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09/03/2011 | FRANCE | N°07/00190

France | France, Cour d'appel de Bastia, Ch. civile a, 09 mars 2011, 07/00190


Ch. civile A

ARRET du 09 MARS 2011
R. G : 07/ 00190 C-CGA
Décision déférée à la Cour : jugement du 08 janvier 2007 Tribunal de Grande Instance d'AJACCIO R. G : 05/ 680

S. A GAN ASSURANCES IART

C/
X...Y...Z...FONDS DE GARANTIE DES ASSURANCES OBLIGATOIRES DE DOMMAGES MUTUALITE SOCIALE AGRICOLE DE LA CORSE

COUR D'APPEL DE BASTIA
CHAMBRE CIVILE
ARRET DU NEUF MARS DEUX MILLE ONZE
APPELANTE :
S. A GAN ASSURANCES IART Compagnie française d'assurances et de réassurances incendie, accidents et risques divers Prise en la personne de son

représentant légal en exercice 8-10 Rue d'Astorg 75383 PARIS CEDEX 08

représentée par la SCP Anto...

Ch. civile A

ARRET du 09 MARS 2011
R. G : 07/ 00190 C-CGA
Décision déférée à la Cour : jugement du 08 janvier 2007 Tribunal de Grande Instance d'AJACCIO R. G : 05/ 680

S. A GAN ASSURANCES IART

C/
X...Y...Z...FONDS DE GARANTIE DES ASSURANCES OBLIGATOIRES DE DOMMAGES MUTUALITE SOCIALE AGRICOLE DE LA CORSE

COUR D'APPEL DE BASTIA
CHAMBRE CIVILE
ARRET DU NEUF MARS DEUX MILLE ONZE
APPELANTE :
S. A GAN ASSURANCES IART Compagnie française d'assurances et de réassurances incendie, accidents et risques divers Prise en la personne de son représentant légal en exercice 8-10 Rue d'Astorg 75383 PARIS CEDEX 08

représentée par la SCP Antoine CANARELLI-Jean-Jacques CANARELLI, avoués à la Cour
assistée de Me Robert TERRAMORSI, avocat au barreau d'AJACCIO plaidant en visioconférence.
INTIMES :
Monsieur Philippe X...né le 25 Avril 1971 à AJACCIO (20000) ...20100 SARTENE

représenté par Me Antoine-Paul ALBERTINI, avoué à la Cour
assisté de Me Marc MONDOLONI, avocat au barreau d'AJACCIO

Monsieur Rahal Y...né le 01 Janvier 1954 à OULED NACER (MAROC) ...... 20100 SARTENE

représenté par la SCP RIBAUT BATTAGLINI, avoués à la Cour
ayant pour avocat Laurence GAERTNER DE ROCCA SERRA, avocat au barreau de BASTIA
Monsieur Ahmed Z......... 20100 SARTENE

représenté par Me Antoine CANARELLI, avoué à la Cour
assisté de Me Robert TERRAMORSI, avocat au barreau d'AJACCIO plaidant en visioconférence.

FONDS DE GARANTIE DES ASSURANCES OBLIGATOIRES DE DOMMAGES Pris en la personne de son représentant légal en exercice 64 Rue Defrance 94300 VINCENNES

représenté par la SCP René JOBIN Philippe JOBIN, avoués à la Cour ayant pour avocat Me Sophie PERREIMOND, avocat au barreau de BASTIA

MUTUALITE SOCIALE AGRICOLE DE LA CORSE Prise en la personne de son représentant légal en exercice Parc Cunéo d'Ornano 20000 AJACCIO

défaillante

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue à l'audience publique du 06 décembre 2010, devant la Cour composée de :
Madame Julie GAY, Président de chambre Madame Catherine GIRARD-ALEXANDRE, Conseiller Madame Rose-May SPAZZOLA, Conseiller

qui en ont délibéré.

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Madame Sophie DUVAL.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aura lieu par mise à disposition au greffe le 09 février 2011, prorogée par le magistrat par mention au plumitif au 09 mars 2011.

ARRET :

Réputé contradictoire,

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Julie GAY, Président de chambre, et par Madame Sophie DUVAL, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*

* * EXPOSE DU LITIGE

Le 9 juillet 1999, sur la route nationale 196 sur le territoire de la commune de SARTENE en direction de PROPRIANO, Monsieur Philippe X...qui pilotait une moto sur laquelle avait pris place en qualité de passagère Madame Muriel H..., entreprenait une man œ uvre de dépassement d'un véhicule automobile conduit par Monsieur Ahmed Z..., assuré auprès de la société GROUPE DES ASSURANCES NATIONALES (ci-après dénommé le GAN), et a percuté le véhicule précédant ce dernier, piloté par Monsieur Rahal Y..., non assuré, qui tournait sur sa gauche afin de rejoindre une voie privée.

Madame H...est décédée et Monsieur X...a été blessé.

La Chambre correctionnelle de la Cour d'appel de BASTIA a, par arrêt en date du 3 juillet 2002, confirmé en ses dispositions pénales le jugement du Tribunal correctionnel d'AJACCIO en date du 23 février 2001, ayant notamment relaxé Monsieur X...des chefs d'homicide involontaire, blessures involontaires avec incapacité inférieure ou égale à trois mois à l'occasion de la conduite d'un véhicule et dépassement par la gauche d'un véhicule tournant à gauche.

Par ordonnance en date du 9 décembre 2003, le juge des référés du Tribunal de grande instance d'AJACCIO a ordonné une expertise médicale sur la personne de Monsieur X..., ainsi qu'une expertise comptable, et a condamné in solidum Monsieur Y...et le GAN à lui payer une indemnité provisionnelle de 12. 000 euros.

Par arrêt du 23 novembre 2005, la Cour d'appel de BASTIA a confirmé l'ordonnance susvisée, à l'exception de sa disposition ayant condamné le GAN à payer une provision, en l'état de la contestation sérieuse existant quant à l'implication du véhicule de Monsieur Z....

Par ailleurs, par actes en date des 7 et 8 juin 2005, Monsieur X...a fait assigner devant le Tribunal de grande instance d'AJACCIO Monsieur Y..., Monsieur Z..., le GAN, le Fonds de Garantie des Assurances Obligatoires de Dommages (ci-après dénommé FGAO) en présence de la Mutualité Sociale Agricole de la Corse (MSA), aux fins d'obtenir réparation de son préjudice.

Par jugement en date du 8 janvier 2007, le Tribunal de Grande Instance d'AJACCIO a, avec exécution provisoire :

- dit que les véhicules de Monsieur Y...et de Monsieur Z...sont impliqués dans l'accident litigieux,
- condamné in solidum Monsieur Y..., Monsieur Z...et le GAN à payer à Monsieur X...la somme totale de 1. 169. 074, 76 euros, provision non déduite,
- dit que le montant des indemnités allouées produira intérêts de plein droit au double du taux légal à compter du 9 mars 2000 et jusqu'au jour où le jugement sera devenu définitif,
- condamné in solidum Monsieur Y..., Monsieur Z...et le GAN à payer à Monsieur X...la somme de 1. 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le GAN a interjeté appel le 9 mars 2007, Monsieur Z...le 16 mars 2007, et Monsieur Y...le 21 mars 2007. Les trois instances ont été jointes par ordonnance du Conseiller de la mise en état du 3 octobre 2007.

Statuant sur la demande de suspension de l'exécution provisoire assortissant le jugement critiqué formulée par le GAN et Monsieur Z..., le Premier Président de cette Cour a, par ordonnance du 10 avril 2007, rejeté cette demande, mais a dit y avoir lieu à aménagement partiel de la condamnation, autorisant ainsi le GAN et Monsieur Z...à consigner entre les mains du Bâtonnier du barreau d'AJACCIO, institué séquestre, la moitié du montant des condamnations prononcées.

Par arrêt mixte en date du 19 novembre 2008, la Cour a :

- confirmé le jugement du Tribunal de grande instance d'AJACCIO en date du 8 janvier 2007 en ce qu'il a dit que le véhicule de Monsieur AL MADADAOUI était impliqué dans l'accident dommageable survenu le 9 juillet 1999, alloué à Monsieur X...une indemnité de 16. 500 euros en réparation du déficit fonctionnel temporaire, et une indemnité de 3. 200 euros au titre du préjudice esthétique permanent, et dit que le montant des indemnités allouées produira intérêts de plein droit au double du taux légal à compter du 9 mars 2000 et jusqu'au jour où le jugement sera devenu définitif,

- infirmé le jugement sur le surplus,

- statuant de nouveau du chef des dispositions infirmées,
- avant dire droit sur les demandes au titre de la perte de gains professionnels actuels subi pendant la période d'incapacité temporaire totale et partielle et du préjudice économique après consolidation consécutif à l'incapacité permanente partielle, ordonné un complément d'expertise confiée à Madame Lyne I..., demeurant ..., avec pour mission d'analyser les conditions d'exploitation de l'activité vinicole exercée par Monsieur X..., de dire si les charges supplémentaires d'exploitation ou financières supportées par Monsieur X...postérieurement à l'accident litigieux, qu'il conviendra d'analyser et de détailler, sont imputables aux seules conséquences de l'accident, ou si elles ne résultent pas, au moins en partie, de l'augmentation d'activité réelle par rapport à l'activité prévue, et le cas échéant, donner à la Cour tous éléments permettant de déterminer dans quelle proportion elles résultent de l'une ou l'autre de ces causes et de chiffrer le préjudice effectif exclusivement imputable à l'accident litigieux, tant au titre de la période d'incapacité temporaire totale et partielle que postérieurement à la consolidation,
- condamné in solidum Monsieur Rahal Y..., Monsieur Ahmed Z...et la compagnie GAN ASSURANCES IARD à payer à Monsieur X...la somme de 142. 700 euros au titre des préjudices extrapatrimoniaux,
- débouté Monsieur X...de sa demande au titre du préjudice d'agrément,
- dit que la créance de la Mutualité Sociale Agricole de la Corse s'élève à la somme de 60. 740, 15 euros au titre des dépenses de santé actuelles,
- dit qu'il sera sursis à statuer sur les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens.

Par arrêt en date du 6 mai 2010, la Cour de cassation a déclaré non admis le pourvoi formé par Monsieur X....

L'expert a déposé son rapport le 28 mai 2010.

En ses dernières conclusions en date du 15 novembre 2010 auxquelles il est expressément référé pour plus ample exposé de ses moyens et prétentions, Monsieur X...demande de condamner in solidum Monsieur J..., Monsieur Z...et la compagnie GAN ASSURANCES IARD à lui payer les sommes suivantes :

-60. 740, 15 euros au titre des dépenses de santé actuelles,
-100. 254, 25 euros avec intérêts de plein droit au double des intérêts au taux légal à compter du 9 mars 2000 en réparation du préjudice patrimonial temporaire,
-83. 343, 73 euros en réparation du déficit patrimonial permanent au titre des exercices 2003 et 2004 s'achevant au 31 août 2004, avec intérêts au double des intérêts au taux légal à compter du 9 mars 2000,
-654. 617, 12 euros en réparation du déficit patrimonial permanent postérieur au 31 août 2004.
Il sollicite également la condamnation de « tout succombant » à lui verser la somme de 4. 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par leurs dernières écritures déposées le 8 novembre 2010 auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé complet de leurs moyens et prétentions, la compagnie GAN ASSURANCES IARD et Monsieur Z...demandent de dire que les charges supplémentaires après consolidation (perte de gains temporaires et futurs) ne sont pas constitutives d'un préjudice mais d'un coût d'exploitation normal pour atteindre un nouveau chiffre d'affaires et de bénéfices nettement plus élevés après la consolidation, de débouter Monsieur X...de ses demandes en réparation des préjudices visés par la Cour en son précédent arrêt, sauf à évaluer à 38. 217 euros la perte de gains professionnels actuels, et d'ordonner l'imputation au bénéfice des organismes sociaux, poste par poste, de la créance de ceux-ci.

Très subsidiairement, ils demandent de « préciser le fondement juridique du droit à réparation en cas d'absence de perte de revenu comptable, directement imputable à l'invalidité rémanente, et sous cette réserve, de déterminer la part indemnisable et en réduire la réparation à de plus justes proportions ».

En ses dernières écritures déposées le 8 octobre 2010, Monsieur Y...font valoir que les charges supplémentaires mises en exergue par l'expert après consolidation ne sont pas constitutives d'un préjudice mais d'un coût d'exploitation normal, et demandent en conséquence de rejeter l'ensemble des demandes de Monsieur X....

Le Fonds de Garantie des assurances obligatoires de dommages demande de prononcer sa mise hors de cause et de le décharger des dépens de l'instance.

L'instruction de l'affaire a été déclarée close par ordonnance du 15 novembre 2010.

*
* *
MOTIFS DE LA DECISION :

Au préalable, il convient de relever que l'arrêt du 19 novembre 2008 est affecté d'une erreur matérielle, qu'il convient de rectifier d'office, en ce que la somme allouée au titre du déficit fonctionnel permanent est de 120. 000 euros et non de 105. 000 euros, de sorte que la somme globale revenant à Monsieur X...en réparation des préjudices non soumis au recours des organismes sociaux tiers-payeurs s'élève à 157. 700 euros et non à 142. 700 euros comme indiqué dans le dispositif.

Par ailleurs, il y a lieu également de prononcer la mise hors de cause du Fonds de Garantie des assurances obligatoires de dommages.

Enfin, la demande formulée par Monsieur X...dans le dispositif de ses écritures relativement aux dépenses de santé actuelles sera rejetée, s'agissant de frais exposés par la Mutualité Sociale Agricole pour son compte et non de frais restés à sa charge, et d'ores et déjà pris en compte au titre de la créance subrogatoire de cet organisme par l'arrêt du 19 novembre 2008 devenu définitif par l'effet de la non-admission du pourvoi de Monsieur X...sur ce point.

- SUR L'INDEMNISATION DES PERTES DE GAINS PROFESSIONNELS ACTUELS ET FUTURS :

Il importe de rappeler qu'aux termes des conclusions de l'expertise médicale établie le 3 février 2004 par le Docteur K...accompagné de l'avis sapiteur du Docteur L..., pneumologue, Monsieur X..., qui était âgé de 32 ans lors de la consolidation de son état de santé consécutif à l'accident survenu le 9 juillet 1999, et qui exerçait alors la profession d'agriculteur exploitant d'une propriété viticole, a subi un traumatisme crânien avec perte de connaissance initial, un traumatisme dorsolombaire avec fracture en D9- D11- D12, une contusion pulmonaire, un traumatisme du genou droit avec luxation de la rotule.

Il a été en état d'incapacité temporaire totale professionnelle pendant deux années, soit jusqu'au 9 juillet 2001, et partielle pour la réalisation de toutes les activités physiques ou nécessitant des efforts jusqu'à la date de consolidation fixée au 1er février 2003.

Les séquelles imputables de façon certaine et directe à l'accident sont constituées d'une pathologie respiratoire importante avec une dyspnée importante à l'effort et une capacité pulmonaire totale très diminuée à 46 % de la valeur théorique, de dorso-lombalgies quotidiennes majeures dues à la chirurgie réparatrice des fractures vertébrales étagées

interdisant tout effort de portage ou de soulèvement, de douleurs et d'une gêne fonctionnelle au niveau du membre inférieur droit, de troubles du comportement entrant dans le cadre d'une pathologie anxio-réactionnelle post traumatique, et d'une limitation des mouvements globaux du genou droit avec laxité.

Ces séquelles ont entraîné sa mise en invalidité 2e catégorie le 1er février 2003 par la Mutualité Sociale Agricole, étant précisé que Monsieur X...ne perçoit pas de pension d'invalidité en raison du montant de ses revenus, et justifient un taux d'incapacité permanente partielle ou de déficit fonctionnel permanent évalué à 50 %.

L'expert précise enfin que Monsieur X...ne peut poursuivre des activités physiques ou des activités nécessitant des efforts de déambulation ou de station debout prolongée ou tout effort de soulèvement de poids, quel que soit le type de profession, et est toujours apte médicalement à pratiquer des activités de bureau, ou toute activité ne nécessitant pas d'effort physique.

Par ailleurs, l'expert comptable initialement désigné par ordonnance de référé du 9 décembre 2003, Madame I..., avait pour mission d'évaluer les éventuelles pertes d'exploitation, qu'il s'agisse de la production ou de la commercialisation, ainsi que les charges exceptionnelles d'exploitation ou financières, et tous autres préjudices économiques et financiers subis par l'entreprise vinicole de Monsieur X..., qui résultent de façon certaine de l'accident de la circulation dont il a été victime.

En son rapport établi le 26 mai 2005, l'expert précisait d'une part, avoir distingué l'éventuel préjudice lié à une perte de la production ou de la commercialisation, et celui découlant des charges exceptionnelles d'exploitation ou financières, et d'autre part que l'accident s'étant produit le 9 juillet 1999 alors que l'année 1999 est celle de la première vinification et commercialisation de la récolte 1998, l'exploitation ayant été créée en 1997, il n'existe pas de comptes de références propres à l'exploitation, ce qui exclut toute étude comparative classique avec des données comptables antérieures à 1999 et a contraint l'expert à procéder à une étude comparative avec les comptes prévisionnels communiqués à la DDA dans le cadre du projet d'installation de Monsieur X....

Elle concluait en substance :

1o) à l'absence de préjudice lié à une perte de production ou de commercialisation, les chiffres d'affaires et bénéfices réalisés au cours de la période 1999-2002 (la date de consolidation étant fixée à février 2003), étant nettement supérieurs aux chiffres d'affaires et bénéfices prévisionnels,

2o) à l'existence d'un préjudice économique découlant de charges exceptionnelles d'exploitation ou financières, soit de charges qui n'auraient pas été supportées par l'exploitant en l'absence d'accident, et ce tant au titre de l'incapacité temporaire totale qu'au titre de l'incapacité permanente partielle, qu'elle évalue concernant le premier à la somme totale de 160. 874, 76 euros et concernant le second à une charge annuelle de 45. 855, 65 euros, constitutive d'une rente de même montant, et après capitalisation par application de l'euro de rente, d'un capital de 1. 379. 179 euros.

La Cour, en son arrêt mixte du 19 novembre 2008, a estimé qu'au regard de certains des éléments mis en exergue par l'avis technique qu'avait produit aux débats le GAN, il ne pouvait être tenu pour établi de façon certaine que l'ensemble des charges supplémentaires supportées par Monsieur X..., tant pendant la période d'incapacité temporaire totale que postérieurement à la consolidation, étaient exclusivement induites par l'accident et constituaient donc un coût supplémentaire constitutif d'un préjudice indemnisable, ou ne procédaient pas, au moins en partie, de la nécessité de recourir à la sous-traitance de certaines tâches pour faire face à une augmentation non prévue de la production ou pour adapter les moyens d'exploitation à un accroissement de l'activité, auquel cas cette sous-traitance de capacité constituait un surcoût d'activité qui restait un coût normal d'exploitation, non constitutif d'un préjudice indemnisable.

En conséquence, elle a ordonné, avant dire droit sur les demandes relatives à la perte de gains professionnels actuels et au préjudice économique après consolidation un complément d'expertise confié au même technicien, aux fins de déterminer, au regard des documents comptables dont celui-ci n'avait pas eu connaissance relativement aux exercices postérieurs à 2003 et des observations du GAN, si l'ensemble des charges supplémentaires de sous-traitance exposées était bien en lien causal direct avec les conséquences de l'accident ou si au moins une partie ne pouvait être considérée comme découlant de l'évolution de l'activité de l'exploitation et de son expansion.

Il résulte des énonciations du rapport d'expertise déposé le 28 mai 2010 et des écritures des parties, que l'exploitation viticole de Monsieur X...est caractérisée par :

- une phase de démarrage au moment de l'accident,
- une montée en production progressive jusqu'en 2004,
- un exercice comptable dont la durée est modifiée en pleine production en 2004,
- une extension du domaine en 2003, 2005 puis en 2008, l'encépagement initialement de 11, 90 ha en 2000, étant passé à 17, 2774 ha en 2003, puis à 35, 5251 ha par prise à bail du vignoble du père de Monsieur X..., puis à 46, 0246 ha en 2009, par prise à bail des vignes d'un voisin,

- une restructuration de l'entreprise en 2009 avec des moyens supplémentaires tels que l'emploi d'un chef de culture, puis d'un caviste et de plusieurs salariés.

En conclusion, l'expert indique considérer que les charges supplémentaires imputables aux seules conséquences de l'accident sont les suivantes :

« 1o) Pour la période antérieure à l'extension du domaine
* pour la période de déficit fonctionnel temporaire, soit du 9 juillet 1999 au 1er février 2003 :
- la perte de gains professionnels actuels est évaluée à 47. 945, 98 euros pour la période d'incapacité temporaire totale du 9 juillet 1999 au 9 juillet 2001,
- la perte de gains professionnels actuels est évaluée à 52. 308, 27 au titre de la période d'incapacité temporaire partielle du 10 juillet 2001 au 1er février 2003, soit une perte de gains totale de 100. 254, 25 €.

* au titre de l'incapacité permanente partielle :
La période visée est postérieure à la consolidation concernant Monsieur X...mais précède celle de l'extension du domaine vinicole.
- pour la période du 1er février 2003 au 31 décembre 2003 : 52. 464, 09 €
- pour la période du1er février 2004 au 31 août 2004 : 30. 879, 64 € soit une perte totale de 83. 343, 73 €

2o) Pour la période postérieure à l'extension du domaine
Les charges supplémentaires d'exploitation supportées par Monsieur X...postérieurement à l'accident litigieux, que nous avons analysées et détaillées précédemment, résultent en partie
-de l'accroissement attendu des capacités productives de l'encépagement d'origine,
- de l'augmentation de l'activité réelle par rapport à l'activité prévue.

En raison de son incapacité permanente partielle dûment constatée, lui interdisant toute activité physique, Monsieur X...a été contraint de se substituer un chef de culture salarié sans lequel il n'aurait pas pris le risque d'augmenter l'étendue et l'activité du domaine.

Compte tenu de l'économie réalisée dans ses tâches administratives, que nous avons précédemment chiffrées, nous avons en définitive évalué la charge supplémentaire liée à l'incapacité permanente partielle (I. P. P), pour la période postérieure à l'extension du domaine, à un montant net annuel de 37. 421 € correspondant au coût annuel de l'emploi d'un chef de culture diminué de l'économie réalisée sur l'emploi d'une personne chargée des taches administratives réalisées par Monsieur X..., ladite somme pouvant faire l'objet d'une capitalisation temporaire jusqu'à l'âge prévisible de la retraite de l'intéressé. »

Au regard de ces conclusions, des pièces produites, et des observations des parties, la Cour est en mesure d'évaluer comme suit les préjudices patrimoniaux non encore liquidés comme suit :

Sur le préjudice subi durant la période de déficit fonctionnel temporaire (9/ 07/ 1999 au01/ 02/ 2003) ou perte de gains professionnels actuels :
Il s'agit des préjudices économiques correspondant aux revenus dont la victime a été privée durant la période de déficit fonctionnel temporaire total et partiel, et l'indemnisation doit être égale en principe au coût économique du dommage.

S'agissant d'un artisan, d'un commerçant, ou d'un exploitant comme Monsieur X..., il convient de tenir compte du coût éventuel du remplacement ou de sous-traitance auxquels il a été contraint de recourir pour maintenir son activité.

Comme rappelé aux termes de l'arrêt avant dire droit, Monsieur X...a soutenu dans le cadre de l'expertise que du fait de l'accident, il a dû sous-traiter un certain nombre de tâches qu'il aurait normalement dû effectuer seul, soit la vinification, l'embouteillage et la commercialisation de son vin, alors que le domaine était initialement conçu pour être mené par une seule personne avec une aide ponctuelle pour la taille et l'embouteillage.

Ce postulat, qui était étayé par une attestation du Directeur du CIVAM (Centre d'Information et de Vulgarisation pour l'Agriculture et le Milieu rural de la région Corse) en date du 22 juillet 2004 précisant que « au vu des éléments fournis, mécanisation du vignoble quasi-totale associée à une automatisation très poussée de la cave, le domaine est conçu pour être mené par une seule personne avec une aide ponctuelle pour la taille et l'embouteillage », n'avait pas été contesté par les autres parties.

Dans un premier temps, la production est sous-traitée dans une coopérative vinicole de FIGARI « l'Omu di Cagna », puis du fait de son appellation d'origine contrôlée, le vin est vinifié sur l'exploitation elle-même par l'intermédiaire d'un sous-traitant extérieur, la SARL « SAVEURS DE CORSE ». Dans les deux cas, le recours à la sous-traitance est justifié par les factures produites, dont il est établi qu'elles ont bien été comptabilisées en compte de charges et qu'elles ont bien été payées par le compte banque dans le mois qui suit la facturation.

Après une analyse minutieuse de celles-ci, l'expert précisait que les charges exceptionnelles effectivement payées par Monsieur X..., déduction faite des frais d'embouteillage dont la sous-traitance était initialement prévue jusqu'à fin 2001, sont de 174. 483, 06 euros HT, mais que les factures du sous-traitant « SAVEURS DE CORSE » n'étant pas détaillées en fonction de la nature des prestations effectuées, des volumes et surfaces traités, il a procédé à une étude comparative entre les charges exceptionnelles effectivement payées et celles estimées à partir, d'une part des éléments de facturation de la coopérative viticole de FIGARI, et d'autre part des données issues de la brochure 2002/ 2003 de la chambre d'agriculture du Roussillon, pour aboutir à la somme totale de 160. 874, 76 euros, toutefois donnée à titre indicatif comme le précise l'expert en raison de l'absence des documents sollicités.

Le GAN faisait valoir que ces conclusions n'étaient pas susceptibles d'être retenues, dès lors que l'expert indiquait bien fournir une évaluation indicative du recours à la sous-traitance du fait de l'absence de précisions et de réponses aux demandes de documents de l'expert, lequel concluait toutefois qu'il s'agissait de la sous-traitance induite par l'accident.
Enfin, le GAN dans le cadre du complément d'expertise a de nouveau contesté l'analyse et l'évaluation faites par l'expert, en considérant que, du fait de l'augmentation constante du chiffre d'affaires et du bénéfice, le niveau d'activité de l'exploitation viticole était nettement plus élevé que celui attendu avec les moyens mis en œ uvre, de sorte que l'origine des charges supplémentaires ne pouvait être attribuée aux seules conséquences de l'accident.

Sur ce point, l'expert répond très clairement qu'au terme de l'analyse à laquelle il a procédé, il s'avère que le niveau d'activité de l'exploitation viticole était bien celui attendu avec les moyens mis en œ uvre, l'accroissement du chiffre d'affaires étant normalement attendu et ne résultant pas de l'augmentation de l'encépagement initial mais plutôt de la montée en production des jeunes pieds de vigne, laquelle est décrite dans le projet prévisionnel, de même que la montée en production de la cave. De même, la transformation de la récolte sur site était bien prévue dès l'année 2000, mais devait être progressive en raison de la mise en fonctionnement graduelle de la cave. Du fait de l'incapacité temporaire totale de Monsieur X..., la transformation de la récolte 2000 est sous-traitée par un prestataire extérieur au vignoble, à 100 %, alors qu'elle n'était prévue qu'à concurrence de 50 %.

C'est donc au terme d'une analyse minutieuse des éléments qui lui ont été soumis, et après avoir répondu de manière parfaitement claire et circonstanciée aux dires du GAN, que l'expert a évalué comme rappelé ci-dessus la perte subie par Monsieur X...durant la période de déficit fonctionnel temporaire en relation causale directe et certaine avec l'accident.

En conséquence, il convient d'allouer à Monsieur X...à ce titre la somme totale de 100. 254, 25 euros.

Sur la perte de gains professionnels futurs
L'expert a analysé successivement la période du 1er février 2003, date de la consolidation, au 31 août 2004, puis les exercices ouverts à compter du 1er septembre 205, date à partir de laquelle le domaine exploité a considérablement augmenté.

Il précise que, pour la première période ainsi déterminée, durant laquelle la vigne en production s'étend sur 17, 2774 ha, soit l'encépagement initial, les prestations utilisées résultent bien des moyens mis en œ uvre pour atteindre le niveau d'activité attendu, lequel a normalement augmenté jusqu'au 31 août 2004, conformément au prévisionnel.

L'expert ajoute que, suite à l'accident, Monsieur X...a été contraint de se faire remplacer et de recourir à la sous-traitance pour maintenir et développer son activité, étant rappelé qu'un chef de culture n'a été embauché qu'à la fin de l'exercice 2004, soit corrélativement à l'extension considérable du domaine.

Les éléments pris en compte sont fonction des frais d'entretien de la vigne et des frais de vinification et de mise en bouteille, et ce au prorata temporis pendant la période d'incapacité permanente partielle antérieure à l'extension du domaine, et font ressortir des charges supplémentaires imputables aux seules conséquences de l'accident d'un montant de 83. 343, 73 euros.

L'analyse de l'expert apparaissant parfaitement motivée, elle sera retenue pour fixer le montant de la perte de gains futurs afférente à cette période à la somme susvisée.

Concernant la période postérieure à l'extension du domaine, il convient de souligner que l'encépagement initial a plus que doublé à compter de l'exercice 2005, passant successivement de 17, 2774 ha à 35, 5251 ha puis à 46, 0246 ha, ce qui a nécessité une restructuration de l'entreprise avec des moyens supplémentaires tels que l'emploi d'un chef de culture et d'un caviste.

L'expert indique, après avoir procédé à une étude des coûts de production et de rentabilité de l'entreprise en distinguant la période antérieure à l'extension du domaine et la période postérieure à celle-ci, que si l'emploi d'un caviste lui paraît lié uniquement au changement de dimension de l'entreprise, en revanche Monsieur X...n'aurait pas pu entreprendre l'exploitation de nouveaux domaines vinicoles sans recourir à l'emploi d'un chef de culture à temps complet, compte tenu du processus de production et de son invalidité physique.

C'est pourquoi il estime que la charge supplémentaire annuelle d'exploitation liée à l'emploi d'un chef de culture salarié est directement imputable aux seules conséquences de l'accident, même si elle doit être minorée du montant de l'économie réalisée par Monsieur X...au titre des charges administratives qu'il assume lui-même.

Toutefois, les éléments analysés par l'expert démontrent bien que l'embauche d'un chef de culture a été concomitante à l'augmentation considérable de la surface exploitée et à la restructuration de l'entreprise qui s'en est suivie, de sorte que l'on peut considérer que même si Monsieur X...avait été physiquement apte à exercer certaines taches, il aurait néanmoins nécessairement dû faire appel à de la main d'œ uvre supplémentaire.

Il s'ensuit que la charge supplémentaire annuelle d'exploitation liée à l'emploi d'un chef de culture ne peut être directement rattachée aux conséquences dommageables de l'accident, et ne peut être considérée comme constituant un préjudice indemnisable au titre d'une perte de gains professionnels futurs, et ce d'autant que l'expert indique qu'il est difficile de déterminer avec précision dans quelle proportion le recours à l'emploi d'un chef de culture s'est substitué à la sous-traitance utilisée pour l'entretien et la vinification de l'encépagement d'origine.

Au regard de ce qui précède, Monsieur X...sera débouté de sa demande de ce chef.

- Sur l'article 700 du code de procédure civile

Il serait inéquitable en l'espèce de laisser à la charge de Monsieur X...l'intégralité des sommes par lui exposées à l'occasion de la présente instance et non comprises dans les dépens qui seront mis à la charge de Monsieur Y..., Monsieur Z...et le GAN, ce qui justifie la confirmation de la somme allouée au titre des frais non taxables en première instance, et la condamnation de ceux-ci au paiement de la somme de 2. 500 euros au titre des mêmes frais en cause d'appel.

*
* *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,

Ordonne la rectification d'office de l'erreur matérielle affectant l'arrêt rendu le 19 novembre 2008 en son dispositif, en ce que la somme globale revenant à Monsieur X...en réparation des préjudices non soumis au recours des organismes sociaux tiers-payeurs s'élève à CENT CINQUANTE SEPT MILLE SEPT CENTS EUROS (157. 700 euros) et non à CENT QUARANTE DEUX MILLE SEPT CENTS EUROS (142. 700 euros) ;

Prononce la mise hors de cause du Fonds de Garantie des assurances obligatoires de dommages ;
Condamne in solidum Monsieur Rahal Y..., Monsieur Ahmed Z...et la compagnie GAN ASSURANCES IARD à payer à Monsieur Philippe X...:
- la somme de CENT MILLE DEUX CENT CINQUANTE QUATRE EUROS et VINGT CINQ CENTIMES (100. 254, 25 euros) en réparation de la perte de gains professionnels actuels subie durant la période de déficit fonctionnel temporaire,
- la somme de QUATRE VINGT TROIS MILLE TROIS CENT QUARANTE TROIS EUROS et SOIXANTE TREIZE CENTIMES (83. 343, 73 euros) en réparation de la perte de gains professionnels futurs subie au titre des exercices 2003-2004 s'achevant au 31 août 2004 ;
Dit que, conformément à ce qui a été définitivement jugé par l'arrêt du 19 novembre 2008, ces indemnités produiront intérêts au double du taux légal à compter du 9 mars 2000 et jusqu'au jour où la présente décision sera définitive ;
Condamne in solidum Monsieur Rahal Y..., Monsieur Ahmed Z...et la compagnie GAN ASSURANCES IARD à payer à Monsieur Philippe X...la somme de DEUX MILLE CINQ CENTS EUROS (2. 500 euros) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute Monsieur Philippe X...de toutes ses autres demandes ;
Condamne in solidum Monsieur Rahal Y..., Monsieur Ahmed Z...et la compagnie GAN ASSURANCES IARD aux dépens.

LE GREFFIER, LE PRESIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bastia
Formation : Ch. civile a
Numéro d'arrêt : 07/00190
Date de la décision : 09/03/2011
Sens de l'arrêt : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée
Type d'affaire : Civile

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.bastia;arret;2011-03-09;07.00190 ?
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