue par Monsieur Z... et ses assureurs, les fautes apparaissent comme équivalentes ainsi que le font valoir à juste titre la propriétaire, l'exploitante et l'assureur du navire Six. En conséquence, la responsabilité de l'abordage doit être partagée à parts égales entre ce navire et l'.... Le jugement déféré doit dès lors être infirmé en ce qu'il a retenu la responsabilité totale du navire Six.
Sur les préjudices réparables, les assureurs de Monsieur Z..., subrogés dans les droits de ce dernier, réclament la somme de 183 000 euros représentant la valeur assurée du navire augmentée des frais de l'expertise amiable et de saisie pour un montant de 5 495, 20 euros.
C'est à bon droit que la société BC SRL, Madame Y... et l'assureur NUOVA font valoir que la valeur agréée, qui est celle sur laquelle l'assureur et l'assuré se sont mis d'accord ne développe pas ses effets à l'égard des tiers pour lesquels seule compte la valeur réelle du navire qui doit s'apprécier au jour du dommage.
Il ressort du dossier que la vedette n'était pas réparable et qu'elle a été considéré en perte totale. Il convient dès lors, pour parvenir à une réparation intégrale dont le principe demeure contrairement aux affirmations de la société NUOVA, de prendre en considération la valeur de remplacement comme le soutient la société BC SRL.
Il ressort des documents produits dans le cadre de l'expertise judiciaire, qu'il existait sur le marché, à la date du sinistre, une vedette similaire, " Iles d'Or XVI ", présentant les mêmes caractéristiques que l'..., construite par le même chantier naval à des dates rapprochées. La valeur de cette vedette, estimée à 55 000 euros à la date du sinistre, peut dès lors être prise en considération, comme le soutient la société BC SRL, pour apprécier le préjudice résultant de la perte de l'....
Il convient cependant, comme le demandent à bon droit les assureurs de ce navire, de prendre en considération pour apprécier sa valeur réelle, le fait qu'il avait été équipé de moteurs neufs en 2004, qu'il était parfaitement entretenu et qu'il présentait un réel esthétisme.
Il convient encore de tenir compte de la valeur d'exploitation, comme le soutiennent les assureurs, dans la mesure où leur assuré a été incontestablement privé, du fait des conséquences de l'abordage, des fruits que lui rapportait le transport de passagers auquel le navire était exclusivement affecté.
Au vu de ces considérations et en fonction des justificatifs produits sur chaque poste retenu, il convient de fixer le préjudice indemnisable subi par le navire ... à la somme de 150 000 euros. En revanche les frais de l'expertise privée à laquelle les assureurs ont recouru et ceux générés par la saisie judiciaire qui a été ordonnée doivent être exclus du préjudice réparable.
Compte tenu du partage de responsabilité qui a été ordonné, il convient d'allouer aux trois sociétés d'assurance incontestablement subrogées dans les droits de Monsieur Z... la moitié de la somme précitée soit 75 000 euros augmentés des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt puisque celui-ci fixe le montant de l'indemnité. Les dispositions du jugement déboutant la société ALLIANZ de sa demande d'indemnisation sera en conséquence infirmée.
La société BCL SRL, en sa qualité d'exploitant du navire Six également endommagé lors de l'abordage litigieux, est tout autant en droit, comme déjà indiqué, d'obtenir réparation de son préjudice sur lequel elle produit des justificatifs qui ont été examinés par l'expert judiciaire contrairement à que Monsieur Z... et ses assureurs soutiennent. Il résulte des vérifications effectuées que la demanderesse a incontestablement supporté des frais de remise en état se composant ainsi qu'il suit :
- réparation de la coque et stationnement : 17 000 euros-manutention : 4 000 euros-sortie de l'eau et remise à l'eau : 1 400 euros-réparation de l'ancre : 3 800 euros-vide de protection : 5 000 euros-réfection du gel-coat : 2 000 euros Total : 33 200 euros.

Il convient dès lors, infirmant le jugement déféré qui a débouté la société BC SRL de toutes ses demandes, d'attribuer à celle-ci la moitié de la dite somme, soit 16 600 euros, dont le paiement sera mis à la charge de Monsieur Z... et de ses assureurs solidairement.
Sur l'obligation pour la société NUOVA de garantir le sinistre, cet assureur se prévaut pour tenter de s'y soustraire d'une clause du contrat d'assurance stipulant que " l'assurance est inopérante en cas d'embarcation conduite par des personnes en état d'ivresse ou sous l'emprise de substances en violation des dispositions en vigueur " et qui, à ses dires, s'analyse en une déchéance de bénéfice de garantie.
Toutefois, c'est à bon droit que les assureurs de l'... ainsi que Madame Y... et la société BC SRL soutiennent, en premier lieu que l'action de la victime contre l'assureur est régie par la loi du lieu du dommage, en l'espèce la loi française qui institue le principe de l'action directe consacré par les articles L 173. 23 et L 173. 8 du code des assurances ; en deuxième lieu que la clause invoquée par NUOVA ne prévoit, dans l'hypothèse qu'elle retient, qu'une action récursoire au profit de l'assureur ce qui signifie que la déchéance ou l'exclusion édictée n'est pas opposable au tiers victime ; en troisième lieu que l'assurance de responsabilité des navires n'est pas facultative en droit italien comme le prétend NUOVA mais bien obligatoire ainsi qu'il ressort des dispositions de l'article 123 du code des assurances italien produit aux débats après traduction et que dans ces conditions le tiers victime ne peut se voir opposer ni une déchéance ni une exclusion de garantie en application de l'article 144 du même code qui doit être pris en considération pour apprécier l'étendue de la garantie de l'assureur.
Il suit de là que la société NUOVA est tenu de garantir son assuré des condamnations mises à sa charge.
Le sort réservé aux demandes indemnitaires présentées par les assureurs du navire ... suffit à démontrer qu'en y résistant, les société NUOVA et BC SRL n'ont pas adopté un comportement abusif. La demande en paiement de dommages et intérêts formée de ce chef doit dès lors être rejetée.
Aucune considération n'impose l'application, en première instance comme en appel, des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Les parties succombant partiellement dans leur prétentions respectives, il convient de procéder entre elles à un partage des dépens par moitié.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Constate que la société MARINA SARDA n'a pas d'existence juridique et ne constitue que l'enseigne sous laquelle la société BC SRL exploite le navire SIX,
Dit qu'en conséquence aucune condamnation ne peut être prononcée contre MARINA SARDA,
Déclare la société de droit italien BC SRL recevable en ses demandes,
Confirme le jugement déféré en ce qu'il s'est déclaré incompétent pour statuer sur la demande de garantie formée par la société NUOVA MAA ASSICURAZIONE à l'encontre de la SRL BC et en ce qu'il a rejeté toutes les demandes formées en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
L'infirme dans toutes ses autres dispositions,
Statuant à nouveau,
Dit que la responsabilité de l'abordage survenu le 15 août 2007 entre le navire Six et le navire ... doit être partagée à parts égales entre les deux navires,
Fixe à la somme de CENT CINQUANTE MILLE EUROS (150 000 euros) le préjudice indemnisable de la société ALLIANZ GLOBAL CORPORATE et SPECIALTY, de la société AXA CORPORATE SOLUTIONS, de la société COVEA FLEET, assureurs du navire ...,
Compte tenu du partage de responsabilité, condamne solidairement Madame Alessandra Y..., la société BC SRL et la société NUOVA MAA ASSICURAZIONI au paiement de la somme de SOIXANTE QUINZE MILLE EUROS (75 000 euros) outre intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt,
Fixe à la somme de TRENTE TROIS MILLE DEUX CENTS EUROS (33 200 euros) le préjudice subi par la société BC SRL,
Compte tenu du partage de responsabilités, condamne solidairement Monsieur Vincent Z... et la société ALLIANZ GLOBAL CORPORATE et SPECIALTY, la société AXA CORPORATE SOLUTIONS, la société COVEA FLEET au paiement de la somme de SEIZE MILLE SIX CENTS (16 600 euros) outre intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt,
Rejette toutes les autres demandes,
Fait masse des dépens de première instance et d'appel en ce compris le coût de l'expertise judiciaire et dit qu'ils seront supportés à concurrence de la moitié par Monsieur Vincent Z..., la société ALLIANZ GLOBAL CORPORATE et SPECIALTY, la société AXA CORPORATE SOLUTIONS, la société COVEA FLEET d'une part, la société BC SRL, Madame Alessandra Y... et la société NUOVA MAA ASSICURAZIONI d'autre part.
LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bastia
Formation : Chambre civile
Numéro d'arrêt : 11/00314
Date de la décision : 23/05/2012
Sens de l'arrêt : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée
Type d'affaire : Civile

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.bastia;arret;2012-05-23;11.00314 ?
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