Ch. civile B
ARRET No
du 14 SEPTEMBRE 2011
R. G : 09/ 00777 C-PH
Décision déférée à la Cour : jugement du 03 août 2009 Tribunal de Commerce d'AJACCIO R. G : 08/ 4409
X...
C/
Z...
COUR D'APPEL DE BASTIA
CHAMBRE CIVILE
ARRET DU
QUATORZE SEPTEMBRE DEUX MILLE ONZE
APPELANT :
Monsieur Amandio X......
représenté par la SCP René JOBIN Philippe JOBIN, avoués à la Cour
assisté de la SCP MARIAGGI-BOLELLI, avocats au barreau d'AJACCIO plaidant en visioconférence
INTIME :
Maître Jean Pierre Z...Pris en sa qualité de liquidateur judiciaire de l'EURL A. T. B. T ...
représenté par la SCP Antoine CANARELLI-Jean-Jacques CANARELLI, avoués à la Cour
assisté de Me Stéphane RECCHI, avocat au barreau d'AJACCIO plaidant en visioconférence
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 910 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 16 juin 2011, devant Monsieur Philippe HOAREAU, Conseiller, et Madame Marie-Paule ALZEARI, Conseiller, l'un de ces magistrats ayant été chargé du rapport, sans opposition des avocats.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Julie GAY, Président de chambre Monsieur Philippe HOAREAU, Conseiller Madame Marie-Paule ALZEARI, Conseiller
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Madame Marie-Jeanne ORSINI.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aura lieu par mise à disposition au greffe le 14 septembre 2011.
MINISTERE PUBLIC :
Auquel l'affaire a été régulièrement communiquée le 20 mai 2010 et qui a fait connaître son avis, dont les parties ont pu prendre connaissance.
ARRET :
Contradictoire,
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Julie GAY, Président de chambre, et par Madame Marie-Jeanne ORSINI, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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* *Vu le jugement du 3 août 2009 du Tribunal de commerce d'AJACCIO qui a :
dit que Monsieur Amandio X...doit supporter personnellement les dettes de la société APPLICATION TECHNIQUE BATIMENT TRADITIONNEL (ATBT) à concurrence de la somme de 769 326, 90 euros,
l'a condamné en conséquence à payer la somme de 769 326, 90 euros entre les mains de Maître Jean-Pierre Z..., liquidateur,
ordonné la publication prévue par l'article L 651-2 du code de commerce,
dit que la décision est exécutoire de plein droit,
l'a condamné à payer la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens,
passé les frais de publication en frais privilégiés de procédure collective.
Vu la déclaration d'appel déposée le 26 août 2009 pour Monsieur X....
Vu les dernières conclusions de l'appelant du 15 décembre 2010 aux fins de voir :
à titre principal, prononcer la nullité de la procédure au motif de l'absence de comparution du gérant en chambre du conseil,
à défaut, infirmer le jugement entrepris en l'absence de démonstration de fautes de gestion à l'origine de l'insuffisance d'actif alléguée et dire n'y avoir lieu à condamnation à supporter l'insuffisance d'actif,
en toute hypothèse, débouter Maître Z...de toutes ses demandes et le condamner au paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Vu les dernières conclusions de Maître Z...agissant en qualité de liquidateur de l'EURL ATBT du 10 février 2011 aux fins de confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions et de voir condamner Monsieur X...au paiement de la somme de 3 580 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de l'instance.
Vu l'avis du Ministère Public du 27 mai 2010, s'en rapportant.
Vu l'ordonnance de clôture du 6 avril 2011.
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Par jugement du 5 novembre 2007, le Tribunal de commerce d'AJACCIO a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société ATBT.
Par jugement du 11 février 2008, cette juridiction a rejeté la demande d'extension de la procédure collective au gérant de la société ATBT et a prononcé la liquidation judiciaire en désignant Maître Jean-Pierre Z...en qualité de liquidateur judiciaire et en fixant au 6 mai 2006 la date de cessation des paiements.
Par acte d'huissier du 28 novembre 2008, Maître Z...a assigné Monsieur Amandio X..., gérant de la société ATBT sur le fondement de l'article L 651-2 du code de commerce afin d'obtenir sa condamnation à supporter l'insuffisance d'actifs constatée, évaluée à 769 326, 90 euros, à payer la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et les entiers dépens.
Par jugement du 3 août 2009, le Tribunal de commerce d'AJACCIO a accueilli les demandes du liquidateur tout en limitant à la somme de 1 000 euros due en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Devant la Cour, Monsieur Amandio X...invoque la nullité de la procédure pour défaut de comparution personnelle du dirigeant en cause et inobservation des dispositions de l'article 164 du décret du 27 décembre 1985.
Il indique que l'assignation sollicitait sa comparution mais que le tribunal a statué sur la demande du liquidateur sans qu'ait eu lieu cette audition. Il fait valoir que le procès-verbal versé aux débats montre que cette audition n'aura été que de pure forme.
L'appelant se prévaut de l'autorité de la chose jugée du jugement de liquidation judiciaire du 11 février 2008 qui a rejeté la demande d'extension de la procédure collective au gérant en retenant qu'il n'avait pas commis de faute. Il considère que le tribunal ne pouvait méconnaître son propre jugement.
Il conteste l'existence d'une faute de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif et indique qu'il n'est pas de la notification des décisions d'admission de créance au dirigeant et que plusieurs créances sont inscrites de manière indue au passif.
Il soutient que la démonstration du lien de causalité des fautes de gestion alléguées avec l'insuffisance d'actif n'est pas effectuée. Il fait valoir que les dettes de la société nées après le jugement d'ouverture ne doivent pas être prises en compte, qu'il détient l'intégralité des pièces comptables mais n'a pu honorer une facture de son expert comptable, ce qui explique l'absence de présentation des bilans 2007 et 2008, et que sa comptabilité était à jour jusqu'à la mise en redressement judiciaire.
Il relève que la régularisation de la comptabilité devrait d'ailleurs permettre de réduire le passif qui résulte en grande partie de taxations d'office et précise avoir saisi un nouveau cabinet comptable.
Il conteste le reproche de défaut de collaboration durant la période d'observation et souligne qu'il avait sollicité la liquidation dès le début de la procédure collective et qu'il n'est en conséquence pas responsable de la créance salariale résultant des quatre mois de période d'observation.
Il fait valoir que les actifs n'ont été ni détournés ni dissipés mais bien cédés au profit de la société GEDIMAT, bien avant l'ouverture de la procédure collective et qu'il existe des créances à recouvrer.
Il considère que la condamnation personnelle du dirigeant à supporter l'intégralité du passif serait d'une sévérité incroyable et aurait pour résultat que des créanciers seraient payés deux fois.
Maître Z...réplique en indiquant que l'assignation invitait le dirigeant à comparaître et que Monsieur X...a comparu en personne, ainsi qu'en attestent les notes d'audience tenues par le greffier.
Il indique que le tribunal avait motivé de manière très prudente l'absence d'extension de la procédure au gérant et que le jugement du 11 février 2008 n'a pas d'autorité de chose jugée quant à la faute appréciée dans le cadre de l'article L 651-2 du code de commerce, qui constitue un régime spécial de responsabilité du dirigeant.
Il fait valoir que les fautes de gestion sont en l'espèce nombreuses et graves, que l'actif est nul, que le gérant a poursuivi une activité déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la faillite dans le but de favoriser certains créanciers fournisseurs, que la société accumulait des pertes depuis 2006 avec un résultat négatif de 201 892 euros.
Il reproche au dirigeant d'avoir favorisé un créancier au profit d'autres et précise qu'aucune facture de vente de matériels n'est produite alors que Monsieur X...affirme avoir vendu du matériel pour 192 000 euros mais ne justifie d'aucun crédit sur ses comptes.
Il indique que le dirigeant a tout mis en oeuvre pour éviter le placement en redressement judiciaire et que l'absence de production de la comptabilité des exercices 2007 et 2008 laisse présumer qu'elle n'a pas été normalement et régulièrement tenue, ce qui a eu un effet sur l'importance du passif.
Il précise avoir dû licencier 21 salariés et les indemniser pour 94 773 euros et note le désintérêt du dirigeant à l'égard de la procédure de liquidation, son refus de fournir les documents permettant le recouvrement des créances clients qui au 30 décembre 2006 apparaissent au bilan pour 390 839 euros. Il considère qu'il y a eu détournement ou dissipation des actifs et regrette l'absence de participation du dirigeant à la procédure de vérification du passif ayant abouti à un état des créances publié au BODACC, ce qui interdit de discuter désormais des déclarations de créance.
Il demande que le dirigeant qui a commis de nombreuses fautes et n'a pas collaboré à la procédure soit condamné à supporter la totalité du passif.
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MOTIFS :
L'assignation du 28 novembre 2008 précisait en son dispositif que la condamnation à l'insuffisance d'actif était demandée après audition du dirigeant en chambre du conseil. Le procès-verbal d'audition en chambre du conseil du 9 mars 2009 mentionne la présence de Monsieur X...qui a signé le procès-verbal et celle de son conseil. L'appelant est en conséquence mal fondé à soutenir que le préalable obligatoire à toute sanction commerciale n'a pas été respecté. Il avait la possibilité de faire valoir tous ses moyens lors de cette comparution et sa demande d'annulation de la procédure sera rejetée.
Le jugement du 11 février 2008 qui a prononcé la liquidation judiciaire de la société ATBT a rejeté la demande présentée par le Ministère Public d'extension de la procédure au gérant en indiquant qu'il ne semblait pas y avoir de faute du dirigeant mais une exploitation déficitaire due aux difficultés de la société. La juridiction commerciale n'était alors pas saisie d'une demande présentée par le liquidateur judiciaire sur le fondement de l'article L 651-2 du code de commerce. Le jugement rendu n'ayant, par application des dispositions de l'article 480 du code de procédure civile, autorité de la chose jugée que relativement à la contestation qu'il tranche, l'appelant est mal fondé à soutenir que le jugement du 11 février 2008 interdit au liquidateur judiciaire de faire état d'une faute de gestion du dirigeant de nature à entraîner sa condamnation à supporter tout ou partie de l'insuffisance d'actif. Cette faute de gestion peut d'ailleurs apparaître postérieurement au jugement de liquidation, lors des opérations de vérification du passif, et le moyen tiré de l'autorité de la chose jugée sera rejeté.
Le liquidateur judiciaire a versé aux débats la lettre recommandée du 20 février 2008 de convocation de Monsieur X...aux opérations de vérification du passif ainsi que la publication au BODACC du 9 septembre 2009 de l'avis de dépôt de l'état des créances du 25 août 2009. Il appartenait au gérant de la société ATBT de contester en temps utile les créances déclarées et de fournir au liquidateur les pièces lui permettant de recouvrer efficacement le compte clients de la société. L'appelant est en conséquence mal fondé à contester l'insuffisance d'actif constatée par le liquidateur judiciaire de la société ATBT.
L'appelant conteste avoir commis une faute de gestion mais ainsi que l'ont justement retenu les premiers juges dès l'exercice 2006 la société ATBT a présenté un résultat négatif de 202 892 euros, avec une perte des capitaux propres, qui aurait dû conduire son gérant à prendre des décision conformes aux intérêts de la société et de ses créanciers.
L'impossibilité de régler une facture de l'expert comptable en fin d'année 2007 est révélatrice de l'état de cessation des paiements mais n'interdisait pas au gérant de tenir les livres obligatoires et de les présenter au liquidateur en temps utile. Leur remise en septembre 2010 est tardive.
La carence comptable et l'absence de situation de trésorerie concernant l'année 2008 ont privé le gérant d'un outil de gestion qui lui aurait permis de connaître l'absence de rentabilité de l'entreprise et la nécessité de procéder à la déclaration des paiements sans poursuite d'activité préjudiciable aux créanciers.
La poursuite d'une exploitation déficitaire constitue dans ces conditions une faute de gestion justifiant une condamnation en comblement de passif et l'appelant ne peut pas utilement invoquer la demande de liquidation judiciaire, qu'il a présentée à l'ouverture de la procédure collective pour soutenir qu'il n'est pas responsable du passif lié au licenciement des salariés par le liquidateur, du fait que le gérant pouvait, avec l'autorisation du juge commissaire, procéder aux licenciements nécessaires sans attendre l'issue de la procédure collective.
L'appelant a contesté la créance de la société GEDIMAT en produisant une liste de matériels récupérés par cette société pour un montant de 192 500 euros à fin de compensation mais, ainsi que l'ont retenu les premiers juges, le règlement d'un créancier au détriment de l'ensemble des créanciers constitue une faute grave et ce d'autant qu'elle prive l'entreprise d'outils de production utiles au redressement d'une entreprise employant plus de vingt salariés.
L'ensemble de ces fautes présente un lien de causalité certain avec l'aggravation de l'insuffisance d'actif qui s'élève selon le liquidateur à la somme de 769 326, 90 euros et il y a lieu en conséquence de confirmer le principe de la sanction prononcée par les premiers juges.
L'absence de collaboration de Monsieur X...avec le représentant des créanciers pendant la période d'observation apparaît dans la lettre de Maître Z...du 17 décembre 2007 adressée au juge commissaire dans laquelle il l'informait que le dirigeant ne s'était jamais présenté à son étude et n'avait communiqué aucun élément, ce qui rendait la conversion de la procédure en liquidation judiciaire inévitable. Cette carence préfigurait celle observée dans la procédure de vérification des créances.
Une partie du passif est en relation avec cette attitude et des créances de la société ATBT n'ont vraisemblablement pas été recouvrées alors qu'elles l'auraient été si le dirigeant avait établi et transmis les documents nécessaires. Il y a lieu également de considérer que le résultat de l'exercice 2006 de la société ATBT était négatif de 202 892 euros. Dans ces conditions, la Cour ne condamnera pas Monsieur X...à la totalité de l'insuffisance d'actif et limitera sa condamnation à la somme de 400 000 euros.
L'équité commande de confirmer la condamnation prononcée en première instance sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et d'allouer à l'intimée la somme de 2 000 euros de ce chef au titre des frais non taxables d'appel.
L'appelant qui succombe supportera les entiers dépens de l'instance.
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PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Confirme le jugement du tribunal d'AJACCIO du 3 août 2009 en toutes ses dispositions à l'exception de celle fixant le montant de l'insuffisance d'actif mis à la charge de Monsieur Amandio X...,
Statuant de nouveau de ce chef,
Condamne Monsieur Amandio X...à payer à Maître Jean-Pierre Z..., en qualité de liquidateur judiciaire de la société APPLICATION TECHNIQUE BATIMENT TRADITIONNEL, la somme de QUATRE CENT MILLE EUROS (400 000 €),
Y ajoutant,
Rejette l'ensemble des demandes de Monsieur Amandio X...,
Le condamne à verser à Maître Jean-Pierre Z..., ès-qualités de liquidateur judiciaire, la somme de DEUX MILLE EUROS (2 000 €) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne Monsieur Amandio X...aux entiers dépens.
LE GREFFIER LE PRESIDENT